Bossé c. Tossel

2015 QCCQ 1194

COUR DU QUÉBEC

« Division des petites créances »

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

SAINT-FRANÇOIS

LOCALITÉ DE

SHERBROOKE

« Chambre civile »

N° :

450-32-016941-148

 

DATE :

12 février 2015

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SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

GILLES LAREAU, J.C.Q.

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NATHALIE BOSSÉ

Et

MAXIME VACHON

[...] Windsor, Québec, [...]

Partie demanderesse

c.

JOHANNE TOSSEL

[...] Marbleton, Québec, [...]

Partie défenderesse

Et

SUZANNE DESLOGES

ET

PIERRE DUVAL

[...] St-Rémi-de-Tingwick, Québec, [...]

Partie défenderesse en garantie

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JUGEMENT

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[1]             La Partie demanderesse, Nathalie Bossé et Maxime Vachon (DEMANDERESSE) réclame à la Partie défenderesse, Johanne Tossel (DÉFENDERESSE) la somme de 7 000,00$ en dommages comme suite des conséquences d’une infiltration d’eau dans les coins d’une verrière faisant partie d’un immeuble acquis de la DÉFENDERESSE.

[2]             La DÉFENDERESSE appelle en garantie Suzanne Desloges et Pierre Duval (DÉFENDERESSE EN GARANTIE). Ces derniers sont, dans la chaîne de titres, les propriétaires qui ont fait exécuter les travaux d’ajout de la verrière à l’immeuble.

[3]            Le recours de la DEMANDERESSE participe au régime de la responsabilité contractuelle. Il invoque deux manquements :

-                Lors de l’inspection préachat de l’immeuble par un professionnel, des indices d’infiltration d’eau sur le côté gauche de la verrière ont été dénoncés à la DÉFENDERESSE qui aurait pris l’engagement contractuel de corriger la situation. À cet égard, elle devait retirer et remplacer les matériaux endommagés. La DEMANDERESSE lui reproche de ne pas avoir exécuté cette obligation.

-                Au moment de l’exécution des travaux de réparation, la DEMANDERESSE a découvert un problème d’infiltration d’eau sur le côté droit de la verrière. Ce problème constituerait un vice caché du fait qu’il ne pouvait être constaté qu’en retirant le revêtement du muret de la verrière.

[4]            Le montant des dommages a fait l’objet d’une preuve non contredite et fut notamment confirmé par un témoin de la DÉFENDERESSE, M. Daniel Couture estimateur en bâtiment. M. Couture estime à 7 500,00$ le coût des travaux pour le remplacement du muret tel quel, sans corriger le vice de conception. Le litige se limite donc à la seule question de la responsabilité des DÉFENDERESSE et DÉFENDERESSE EN GARANTIE.

 

LES FAITS PERTINENTS   

[5]            Le 24 avril 2012, aux termes d’une promesse d’achat et contre-proposition, la DEMANDERESSE et la DÉFENDERESSE s’entendent sur les conditions de vente d’un immeuble sis au [...] à Windsor, Québec. (Pièce P-2 en liasse)

[6]             La promesse d’achat prévoit une inspection de l’immeuble par une personne désignée par la DEMANDERESSE. Cette inspection, effectuée par la firme Inspectech , donne lieu au rapport du 4 mai 2012 (le Rapport d’inspection) (Pièce P-1).

[7]            Le Rapport d’inspection souligne un problème d’infiltration d’eau dans le coin inférieur gauche de la verrière. Porté à la connaissance de la DÉFENDERESSE, les parties conviennent d’une liste de travaux correctifs dans un avenant à la promesse d’achat (Pièce P-3).

[8]            L’engagement contractuel de la DÉFENDERESSE prévoit ce qui suit : « La correction du vinyle mal installé sera faite et s’il y a lieu de remplacer des matériaux endommagés le tout sera fait. » (Pièce P-3).

[9]            De fait, LA DÉFENDERESSE a mandaté l’entreprise Vitrerie St-François . M. Jean-Guy Larochelle, son représentant, confirme qu’il n’a fait que remplacer un  morceau d’aluminium sans effectuer d’inspection des matériaux du muret se trouvant derrière le déclin d’aluminium.

[10]         Au cours de l’année 2013, la DEMANDERESSE décide de changer le plancher de la verrière pour y installer des lattes de bois franc. Peu de temps après, elle remarque une ondulation du plancher conséquente avec une infiltration d’eau. La DEMANDERESSE procède alors à une inspection de la structure du muret pour y découvrir que le bois était pourri sur toute sa longueur.

[11]          Le 16 octobre 2013, la DEMANDERESSE transmet à la DÉFENDERESSE une lettre de « Dénonciation d’un Vice caché » (Pièce P-7).

[12]         La DÉFENDERESSE ne réagit pas à la dénonciation écrite, la DEMANDERESSE reçoit cependant la visite d’un expert en sinistre et d’un évaluateur.

[13]         Le 3 janvier 2014, la DEMANDERESSE transmet une mise en demeure à la DÉFENDERESSE enjoignant celle-ci à payer la somme de 8 625,00$ dans les 10 jours de sa réception à défaut de quoi elle procèdera à l’exécution des travaux correctifs et entamera des procédures judiciaires.

[14]         La DÉFENDERESSE ne donne pas suite à la mise en demeure.

[15]         La DEMANDERESSE procède à l’exécution des travaux. Elle estime les coûts reliés à la correction du vice, sans considération des améliorations, à un montant de  9 658,26$.

[16]         Le 6 février 2014, la DEMANDERESSE dépose son recours à la Cour du Québec. Elle accepte de réduire le montant de sa réclamation à 7 000$ afin de pouvoir inscrire son recours à la Division des petites créances.

[17]         Le 22 avril 2014, la DÉFENDERESSE inscrit une défense. Elle conteste la qualification du vice. Selon elle, le vice était apparent et connu de la DEMANDERESSE. Au surplus, les travaux correctifs effectués par Vitrerie St-François auraient été acceptés par la DEMANDERESSE.

[18]          Avec sa défense, la DÉFENDERESSE appelle en garantie la DÉFENDERESSE EN GARANTIE. Il faut souligner que ces derniers n’ont reçu aucune dénonciation écrite du vice ni aucune mise en demeure préalablement à l’appel en garantie du 22 avril 2014.

 

QUESTIONS EN LITIGE

[19]          Le présent dossier soulève les questions en litige suivantes :

1-             Quelle était la nature du vice?

2-             Quelle était la portée de l’engagement contractuel de remplacer les matériaux endommagés?

3-             Le recours en garantie contre la DÉFENDERESSE EN GARANTIE est-il recevable?

 

ANALYSE

[20]          Les deux premières questions relatives à la qualification du vice et à la portée de l’engagement de réparer sont intimement liées.

[21]         Il est difficile pour la DÉFENDERESSE de prétendre d’une part à la connaissance du vice par la DEMANDERESSE et à son acceptation des travaux effectués par Vitrerie St-François d’autre part. Si le vice était apparent ou connu de la DEMANDERESSE, aurait-elle accepté des travaux purement cosmétiques?

[22]         La preuve démontre que Vitrerie St-François n’a jamais eu le mandat d’investiguer la source de l’infiltration d’eau ni de vérifier l’état de la structure derrière le déclin d’aluminium. Le témoignage de M. Jean-Guy Larochelle, un témoin de la DÉFENDERESSE, est à cet égard sans équivoque.

[23]         Le problème d’infiltration d’eau et de dégradation de la structure provient d’un vice de conception du muret de la verrière. Le témoignage de M. Daniel Couture, estimateur en bâtiment, un autre témoin de la DÉFENDERESSE, est tout aussi catégorique.

[24]         Le professeur Pierre-Gabriel Jobin, traitant de la garantie de qualité prévue à l'article 1726 du Code civil du Québec , définit comme suit ce que constitue un vice caché:

[…] le Code civil du Québec définit le vice comme une défectuosité qui rend le bien «impropre à l'usage auquel on le destine ou qui diminue tellement son utilité que l'acheteur ne l'aurait pas acheté, ou n'aurait pas donné si haut prix», s'il l'avait connue. Cette garantie s'applique au bien vendu et à tous ses accessoires.

[…] En fait, trois principales formes de vice sont reconnues. Il peut d'abord s'agir d'une défectuosité matérielle , lorsque le bien livré est détérioré ou brisé. […]

Deuxièmement, la défectuosité est plutôt fonctionnelle quand le bien est totalement ou partiellement incapable de servir à son usage normal, quelle qu'en soit la cause: mauvaise conception, fabrication incorrecte ou autre anomalie survenue subséquemment, mais avant la délivrance et affectant l'usage du bien. […]

Troisièmement, l'usage particulier peut lui aussi être pris en compte dans certaines circonstances. Il y a en effet une défectuosité conventionnelle quand le bien est incapable de servir à l'usage spécifique que les parties avaient en vue lors de la formation de la vente […] 1

[Italiques dans le texte - Emphase du Tribunal]

[25]          Il ne fait aucun doute que l’état pourri de la structure du mur de soutènement constitue un vice caché au sens de l’article 1726 du Code civil du Québec . L’obligation de diligence d’un acheteur ne va pas jusqu’à lui imposer l’obligation d’ouvrir un mur pour s’assurer que sa structure n’est pas affectée par un problème de moisissure. Au surplus, l’engagement de la DÉFENDERESSE était de corriger le problème d’infiltration d’eau et de remplacer les matériaux affectés. Eut-elle respecté son engagement contractuel, le problème de moisissure aurait été découvert et corrigé dans son entièreté.  Cet état de fait était susceptible de laisser croire à la DEMANDERESSE que ce problème avait été réglé, selon les règles de l’art, ce qui n ‘était visiblement pas le cas.

[26]         Sur le plan juridique, il importe peu que la responsabilité de la DÉFENDERESSE soit engagée en application de son obligation de garantir la qualité du bien vendu plutôt qu’en exécution de son obligation contractuelle de réparer un problème dénoncé par son promettant acheteur. La DEMANDERESSE était en droit de s’attendre à ce que la verrière soit exempte de vices qui la rende impropre à l’usage normal à laquelle elle est destinée.

[27]          La qualification de la nature du vice conserverait toute sa pertinence à l’égard de la DÉFENDERESSE EN GARANTIE si ce n’était du fait que le recours à l’égard de cette partie est irrecevable faute de lui avoir transmis, dans un délai raisonnable, un avis écrit lui dénonçant ce vice et une mise en demeure.

[28]         L’article 1739 C.c.Q. fait de l’obligation de transmettre un avis écrit dénonçant un vice caché une condition essentielle à la recevabilité du recours.

1739.  L'acheteur qui constate que le bien est atteint d'un vice doit, par écrit, le dénoncer au vendeur dans un délai raisonnable depuis sa découverte. Ce délai commence à courir, lorsque le vice apparaît graduellement, du jour où l'acheteur a pu en soupçonner la gravité et l'étendue.

 

Le vendeur ne peut se prévaloir d'une dénonciation tardive de l'acheteur s'il connaissait ou ne pouvait ignorer le vice.

 

[29]         Discutant de l'objectif et de l'importance de la dénonciation du vice et des conséquences de son absence, le professeur Jobin expose:

La raison d'être de ce préavis est de permettre au vendeur de vérifier s'il s'agit bien d'un vice couvert par la garantie, de constater les dommages causés le cas échéant, et, s'il y a lieu, d'effectuer la réparation ou le remplacement du bien à un coût inférieur à celui d'un tiers engagé par l'acheteur. […]

Le préavis constitue une condition de fond de la garantie . […] lorsqu'il n'a pas été donné et qu'aucune exemption de s'applique, l'action intentée par l'acheteur contre le vendeur doit donc en principe être rejetée, selon la jurisprudence. […] on a décidé, avec raison selon nous, que la sanction devait être radicale (rejet de l'action) uniquement lorsque l'omission du préavis a privé le vendeur de la possibilité de vérifier l'existence et la gravité du vice et de le réparer […] 2

[Italiques dans le texte - Emphase du Tribunal]

 

[30]         La jurisprudence en matière de vices cachés est claire: la dénonciation écrite préalable aux réparations est impérative et l'absence d'une telle dénonciation entraînera le rejet de l'action lorsqu'elle prive le vendeur de la possibilité de vérifier l'existence et la gravité du vice et de réparer celui-ci 3 .

[31]         Dans Immeubles Rochefort inc. c. Charest 4 , le juge Barbe mentionne que la dénonciation doit également être faite à tous les vendeurs qui peuvent faire l’objet d’une poursuite, selon la chaîne de vente, sous peine que les recours intentés à leur endroit soient rejetés.

[32]          Tel que mentionné précédemment, selon le témoignage de la DEMANDERESSE et la preuve au dossier, les coûts estimés pour réparer le vice caché s'élèvent à un montant avoisinant les 9 000 $, qui a été réduit au montant admissible pour accéder à la Division des petites créances lors de l'introduction de l'action soit, 7 000 $.

[33]         Selon la jurisprudence, l'indemnisation offerte par le Tribunal ne doit pas être une source d'enrichissement pour la victime. Ainsi, lorsqu'une plus-value est apportée au bien, suite aux réparations, il faut généralement déduire une certaine somme en conséquence 5 .

[34]         En l'espèce, la preuve démontre que les sommes déboursées par la DEMANDERESSE n'ont servi qu'à réparer le bien endommagé, sans plus. Le Tribunal est d'avis que la DEMANDERESSE ne s'est point enrichie injustement et qu'aucun montant ne doit conséquemment être escompté de la présente demande en dommages.

 

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

ACCUEILLE l’action;

CONDAMNE la défenderesse Johanne Tossel à payer à Nathalie Bossé et Maxime Vachon, la somme de 7 000 $ avec intérêts au taux légal de 5% majoré de l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 C.c.Q. depuis la réception de la mise en demeure soit le 3 janvier 2014.

Avec frais judiciaires de 169,00$.

 

REJETTE le recours en garantie.

 

 

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GILLES LAREAU, J.C.Q.

 

Date d’audience :

17 décembre 2014

 



1 Pierre-Gabriel Jobin, La vente , 3 e éd., Cowansville, Yvon Blais, 2007, au n o 154.

2 Ibid., aux n os 167 et 169. Voir également Jeffrey Edwards, La garantie de qualité du vendeur en droit québécois , 2 e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 2008, aux n os 417 à 421.

3 Thibault c. Fiducie des Saules, 2014 QCCA 154 ; Weiss c. Raschella , 2009 QCCA 2186 ; Nadeau c. Charland, 2012 QCCS 106 .

4 Immeubles Rochefort inc. c. Charest, 2009 QCCQ 535 .

5 Beaudet c. Bastien, 2007 QCCQ 13454 ; Bricault c. Ritchie, 2012 QCCQ 5593 .