Tawil c. Montréal (Ville de)

2015 QCCQ 1017

COUR DU QUÉBEC

« Division des petites créances »

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE MONTRÉAL

« Chambre civile »

 

N°: 500-32-138662-137

 

DATE : Le 18 février 2015

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SOUS LA PRÉSIDENCE DE L'HONORABLE ALAIN BREAULT, J.C.Q.

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NATHALIE TAWIL

[…] Montréal (Québec) […]

 

Demanderesse

 

c.

 

VILLE DE MONTRÉAL

275, rue Notre-Dame Est

Montréal (Québec)

H2Y 1C6

 

Défenderesse

 

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JUGEMENT

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[1]            Nathalie Tawil, la demanderesse, réclame des dommages-intérêts totalisant 1600 $ à la Ville de Montréal (« la Ville »), à la suite d'une chute survenue sur un trottoir longeant la rue Clark, à Montréal.

[2]            La Ville conteste la réclamation. En bref, elle soutient que la chute de la demanderesse ne relève pas de sa responsabilité, puisque, quant à elle, la chute résulte avant tout d’une inattention de la part de la demanderesse.

LE CONTEXTE

[3]            Le 17 octobre 2012, vers 13 h 30, la demanderesse sort d’un immeuble faisant face à la rue Clark, à Montréal. Elle vient de terminer une entrevue relative à un emploi auquel elle a postulé.

[4]            Elle est habillée de façon professionnelle et porte des souliers dont les talons sont assez hauts (entre deux et trois pouces).

[5]            En sortant de l’immeuble, elle regarde son cellulaire. Elle se dirige vers son automobile et tient dans ses mains les clefs de sa voiture. Quelques instants plus tard, après n’avoir fait que quelques pas, elle fait une chute lorsque l’un de ses souliers se coince dans une fissure du trottoir.

[6]            La demanderesse perd ses deux souliers et tombe face première sur le sol. Elle témoigne avoir immédiatement ressenti une forte douleur à la cheville gauche et aux deux genoux. De fait, pour reprendre son expression, elle a le genou gauche « ouvert ».

[7]            En souffrance, elle se rend péniblement jusqu'à son automobile.

[8]            Elle s’arrête à une clinique médicale pour tenter d’obtenir des premiers soins. Elle est mal accueillie. Elle reçoit cependant de l’aide dans une pharmacie située dans le même immeuble.

[9]            Le 19 octobre 2012, elle se rend à l’Hôpital Fleury où elle est reçue à l’urgence. Les examens ne révèlent aucune fracture ou dislocation. Une contusion et un hématome sont cependant observés.

[10]         La réclamation de la demanderesse totalise 1 600 $. Outre les douleurs et souffrances qu’elle expose, elle recherche aussi une indemnité pour la cicatrice qui est maintenant présente sur son genou gauche. Cette cicatrice est longue d’environ un pouce 1/2.

[11]         La Ville plaide d'abord que la preuve ne révèle aucune faute de sa part. Elle souligne que la demanderesse a été fort probablement inattentive avant que la chute se produise. Elle ajoute que l’endroit où a eu lieu l’accident ne présentait aucun élément imprévisible ou aucune situation de piège.

ANALYSE ET MOTIFS

[12]         L'article 2803 C.c.Q. énonce ce qui suit :

2803.   Celui qui veut faire valoir un droit doit prouver les faits qui soutiennent sa prétention.

Celui qui prétend qu'un droit est nul, a été modifié ou est éteint doit prouver les faits sur lesquels sa prétention est fondée. 

[13]         En matière de responsabilité civile municipale concernant une chute sur un trottoir, le fardeau de preuve est assez exigeant pour la partie qui poursuit une ville. La responsabilité d'une ville ou d’une municipalité n'est pas présumée ou démontrée du seul fait qu’une chute s'est produite sur une voie publique et que l'on y observe une ou plusieurs fissures ou dénivellations. La négligence de la Ville doit être prouvée.

[14]         Dans Montréal (Ville de) c. Scanlan [1] , la Cour d'appel reprend les commentaires que le juge de première instance avait exposés dans cette perspective :

1)    La demanderesse doit prouver une faute de la Ville;

2)   Il n'y a pas de présomption de faute lors d'un accident qui survient sur un trottoir ou une voie appartenant à une municipalité.  Cette dernière est tenue à une obligation de moyens, dont la violation doit être prouvée par la demanderesse et la municipalité n'est pas l'assureur des usagers de ses trottoirs et rues;

3)   La norme de conduite à laquelle est tenue une municipalité est ainsi décrite par la Cour d'appel :

Bien que la loi et la jurisprudence reconnaissent qu'il revient à la municipalité d'apporter une vigilance raisonnable dans l'entretien de ses voies publiques en tenant compte de divers facteurs tels que la variabilité des températures et l'étendue du territoire à couvrir, les actes posés par la municipalité doivent être appréciés en regard du critère de la personne raisonnablement prudente et diligente.

[15]         Dans Gagnon c. Montréal (Ville de [2] ), la Cour d’appel écrit :

[14]   On ne saurait prétendre, ainsi que l'enseigne la jurisprudence, et comme le disait le juge Rothman dans l'affaire Martin c. Cité de Montréal, citée par la juge de première instance, qu'une municipalité doit maintenir ses trottoirs à des niveaux toujours et absolument uniformes.  L'obligation en est une de moyens et non de résultats ( Murino c. Ville de Montréal; Stanley-Colantonion c. Ville de Montréal).

[15]   Enfin, il serait fastidieux de citer à nouveau cette longue jurisprudence qui souligne que les municipalités ne sont pas les assureurs des piétons et que, à moins d'une faute, ou d'une situation dangereuse en soi, à leur connaissance, elles ne sauraient être tenues responsables des chutes de piétons. 

[16]   Ces derniers, en particulier dans une ville comme celle de Montréal et dans un climat comme le nôtre, doivent s'attendre à ce qu'il lui soit impossible de maintenir une uniformité absolue du niveau de ses trottoirs et d'en empêcher une dégradation normale.  Les fissures sont non seulement fréquentes mais, pourrait-on dire, normales dans notre climat.  En l'espèce, la juge de première instance a conclu qu'il n'y avait aucun danger inhérent à la profondeur de la fissure et à la hauteur de la dénivellation, et nous sommes d'accord.  Cette situation est prévisible pour tout piéton et ne comporte aucun élément de surprise tel que l'exige le test énoncé par l'arrêt Rubis.  Il n'y a aucun danger inhérent.  Le danger, même s'il y en a un occasionnel et temporaire, résultait d'un phénomène naturel d'ombre et de lumière qui devait, dans la mesure où il affecte la visibilité d'un piéton, rendre celui-ci encore plus attentif.

(références omises)

[16]         En l'espèce, bien que sympathique à la blessure et aux souffrances subies par la demanderesse, le Tribunal doit conclure qu’elle n'a pas satisfait à son fardeau de prouver que la Ville est responsable de sa chute et des dommages qu’elle déclare avoir subis.

[17]         Des différentes photos produites, il s’avère que l’état des lieux ne constituait pas un piège au sens où la jurisprudence définit ce concept.

[18]         Les fissures constatées ne sont pas différentes de celles que l’on peut observer régulièrement sur les trottoirs et rues de Montréal. En fait, elles étaient visibles et prévisibles pour toute personne qui portait moindrement attention à la condition du trottoir.

[19]         Le Tribunal ne remet pas en cause la bonne foi de la demanderesse. Par contre, il ne peut ignorer qu’à la sortie de son entrevue, venant à peine de consulter son cellulaire, la demanderesse était sans doute distraite et pas très attentive à la condition du trottoir.

[20]         Par ailleurs, le Tribunal est satisfait des explications offertes par le préposé de la Ville au sujet des inspections des rues et trottoirs qui sont effectuées dans le secteur pertinent. Le Tribunal retient que la condition de la rue Clark ne nécessitait aucune intervention urgente de la Ville à l’époque où la chute de la demanderesse s’est produite.

[21]         Aussi, de tout ce qui précède, le Tribunal conclut que la demanderesse n’a pas satisfait à son fardeau d’établir les éléments constitutifs de la responsabilité civile de la Ville suivant les critères développés par la jurisprudence. Partant, sa réclamation sera rejetée, mais dans les circonstances décrites, elle le sera sans frais judiciaires.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

REJETTE la réclamation de la demanderesse, mais sans frais judiciaires ;

 

 

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ALAIN BREAULT, J.C.Q.

 

 

 

Date de l'audience : 17 février 2015

 

 

 



[1]     (C.A., 2011-04-01), 2011 QCCA 614, AZ-50737878 , 2011EXP-1281, J.E. 2011-691.

[2]     (C.A., 2003-11-19), SOQUIJ AZ-50207587 , J.E. 2003-2257, 2003 Can LII 11659 (QC CA).