Perdomo c. Tanguay |
2015 QCCQ 1162 |
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COUR DU QUÉBEC |
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« Division des petites créances » |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE QUÉBEC |
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« Chambre civile » |
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N° : |
200-32-059398-130 |
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DATE : |
25 février 2015 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE L'HONORABLE DOMINIQUE LANGIS, J.C.Q. (JL 4155) |
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DIDACIO PERDOMO […], L’Ancienne-Lorette (Québec) […] et. ROSALBA RODRIGUEZ […], L’Ancienne-Lorette (Québec) […]
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Partie demanderesse |
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c.
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LISETTE TANGUAY , […], Lévis (Québec) […]
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Partie défenderesse |
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JUGEMENT |
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[1] Didacio Perdomo et Rosalba Rodriguez (les Perdomo) réclament 5 000 $ à Lisette Tanguay, en raison de vices cachés affectant l’immeuble résidentiel qu’ils ont acheté en juin 2011.
[2] Mme Tanguay invoque la vétusté des drains sanitaire et de fondation puisque la maison est âgée de 40 ans au moment de la vente. Elle soutient aussi que des travaux exécutés par M. Perdomo au sous-sol, à l’automne 2011, sont en cause.
[3] Mme Tanguay est représentée à l’audience par sa fille, Maryse Arsenault.
LES FAITS
[4] Le 15 juin 2011, les Perdomo achètent la maison de Mme Tanguay au prix de 211 000 $. Il s’agit d’une résidence unifamiliale construite en 1971.
[5] Cette vente est précédée de deux visites à la propriété et se conclut sans qu’il y ait d’inspection préachat.
[6] Les Perdomo déclarent avoir fait un examen attentif des lieux et n’avoir constaté rien d’anormal qui puisse exiger de vérification additionnelle.
[7] En septembre 2011, M. Perdomo entreprend lui-même des rénovations au sous-sol, notamment par l’ajout d’une salle de bains. Le 17 septembre, en enlevant le tapis, il remarque des fissures dans le béton et un drain de plancher condamné.
[8] Après avoir donné quelques coups de marteau, il constate que la dalle de béton s’enfonce. Il y a un vide entre la dalle et le sol.
[9] Il dénonce ces défauts à Mme Tanguay et celle-ci fait refaire, à ses frais, environ 50% de la dalle de béton. Elle fait réparer aussi des fissures.
[10] M. Perdomo profite de l’occasion et installe la tuyauterie de la salle de bains avant la coulée du béton, sauf le tuyau de la douche pour lequel il devra le casser.
[11] Le 14 mars 2012, en allant au sous-sol, M. Perdomo constate environ un pouce d’eau claire au plancher. Le regard d’égout est accessible. Il l’ouvre pour évacuer l’eau mais réalise que les eaux usées commencent à monter vers son sous-sol. Il tente de déboucher le tuyau d’égout et y parvient une dizaine de minutes plus tard, permettant l’évacuation de l’eau.
[12] Le 15 mars 2012, le plombier qui se rend sur les lieux constate une conduite d’égout bloquée à 70% par de la terre et des roches. Il fait le même constat quant au drain de fondation.
[13] M. Perdomo réalise alors que cette situation a permis à l’eau de s’infiltrer sous la dalle de béton, ce qui explique pourquoi la dalle s’enfonçait à l’automne 2011.
[14] Le 5 mai 2012, il dénonce la situation à Mme Tanguay par lettre qui reste sans réponse. Le 3 janvier 2013, il lui transmet une mise en demeure qui reste aussi sans réponse.
[15] Le 13 mars 2013, un deuxième dégât d’eau survient au sous-sol. Il y a environ deux pouces d’eau claire au plancher et le même scénario se répète. M. Perdomo, à l’aide de son fils, doit déboucher le tuyau d’égout de la même façon qu’il l’avait fait au printemps 2012.
[16] À la suite de ces événements, les Perdomo font appel à un entrepreneur qui procède, en avril 2013, au remplacement du drain pluvial, du drain sanitaire et de l’entrée d’eau.
[17] Comme on leur demande environ 15 000 $ pour remplacer le drain de fondation, M. Perdomo décide de faire lui-même ce travail, avec l’aide de son fils et d’un ami. Il achète les matériaux et loue l’équipement et les outils utiles à l’ouvrage qu’il termine en faisant lui-même le terrassement au complet.
[18] Maryse Arsenault témoigne que M. Perdomo, ayant fait des travaux au sous-sol en 2011, s’est donné le rôle de plombier. Il a cassé du béton et a endommagé le drain sanitaire.
[19] Elle ajoute que la maison a 40 ans au moment de la vente et qu’il est normal que les installations en cause soient rendues en fin de vie.
[20] À son avis, les Perdomo ont été négligents de ne pas faire inspecter la maison et même le drain avant d’acheter.
L’ANALYSE ET LA DÉCISION
[21]
L’article
Article 1726
Le vendeur est tenu de garantir à l'acheteur que le bien et ses accessoires sont, lors de la vente, exempts de vices cachés qui le rendent impropre à l'usage auquel on le destine ou qui diminuent tellement son utilité que l'acheteur ne l'aurait pas acheté, ou n'aurait pas donné si haut prix, s'il les avait connus.
Il n'est, cependant, pas tenu de garantir le vice caché connu de l'acheteur ni le vice apparent; est apparent le vice qui peut être constaté par un acheteur prudent et diligent sans avoir besoin de recourir à un expert.
[22] Il découle de cet article que pour donner ouverture à la garantie, un déficit d’usage ou une déficience du bien doit être constaté et avoir un lien avec la présence du vice.
[23] Le vice doit répondre aussi à quatre conditions pour que l’acheteur puisse bénéficier de la garantie de qualité [1] :
- le vice doit être grave : il doit causer un inconvénient sérieux à l'usage du bien vendu. Il n'est pas nécessaire que le vice empêche toute utilisation du bien mais qu'il en empêche l'usage normal de façon importante au point que l'acheteur n'aurait pas acheté ou n'aurait pas accepté de payer le prix convenu s'il avait connu la situation;
- le vice doit être antérieur à la vente : le vendeur est tenu de garantir l'état du bien au moment de la vente;
- le vice doit être inconnu et s'il est dénoncé par le vendeur, le vice n'est pas inconnu de l'acheteur. Aucune présomption de connaissance ne pèse sur l'acheteur;
- le vice doit être caché : le vice caché s'oppose au vice apparent. Le Tribunal doit tenir compte de l'ensemble des circonstances particulières à chaque affaire pour déterminer si le vice est caché ou apparent. Il ne doit pas pouvoir être décelé avant ou au moment de la vente par un acheteur prudent et diligent, ce qui suppose que l'acheteur doit faire un examen raisonnable, attentif et sérieux du bien qu'il souhaite acquérir, ce qui ne l'oblige pas à prendre des mesures exceptionnelles pour rechercher des vices cachés potentiels.
[24] Il faut aussi distinguer le vice caché du phénomène de l’usure normale du bien acheté, de son vieillissement ou de sa vétusté. Cela est particulièrement vrai pour certains éléments de construction d’une maison qui ont un certain âge. Si le déficit d’usage découle de la vétusté ou de l’usage normal, il n’y a pas vice caché [2] .
[25] Dans le cas qui nous occupe, il y a un déficit d’usage. Les Perdomo ont connu deux dégâts d’eau au sous-sol en l’espace d’un an, les empêchant de jouir paisiblement de leur sous-sol. Toutefois, s’agit-il de vices cachés ?
[26] Les défectuosités dues à l’usure normale et à la vétusté du bien sont généralement exclues de la garantie parce qu’ils ne constituent pas des vices cachés. Ainsi, comme les drains n’ont pas été remplacés depuis la construction de la maison en 1971, le vice invoqué pourrait être dû à leur détérioration par le passage du temps.
[27] Dans la présente affaire, il y a absence de preuve quant à la vétusté ou l’usure normale. Le Tribunal ne peut conclure que le déficit d’usage en résulte sur la base d’une simple affirmation de la part de la partie défenderesse. Le Tribunal conclut qu’il doit donc vérifier si, en l’espèce, il y a bel et bien vice caché.
[28]
Selon l’énoncé
du premier alinéa de l’article
[29] En l’espèce, il est clair que deux dégâts d’eau subis par les Perdomo leur ont causé des inconvénients. Ils ont été dans l’impossibilité de jouir paisiblement de leur sous-sol. De plus, des travaux coûteux ont été nécessaires pour remettre la propriété en bon état et ont demandé plusieurs heures de travail à M. Perdomo. Pour ces raisons, ils n’auraient pas donné aussi haut prix pour la propriété s’ils avaient su que le remplacement des drains était nécessaire.
[30] L’antériorité du vice est la deuxième condition à examiner. Un vendeur ne peut pas être tenu responsable d’un vice postérieur à la vente de son bien. On présume généralement que le vice qui survient peu après la prise de possession de l’acheteur existait antérieurement à celle-ci [3] .
[31] La preuve démontre que l’espace entre la dalle de béton et le sol chez les Perdomo a été découvert en septembre 2011. Cet espace a vraisemblablement été créé par une accumulation d’eau, ce qui fait présumer que les drains étaient défectueux avant la vente de la maison, le 15 juin 2011. La condition de l’antériorité est remplie.
[32] La connaissance du vice n’est pas contestée par les parties. Il ressort de la preuve que ni Mme Tanguay ni les Perdomo n’étaient au courant des problèmes concernant les drains. Mme Tanguay n’a connu aucun problème pendant les années où elle a occupé la maison.
[33]
La dernière
condition de l’article
[34] L’acheteur ne peut prétendre que le vice est caché s’il est établi qu’un acheteur prudent et diligent, placé dans sa situation, aurait été en mesure de le déceler [4] :
L’acheteur prudent et diligent d’un immeuble procède à un examen visuel, attentif et complet du bâtiment. Il est à l’affût d’indices pouvant laisser soupçonner un vice. Si un doute sérieux se forme dans son esprit, il doit pousser plus loin sa recherche. D’une part, on ne peut exiger d’un acheteur prudent et diligent une connaissance particulière dans le domaine immobilier. D’autre part, on ne peut conclure au vice caché si le résultat d’un examen attentif aurait amené une personne prudente et diligente à s’interroger ou à soupçonner un problème. À partir de ce point, l’acheteur prudent et diligent doit prendre des mesures raisonnables, selon les circonstances, pour connaître l’état réel du bâtiment. Il ne serait se plier sur son manque de connaissance si son examen lui permet de soupçonner une anomalie quelconque.
[35]
Bref, dès que
l’acheteur a des indices qui lui font croire que le bien peut être affecté d’un
vice, il est de sa responsabilité de prendre des mesures pour en savoir
davantage. Il pourrait même être nécessaire, en certaines circonstances, qu’il
fasse appel à un expert pour respecter son obligation de prudence et de
diligence bien que l’article
[36] La preuve révèle que les demandeurs ont fait deux visites à la résidence de Mme Tanguay avant d’en faire l’achat. Ils déclarent n’avoir rien remarqué d’anormal au cours de ces visites, ce qui n’est pas contredit. Aussi, Mme Tanguay n’a rien divulgué qui pourrait laisser croire à d’éventuels problèmes. La preuve permet d’établir qu’il n’y avait pas d’indice visible du vice au moment des visites.
[37] Dans Placement Jacpar inc. c. Bensakour [5] , la Cour d’appel enseigne que l’expert n’est pas obligé de tout vérifier dans le détail et encore moins de commencer à ouvrir ou à sonder planchers, murs, plafonds ou fondations. Il en est de même pour les Perdomo. Il ne s’agit pas d’un examen approfondi. On demande simplement aux acheteurs d’être attentifs et l’examen demeure sommaire.
[38] En l’espèce, les vices ne pouvaient pas être décelés par les Perdomo et on ne peut pas leur reprocher de ne pas avoir fait appel à un inspecteur en bâtiment car seul un examen approfondi aurait pu permettre de repérer les défauts des drains.
[39] Aussi, aucune preuve ne permet d’associer les inconvénients qu’ont subi les Perdomo aux travaux que M. Perdomo a faits au sous-sol à l’automne 2011. Il s’agit de la part de Mme Arsenault d’une supposition.
[40] Dans les circonstances, le Tribunal conclut qu’il y a vice caché.
[41] La dernière question à trancher est celle de l’indemnité que le Tribunal peut accorder. Elle ne peut pas constituer une source d’enrichissement pour les acheteurs.
[42] Dans l’arrêt Verville c. 9146-7308 Québec inc. [6] , la Cour d’appel rappelle les paramètres devant guider les tribunaux dans l’exercice de leur discrétion lorsqu’ils doivent statuer sur la diminution du prix de vente en matière de vices cachés. L’indemnité accordée en tant que réduction du prix de vente doit rester raisonnable :
[ 60 ] Cet exercice judiciaire fait appel au pouvoir souverain d'appréciation du juge de première instance. Cette discrétion judiciaire s'effectue à l'aide de certains paramètres.
[ … ]
[ 62 ] Règle générale, les tribunaux font montre de souplesse dans l'appréciation du préjudice causé au créancier. Ils pondèrent la réduction de façon à ne pas enrichir indûment le créancier.
[43] En l’espèce, les Perdomo réclament 5 000 $. Cette somme paraît raisonnable aux yeux du Tribunal compte tenu des coûts supportés pour faire les réparations nécessaires. La somme des factures déposées en preuve s’élève bien au-dessus de ce montant et M. Perdomo ne réclame rien pour le temps qu’il a consacré aux travaux pour remplacer le drain de fondation et faire le terrassement.
[44] Le Tribunal estime que les Perdomo auraient accepté de payer une somme de 206 000 $ et peut-être moins, en connaissant les vices affectant l’immeuble. Une diminution du prix de vente de 5 000 $, tel qu’ils le réclament, est donc accordée.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
ACCUEILLE la demande de la partie demanderesse.
CONDAMNE
la partie défenderesse à payer à la partie demanderesse la somme de
5 000 $, avec en plus l'intérêt au taux légal et l'indemnité additionnelle
prévue à l'article
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DOMINIQUE LANGIS, J.C.Q . |
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Date d’audience : |
29 septembre 2014 |
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[1]
ABB
c.
Domtar
,
[2]
Jeffrey
Edwards,
[3] Jeffrey Edwards, La garantie de qualité du vendeur en droit québécois , précité, note 2, p. 168.
[4]
Lavoie
c.
Comtois
,
[5] Placement Jacpar inc. c. Bensakour , 1989 QCCA 976.
[6]