Section des affaires sociales

En matière de services de santé et de services sociaux, d'éducation et de sécurité routière

 

 

Date : 17 février 2015

Référence neutre : 2015 QCTAQ 02461

Dossier  : SAS-Q-202275-1406

Devant le juge administratif :

ROBERT LESSARD

 

B… B…

Partie requérante

c.

SOCIÉTÉ DE L'ASSURANCE AUTOMOBILE DU QUÉBEC

Partie intimée

 


DÉCISION


[1]               Le Tribunal est saisi d’un recours formé par le requérant (monsieur), qui conteste une décision rendue en révision par l’intimée, la Société de l’assurance automobile du Québec (la Société), le 12 juin 2014.

[2]               Par cette décision, la Société informe monsieur qu’elle a reçu le rapport d’évaluation de l’Association des centres de réadaptation en dépendance du Québec (l’ACRDQ), lequel démontre que son comportement envers la consommation d’alcool ou de drogue demeure un risque pour la sécurité routière.

[3]               La Société informe de plus monsieur que pour obtenir un nouveau permis, il doit notamment se soumettre à une évaluation complète.

Les motifs de la contestation de monsieur

[4]               Dans la requête introductive de son recours, monsieur invoque les motifs suivants :

«  ®  Selon ce que j’aie exprimé au sujet de mes consommations indique que j’ai consommé de la bière oui, mais je n’aurais certainnement pas conduit mon vehicule, j’aurais rester à mon camp de chasse qui est en passant mon chalet hiver comme été et à cette période-la j’ai couché là, mes 2 dernières arrestation m’ont fait comprendre et j’ai refléchi! Je desire vraiment obtenir mon permis de conduite »

(Transcription conforme)

Le contexte

[5]               Le 8 novembre 2011, monsieur est reconnu coupable de conduite avec les facultés affaiblies sous l’article 253  (1) a) du Code criminel [1] , pour une infraction commise le 27 février 2010. Son permis a donc été révoqué à compter du 8 novembre 2011.

[6]               Le 2 juin 2014, il s’est soumis à une évaluation sommaire effectuée dans le cadre du programme d’évaluation et de réduction du risque de conduite avec les facultés affaiblies relativement à la consommation d’alcool ou de drogue avec la conduite sécuritaire d’un véhicule routier.

[7]               Il en est résulté une recommandation non favorable de la part de l’évaluatrice (la personne autorisée), dont les motifs sont les suivants :

« […]

Le résultat de cette évaluation s’appuie sur l’analyse des informations qui ont été recueillies lors d’une entrevue structurée, de la passation de questionnaires auto-révélés et de documents relatifs au dossier de conduite. Le sens de la recommandation formulée s’appuie sur un cumul d’éléments qui sont associés au risque de conduite avec les facultés affaiblies. Dans le cas présent, le cumul de facteurs de risque retrouvés chez monsieur atteint le seuil de risque significatif.

En effet, il a 2 arrestations antérieures en lien avec l’alcool au volant et une autre infraction au Code criminel liée à la conduite, il présentait un taux d’alcoolémie élevé lors de son arrestation en février 2010 et il rapporte 2 épisodes de consommation à risque au course des 35 derniers jours. De plus, les réponses de monsieur à un sous-questionnaire qui permet d’évaluer le risque de récidive chez les contrevenants mènent aussi à détecter qu’il présente un tel risque. Tous ces facteurs réunis, ont contribué à établir un profil de risque plus élevé en ce qui concerne la possibilité de récidive en matière de conduite avec les facultés affaiblies. Les résultats des différents outils utilisés démontrent qu’il nous faut approfondir notre évaluation avant d’indiquer à la Société de l’assurance automobile du Québec que les comportements de monsieur sont compatibles avec la conduite sécuritaire d’un véhicule routier.

[…] »

(Transcription conforme)

Admission de l’intimée

[8]               La Société reconnaît que les facteurs H ne sont pas significatifs et ne doivent donc pas être considérés dans les circonstances.

La preuve documentaire

[9]               La Société présente en preuve les documents relatifs à l’évaluation sommaire [2] et demande au Tribunal de prononcer une ordonnance de non-divulgation, non-publication et non-diffusion de ces documents.

[10]            Le Tribunal prononce l’ordonnance demandée, dont le libellé apparaît au dispositif de la présente décision.

La preuve testimoniale

[11]            Des témoignages à l’audience, le Tribunal retient essentiellement les éléments suivants.

[12]            Monsieur reprend essentiellement les propos qu’il a tenus dans sa requête.

[13]            Il affirme avoir dit la vérité à l’évaluatrice.

[14]            Il affirme ne pas avoir pris d’alcool ou de drogue depuis 2010.

[15]            Il reproche par ailleurs au protocole d’avoir été mal fait, sans aucune précision.

[16]            Pour sa part, l’évaluatrice témoigne de sa formation, de son accréditation auprès de l’ACRDQ et de son expérience en matière d’évaluation, ayant fait de 800 à 900 évaluations.

[17]            Son mandat, lors de l’évaluation sommaire, consiste à dépister chez la personne évaluée des facteurs de risques significatifs de récidive en matière de conduite avec les facultés affaiblies, selon un protocole standard établi par l’ACRDQ.

[18]            Elle en explique le déroulement, soit convocation par téléphone, entrevue structurée, questionnaires à répondre, dont toutes les réponses sont relues par la personne évaluée avant que cette dernière y appose ses initiales, et enfin cotation de ces réponses selon une grille préétablie dont les résultats lui dictent sa recommandation.

[19]            Elle doit s’assurer que la personne évaluée comprenne bien les questions qui lui sont posées.

[20]            Elle explique que sur un total de dix facteurs, trois facteurs et plus indiquent que la personne évaluée représente un risque significatif de récidive, et que sa recommandation doit alors être non favorable.

[21]            En l’instance, sa recommandation s’avère non favorable puisque monsieur présentait cinq facteurs de risque, soit les facteurs suivants :

A  : données générales et démographiques;

D  : habitudes de consommation d’alcool;

H  : infractions au Code de la sécurité routière;

I : risques liés aux attitudes, intentions, comportements, cognition; et

K  : alcoolémie à l’arrestation.

[22]            Sauf pour ce qui est des facteurs H reconnus par la Société comme n’étant pas significatifs, l’évaluatrice fait par la suite une revue des réponses fournies par monsieur aux divers questionnaires ayant trait aux autres facteurs, et qui ont fait que ce dernier a échoué son évaluation.

[23]            Elle affirme que l’évaluation s’est bien déroulée et que monsieur a bien collaboré.

[24]            L’évaluatrice affirme enfin avoir respecté le protocole et dit être toujours d’accord avec sa recommandation.

Les plaidoiries

[25]            En plaidoirie, la procureure de la Société réfère aux articles pertinents du Code de la sécurité routière [3] , de même qu’à des décisions du Tribunal [4] .

[26]            Elle souligne que selon ces décisions, le rôle du Tribunal se limite à s’assurer que le protocole standardisé mis en place par l’ACRDQ a été bien appliqué dans les circonstances, et qu’aucune erreur susceptible d’invalider la recommandation de l’évaluatrice ne s’y est glissée.

[27]            Or, la preuve, selon elle, démontre que le protocole a été respecté par l’évaluatrice et qu’aucune telle erreur ne peut être constatée en l’instance.

[28]            Elle souligne que monsieur admet avoir pris des grosses bières la journée de son arrestation.

[29]            Elle fait valoir qu’en l’instance, quatre facteurs de risque de récidive demeurent après l’admission de la Société pour ce qui est des facteurs H, de sorte que la recommandation de l’évaluatrice ne pouvait être que non favorable dans les circonstances, selon le protocole.

Les dispositions législatives pertinentes

[30]            Les articles 76 , 76.1 et 180 du Code de la sécurité routière en vigueur lors de l’arrestation de monsieur disposent notamment :

«  76 . Sous réserve de l'article 76.1.1, aucun permis ne peut être délivré à une personne dont le permis a été révoqué ou dont le droit d'en obtenir un a été suspendu à la suite d'une déclaration de culpabilité pour une infraction au Code criminel (L.R.C. 1985, c. C-46), visée à l'article 180 du présent code, avant l'expiration d'une période d'une, de trois ou de cinq années consécutive à la date de la révocation ou de la suspension selon que, au cours des 10 années précédant cette révocation ou cette suspension, elle s'est vu imposer aucune, une seule ou plus d'une révocation ou suspension en vertu de cet article.

Si la déclaration de culpabilité est suivie d'une ordonnance d'interdiction de conduire prononcée en vertu des paragraphes 1, 2 et 3.1 à 3.4 de l'article 259 du Code criminel pour une période plus longue que celle applicable en vertu du premier alinéa, la période alors applicable sera égale à celle établie dans l'ordonnance.

76.1 . Lorsque l'infraction donnant lieu à la révocation ou à la suspension consiste à fuir un véhicule de police ou à fuir le lieu d'un accident, les périodes de sanction d'une et de trois années, prévues au premier alinéa de l'article 76, sont prolongées respectivement de trois et de deux années.

180 . Entraîne de plein droit la révocation de tout permis autorisant la conduite d'un véhicule routier ou la suspension du droit d'en obtenir un, la déclaration de culpabilité d'une personne à une infraction au Code criminel (L.R.C. 1985, c. C-46), commise avec un véhicule routier ou avec un véhicule hors route et prévue aux articles suivants de ce code:

1° les articles 220, 221, 236, le sous-paragraphe a du paragraphe 1, les paragraphes 3 ou 4 de l'article 249, les articles 249.1, 249.2, 249.3, les paragraphes 1, 3 ou 4 de l'article 249.4 ou les paragraphes 1, 1.2 ou 1.3 de l'article 252;

2° l'article 253, le paragraphe 5 de l'article 254 ou les paragraphes 2, 2.1, 2.2, 3, 3.1 ou 3.2 de l'article 255.

Le juge qui prononce la déclaration de culpabilité doit ordonner la confiscation du permis visé au premier alinéa pour qu'il soit remis à la Société. »

La décision et ses motifs

[31]            Après avoir étudié le dossier, entendu les témoignages à l’audience de même que l’argument des parties, et sur le tout délibéré, le Tribunal estime que la décision de la Société est bien fondée dans les circonstances.

[32]            Les motifs en sont les suivants.

[33]            Avec respect, l’opinion du soussigné n’est  pas partie au courant jurisprudentiel du Tribunal voulant que la compétence de ce dernier se limite à vérifier si le protocole a été appliqué correctement, d’autant plus qu’en l’instance, la Société admet que les facteurs J ne sont pas significatifs en l’instance.

[34]            Le protocole utilisé par la personne autorisée ne constitue qu’un outil qui lui est imposé par l’ACRDQ, et dont les résultats sont en somme la preuve que présente la Société au Tribunal pour justifier la décision qu’elle rend à la suite de la recommandation non favorable émise en l’instance par la personne autorisée.

[35]            Le Tribunal, agissant de novo, doit en apprécier la valeur probante par rapport à la preuve de la personne qui conteste devant lui la décision de la Société.

[36]            De toute évidence, l’admission de cette dernière relativement aux facteurs J crée en l’instance une brèche dans la fiabilité des résultats découlant de l’application du protocole.

[37]            Tribunal est cependant lié par la preuve que lui présentent les parties.

[38]            Or, la preuve de monsieur en l’instance repose essentiellement sur son témoignage à l’audience, lequel n’apporte rien de concret dans les circonstances et ne peut contrer la preuve présentée par la Société qui s’appuie, elle, sur les informations fournies par monsieur lors de l’entrevue structurée, de même que sur ses réponses spontanées aux divers questionnaires.

[39]            Il admet que l’évaluatrice a été présente et disponible tout au long de l’évaluation.

[40]            Il faut également constater que l’admission de la Société relativement aux facteurs H ne change rien non plus à la conclusion à laquelle en arrive la personne autorisée, puisqu’il demeure suffisamment de facteurs significatifs pour que monsieur soit considéré à risque de récidive.

[41]            Il convient enfin de souligner que l’obtention d’un permis de conduire constitue non pas un droit mais un privilège, et que les dispositions législatives édictées à cet égard ont pour but essentiel de protéger tant le public que monsieur en l’instance.

PAR CES MOTIFS , le Tribunal [5]  :

PREND ACTE de l’admission de la Société relativement aux facteurs H;

DÉCLARE bien fondée la décision rendue par la Société à l’endroit de monsieur le 12 juin 2014;

REJETTE le recours; et

ORDONNE au requérant ainsi qu’à toute autre personne :

●     de ne pas divulguer, publier ou diffuser les renseignements contenus à la pièce I - 1 en liasse (les résultats du requérant aux tests, le contenu des tests eux-mêmes (questions-réponses) et les résultats pondérés du requérant à l’évaluation) ;

●     de ne pas reproduire ledit protocole et l’évaluation de même que d’en faire des photocopies;

Le tout sous peine d’outrage au Tribunal.


 

 

ROBERT LESSARD, j.a.t.a.q.


 

Dussault, Mayrand

Me Jessica Néron

Procureure de la partie intimée


 



[1] L.R.C. 1985, c. C-46.

[2] Pièce I-1 en liasse.

[3] RLRQ, chapitre C-24.2.

[4] 2014 QCTAQ 05207, 2014 QCTAQ 06181, 2014 QCTAQ 094 et 2013 QCTAQ 10948.

[5] Le Tribunal a autorisé une réduction du quorum à un seul membre, en vertu de l’article 82 , alinéa 3 de la Loi sur la justice administrative.