COMMISSION DES RELATIONS DU TRAVAIL |
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(Division des relations du travail) |
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Dossier : |
AQ-1005-6547 |
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Cas : |
CQ-2013-5403 |
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Référence : |
2015 QCCRT 0099 |
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Québec, le |
19 février 2015 |
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DEVANT LE COMMISSAIRE : |
Sylvain Allard, juge administratif |
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Claude Gauthier
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Plaignant |
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c. |
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Syndicat des salariés de la production de
Lactantia (CSD)
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Intimé |
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et |
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Parmalat Canada inc.
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Mise en cause |
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DÉCISION |
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[1]
Le 4 novembre 2013, Claude Gauthier (le
plaignant
) dépose une
plainte en vertu de l’article
[2] Il soutient que le Syndicat a manqué à son devoir de représentation en ne portant pas en révision judiciaire la sentence arbitrale rendue le 26 avril 2013 qui rejette ses griefs et confirme la suspension et le congédiement qui lui ont été imposés par Parmalat Canada inc. ( Parmalat ou l’ employeur ), successivement les 25 avril et 9 octobre 2012. Il allègue que l’arbitre a erronément rapporté et analysé la preuve soumise lors de l’audition du grief. Il aurait également tenu compte d’éléments couverts par la clause d’amnistie prévue à la convention collective, de sorte que la décision rendue est irrationnelle et sujette au contrôle judiciaire.
[3] Outre la négligence grave du Syndicat dans l’analyse du caractère raisonnable de la sentence arbitrale, le plaignant remet en cause le choix du Syndicat de procéder par preuve commune sur ses deux griefs, ce qui lui aurait été préjudiciable.
[4] Il demande l’autorisation de se pourvoir en révision judiciaire avec l’avocat de son choix et aux frais du Syndicat.
[5] Monsieur Gauthier est au service de Parmalat depuis le mois d’août 1997.
[6] Au début des années 2000, il subit une opération au dos qui engendre une absence du travail pendant plus de deux ans. Il souffre ensuite d’une maladie rare aux épaules et d’une dépression. Malgré tout, il persiste à travailler, séparant la semaine de travail en deux, en s’absentant le mercredi. Il cesse également de faire des heures supplémentaires les fins de semaine.
[7] Depuis 2003, la liste des notifications des absences du plaignant indique qu’il s’absente du travail ou qu’il rentre en retard à de nombreuses reprises, avec ou sans justification. Celles-ci varient, mais sont généralement causées par des problèmes reliés à sa santé, sa famille, son réveille-matin ou son automobile.
[8] En novembre 2008, notant que le taux d’absence du plaignant depuis le début de l’année est de 23 %, l’employeur lui délivre un avis administratif qui lui demande, à l’avenir, « de justifier toutes vos absences médicales d’un certificat médical avec diagnostic et/ou fournir une justification appropriée pour toute autre situation d’absence et ce dans les 24 heures suivants votre absence ».
[9] Du mois de juillet 2009 jusqu’en novembre 2010, il s’absente de nouveau pour une affection à une épaule.
[10] À son retour, le 4 novembre 2010, l’employeur lui présente un document spécifiant ses attentes et indiquant que n’eût été son arrêt de travail, il aurait été suspendu 5 jours compte tenu des mesures disciplinaires antérieures et des absences inacceptables depuis le mois de mars 2009.
[11] Outre certaines absences généralement causées par la maladie en 2011, la liste des notifications du plaignant montre des absences injustifiées dans les premiers mois de 2012.
[12] L’application de l’avis administratif de 2008, obligeant le plaignant à justifier chacune de ses absences, lui cause parfois des complications. Il donne à titre d’exemple la demande d’un congé familial en janvier 2012 en raison d’une intervention policière auprès de son fils. L’employeur a exigé un document écrit, mais le corps de police a refusé de rédiger un rapport pour cet évènement. Le plaignant s’est alors procuré un certificat médical que le contremaître a refusé.
[13] À cette époque, le plaignant mentionne être « à bout ». Il considère que l’employeur s’acharne sur son cas et qu’il est le seul à devoir justifier ses absences. Ainsi, au printemps 2012, il demande au Syndicat de déposer un grief de harcèlement psychologique. Le président du Syndicat, monsieur Labonté, lui exprime que le traitement d’un tel dossier est complexe, mais lui laisse le choix. Cependant, comme le plaignant ne veut pas créer de dissension, l’affaire en reste là.
[14] À propos de l’obligation de justifier les absences, le directeur des ressources humaines, monsieur Dagenais, affirme que d’autres salariés sont dans la même situation et que la convention collective lui confère le droit d’avoir cette exigence.
[15] Le 17 avril à 23 h 12, le plaignant avise le contremaître qu’il ne rentrera pas au travail à minuit puisqu’il a mal au dos. Il se rend à l’urgence à deux reprises au cours de la journée du 18 avril, mais retourne chez lui car celle-ci est bondée. Il dit être retourné chez lui avant minuit pour appeler l’employeur et l’aviser qu’il sera en retard pour son quart de travail débutant à 0 h, le 19 avril, pour ensuite retourner à l’urgence de l’hôpital. À 3 h 35, il informe l’employeur qu’il n’a pas encore été vu. Il a finalement obtenu un certificat médical indiquant « Repos le 18 avril 2012 » qu’il a remis à son contremaître à son arrivée au travail à 5 h 25.
[16] Le Tribunal d’arbitrage rapporte la suite des évènements :
[17] M. Dagenais, déclare ne pas avoir accepté le billet parce qu’il n’était pas conforme à l’avis administratif. Il ne comportait pas de diagnostic et il n’était pas daté. Non seulement, dit-il, il n’a pas attendu à l’urgence le 18 avril, mais en plus il arrive en retard le 19.
[18] Il lui a imposé une suspension de cinq jours conformément au principe de la gradation des sanctions puisqu’il avait été suspendu trois jours auparavant. « On lui a souvent répété de ne pas aller à l’urgence sur ses heures de travail; de plus, il perd une journée de travail pour en justifier une autre! ».
[17] Le 4 mai 2012, monsieur Labonté dépose un grief pour contester cette suspension.
[18] Le récit de la preuve qu’en fait le Tribunal d’arbitrage est essentiellement conforme à celle présentée devant la Commission :
[19] Le 12 septembre 2012, alors que son travail devait débuter à 16h00, M. Gauthier téléphone au superviseur M. Fortier, pour lui dire qu’il serait en retard. Il ne s’était pas réveillé à temps. Son épouse devait l’appeler vers 14h00 pour le réveiller. Elle devait aussi ajuster le « cadran » pour 13h30. Elle a oublié de régler et le cadran et de le réveiller. Il s’était couché parce qu’il avait mal à la tête et il se sentait fatigué.
[20] Lors de son témoignage, il dit que M. Fortier lui a répondu « ça te prend un papier ». De son côté, ce dernier prétend avoir dit « tu sais ce que tu as à faire, tu connais ton dossier ».
[21] Il se rend à l’urgence le lendemain. Le médecin de garde lui reproche d’engorger l’urgence. M. Gauthier lui répond qu’il a raison parce qu’il n’est pas malade, mais qu’il doit présenter un papier à son employeur pour son absence de la veille. Le médecin lui remet un billet sur lequel il écrit « Présence non justifiée à l’urgence ».
[22] Le 14 septembre, il est convoqué par la direction des ressources humaines. M. Dagenais lui propose d’accepter sans contestation une suspension de trois semaines pour ses manquements des 12 et 13 septembre . Il refuse parce que cette offre était aussi assortie du retrait du grief par lequel il contestait la suspension de cinq jours du 25 avril précédent. La rencontre dure environ 5 minutes. À cette occasion, on ne lui demande pas sa version des évènements des 12 et 13 septembre. Néanmoins, il ne la donne pas.
[23] M. Gauthier déclare qu’à cette occasion il a surtout été question d’un reproche qui était mentionné dans le projet de lettre de congédiement qu’on lui a alors présenté. Ce reproche a été retiré par la suite dans la version finale.
(reproduit tel que, soulignement ajouté)
[19] Ce reproche est ainsi écrit dans la première lettre :
Lors de l’étude de votre dossier, nous avons découvert que votre retard du 17 juillet 2012, que vous avez justifié par l’émission d’un billet d’infraction au Code de la route, n’était pas acceptable. En effet, il appert du billet d’infraction que vous avez remis qu’il aurait été émis à 11 h 25 (a.m.), alors qu’il aurait dû être émis à 23 h 25 pour justifier votre absence à compter de minuit le 18 juillet 2012. En effet, une vérification auprès de la Sûreté du Québec nous indique que si un billet porte l’heure rédigée comme dans celui-ci, on parle nécessairement d’un billet émis en avant-midi et non en soirée.
(reproduit tel quel)
[20] Le plaignant soutient, lors de cette rencontre du 14 septembre, qu’il s’agit d’une erreur du policier et que l’infraction s’est produite en soirée, mais monsieur Dagenais ne le croit pas. Bien que présent à cette rencontre, monsieur Labonté n’intervient pas auprès du plaignant pour qu’il s’explique sur les autres reproches indiqués dans la lettre de congédiement. Malgré la décision de le congédier, monsieur Dagenais offre de substituer le congédiement en une suspension de trois semaines. Le plaignant est suspendu jusqu’à ce qu’une décision soit prise.
[21] Après cette rencontre, le représentant syndical de la Centrale des syndicats démocratiques (la CSD ), monsieur Hébert, intervient et demande au plaignant de requérir, auprès du corps de police, une confirmation de l’heure véritable de l’infraction, ce qu’il obtient. La version du plaignant ayant été validée par monsieur Dagenais, ce reproche est retiré par la suite de la lettre de congédiement.
[22] Dès lors, monsieur Labonté dit avoir discuté avec l’employeur toutes les semaines pour tenter de trouver un terrain d’entente permettant au plaignant de conserver son emploi. Le plaignant n’est cependant pas disposé à accepter la proposition de modifier le congédiement en suspension de trois semaines, car il soutient n’être nullement fautif.
[23] Le 9 octobre, l’employeur procède au congédiement du plaignant en présence du président Labonté. Ce dernier dépose un grief le même jour qu’il transmet à monsieur Hébert.
[24] En vue de l’audition des griefs, monsieur Hébert tiendra des rencontres de préparation avec le plaignant et monsieur Labonté. Cependant, deux jours avant l’audience, monsieur Hébert subit un grave accident, ce qui entraîne le report de l’audience.
[25] La CSD mandate alors une avocate spécialisée en droit du travail pour représenter le Syndicat.
[26] L’avocate tient deux rencontres préparatoires avec le plaignant dans lesquelles tous les éléments pertinents au dossier sont discutés. Le plaignant a l’occasion de présenter sa version des faits et rectifier les éléments indiqués dans la lettre de congédiement.
[27] Après la première journée d’audience, une troisième rencontre se tient pour préparer la poursuite du témoignage du plaignant, notamment sur les inexactitudes contenues dans la liste des notifications d’absences déposée en preuve par l’employeur et pour laquelle l’objection à sa recevabilité formulée par l’avocate a été rejetée par l’arbitre. Le nouveau conseiller syndical de la CSD, monsieur Voyer, participe à cette préparation de la deuxième journée d’audience.
[28] Le plaignant reconnaît avoir été questionné par l’avocate sur les inexactitudes contenues à ce registre et d’ailleurs, des documents remis par le plaignant pour appuyer son témoignage ont été déposés à l’audience. Il précise également que l’avocate a fait aussi valoir l’application de la clause d’amnistie pour plusieurs manquements invoqués par l’employeur. En l’espèce, cette clause de la convention collective interrompt le principe de la gradation des sanctions en empêchant l’employeur d’invoquer contre un salarié tout avertissement écrit porté à son dossier après neuf mois de sa délivrance et toute suspension après douze mois.
[29] Elle s’est aussi opposé au dépôt de l’avis du 21 novembre 2008 obligeant le plaignant à justifier ses absences, faisant valoir qu’il s’agissait davantage d’un avis disciplinaire couvert par la clause d’amnistie, mais l’arbitre l’a plutôt qualifié d’avis administratif.
[30] Cependant, l’avocate s’est opposé avec succès au dépôt du document du 4 novembre 2010 dont l’objet est « Attentes de l’employeur » puisque, contrairement aux prétentions de l’employeur, il est de nature disciplinaire et donc couvert par la clause d’amnistie.
[31] Le plaignant déclare qu’il était satisfait du travail de l’avocate, tant dans la préparation que lors de l’audience. Cependant, malgré le fait qu’il a témoigné sur les évènements en lien avec sa suspension et son congédiement, il constate que l’arbitre n’a pas retenu sa version.
[32] Sur le grief de suspension, le Tribunal d’arbitrage livre comme suit son analyse :
[47] L’employeur a décidé de suspendre M. Gauthier pendant cinq jours, le 25 avril 2012, parce qu’il ne s’était pas présenté au travail à minuit, le 18 avril précédent, invoquant la maladie. Comme il devait fournir un certificat médical pour justifier cette absence, il s’est rendu à l’urgence à deux reprises le 18 pour l’obtenir. Mais, il y avait une longue attente et il a décidé de se présenter dans la nuit du 19, même s’il devait travailler à minuit. Il a appelé à 03h45 pour prévenir qu’il arriverait en retard. Finalement, il est arrivé au travail à 05h25.
[48] L’employeur lui reproche de ne pas avoir de certificat médical acceptable puisqu’il indique « repos le 18 » alors qu’il devait préciser un diagnostic, conformément à l’avis administratif de 2008. De plus, il devait le fournir dans les 24 heures de l’absence.
[49] Ces reproches sont fondés. D’ailleurs, M. Gauthier ne nie pas les faits. Il a décidé de ne pas attendre à l’urgence le 18 avril parce qu’elle était bondée, d’où son retard le 19. Quant au billet médical ne comportant pas de diagnostic, il a été complété par le médecin et non par lui, dit-il. Dans ce cas, pourquoi ne pas lui avoir dit qu’il n’était pas malade le 18 avril alors qu’il prétend aujourd’hui ne pas s’être réveillé à temps .
[50] Il connaissait les exigences de l’employeur lorsqu’il devait s’absenter pour cause de maladie. Il devait fournir un certificat médical dans les 24 heures, avec diagnostic. Or, au lieu d’attendre à l’urgence pour se faire examiner par un médecin, il décide à deux reprises de retourner plus tard. Ce n’est que dans la nuit du 19 avril qu’il obtiendra finalement un billet médical.
[51] Le motif selon lequel l’urgence était bondée n’est pas valable. L’employeur a eu raison de ne pas l’accepter. M. Gauthier n’avait qu’à attendre. C’est ce qu’aurait fait tout employé bien intentionné. Il a fait preuve d’une insouciance et d’une négligence difficilement explicable de la part d’un salarié comptant autant d’années d’expérience.
[52] En plus, il arrive en retard le 19 avril pour justifier son absence du 18. Au lieu de prévenir l’employeur de ce retard avant le début de son travail à minuit, il n’appelle qu’à 03h45 alors qu’il est déjà en retard de 3 heures et 45 minutes!
[53] Il contrevenait ainsi à la clause 25.03. Il devait prévenir son employeur de son absence ou de son retard deux heures avant le début de sa période de travail. Il avait tout son temps pour ce faire. D’ailleurs, même s’il n’avait pas obligé vertu de la convention c’est le devoir de tout employé de prévenir son employeur lorsqu’il prévoit arriver en retard, à moins d’empêchement. Ce qui n’était pas son cas.
[54] ll s’agit là d’un comportement inexcusable de la part d’un salarié qui connaissait bien son dossier d’assiduité et d’absentéisme ainsi que les exigences de l’employeur à cet égard. Ce dernier n’avait pratiquement pas d’autres choix que de lui imposer une mesure disciplinaire pour l’inciter à améliorer sa conduite. M. Gauthier a fait preuve d’indifférence, de négligence et d’irresponsabilité envers son emploi et son employeur.
(reproduit tel que, soulignement ajouté)
[33] Le plaignant soutient que la sentence arbitrale comporte des erreurs. Premièrement, l’arbitre confond l’évènement de la suspension et du congédiement puisqu’il était bien malade la journée du 18 avril et qu’il n’a jamais prétendu ne pas s’être réveillé à temps. Deuxièmement, il fait abstraction de l’appel qu’il a fait avant minuit le 18 avril pour informer l’employeur de son retard pour la nuit du 19 et, par conséquent, qu’il a rempli son obligation d’aviser. Il fait remarquer que la liste des notifications indique qu’il a appelé pour aviser Doris (le contremaître de soir) qu’il serait en retard. Cependant, l’inscription n’a été faite que le 19 avril.
[34] La convention collective prévoit, par ailleurs, qu’il doit aviser l’employeur au moins deux heures à l’avance.
[35] Malgré son témoignage sur les inexactitudes et sur la fiabilité des notifications sur cette liste, le plaignant constate que l’arbitre n’en a pas tenu compte.
[36] Poursuivant son analyse, le Tribunal d’arbitrage discute du grief de congédiement :
[55] Les mêmes commentaires s’appliquent aussi pour les évènements des 12 et 13 septembre suivant. Le 12 septembre, il ne s’est pas réveillé à temps alors que son travail devait débuter à 16h00. Il s’était couché parce qu’il était fatigué et qu’il avait mal à la tête. Son épouse aurait oublié d’ajuster le cadran pour 13h30 et de le réveiller à 14h00.
[56] Le lendemain, il se rend à l’urgence. Le médecin lui remet un billet médical daté du 13 septembre indiquant « Présence non justifiée à l’urgence ». Le plaignant est d’accord parce que, dit-il, je n’étais pas malade. Pourtant, lors de son témoignage il a déclaré s’être couché parce qu’il avait mal à la tête. C’est pourquoi, dans l’avis de congédiement, l’employeur lui reproche d’avoir tenté de justifier son absence « en invoquant votre état de santé sans pièce justificative et le fait que votre cadran n’avait pas sonné ».
[57] Il prétend que M. Fortier lui a dit qu’il devra fournir un « papier ». Ce dernier affirme plutôt lui avoir dit qu’il « savait ce qu’il avait à faire et qu’il connaissait son dossier ». Le Syndicat plaide en conséquence que M. Gauthier n’a commis aucune faute parce qu’on l’a empêché d’entrer au travail en exigeant un « papier ».
[58] Je retiens la version de M. Fortier. Lors de son témoignage, il a démontré qu’il avait une mémoire plus fiable que celle de M. Gauthier. Il n’a manifesté aucune animosité à son endroit. Il n’avait aucun intérêt à incriminer M. Gauthier. Ainsi, je ne retiens pas l’argument du Syndicat selon lequel on aurait empêché le plaignant d’entrer au travail en exigeant un « papier » alors qu’il n’était pas vraiment malade.
[59] M. Gauthier savait depuis 2008, par l’avis administratif, qu’il devait « justifier toutes vos absences médicales d’un certificat médical avec diagnostic et/ou fournir une justification appropriée pour toute autre situation d’absence… ». L’avis ne précise pas de quelle façon il devait justifier de façon appropriée toute absence non médicale. Compte tenu de la lourdeur de son dossier d’assiduité et d’absentéisme, il savait sûrement qu’une simple déclaration de sa part n’était pas suffisante.
[60] S’il n’était pas malade le 12 septembre, pourquoi est-il allé à l’urgence pour obtenir un billet médical. Le médecin avait raison de dire que sa présence n’était pas justifiée. D’ailleurs, l’avis de congédiement lui reproche son « absence du 12 septembre en invoquant votre état de santé sans pièce justificative et le fait que votre cadran n’avait pas sonné ».
[61] Même si l’employeur ne lui pas demandé explicitement sa version des faits lors de la rencontre du 14 septembre, rien ne l’empêchait de rectifier les faits s’il estimait que la référence à son état de santé était inexacte. Il n’a fait aucun commentaire.
[62] Compte tenu de ces circonstances, j’estime que l’employeur a assumé son fardeau de preuve. Il a démontré de façon prépondérante que M. Gauthier a commis les fautes reprochées. Il s’est absenté sans autorisation et justification valable le 12 septembre. Quant au billet médical remis le lendemain, il n’est pas acceptable .
(reproduit tel quel, soulignement ajouté)
[37] Le plaignant ne s’explique pas pourquoi il n’a pas été cru par l’arbitre qui a préféré la version de monsieur Fortier à la sienne.
[38] Il soulève également que l’arbitre retient un manquement de sa part le 13 septembre, alors qu’il est au travail cette journée-là. Il s’agit là encore une fois d’une erreur déterminante.
[39] Le plaignant pointe, à cet égard, un passage de la décision :
[42] De plus, le 12 septembre, M. Fortier l’a empêché d’entrer. Il devait obéir. Il est donc allé voir un médecin qui lui a reproché d’engorger l’urgence, parce qu’il n’était pas malade. Elle en conclut que le reproche fondé dur l’absence du 12 septembre est injustifié. Il ne reste donc que le retard du 13 septembre.
(soulignement ajouté)
[40] Il convient d’écarter dès maintenant cette prétention du plaignant.
[41] Cette erreur, si elle en est une, est sans conséquence car il s’agit là des prétentions des parties et non pas des motifs de la décision. Il apparaît plutôt que l’arbitre n’a pas considéré un manquement survenu le 13 septembre dans l’appréciation de la justesse du congédiement.
[42] Le 6 mai 2013, monsieur Voyer reçoit et prend connaissance de la sentence arbitrale du 26 avril précédent. Il l’analyse et discute ensuite avec l’avocate pour obtenir son avis. Le lendemain, il en communique d’abord la teneur à monsieur Labonté et ensuite au plaignant, dans le cadre d’un appel téléphonique. Il lui mentionne que la décision est sévère, mais selon son appréciation et celle de l’avocate, elle n’est pas déraisonnable.
[43] Quelques jours plus tard, après avoir pris connaissance de la sentence arbitrale, le plaignant rappelle monsieur Voyer et lui signale les erreurs qu’elle renferme. Monsieur Voyer lui mentionne qu’il en discutera avec l’avocate afin de réévaluer les possibilités de la porter en révision judiciaire.
[44] Par la suite, monsieur Voyer rappelle le plaignant et lui signifie que selon l’avis juridique reçu, les chances de succès en révision judiciaire sont pratiquement inexistantes puisque les erreurs soulevées ne sont pas déterminantes. Il l’informe que le dossier est maintenant clos. Un échange de lettres s’en suit. Le plaignant désire avoir une rencontre avec le Syndicat et monsieur Voyer, mais on la lui refuse. Le plaignant veut obtenir une copie de l’avis juridique, mais monsieur Voyer lui explique qu’il est verbal.
[45]
L’article
47.2. Une association accréditée ne doit pas agir de mauvaise foi ou de manière arbitraire ou discriminatoire, ni faire preuve de négligence grave à l'endroit des salariés compris dans une unité de négociation qu'elle représente, peu importe qu'ils soient ses membres ou non.
[46] Il incombe au plaignant de démontrer, par une preuve prépondérante, le comportement fautif dont il se plaint, à savoir la négligence grave de son syndicat.
[47]
Reprenant les principes établis par la Cour suprême dans
Noël
c.
Société d'énergie de la Baie James
,
[87] Il comprend aussi les « obligations liées à l’intensité de la représentation », soit celles qui se rattachent à l’arbitraire et à la négligence grave . Ce sont là des comportements reliés à la représentation qu’offre l’association accréditée et qui dépassent les limites de la discrétion raisonnablement exercée, quant à la façon dont celle-ci traite la réclamation du salarié.
[88] Ces concepts « définissent la qualité de la représentation syndicale » (arrêt Noël, précité, paragr. 49), à l’occasion du traitement par l’association accréditée de la réclamation d’un salarié. Ils sont souvent abordés ensemble, comme constituant deux aspects d’une même obligation.
[…]
[90] D’autre part, la négligence grave
correspond à
«
une faute grossière dans le traitement d’un grief
»
(arrêt
Noël
, précité, paragr. 51).
Elle a aussi été
«
assimilée à une faute lourde ou à une conduite impardonnable
et inexcusable
»
(
Métallurgistes
unis d’Amérique - section locale 5778
c.
Allard
,
[48]
Il importe aussi de rappeler le rôle particulier du syndicat en tant que
représentant exclusif de tous les salariés de l’unité de négociation. À cet
égard, il dispose d’une marge de manœuvre considérable comme l’exprime la Cour
suprême dans
Guilde de la marine marchande du Canada
c.
Gagnon
,
2. Lorsque, comme en l’espèce et comme c’est généralement le cas, le droit de porter un grief à l’arbitrage est réservé au syndicat, le salarié n’a pas un droit absolu à l’arbitrage et le syndicat jouit d’une discrétion appréciable.
3. Cette discrétion doit être exercée de bonne foi, de façon objective et honnête, après une étude sérieuse du grief et du dossier, tout en tenant compte de l’importance du grief et des conséquences pour le salarié, d’une part, et des intérêts légitimes du syndicat d’autre part.
[49] Ce rôle du Syndicat subsiste même après que l’arbitre ait rendu sa décision, comme le précise le juge LeBel, dans l’arrêt Noël , précité :
[58] Après la sentence arbitrale, le syndicat détient toujours l’exclusivité de représentation des salariés. Comme corollaire de celle-ci, la décision de contester la légalité d’une sentence arbitrale reste régie par les principes relatifs à l’exécution correcte de l’obligation de bonne foi, par les mêmes interdictions d’agir de mauvaise foi, de façon discriminatoire et sans examen approprié du dossier.
[50] Le plaignant remet en question la décision du Syndicat d’avoir accepté de procéder par preuve commune sur ses griefs de suspension et de congédiement. Cela a permis la preuve de mesures disciplinaires dans le cadre du grief de suspension, alors qu’elles auraient été couvertes par la clause d’amnistie lors de l’étude du grief de congédiement. De plus, à l’évidence, cela a entraîné une confusion dans la compréhension des faits par l’arbitre.
[51] Le plaignant voudrait ainsi voir la Commission scruter le travail de l’avocate mandatée pour représenter le Syndicat en arbitrage.
[52] D’abord, soulignons que le plaignant s’est déclaré satisfait du travail effectué par l’avocate du Syndicat lors de la préparation des griefs et de l’audition. De plus, la décision du Syndicat de regrouper les griefs relève de sa discrétion dans le traitement de la réclamation du salarié.
[53]
À plusieurs reprises, la Commission a refusé de réviser la qualité de la
représentation d’un avocat mandaté par le Syndicat aux fins de l’arbitrage d’un
grief (
Rivard
c.
APTS - Alliance du personnel professionnel et
technique de la santé et des services sociaux (CPS et APTMQ)
,
[54]
Plus récemment, dans
Gagnon
c.
Syndicat des travailleuses et
travailleurs du Centre de réadaptation en déficience intellectuelle Gabrielle-Major - CSN
,
[82] La personne qui agit comme représentant a également une obligation de moyen. De plus, elle jouit aussi d’une discrétion appréciable dans le choix des stratégies et théories de cause, des moyens de preuve (témoins, documents, matériels, experts), des interrogatoires, contre-interrogatoires et de l’argumentation.
[83] De ce cumul ou juxtaposition de pouvoirs discrétionnaires, il découle que la Commission n’interviendra que si un salarié établit, de façon prépondérante, une faute importante, voire majeure, ou encore une erreur flagrante du représentant qui a pour conséquence que la représentation faite devant l’arbitre constitue un déni de justice . Dans ce cas, l’association accréditée fait preuve de négligence grave, d’arbitraire, de mauvaise foi ou de discrimination en confiant le mandat à une personne qui agit comme représentant et en ne veillant pas à ce que sa conduite soit conforme et respectueuse des pratiques standards, compte tenu des circonstances de l’affaire. Il s’agit d’un fardeau exigeant à satisfaire et la Commission doit analyser l’ensemble de la situation et non pas chaque geste pris isolément ( Dubé c. Syndicat de professionnelles et professionnels du Gouvernement du Québec (SPGQ) , précitée).
(soulignement ajouté)
[55] Une telle preuve d’« erreur flagrante » n’a pas été faite dans le présent dossier. Au contraire, le plaignant a été préparé et a été questionné à l’audience sur tous les aspects de son dossier. II a eu l’occasion de rectifier et contredire les éléments apportés par l’employeur sur chacune des mesures disciplinaires, mais comme il le constate lui-même, il n’a pas été cru. L’avocate du Syndicat a formulé des objections à la preuve de l’employeur. Certaines ont été retenues, d’autres pas.
[56] Il est facile, après coup, de critiquer les choix stratégiques du Syndicat et de son avocate. Il n’y a rien d’anormal ou d’aberrant à joindre des griefs pour une audition commune et cela ne constitue certainement pas de la négligence grave.
[57] En l’espèce, le plaignant ne partage pas l’opinion du Syndicat quant au caractère raisonnable de la sentence arbitrale.
[58]
Dans
St-Jacques
c
. Syndicat professionnel-les en soins
infirmiers et cardio-respiratoires de l’Hôpital du Sacré-Cœur de Montréal (CSN)
c.
Hôpital du Sacré-Cœur de Montréal,
[32] Le dépôt d’une requête en révision judiciaire ne doit jamais être automatique. Au contraire, il s’agit d’une démarche exceptionnelle et une association de salariés n’a pas l’obligation de l’entreprendre à la simple demande d’un de ses membres. Dans l’arrêt Noël précité, la Cour suprême s’exprime ainsi :
62. Étant donné la réalité quotidienne
des conventions collectives, l’interprétation des sentences arbitrales, ainsi
que la richesse foisonnante du contentieux en cette matière,
un syndicat ne
saurait être placé dans l’obligation de contester au gré du salarié intéressé
toutes et chacune des sentences arbitrales, même en matière de congédiement,
pour le motif d’irrationalité de la décision
. L’employeur et le syndicat
ont en principe le droit de bénéficier de la stabilité découlant de l’art.
(soulignement ajouté)
[59] Puis, dans Gagnon , précitée, la Commission écrit ce qui suit :
[100] Comme il est affirmé dans les affaires Grimard et Delisle , précitées, il n’appartient pas à la Commission de se pencher sur la valeur de l’opinion juridique soumise. Dans ces décisions, l a Commission réfère à celle rendue par le juge Claude St-Arnaud dans l’affaire Martinez c. L’Association internationale des machinistes et des travailleurs de l’aéronautique , Loge 712, T.T. Mtl, n o 500 - 28-000572-83, 1983-12-11, qui s’exprime comme suit :
[…] je dois souligner que c’est la conduite du syndicat que je dois examiner et non pas juger la valeur de l’opinion de l’avocat auquel le syndicat s’est adressé. Ainsi, quel que soit mon avis sur l’opinion de l’avocat syndical, je dois retenir que le syndicat, devant ce dossier quelque peu complexe, a agi avec précaution en prenant soin de consulter un avocat chevronné en droit du travail et de lui faire rencontrer le salarié . L’avocat avait donc tous les matériaux pour fonder son opinion et le syndicat n’a commis aucune faute ou négligence en se fiant à cette opinion. Son devoir était de rechercher l’avis d’un expert et c’est ce qu’il a fait.
[101] Cette décision du Tribunal du travail est rendue dans un contexte où le grief n’est pas déféré à l’arbitrage, mais les principes demeurent les mêmes lorsqu’une association accréditée doit décider de déposer ou non une demande en révision judiciaire.
(soulignement ajouté)
[60]
Ainsi, le rôle de la Commission n’est pas de substituer son opinion à la
décision syndicale ou siéger en appel de celle-ci, ni réviser ou contrôler la
légalité de la sentence arbitrale. Elle se limite à apprécier la conduite du Syndicat
selon les critères généraux de l’article
[61] En l’espèce, lorsqu’il reçoit la sentence arbitrale, le conseiller syndical de la CSD l’analyse et conclut, malgré sa sévérité, qu’elle n’est pas déraisonnable. Il contacte l’avocate du Syndicat qui partage ce point de vue. Malgré cela, à la demande du plaignant, il la rappelle pour obtenir un nouvel avis juridique. Le résultat est le même; selon l’avocate, la révision judiciaire est vouée à l’échec.
[62] Le plaignant aurait aimé obtenir une opinion juridique écrite, mais le Syndicat n’a pas cette obligation. Il a fait les consultations nécessaires auprès de l’avocate qui a plaidé les griefs et qui était la mieux placée pour évaluer les erreurs soulevées par le plaignant. Elle en a conclu qu’elles n’étaient pas déterminantes et qu’elles ne rendent pas la décision déraisonnable. Elle estime qu’il est impossible d’obtenir gain de cause en raison des critères relatifs à la révision judiciaire.
[63] Le plaignant prétend que l’arbitre a mal appliqué la clause d’amnistie. Or, une lecture attentive des motifs de la décision démontre tout le contraire. L’arbitre a analysé la portée de la clause et lui a donné plein effet. C’est plutôt la qualification des mesures que le plaignant remet en question, mais il s’agit là d’une matière qui relève entièrement de l’appréciation de l’arbitre, un domaine où la Cour supérieure n’intervient généralement pas. Les autres erreurs que le plaignant a pu démontrer n’apparaissent pas déterminantes pour l’issue du litige.
[64] Il est compréhensible que le plaignant ne soit pas satisfait de la décision de l’arbitre puisqu’elle met fin à l’espoir de retrouver un travail dont il a besoin. Cependant, le refus du Syndicat résulte d’un examen sérieux.
[65]
Le plaignant n’a pas démontré que le Syndicat a exercé de façon
déraisonnable la discrétion que lui confère l’article
EN CONSÉQUENCE, la Commission des relations du travail
REJETTE la plainte.
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__________________________________ Sylvain Allard |
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M e Christian Drapeau |
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Représentant du plaignant |
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M e Félix-Antoine Dumais Michaud |
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MELANÇON, MARCEAU, GRENIER ET SCIORTINO, S.E.N.C. |
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Représentant de l’intimé |
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M e Jean Gascon |
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GAGNÉ LETARTE SENCRL |
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Représentant de la mise en cause |
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Date de la dernière audience : |
2 décembre 2014 |
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