Robert c. Chiminazzo |
2015 QCCS 592 |
J.C.1466
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE LONGUEUIL |
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N° : |
505-17-004953-107 |
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DATE : |
23 février 2015 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE |
L’HONORABLE |
JEAN-JUDE CHABOT, J.C.S. |
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GUY ROBERT |
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Demandeur |
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c.
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GIORGIO CHIMINAZZO et SOPHIE ROBICHAUD et RENÉ THOMAS & FILS INC. |
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Défendeurs |
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ET |
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GIORGIO CHIMINAZZO et SOPHIE ROBICHAUD |
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Demandeurs en garantie |
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c.
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RENÉ THOMAS & FILS INC. |
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Défenderesse en garantie |
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JUGEMENT |
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[1] Il s'agit d'une action en dommages et intérêts de 1 097 544$ pour des blessures subies lors d'une chute d'un échafaudage à la suite du bris d'un madrier d'échafaudage.
[2] Au début 2007, les défendeurs Giorgio Chiminazzo et Sophie Robichaud (ci-après « Chiminazzo » et « Robichaud ») entreprennent de se construire une résidence qui portera le numéro civique […] à Boucherville. Ils ont les plans pour leur résidence. Après avoir obtenu des prix de divers entrepreneurs, ils visitent l'entreprise Maisons Laprise qui se spécialise dans la construction par des auto-constructeurs à partir de leurs plans ou à partir des plans que fournit Maisons Laprise. Celle-ci accepte les plans des défendeurs et s'engage à leur livrer les matériaux et les murs préfabriqués par section.
[3] Au printemps de la même année, dame Robichaud rencontre le demandeur Guy Robert (ci-après « Robert ») à un cours d'équitation que suivent les filles de l'une et l'autre. Pendant le cours, Robichaud et Robert jasent ensemble et Robichaud mentionne son projet de construction. Robert l'informe qu'il est un entrepreneur en construction et qu'il recommence à travailler après un accident de travail. Il lui explique qu'il a de l'expérience à « monter » des maisons et peut l'aider dans l'érection de la maison, ajoutant qu'il espère de la sorte « se qualifier auprès de Maisons Laprise pour des contrats futurs ». Après avoir visité la maison modèle et en avoir apprécié la qualité, Robichaud décide donc de retenir les services de Robert pour faire le plancher et installer les murs au taux horaire de 30$.
[4] Selon Robert, il aurait informé Robichaud qu'il avait des limitations à forcer et lui aurait offert ses propres employés pour monter la coquille. Il lui aurait aussi mentionné que sa licence d'entrepreneur n'était pas « active », ajoutant que Robichaud préférait toutefois engager elle-même ses employés et lui a demandé plutôt de les diriger. Selon Robichaud, ils auraient convenu alors d'un taux horaire de 35$. Pour sa part, Robichaud nie que Robert ait offert ses propres employés, qu'il ait mentionné que sa licence d'entrepreneur n'était plus en vigueur ou qu'il avait quelque limitation que ce soit à forcer.
[5] Quoi qu'il en soit, ce que retient le Tribunal, c'est que Robert se présente comme un homme d'expérience dans le domaine de la construction résidentielle, qu'il est compétent à diriger les employés pour construire le plancher et monter les murs de la résidence et qu'il est engagé pour ce faire.
[6] La construction de la maison débute le 7 juillet. Comme le beau-père de Robichaud est spécialiste dans les coffrages, c'est lui qui fait le défrichage du terrain et monte les fondations. Robichaud engage deux hommes à tout faire, Jean-Christophe Thomas (ci-après « Thomas ») (aucun lien avec la défenderesse René Thomas & Fils Inc. ou ses dirigeants) et Etienne Brunet (ci-après « Brunet ») pour aider son beau-père et pour le reste des travaux. Pendant l'exécution de ces travaux, Robert se présente à quelques occasions pour en voir l'avancement. Il aurait même, selon son témoignage, donné des conseils sur la manière de faire les fondations.
[7] Robert commence à travailler comme tel sur le chantier vers la mi-septembre 2007 et exécute des travaux accessoires après les fondations en vue de préparer l'érection de la maison. C'est lui qui indique à Robichaud ce dont il a besoin pour l'érection de la structure. À cet égard, elle commande des échafaudages auprès de la défenderesse René Thomas & Fils Inc. (ci-après « Thomas & Fils Inc. ») les 5 et 19 septembre pour livraison au chantier (D-1). Le 28 septembre, les fondations sont prêtes à recevoir la structure. Au matin, vers 7 heures - 8 heures, Robert et les deux employés se présentent au chantier. Les échafaudages et les madriers se trouvent déjà sur les lieux (ou une partie est livrée le matin même, les versions de Robert divergent à cet égard). Quoi qu'il en soit, Robert vérifie l'équipement et les madriers et demande aux deux employés de les descendre au sous-sol. Sous sa direction et selon ses instructions, les deux employés installent les échafauds sur le pourtour des murs intérieurs de fondation, à environ 10 pouces ou 12 pouces de distance des murs (selon la déclaration de Thomas, ce serait plutôt 3 pieds (D-4, à la p 4). Les fondations de la maison feraient 60 pieds de longueur face à la rue du Bosquet par 40 pieds de largeur et sont traversées par deux poutres de soutien parallèlement à la rue et de part et d'autre de la fenêtre du sous-sol donnant sur le côté gauche (pour un aperçu général, seulement, de la disposition des fondations, voir le schéma P-11A). Les échafauds sont également installés le long des poutres. Pour relier les échafauds de part et d'autre des poutres et ceux près des fondations, les employés installent également des madriers perpendiculairement à ceux-ci (voir le croquis réalisé par Robert lors de son interrogatoire hors cour du 17/01/2011 par Me Donati, aux pp 26-28 et D-9A. Voir aussi D-8A). Les madriers se trouvent à + 5 pieds du sol.
[8] Les employés commencent à installer la lisse sur les fondations. Selon le témoignage de Robert, à la première occasion où il grimpe sur un des échafauds et fait deux pas sur un madrier, le madrier se rompt. Il tombe au sol sur sa jambe droite non sans que sa tête n'ait heurté auparavant l'échafaudage à deux occasions et il se retrouve coincé entre l'échafaud et le mur de fondation.
[9] Alléguant avoir subi des blessures sérieuses, il dépose les présentes procédures le 17 septembre 2010 recherchant une condamnation solidaire des trois défendeurs pour la somme susmentionnée.
[10] De leur côté les défendeurs Chiminazzo et Robichaud entreprennent un recours en garantie contre Thomas & Fils Inc.
[11] Le demandeur expose que la défenderesse Thomas & Fils Inc. a commis une faute en louant et livrant un madrier inadéquat, brisé et non conforme, présentant des lacunes dans son état global, précisant qu'elle avait l'obligation de livrer des équipements conformes à une utilisation normale et absents de tout bris.
[12] Par ailleurs, il expose que les défendeurs Chiminazzo et Robichaud étaient les maîtres d'œuvre du chantier et étaient responsables de la sécurité de celui-ci et responsables de la qualité des équipements mis à la disposition de leurs employés. Il ajoute que les madriers fournis par ces défendeurs et installés par leurs employés étaient inadéquats et ont mis en péril sa santé et sa sécurité.
[13] En raison des fautes commises par les défendeurs, il expose qu'il a subi des blessures sérieuses à sa colonne vertébrale qui l'empêchent de poursuivre son entreprise et de gagner des revenus et en conséquence leur réclame la somme de 977 544 000$ à titre de perte de revenus futurs. Il allègue également avoir subi une perte de 50 000$ découlant du fait qu'il a été dans l'obligation de vendre sa résidence à moindre prix en raison des difficultés financières résultant de son incapacité de travailler.
[14] Il plaide d'autre part que ses blessures lui ont laissé des séquelles permanentes à la colonne vertébrale et qu'elles lui ont occasionné et lui occasionnent encore des douleurs importantes pour lesquelles il demande une compensation de 50 000$ ainsi qu'une perte de jouissance de la vie pour laquelle il réclame 20 000$.
[15] La réclamation totale se chiffre donc à 1 097 544$ (non pas 10 975 544$ tel qu'indiqué erronément à la requête introductive d'instance initiale et amendée).
[16] Ils plaident qu'ils ont retenu les services de Robert à cause de ses qualifications d'entrepreneur général pour les conseiller et superviser l'érection de la structure de leur résidence. L'installation des échafaudages et des madriers a été faite selon les seules instructions de Robert après vérification par celui-ci de la conformité des structures et des madriers. Malgré la mise en garde des employés Thomas et Brunet à l'effet qu'il devrait installer deux madriers côte à côte pour travailler, Robert a décidé de n'en installer qu'un seul à l'endroit où il travaillait. Au moment de sa chute, il travaillait sur un seul madrier.
[17] Les défendeurs plaident qu'ils n'ont commis aucune faute puisque les madriers commandés de Thomas & Fils Inc., et plus particulièrement le madrier impliqué dans la chute, portaient les certifications exigées par les normes réglementaires et qu'ils ne représentaient aucun défaut particulier pouvant mettre en doute leur résistance pour l'usage auxquels ils étaient destinés. Ils exposent que la fracture du madrier en son centre résulte d'une charge excessive pour l'espacement maximal permis entre les appuis. Comme le madrier en question était la seule pièce constituant le plancher de l'échafaud, l'installation de l'échafaudage était donc déficiente et ne respectait pas les exigences de sécurité pertinentes applicables en l'espèce. En conséquence, le défendeur est le seul responsable de sa chute qui résulte de son comportement négligeant. Ils ajoutent de surcroît que les dommages réclamés sont illégaux, exagérés et ne découlent pas de l'accident dont se plaint le demandeur.
[18] Subsidiairement et au soutien de leur recours en garantie contre la codéfenderesse Thomas & Fils Inc., ils plaident qu'ils ont loué le madrier de celle-ci, une entreprise spécialisée dans la location d'équipement de construction, et que si le madrier présentait des vices de conception ou des défectuosités, la codéfenderesse Thomas & Fils Inc. doit en être tenue seule responsable.
[19] Essentiellement, elle réitère les arguments des codéfendeurs à l'effet que les dommages subis par le demandeur résultent uniquement de sa faute en ce qu'il avait de l'expérience dans la construction et dans l'utilisation d'échafaudage et savait ce à quoi il s'exposait ayant antérieurement déjà chuté par deux fois d'un échafaud. Il a vérifié lui-même les supports et les madriers et n'y a décelé aucun défaut ou indice de non-conformité. Malgré l'avertissement des deux autres employés de ne pas marcher sur un seul madrier, il a choisi de n'en installer qu'un seul. Or, le madrier s'est brisé en raison de la charge excessive qui lui a été imposée, de telle sorte que le demandeur a été imprudent et a été l'artisan de son propre malheur. Plaidant l'absence de lien de droit entre elle et le demandeur, elle conclut que l'action est mal fondée en faits et en droit. Elle conteste également les dommages pour les mêmes motifs que ceux des codéfendeurs.
[20] Essentiellement, il s'agit de déterminer si les défendeurs, ou l'un deux, ont commis une faute à l'égard du demandeur auquel cas établir le lien de causalité en cette faute et les dommages en résultant et, le cas échéant, le montant de la compensation à attribuer à ces dommages.
[21] Robert prétend qu'il ne faisait qu'apporter de l'aide aux défendeurs, que ce n'était pas un véritable contrat : il aidait les défendeurs qui en retour pouvaient l'aider à obtenir des contrats auprès de Maisons Laprise.
[22]
En fait, la situation est plus complexe. Robert et Robichaud ne se
connaissaient pas avant de se rencontrer au centre d'équitation. Robert
apprend que Robichaud cherche quelqu'un d'expérience pour procéder à monter la
maison préfabriquée. De part son expérience d'entrepreneur général en
construction, il offre ses services à Robichaud pour superviser l'érection de
la structure, ce à quoi Robichaud convient à un taux horaire de 30$ ou 35$.
Certes, il n'y a pas de contrat écrit mais il y a néanmoins un contrat verbal
résultant de l'échange des consentements. Il s'agit d'un contrat d'entreprise
tel que défini à l'article
2098. Le contrat d'entreprise ou de service est celui par lequel une personne, selon le cas l'entrepreneur ou le prestataire de services, s'engage envers une autre personne, le client, à réaliser un ouvrage matériel ou intellectuel ou à fournir un service moyennant un prix que le client s'oblige à lui payer.
[23]
Il ne s'agit pas d'un contrat de travail défini à l'article
2085. Le contrat de travail est celui par lequel une personne, le salarié, s'oblige, pour un temps limité et moyennant rémunération, à effectuer un travail sous la direction ou le contrôle d'une autre personne, l'employeur.
[24] En l'espèce, les défendeurs n'exercent pas la direction ou le contrôle du travail de Robert. Au contraire, c'est Robert qui décide et établit les moyens d'exécution sans lien de subordination envers les défendeurs. Il indique aux défendeurs ce dont il a besoin pour son travail, décide de la manière de procéder et dirige les employés fournis par les défendeurs pour l'exécution de ces travaux :
Q Donc, je vais vous demander simplement de me dire en quoi consistaient vos tâches lorsque vous avez été embauché par les défendeurs pour, selon vous, les aider à construire leur résidence? En quoi consistait exactement votre travail?
R C'est de monter toute la maison au complet, avec l'assistance de ces deux personnes qu'elle m'avait laissées avec moi.
(…)
(Interrogatoire par Me David, 17/01/11, à la p 4, l.3-10, D-5)
Q Et vous, lorsque vous arrivez sur le chantier, est-ce que c'est vous qui leurs dites quoi faire? Est-ce que c'est vous qui devenez un peu leur superviseur?
R Oui. C'était surtout comme ça. Eux autres, ils m'aidaient pour monter la maison.
Q C'est vous qui étiez le chef, là. Eux, ils faisaient ce que vous leur disiez de faire.
R Bien, on pourrait dire, oui.
Q Bien, je le sais pas, je vous le demande. Je ne veux pas vous mettre des mots dans la bouche, là, je vous demande…
R Non, non, mais c'était comme ça. Moi, je leur disais : on va monter cette partie puis on la montait tranquillement.
Q Ça fait qu'eux, ils suivaient un peu ce que vous leur disiez en fonction de l'ordre de priorités ou de séquences de travail.
R C'est ça. C'est en plein ça.
Q Mais c'est vous qui étiez celui qui leur disiez quoi faire.
R C'est en plein ça.
(D-5, à la p 8, l.5-25; à la p 9, l.1-2)
[25] Clairement, Robert n'était pas l'employé des défendeurs Chiminazzo et Robichaud. Il était seul responsable des méthodes de travail.
[26] La défenderesse n'a pas contracté avec Robert mais avec les codéfendeurs. Il n'y a aucun lien contractuel entre eux. Si responsabilité il y a, elle sera extra-contractuelle.
[27] Donc, le matin du 28 septembre 2007, Robert commence les travaux pour l'érection de la structure. Il doit d'abord installer des échafaudages pour pouvoir fixer la lisse sur le périmètre et pour installer les poutrelles de support pour le plancher. Les pièces d'échafaudage se trouvent déjà sur le chantier, y compris les madriers qui sont en grand nombre. C'est du moins la version donnée à Me David dans son interrogatoire avant défense du 17 janvier 2011 (D-5) :
Q Non. Donc, ils étaient tous corrects, tous les madriers qui étaient là?
R Parce qu'il y en avait encore qui étaient à terre, puis tout.
Q Donc, il y en avait plus?
R Oui, oui, oui. On en avait vraiment beaucoup. Parce que je lui avait dit de faire venir beaucoup de madriers.
(D-5, à la p 15, l.22-25; à la p 16, l.1-4)
[28] Les fondations forment un rectangle traversé dans sa partie longue de deux poutres de soutien parallèles à l'avant et à l'arrière des fondations de chaque côté de la fenêtre donnant sur le mur gauche (voir photographie #1 jointe au rapport D-2 et PG-4).
[29] Robert et les deux employés commencent à monter les échafauds sur le pourtour du périmètre. Malgré plusieurs divergences apparaissant dans les témoignages et particulièrement dans celui de Robert, il appert manifestement d'après les bons de livraison D-1 que les échafaudages en litige étaient constitués de deux supports métalliques latéraux de 5 pieds de hauteur par 5 pieds de largeur, reliés par deux croisillons en métal de 10 pieds de longueur sur lesquels on installe deux madriers de 2 pouces d'épaisseur par 10 pouces de largeur par 12 pieds de longueur (D-1). Une partie de cet échafaudage apparaît à la photographie D-12.
[30] Par la suite, Robert et les deux employés installent les échafaudages de chaque côté des poutres de soutien du plancher à venir parallèlement aux fondations avant et arrière de la maison et perpendiculairement au mur de fondation gauche (voir P-11A pour une vue des poutres et de l'installation sommaire seulement). Puis, ces échafaudages sont reliés parallèlement au mur gauche par des madriers de manière à permettre un déplacement tout le tour du périmètre (voir D-2B, D-8A et D-9A).
[31] Robert a de l'expérience en matière d'échafaudages pour s'en être servis durant de nombreuses années dans son métier de peintre et d'entrepreneur général. Il a d'ailleurs déjà subi deux chutes d'un échafaudage en 2001 et 2005 :
YC Vu que vous avez déjà été entrepreneur en construction, ce n'est pas la première fois que vous avez à monter sur ce type d'échafaud ?
GR Je passe mon temps là-dedans
YC OK. Vous avez été entrepreneur pendant combien d'années ?
GR Depuis 2000
YC Depuis 2000, auparavant vous faisiez quoi ?
GR Entrepreneur général, j'étais contracteur peintre
YC Entrepreneur peintre ?
GR Oui
YC Pendant combien d'années ?
GR Depuis 86 à peu près
YC OK donc vous avez connu ce type d'échafaud et ce type de madrier depuis au moins 20 ans ?
GR Oh oui,
YC C'est cela ?
GR Oui
(D-8, Déclaration de Robert à l'ajusteur d'assurance Y.Clément du 13-02-2008 en présence de l'avocat de Robert, aux pp 6-7/28)
[32] Il supervise l'installation et indique aux employés comment procéder. Il vérifie les diverses pièces et leurs fixations, vérifie les madriers pour s'assurer qu'ils sont conformes et ne présentent aucune anomalie, fissure ou autre élément pouvant affecter la solidité du madrier :
YC Ok et puis est-ce que c'est vous-même qui aviez installé ces madriers ?
GR Non, c'est tous les gars qui l'ont installé et c'est moi qui l'a vérifié
NH Quels gars ?
YC C'était « Tatoo » puis …
NH Donc c'était les ouvriers qui étaient présent
GR Je ne me souviens plus de son nom
YC Qui ont installé les madriers en place puis vous les avez vous-même vérifiés vous dites ?
GR C'est ça
YC Est-ce que visuellement les madriers vous semblaient en bonne condition ?
GR Oui
YC Vous n'avez rien vu d'anormal ?
GR Non pas du tout, pas du tout, j'ai même «checké», j'ai vérifié, j'ai pas sauté dessus, mais j'ai vérifié
YC Est-ce que c'était le premier matin que vous utilisiez les madriers et les échafauds ?
GR On commençait à les installer
YC Vous commenciez à les installer. OK
GR J'ai été comme le premier à embarquer dessus et le premier à tomber.
( Id. , aux pp 4-5/28)
[33] Au même effet, son témoignage lors de l'interrogatoire hors cour de Me David du 17 janvier 2001 :
Q O.K. Et là, vous dites que c'est les deux qui étaient sur le chantier qui ont installé ça. Vous, vous avez vérifié la structure de façon à ce qu'elle soit bien ancrée au sol?
R C'est ça.
Q Ou en tout cas, bien appuyée au sol de façon à ce qu'elle soit de niveau? Et en ce qui concerne les madriers, est-ce que vous faites une vérification de ça aussi?
R Bien, on regarde s'il y a pas de coupe de scie dessus ou quoi que ce soit ou fendu sur le long, puis tout.
Q O.K. Puis quand vous avez fait l'exercice, vous n'avez rien remarqué?
R Rien.
Q Est-ce que vous en avez enlevé des morceaux? Est-ce qu'il y en a que, je sais pas, vous avez regardé, vous avez dit : ah, ce madrier-là je l'aime pas?
R Non.
Q Non. Donc, ils étaient tous corrects, tous les madriers qui étaient là?
R Parce qu'il y en avait encore qui étaient à terre, puis tout.
(D-5, à la p 15, l.2-25)
[34] Puis Robert monte dans un échafaud pour, dit-il, aller vérifier la distance entre la poutre de bois de la partie arrière et la poutre d'acier de la partie avant en vue de la pose des croisillons (solives) qui serviront de base au plancher. Robert témoigne s'engager sur un madrier et après avoir fait deux pas, le madrier cède en son milieu et il tombe sur sa jambe droite puis sur son côté droit et se retrouve coincé entre le mur de gauche et l'échafaud.
[35] Ceci est la version simple mais la situation est plus complexe. Au procès, Robert dépose un croquis préparé par son expert, l'ingénieur Paul Croteau, selon les informations fournies par Robert (P-11A). Selon la version de Robert, il serait tombé à l'endroit indiqué par un « X » sur P-11A sur le madrier qui ferait partie d'un premier échafaudage installé du côté de la fenêtre du mur gauche de part et d'autre de la poutre de bois.
[36] Or, le Tribunal ne croit pas que ce croquis représente la situation réelle. Robert a donné plusieurs versions de l'accident qui ne concordent pas avec la version soutenue devant le Tribunal. Ainsi, il a donné une première version à l'ajusteur Clément le 13 février 2008, soit cinq mois seulement après les événements, sur la position des échafauds et l'endroit de sa chute et a fourni un croquis dessiné par lui-même de la situation (D-8A) :
YC Est-ce que l'échafaud était placé le long du solage, tout le long ou s'il y avait les pattes qui s'en venaient vers le centre du sous-sol ?
YC Alors M. Robert, vous venez de faire un croquis identifiant la position des échafauds au sous-sol de la résidence où est survenu l'accident que vous avez indiqué par les lettres A, B, C et D et vous y aviez placé également des madriers sur le dessus de ces échafauds-là qui portent l'identification 1,2,3,4,5,6 et 7. L'échafaud 5 et l'échafaud 3 se retrouvent de chaque côté de la fenêtre, soit la seule fenêtre située sur le côté gauche de la résidence. C'est bien exact ?
GR Oui c'est cela, donc le beam commençait là aussi
YR La distance qui sépare l'échafaud 3 et le 5 serait d'environ 2 pieds ?
GR Environ 2 à 3 pieds
YC Vous diriez quelle longueur avait vos madriers qui relient l'échafaud 3 à l'échafaud 5 ?
GR Ça, ça a 10 pieds de long
YC 10 pieds de long. Qui reposaient sur la dernière barre sur le dessus de l'échafaud ?
GR Non pas sur la barre, sur l'autre madrier il était comme chevauché dessus
TC Vous aviez 2 madriers un par-dessus l'autre ?
GR Non, regarde, j'ai un madrier ici un autre madrier là pis lui est appuyé de même
YC Donc vous avez un madrier
GR La distance est de 2 à 3 pieds entre les 2 échafauds ici, c'est à dire le madrier ici était chevauché au moins de 2 pieds là, le madrier 5 était chevauché sur lui ici
YC Sur le madrier #3… ?
GR C'est ça et il dépassait au moins 2 pieds chaque bord, là et puis là
YC Il dépassait de 2 pieds de chaque côté de l'échafaud ?
Gr Oui
YC OK
GR Oui parce que l'autre était chevauché sur l'autre
YC OK. Sur l'échafaud directement, est-ce qu'il y avait 2 madriers de large ou s'il y avait seulement 1 madrier qui reliait chacun des échafauds ?
GR Ok de lui à lui, il y avait 1 madrier
YC Un madrier seulement ?
GR Oui
(D-8, aux pp 3-4/28)
[37] Malgré que l'ajusteur semble se méprendre, ce qu'explique Robert ici à partir de son croquis c'est qu'il y a un échafaud « B » du côté arrière de la fenêtre et un échafaud « C » du côté avant de la fenêtre, lesquels sont reliés perpendiculairement par un seul madrier identifié « 5 » chevauchant de part et d'autre les madriers identifiés B-3 et C-4. Le madrier qui s'est fracturé est le « #5 » et c'était le seul mis en place selon le choix de Robert :
GR Un échafaud peut être placé n'importe comment, il est correct, mais je sais que si tu mets un madrier sur le bout d'un morceau de bois puis sur le bout d'un morceau de bois, tu sacres le camp à terre. Puis je sais que quand je l'ai fais tout était correct.
YC Il était bien placé ?
GR Oui parce que j'aurais, même avec les distances, le madrier était bien chevauché sur l'autre, puis il était correct appuyé comme faut pi quand qu'on n'a pas de poids, on n'a pas besoin comme de doubler le madrier. Si t'arrives et tu fais de la maçonnerie, là il faut que tu doubles tes madriers, ça c'est évident.
YC Sur le madrier sur lequel vous avez marché et le madrier qui a cassé, est-ce que vous aviez un autre madrier à côté ou il était seul, sur le dessus ?
GR Non, lui était seul
YC Vous aviez un seul madrier ?
GR Oui. Puis c'est pour ça que je t'ai dit la distance qu'il y a de là à là, était vraiment correcte, j'ai eu le temps de mettre… j'ai fais 2 pas et ça fait « slouc » direct en bas.
YC Le madrier sur lequel vous marchiez dépassait l'échafaud d'environ ?
GR Moi je dis qu'il chevauchait au moins 2 pieds de chaque bord.
YC 2 pieds de chaque côté ?
GR Oui facilement, il était vraiment correct
YC Donc il appuyait entièrement sur l'échafaud qui était plus loin vers le fond du sous-sol ?
GR C'est pour cela que de là à là ce n'était pas bien loin
(D-8, aux pp 16-17/28)
(cité textuellement)
[38] Et c'était bien le « #5 » :
NH J'aimerais que vous précisiez, parce qu'on vous fait parler depuis tantôt, voir comment c'était monté pi tout ça et c'est juste que, comment c'était monté l'échafaudage, vous avez dit tantôt que vous avez fait 2 pas. En faisant les 2 pas sur le madrier qui était transversal, qu'on disait le numéro 2 … 5
GR Le 5
(D-8, à la p 22/28. NH est Nathalie Hawley, expert en sinistre pour l'assureur de Thomas & Fils Inc.)
[39] L'endroit de la chute est indiqué « RO » sur le croquis. Par la suite, les déclarations de Robert à l'ajusteur en ce qui concerne les distances n'ont aucun sens si l'on compare aux dimensions indiquées à la photographie #1 de D-2. Le Tribunal y reviendra.
[40] Quoi qu'il en soit, Robert a dessiné un autre croquis, cette fois lors de son interrogatoire avant défense par Me Donati, procureur de Thomas & Fils Inc., le 17 janvier 2011 (D-9A) correspondant pour l'essentiel à celui fourni à l'ajusteur (D-8A) en ce qui concerne l'endroit de la chute, sauf qu'on y retrouve trois échafauds au lieu de quatre. Toutefois, incompréhensiblement, il indique alors qu'il y avait deux madriers côté à côté reliant les échafaudages :
Q Je comprends qu'en haut de cet échafaudage-là, il y avait deux madriers côte à côte?
R Oui. On met tout le temps deux madriers.
Q Oui. Et vous, vous êtes monté sur lequel de ces deux madriers là, celui qui était le plus près de la fondation ou le plus éloigné?
R Bien, d'après moi, c'est le côté de la fondation.
(Interrogatoire avant défense de Me Donati du 17-01-2011, à la p 35, l.20-25 et à la p 36, l.1)
[41] Il précisera encore plus lors de son interrogatoire avant défense par Me David (pour les autres défendeurs) de même date :
Q O.K. Et après ça, vous dites que vous en mettez deux. Est-ce que c'est deux d'épais ou c'est deux un à côté de l'autre?
R Un à côté de l'autre.
Q O.K. Donc, c'est deux à côté de l'autre de façon à ce qu'il y ait une surface de deux pieds de large?
R Qu'on soit capable de marcher comme il faut aisément, puis tout.
Q Est-ce qu'ils sont collés, les madriers ou il y a un espace entre les deux?
R Bien, ils sont tout le temps collés ensemble.
Q C'est collé, collé, là?
R Oui, oui. C'est pas un à un pied puis un à deux pieds, ils sont vraiment côte à côte.
(D-5, à la p 13, l.17-25 et à la p 14, l.1-5)
[42] Confronté au procès par rapport au croquis P-11A et aux croquis D-8A et D-9A, Robert explique qu'il était sur le madrier « B-3 » de D-8A et non pas sur le madrier transversal « #5 ». On « l'a mis en confusion » lorsqu'il a dessiné D-8A, dit-il, ajoutant qu'il y avait deux madriers sur l'échafaud mais qu'ils n'étaient pas côte à côte. Par contre, il reconnaît qu'il n'a marché que sur un seul madrier. Il explique que lorsqu'il mentionne à maîtres David et Donati lors de leurs interrogatoires hors cour qu'il y avait deux madriers collés, il voulait dire après l'accident. Quand on lui demande pourquoi il n'a pas mis deux madriers comme l'exige les normes de sécurité, il dit que l'installation n'était pas complétée, qu'il allait juste prendre une mesure et qu'il n'a commis aucun manquement au Code de sécurité pour les travaux de construction.
[43] L'employé Thomas pour sa part témoigne avoir dit à Robert que de travailler avec un seul madrier n'était pas sécuritaire mais que Robert lui a dit qu'il connaissait son affaire. Quand à Thomas et à son collègue Brunet (un briqueleur), ils ne travaillent qu'avec deux madriers côte à côte, jamais avec un seul. Selon lui, le croquis D-8A représente la situation au moment de l'accident et que le madrier sur lequel se trouvait Robert était soit le « #2 » ou le « #5 », mais opine qu'il s'agissait du « #2 ».
[44] Selon le Tribunal, la seule raison vraisemblable pour laquelle Robert s'obstine à maintenir qu'il se trouvait sur le madrier « C-3 » est la distance d'appui moindre nécessitée par l'échafaud « C » : en raison des croisillons de 10 pieds fixés à 6 pouces du bas et à 6 pouces du haut sur un montant de 5 pieds de haut, donc formant un triangle de 10 pieds par 4 pieds, la distance entre les cadres est de 9,1 pieds (D-7C), alors que si le madrier est appuyé sur les échafauds « B et C » ou « B et A », la distance entre les échafauds peut être plus grande et atteindre plus de 10 pieds vu la longueur du madrier de 12 pieds, diminuant ainsi la capacité portante du matériaux. Autrement, le Tribunal ne peut comprendre pourquoi il importerait à Robert de se trouver sur un madrier plutôt que sur un autre.
[45] Quoi qu'il en soit, le Tribunal ne croit pas que Robert ait été mis « en confusion » lorsqu'il a dessiné son croquis P-8A quelques mois après l'incident mais croit plutôt qu'il se trouvait effectivement sur le madrier « # 5 » ou « #2 ».
[46] Au départ, l'expert de Robert, l'ingénieur Paul Croteau, prétendait que le madrier qui a cédé n'aurait pas dû être utilisé parce qu'il n'était pas conforme aux normes de sécurité du Code de la sécurité pour les travaux de construction (L.R.Q., c.S-21, r.6) en ce qu'il ne portait pas l'estampille de conformité à la norme CAN/CSA-S269.2-M87 (P-11, à la p 3). Or, il s'avère que l'estampille de cette norme apparaît effectivement sur le madrier tel qu'a pu le constater relativement aisément lui-même le Tribunal lorsque le madrier a été exposé à l'audience et tel qu'elle apparaît à la figure #1 du rapport d'Experts-Conseils CEP inc. (D-7, à la p 2 et D-7B). Portant sur une constatation visuelle simple et directement au coeur du litige, l'expert Croteau n'a aucune excuse pour l'avoir manquée.
[47] Quoi qu'il en soit, le madrier portait les estampilles NLGA S-P-F 1 (identification du manufacturier, essence et classe du bois et teneur en eau au sciage) et CSA 269.2-M87 (norme de résistance du madrier utilisé pour une portée supérieure à 2,1 mètres jusqu'à 3 mètres).
[48] Par ailleurs, tous les experts sont d'accord (malgré les termes moins nuancés employés par l'expert Croteau dans son rapport P-11) que le madrier ne présentait aucun signe apparent de défaut, vice de conception ou de construction, d'usure prématurée, de voilement transversal (bombement) ou longitudinal (courbure) ou gauchissement hors norme ni la présence de nœuds supérieures à 1,5 pouces.
[49] Bref, à l'examen visuel, le madrier ne présentait aucun signe d'anormalité et se conformait aux normes de sécurité en matière de sécurité dans la construction.
[50] Le fait brutal ici est que le madrier a cédé en plein centre (photographes 2, 3, 4 et 5 de D-2), ce qui correspond à une fracture de flexion au point le plus sollicité. Comme il s'agit d'une question purement mathématique, le madrier a nécessairement cédé en raison d'une surcharge par rapport à sa capacité portante. Tous les experts sont d'accord à cet égard. La charge ultime de bris (capacité portante) varie en fonction de la portée : plus la portée est grande, plus la capacité portante diminue. Cela relève des lois de la gravité.
[51] Selon l'hypothèse de l'expert Croteau, le madrier avait une portée de 8 pieds. La charge ultime pour le briser en son centre est de 369 livres. En appliquant un facteur de sécurité de 1,5 (tiré du Code de conception des structures en bois, CSA086), la charge ultime de bris s'élève à 246 livres. Cette hypothèse est fondée sur la version de Robert, que le madrier reposait sur un échafaudage de portée de 8 pieds (le B-3 de D-8A). Cependant, tel que l'a démontré l'expert Stéphane Millette de CEP, la portée réelle de l'échafaudage n'est pas de 8 pieds mais de 9,1 pieds (D-7C). Croteau reconnaîtra ce calcul. Selon les chiffres de Croteau, la charge ultime passe alors à 325 livres moins un facteur de sécurité de 1,5, soit 216 livres. Si la portée est de 10 pieds la charge ultime passe à 295 livres et après le facteur de sécurité à 197 livres.
[52] Ceci est mathématique dans la mesure où les hypothèses de départ sont bonnes. Cela disant, Millette n'est pas totalement en accord avec cette manière de calculer la résistance maximale à la flexion. Selon lui, celle-ci serait de 369 livres sur 10 pieds. Ce qui compte pour lui c'est l'homologation du madrier qui tiendrait compte du facteur de sécurité et l'absence d'indice d'usure du madrier. Si le madrier a cédé, selon lui, c'est en raison d'un usage abusif comme par exemple sauter sur le madrier, laisser tomber des pièces, etc.
[53] Pour l'ingénieur Léo Lavertu, la distance d'appui entre les cadres de l'échafaud était de 10 pieds. En l'absence de défaut apparent et vu l'homologation du madrier, le bris résulte d'une surcharge soit de matériaux, soit d'une surcharge dynamique ajoutée à la charge constituée par le défendeur appliqué ponctuellement (une charge portée par la personne, une force appliquée contre le madrier en travaillant, une marche avec un poids pesant, un sautillement qui peut augmenter le poids d'une personne du double au triple.
[54] Robert mesure 6,2 pieds et pesait 195 livres à l'époque, dit-il. Il portait un casque, ses bottes de construction et sa ceinture d'outils (ruban à mesurer, marteau et clous). Théoriquement, le madrier n'aurait pas dû casser. Que s'est-il produit? Robert a-t-il embarqué vigoureusement sur le madrier ou sauté dessus pour s'y rendre, sa manière de marcher a-t-elle provoqué une vibration ajoutant une charge dynamique additionnelle suffisante pour entraîner la rupture du madrier? Tout demeure dans le domaine de l'hypothèse.
[55] La cause du bris du madrier n'a pas été établie : le madrier était homologué et ne présentait aucun signe de déficience. D'autre part aucune déficience ni vice de conception ni vice caché ni usage abusif du madrier n'ont été établis par preuve prépondérante non plus ex post facto de sorte que la cause du bris demeure inconnue. Le seul fait que le madrier ait cédé ne prouve pas qu'il ait été affecté d'un vice.
[56]
L'article
1457. Toute personne a le devoir de respecter les règles de conduite qui, suivant les circonstances, les usages ou la loi, s'imposent à elle, de manière à ne pas causer de préjudice à autrui.
Elle est, lorsqu'elle est douée de raison et qu'elle manque à ce devoir, responsable du préjudice qu'elle cause par cette faute à autrui et tenue de réparer ce préjudice, qu'il soit corporel, moral ou matériel.
Elle est aussi tenue, en certains cas, de réparer le préjudice causé à autrui par le fait ou la faute d'une autre personne ou par le fait des biens qu'elle a sous sa garde.
[57] Les défendeurs ou l'un d'eux ont-ils commis une faute au sens de cet article?
[58]
Comme l'a noté précédemment le Tribunal, le contrat liant le demandeur
et ces codéfendeurs est un contrat de service en vertu duquel les codéfendeurs
fournissaient les biens et certains des outillages alors que le demandeur
voyait à l'érection de la structure et supervisait les employés. Le seul
reproche que l'on pourrait adresser aux codéfendeurs serait d'avoir fourni un
outillage inadéquat ou impropre à la réalisation des travaux du prestataire de
service. Ce qui revient à dire qu'ils n'auraient pas respecté leur obligation
de sécurité résultant du fait d'avoir fourni un bien impropre à son usage au
demandeur. On pourrait difficilement retenir cette hypothèse considérant que
c'est le demandeur qui est l'expert en construction et qu'il est l'expert aussi
en échafaudage et qu'en premier lieu, comme le prévoit l'article
[59]
Quoi qu'il en soit, pour fin d'analyse en retenant cet argument, la
responsabilité des codéfendeurs Chiminazzo et Robichaud ne pourrait être
engagée non plus. À cet égard, les articles
1468. Le fabricant d'un bien meuble, même si ce bien est incorporé à un immeuble ou y est placé pour le service ou l'exploitation de celui-ci, est tenu de réparer le préjudice causé à un tiers par le défaut de sécurité du bien.
Il en est de même pour la personne qui fait la distribution du bien sous son nom ou comme étant son bien et pour tout fournisseur du bien, qu'il soit grossiste ou détaillant, ou qu'il soit ou non l'importateur du bien.
1469. Il y a défaut de sécurité du bien lorsque, compte tenu de toutes les circonstances, le bien n'offre pas la sécurité à laquelle on est normalement en droit de s'attendre, notamment en raison d'un vice de conception ou de fabrication du bien, d'une mauvaise conservation ou présentation du bien ou, encore, de l'absence d'indications suffisantes quant aux risques et dangers qu'il comporte ou quant aux moyens de s'en prémunir.
[60] Toutefois, cette règle n'est pas absolue et le fournisseur de biens peut s'exonérer si le défaut ne pouvait être connu et qu'il n'a pas été négligent dans son devoir d'information :
1473. Le fabricant, distributeur ou fournisseur d'un bien meuble n'est pas tenu de réparer le préjudice causé par le défaut de sécurité de ce bien s'il prouve que la victime connaissait ou était en mesure de connaître le défaut du bien, ou qu'elle pouvait prévoir le préjudice.
Il n'est pas tenu, non plus, de réparer le préjudice s'il prouve que le défaut ne pouvait être connu, compte tenu de l'état des connaissances, au moment où il a fabriqué, distribué ou fourni le bien et qu'il n'a pas été négligent dans son devoir d'information lorsqu'il a eu connaissance de l'existence de ce défaut.
[61] En l'espèce, non seulement n'y a-t-il pas de preuve prépondérante que le madrier était affecté d'un vice mais en plus, la preuve révèle clairement que le madrier portait les homologations exigées par le Code de sécurité pour les travaux de construction et ne présentait aucun signe apparent d'anormalité, de faiblesse ou de dangerosité. De plus, encore une fois, en raison de son expérience des échafaudages, le demandeur n'avait pas besoin d'être informé des risques inhérents à les utiliser et était également informé qu'il devait les vérifier avant de les utiliser, ce qu'il a fait d'ailleurs.
[62] Dans les circonstances, aucune responsabilité de pourrait être imputée aux codéfendeurs pour le bris du madrier et les dommages qui en ont résulté. Il s'agit d'un pur accident bête à souhait.
[63]
Il y a plus. La seule faute caractérisée que la preuve a mis en
évidence est le fait que le demandeur n'ait utilisé qu'un seul madrier comme
plancher d'échafaudage contrairement à l'article
En vigueur le 1 er janvier 2002
« 3.9.8. Planchers : Les éléments qui constituent le plancher doivent être posés de façon à ne pouvoir ni basculer ni glisser. De plus, le plancher d'un échafaudage doit :
1° avoir une surface uniforme entre deux points d'appui;
2° avoir une largeur minimale libre de 470 millimètres;
3° s'il est en bois d'œuvre, être constituée de madriers :
a) estampillés par un organisme accrédité par la Commission canadienne de normalisation du bois d'œuvre comme étant de qualité équivalente à celle de l'épinette de catégorie no 1;
b) de dimensions minimales, en hauteur de 38 millimètres et en largeur de 235 millimètres;
c) de longueur telle qu'ils dépassent leurs supports d'au moins 150 millimètres et d'au plus 300 millimètres; s'ils sont disposés bout à bout, leurs extrémités doivent reposer sur des points d'appuis distincts;
d) disposés de telle sorte que la portée entre deux points d'appui n'excède pas :
i. 3,0 mètres s'ils sont testés et estampillés conformément à la section 11 de la norme «Échafaudage» CAN/CSA-S269.2-M87;
ii. 2,1 mètres dans les autres cas;
e) dont la déflexion au centre de la portée ne dépasse pas L/80, où L est la distance entre deux points d'appui;
4° s'il est constitué de produits manufacturés, être :
a) fabriqué conformément à la norme «Échafaudage» CAN/CSA-S269.2-M87;
b) ouvré de façon à éviter les glissades;
c) entretenu pour empêcher la corrosion et la détérioration;
5° avant chaque utilisation, être inspecté visuellement afin d'en détecter toute altération qui pourrait compromettre sa solidité.»
(emphase ajoutée)
[64] Ce manquement est d'autant plus flagrant que le demandeur, s'il en est un, avec à son actif deux chutes d'échafaud antérieures, connaissait cette exigence et que Thomas la lui a même rappelée avant l'accident. Indépendamment de la question à savoir si la présence de deux madriers collés l'un à l'autre réduit ou non en partie la charge imposée au madrier, la présence de deux madriers diminuait à l'évidence le risque de chute et si le législateur a prévu l'utilisation de deux madriers pour la protection des travailleurs sur un chantier, c'est en raison non seulement du confort mais de la sécurité apportée par deux madriers.
[65] Les mêmes remarques s'appliquent en ce qui concerne la codéfenderesse Thomas & Fils Inc.
[66] Considérant tout ce qui précède, le Tribunal est donc d'avis que le demandeur n'a pas fait la preuve d'une faute de la part des défenderesses et que sa réclamation est mal fondée.
[67] Si le Tribunal avait retenu un manquement à l'obligation de sécurité constituant une faute, il aurait néanmoins imputé 50% de la responsabilité de l'accident au demandeur pour son manquement aux normes élémentaires de sécurité.
[68] Malgré la conclusion à laquelle en arrive le Tribunal, celui-ci croit opportun de discuter sommairement de la causalité entre la chute et les dommages et l'évaluation de ceux-ci.
[69] En chutant d'une hauteur de 5 pieds, le demandeur est tombé sur sa jambe droite puis sur le côté droit. Il n'a pas été bougé avant l'arrivée des ambulanciers qui l'ont amené à l'hôpital Charles-Lemoine. Après quelques heures d'attente, il a subi une radiographie des colonnes cervicale, dorsale et lombaire, du bassin et de la hanche droite qui se sont révélées négatives (P-8A). Au niveau lombaire, le radiologiste note :
COLONNE LOMBAIRE:
Léger affaissement du plateau supérieur du corps vertébral de L1. Ceci était déjà présent lors d'un examen précédent fait en mai 2006 et ne s'est pas modifié. Pas de fracture récente décelée. Il y a eu fusion antérieure avec mise en place de greffons intersomatiques à cages métalliques à L4-L5 et L5-S1.
Comparativement à l'examen précédent, il y a stabilité dans la position des structures ostéo-articulaires.
Il n'y a pas de signe de complication en regard des appareils métalliques.
(P-8A)
[70] Il reçoit son congé le jour même. Comme il dit avoir de la difficulté à marcher, on lui conseille de prendre des béquilles. Robichaud qui l'avait accompagné à l'hôpital le reconduit chez lui.
[71] Robert témoigne être revenu au chantier le lendemain en béquilles dans son camion pour continuer à diriger les employés à l'érection du plancher et des murs du premier étage. Il ne forçait pas, dit-il, ne faisant que des efforts minimes, comme tenir un niveau. Après s'être présenté quatre ou cinq fois au chantier pour continuer les travaux, Robichaud l'informe qu'il ne peut plus continuer à cause de ses assurances.
[72] On note que malgré l'aggravation de la douleur, cela ne l'a pas empêché d'effectuer un travail de supervision.
[73] Il a consulté son médecin de famille, le docteur Kiss, régulièrement pour des douleurs lombaires et de la difficulté à se mouvoir. Il a suivi de la physiothérapie régulièrement mais avec une amélioration peu convaincante au départ (P-8). Le 23 novembre 2007, il passe une imagerie par résolution magnétique (IRM ou (scan)) de la région lombaire qui ne révèle rien de particulier par rapport à la situation antérieure à l'accident (le Tribunal y reviendra), sauf un léger renflement du côté droit des vertèbres L5-S1, mais qui demeure à être corroboré avec des données cliniques, suggérant une fracture d'insuffisance en H du sacrum (P-6). Le dossier n'indique pas que la fracture ait été corroborée par la suite.
[74] Il dit avoir consulté le docteur Ferron, orthopédiste, mais le rapport de celui-ci n'a pas été produit. À partir de 2008, il témoigne avoir fait plusieurs mois d'exercices réguliers de natation pour soulager ses douleurs. Il aurait aussi essayé de retravailler comme peintre mais n'a pas pu en raison de ses problèmes de dos. Il a aidé quelques amis dans des travaux. Il retire présentement des prestations d'assurance-invalidité de RBC Assurances depuis le 28 septembre 2007 et serait considéré en invalidité permanente par son assureur depuis juin 2008 (P-18).
[75] Il se dit incapable de travailler depuis l'accident en raison de douleurs persistantes et de faiblesse musculaire.
[76] La seule expertise médicale au dossier est celle du docteur Morris Duhaime, chirurgien orthopédiste, du 25 août 2011 produite par les défendeurs Chiminazzo et Robichaud (D-6). Le demandeur a fait entendre le docteur Kiss mais ce dernier n'a pas produit de rapport ni fait d'expertise.
[77] Le demandeur a subi deux chutes d'un échafaud avant septembre 2007 qui lui ont causé des blessures sérieuses au dos. Une première chute intervient en 2000 (selon le témoignage du docteur Kiss) ou 2001 alors qu'il subit une fracture de la vertèbre L1 pour laquelle il sera traité en orthopédie. Selon le docteur Kiss il a pu récupérer suffisamment pour reprendre son métier malgré la persistance des douleurs lombaires. Il subit une deuxième chute d'une hauteur de 10 pieds avec fracture de la hanche droite nécessitant une réduction par plaques et vis. Le diagnostic préopératoire indiqué au protocole opératoire indique une maladie discale dégénérative L4-L5 et L5-S1 traitée chirurgicalement par fusion antérieure intersomatique L4-L5 et L5-S1 (D-6, rapport du docteur M.Duhaime, à la p 3). Comme on le constate, la maladie dégénérative des vertèbres L4 et L5 existait déjà préalablement à l'accident de septembre 2007.
[78] Selon le docteur Kiss, entre 2005 et 2007, Robert souffrait de douleurs récurrentes assez fortes. Après l'opération à la colonne il a été en arrêt complet de travail pendant six mois (Robert dit huit mois). Par après, les douleurs se seraient amendées et Robert a pu fonctionner. Il rapportait des douleurs occasionnelles mais moins fortes qu'après l'accident de 2007. Selon lui, les problèmes rapportés après 2007 ne sont pas les mêmes qu'auparavant.
[79] De son côté, le docteur Duhaime, après avoir pris connaissance du dossier médical de Robert et des notes du docteur Kiss et procédé à l'examen de Robert à son cabinet, note que celui-ci a subi une contusion ou entorse lombaire lors de sa chute du 28 septembre 2007 qui a aggravé de façon modérée une importante condition personnelle préexistante pour laquelle il accorde un déficit anatomo-physiologique de 2%. Il considère également, vu le temps écoulé depuis l'accident, le genre d'accident et le diagnostic retenu que les traitements reçus par Robert ont été suffisants et adéquats. Il ajoute que même si la fracture en H avait été objectivée, cela n'aurait pas modifié son opinion. On note au rapport que Robert déclare au docteur Duhaime qu'il ne fait pas de différence quant à lui entre sa condition avant et après 2007.
[80] Le demandeur prétend qu'il était parfaitement rétabli avant l'accident et que sans celui-ci, il aurait pu exercer son métier sauf des limitations à soulever des poids lourds et à utiliser un marteau-piqueur. Ainsi, il aurait obtenu un contrat à Beloeil en 2006, pour lequel toutefois il n'a pas réussi à être payé. En 2007, avant le contrat avec les défendeurs, il ne rapporte aucun travail. Sa licence d'entrepreneur n'est pas active. Dans son interrogatoire hors cour par Me Donati, il déclare qu'avant le contrat avec les défendeurs, il ne travaillait pas, qu'il reprenait le travail :
Q Et à cette époque-là, vous faisiez quoi? Étiez-vous toujours en convalescence?
R Non. Non, je m'entraînais tout simplement, puis tout. Puis je cherchais pas encore tout de suite pour le travail, mais mon médecin m'avait dit que là, je pouvais procéder puis recommencer à travailleur puis tout.
Q Oui, mais ce que je veux dire c'est que vous aviez pas nécessairement recommencé à travailler, faire des contrats. C'était votre premier contrat, ça, après votre période d'inactivité, c'est ça?
R C'était pas un contrat, c'était une aide que je faisais à la dame.
Q Oui. O.K., je reprends. C'était votre premier travail depuis votre période d'inactivité.
R Oui, je pense que oui. Oui.
Q O.K.
R Je faisais tout le temps des petites choses, là, j'aidais des amis ou quoi que ce soit, là, pour leur construction.
(Interrogatoire hors cour par Me Donati, 17/01/11, à la p 14, l.17-25 et à la p 18, l.1-11)
[81] Selon la preuve au dossier, si l'on fait abstraction des déclarations de Robert, la dernière année complète travaillée par celui-ci est 2004 alors qu'il a engendré des revenus de l'ordre de 10 000$ à 12 000$. Depuis, il n'y a aucune preuve de revenus dans le dossier outre les prestations d'assurance-invalidité reçues par ce dernier. Si l'on se fie aux chiffres rapportés par Robert à son assureur-invalidité (P-18, lettre du 30/05/2006, à la p 2), l'entreprise de Robert était loin d'être aussi florissante qu'il le prétend et ses revenus personnels (c'est lui-même qui poursuit ici) loin d'être importants. D'ailleurs, cette lettre fait état d'une déclaration de Robert à l'assureur à l'effet qu'il n'accomplissait plus de tâches physiques depuis 2001 :
Vous nous avez indiqué lors de notre conversation téléphonique du 22 septembre 2005, que depuis votre période d'invalidité précédente du 15 octobre 2001, vous étiez retourné au travail, toutefois, vous n'exerciez plus les mêmes tâches professionnelles. De plus, vous nous avez signalé que vous n'accomplissez plus de tâches physiques depuis 2001 et que vous avez pris les dispositions nécessaires pour que les employés fassent les tâches physiques à votre place pendant que vous exerciez le rôle de superviseur. Vous avez confirmé que votre profession modifiée de superviseur ne vous obligeait pas à effectuer des tâches physiques.
(P-18, lettre du 30-05-2006)
(emphase ajoutée)
[82] Cette lettre indique qu'il était apte à retourner au travail à partir du 26 avril 2006 « en exerçant des tâches légères ». Il y a une différence entre ne pas lever des poids lourds ou travailler au marteau-piqueur et « exercer des tâches légères ».
[83] Il n'y a aucune preuve au dossier à l'effet que Robert ne puisse pas travailler comme il le faisait avant l'accident du 28 septembre 2007, c'est-à-dire dans un travail léger comme superviseur. À ce propos, s'il est considéré par son assureur en invalidité totale depuis le 6 juin 2008, cela résulte du fait que l'assureur a accepté de considérer l'activité professionnelle de Robert comme étant plutôt celle d'un menuisier et non pas celle de superviseur :
Comme nous en avons discuté, notre médecin-conseil a étudié les renseignements médicaux supplémentaires que nous avons reçus et il a déterminé que vos restrictions et limitations sont permanentes. En outre, nous vous confirmons que, même si vous avez travaillé comme superviseur pendant 3 mois en 2006, nous sommes disposés à considérer que votre activité professionnelle est celle de menuisier et non de superviseur.
(lettre de RBC Assurance du 6/06/2008)
(emphase ajoutée)
[84] Or, il n'exerçait plus le métier de menuisier avant l'accident de 2007 et l'incapacité d'exercer le métier de menuisier n'a aucun lien causal avec l'accident.
[85] Dans les circonstances, le Tribunal n'aurait indemnisé que la perte d'intégrité physique résultant du DAP de 2%, la capacité future de gains n'était pas affectée dans les circonstances présentes par la blessure subie par le demandeur.
[86] Dans l'hypothèse que rejette le Tribunal où il y aurait eu un lien causal entre la blessure du demandeur et sa capacité future de gains, le Tribunal aurait retenu le calcul actuariel de l'expert de AON HEWITT, Denis Guertin, plutôt que celui de l'expert Antoine Ponce pour le demandeur.
[87]
Au final, les deux experts sont d'accord sur le mécanisme de calcul et
les prémisses actuarielles mais leur opinion diffère quant au revenu annuel de
référence pour le calcul de la perte. Dans son premier rapport du
19 octobre 2011 (D - 3), avant l'arrêt de la Cour d'appel dans
Montréal
c Davies
, [CAM
[88] Pour Ponce, le revenu retenu par Guertin est pessimiste :
Nous ne contestons pas le revenu déclaré en 2004, mais à notre avis, il est trop pessimiste de supposer que monsieur Robert n'aurait pu faire mieux et se serait résigné à gagner un revenu aussi faible pour le reste de sa vie active s'il était toujours en mesure de travailler.
Il n'est jamais facile de tirer son épingle du jeu en étant propriétaire d'une entreprise, et cela peut prendre un certain temps avant de pouvoir rentabiliser les opérations. Mais je crois que toute personne normale, qui en a la capacité, prendrait éventuellement tous les moyens à sa disposition pour retirer un revenu minimum raisonnable de son travail et de pouvoir supporter le coût de la vie.
C'est de cette capacité qu'est privé monsieur Robert et non pas de ses revenus passés.
(P-17, à la p 2)
[89] Il préfère quant à lui se servir de données statistiques de divers corps de métier s'apparentant à celui de Robert et d'en tirer une moyenne. Il propose au Tribunal de retenir un des neuf scénarii énoncés à la page 4 de son rapport soit une fourchette allant de 199 438$ à 893 700$ (P-17, à la p 4).
[90] De l'avis du Tribunal, le revenu de référence retenu par Ponce est trop hypothétique dans les circonstances et ne tient pas compte de la preuve au dossier. La capacité de gains de Robert depuis l'an 2000 est minime et considérant l'accident de 2001 et l'autre accident majeur de 2005, il n'y a pas eu d'établissement de revenus d'entreprise significatifs. Le quantum des revenus de Robert antérieurs à 2004 n'a pas été apporté mais la preuve a montré qu'il a été en incapacité totale de 2001 à 2002 et partielle de 2002 à août 2003. Robert a beau prétendre que son entreprise était en expansion, qu'il avait des contrats de peinture avec Tim Horton's, mais encore fallait-il en apporter la preuve. De toute façon, déjà depuis 2001, tel que mentionné précédemment, il n'effectuait plus de tâches physiques selon ses propres dires.
[91] Dans les circonstances, il appert au Tribunal que le revenu de référence le plus représentatif est celui retenu par l'expert Guertin. Quant à la question à savoir s'il fallait déduire les prestations d'assurance-invalidité que reçoit Robert, la police d'assurance n'a pas été produite mais la requête introductive d'instance amendée déduit de la réclamation ces prestations (au para 40 et 40.1) de sorte que le Tribunal prend pour acquis que la police contient une clause subrogatoire en faveur de l'assureur. En conséquence, le Tribunal aurait retenu une perte de capacité de gains futurs au 1 er janvier 2013 de 18 209$ (D-3A, à la p 3).
[92] Le demandeur a vendu la maison dans laquelle il résidait à Varennes et dont il était copropriétaire avec son épouse le 2 juin 2008 au prix de 395 000$ (P-9) alors que l'évaluation municipale déclarée aux fins de calcul des droits de mutation était de 423 682$. Si on arrondit les chiffres, on arrive à une différence de 29 000$ dont la moitié doit être affectée à l'épouse, laissant une perte potentielle de 14 500$ pour le demandeur.
[93] Toutefois, il s'agit là d'un dommage indirect d'une part et d'autre part, il n'y a pas de preuve que le prix de vente ne correspond pas à la juste valeur marchande du bien. Par ailleurs, compte tenu des difficultés financières de Robert depuis 2001 et de ses revenus anémiques depuis cette date, il n'y a pas de preuve d'un lien de causalité entre cette « perte » et l'accident.
[94] Le Tribunal aurait donc rejeté cette réclamation.
[95] Selon le docteur Duhaime le déficit anatomo-physiologique permanent résultant de l'accident se chiffre à 2%.
[96] Le demandeur avait déjà un lourd passé médical au niveau de sa colonne vertébrale au moment de l'accident. Il prenait déjà des médicaments contre la douleur. Il était déjà restreint dans ses activités professionnelles et de loisirs. Il n'a pas fait la preuve de ce qui a changé depuis l'accident sauf d'affirmer que l'accident a brisé sa qualité de vie. Sans doute doit-il prendre des médicaments contre la douleur plus souvent, faire plus attention à son dos, sans doute se fatigue-t-il plus vite. Essentiellement, de manière objective, il doit porter plus attention qu'avant et est peut-être plus susceptible à des douleurs qu'auparavant.
[97] Ceci étant dit, les défendeurs ne seraient tenus que des dommages qui ne sont pas imputables à l'état préexistant. S'il est exact que le fautif doit prendre sa victime dans l'état où elle se trouve, son obligation se limite à rétablir la victime dans sa situation antérieure et non pas à améliorer cette situation :
La règle de la vulnérabilité de la victime reconnaît simplement que l'état préexistant du demandeur était inhérent à sa «situation originale». Le défendeur n'a pas à rétablir le demandeur dans une meilleure situation que sa situation originale. Le défendeur est responsable du préjudice causé, même s'il est très grave, mais il n'a pas à indemniser le demandeur des effets débilitants qui sont imputables à l'état préexistant et que ce dernier aurait subis de toute façon. Le défendeur est responsable des dommages supplémentaires mais non des dommages préexistants (…). De même, s'il y a un risque mesurable que l'état préexistant aurait entraîné des conséquences nuisibles pour le demandeur dans l'avenir, indépendamment de la négligence du défendeur, il peut alors en être tenu compte pour réduire le montant de l'indemnité globale (…). Ce résultat est conforme à la règle générale suivant laquelle il faut rétablir le demandeur dans la situation où il aurait été, avec ses risques et ses inconvénients, et non dans une meilleure situation.
(Athey c Leonati,
[98] C'est essentiellement l'application de la règle de la causalité entre la faute et le dommage. Dans cet arrêt la Cour suprême a conclu à l'existence d'un lien causal entre la faute et le dommage, ce qui n'est le cas, de l'avis du Tribunal, dans le présent dossier.
[99] Dans les circonstances, le Tribunal aurait arbitré l'ensemble des dommages non pécuniaires à 15 000$.
[100] Le demandeur a été blessé à la suite d'un pur accident malheureux que personne ne pouvait prévoir. Il faut dire que Robert ne s'est pas aidé en ne respectant pas les mesures évidentes de sécurité recommandées par le Code de sécurité des travaux de construction. Compte tenu des circonstances particulières en l'espèce, le Tribunal est d'avis de rejeter l'action du demandeur mais sans frais.
[101] PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[102] REJETTE la requête introductive d'instance amendée du demandeur Guy Robert;
[103] SANS FRAIS ;
[104] REJETTE le recours en garantie des défendeurs Giorgio Chiminazzo et Sophie Robichaud contre la codéfenderesse René Thomas & Fils Inc.;
[105] SANS FRAIS .
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__________________________________ Honorable Jean-Jude Chabot, j.c.s. |
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Monsieur Guy Robert se représente lui-même |
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Me Éric David |
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Joli-Coeur Lacasse |
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Procureur des défendeurs Giorgio Chiminazzo et Sophie Robichaud |
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Me Roger Maisonneuve |
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Donati Maisonneuve |
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Procureur de la défenderesse René Thomas & Fils Inc. |
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Dates d’audience : |
30 septembre 2014 et 1 er , 2 et 3 octobre 2014 |
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