Nourizadeh c. Commission scolaire de Montréal |
2015 QCCQ 1215 |
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COUR DU QUÉBEC |
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« Division des petites créances » |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
MONTRÉAL |
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« Chambre civile » |
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N° : |
500-32-132118-128 |
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DATE : |
25 février 2015 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE |
L’HONORABLE |
DOMINIQUE VÉZINA, J.C.Q. |
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NADER NOURIZADEH -et- SHAFIE ZADEH-RASHTI FATEMEH d emandeurs personnellement et à titre de tuteurs pour leur enfant mineur MADAD NOURIZADEH |
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c. |
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COMMISSION SCOLAIRE DE MONTRÉAL |
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défenderesse |
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JUGEMENT |
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[1] Nader Nourizadeh ( le père ) et Shafie Zadeh-Rashti Fatemeh ( la mère ) réclament 7 000 $, en leurs noms personnels et à titre de tuteurs de leur fils mineur Madad Nourizadeh ( Madad ), de la Commission scolaire de Montréal (la CSM) pour des dommages découlant d’un accident survenu le 8 février 2008 dans une aire de jeux extérieurs à l’école, alors que Madad est au service de garde de l’école, sous la responsabilité de la CSM.
[2] La CSM nie devoir ce montant, invoquant l’absence de faute dans la surveillance exercée ou dans l’entretien des lieux.
A) Le père et la mère (tant personnellement qu’à titre de tuteurs de Madad) ont-ils établi la faute génératrice de responsabilité de la CSM quant :
i) à la décision de laisser sortir les enfants;
ii) aux instructions données aux enfants pour jouer;
iii) à la surveillance de Madad;
iv) aux soins apportés à Madad suite à l’incident;
v) à l’entretien de l’aire de jeux.
B) Quels sont les dommages subis par le père, la mère et Madad en lien avec l’incident?
[3] Le 8 février 2008, Madad, âgé de cinq ans, va à la maternelle, dans une école de la CSM.
[4] Sur l’heure du dîner, les enfants vont jouer dehors. C’est alors que Madad se blesse à la jambe.
[5] Le père et la mère de Madad reprochent à la CSM d’avoir laissé sortir les enfants ce jour-là, malgré les conditions climatiques prévalant. Ils reprochent également à la CSM le défaut de surveillance et le non-respect des ratios surveillants/enfants ainsi qu’un défaut d’entretien des lieux. Ils décident d’intenter un recours contre la CSM.
[6] En matière civile, celui qui veut faire valoir un droit doit prouver les faits qui justifient ses prétentions [1] . À cet égard, le fardeau de la preuve repose sur la partie qui présente une demande. Celle-ci doit présenter une preuve selon la balance des probabilités qu’on appelle une preuve prépondérante. Ceci signifie que le père, la mère et Madad doivent démontrer que leurs prétentions factuelles sont plus probables que leur inexistence [2] .
[7] Les éléments de preuve sont soupesés par le Tribunal. La probabilité est évaluée selon la preuve directe, les circonstances, les références et les présomptions [3] .
A) Le père et la mère (tant personnellement qu’à titre de tuteurs de Madad) ont-ils établi la faute génératrice de responsabilité de la CSM quant :
i) à la décision de laisser sortir les enfants;
ii) aux instructions données aux enfants pour jouer;
iii) à la surveillance de Madad;
iv) aux soins apportés à Madad suite à l’incident;
v) à l’entretien de l’aire de jeux.
[8] Pour conclure, dans le cadre de son analyse, le Tribunal réfère aux faits pertinents qui se dégagent de l’ensemble de la preuve.
[9] L’accident de Madad survient dans l’aire de jeux extérieurs utilisée par la CSM [4] . La surveillante du groupe des enfants dont fait partie Madad s’occupe de 16 ou 17 enfants. Elle explique que Madad grimpe une première fois sur la glissoire, en empruntant la base de celle-ci au lieu d’utiliser l’escalier. Elle l’avertit une première fois.
[10] Constatant que Madad n’écoute pas, elle l’avertit une seconde fois et le met en retrait pour une période de réflexion de cinq minutes.
[11] Après ce temps de retrait, elle lui dit qu’il peut retourner jouer et se retourne.
[12] C’est alors que l’accident survient.
[13] Une autre surveillante retrouve Madad, en pleurs, à côté de la base de la glissoire.
[14] Seul le père de Madad témoigne à l’audience. Il explique que Madad a peut-être été poussé ou est tombé dans les escaliers. Toutefois, n’étant pas présent sur les lieux, il ne peut être affirmatif sur les circonstances de l’accident, contrairement à la CSM qui fait entendre trois témoins présents ce jour-là.
[15] Tout d’abord, la CSM établit les critères analysés par l’école pour déterminer si les enfants peuvent sortir jouer dehors. Ainsi, selon leurs directives, ces derniers peuvent y aller, à moins que la température ne soit inférieure à -25°C.
[16] Le sommaire météorologique du mois de février 2008 indique que la veille de l’accident, une faible neige intermittente tombe. Elle cesse en matinée, le 8 février 2008, avec quelques flocons en après-midi. La température oscille de -1,7 à -9,4°C. Il y a 14 cm de neige au sol [5] .
[17] Les conditions climatiques n’empêchent donc pas les enfants de sortir ce jour-là.
[18] La CSM établit aussi les consignes répétées aux enfants :
- aller aux toilettes avant de sortir;
- ne pas courir;
- faire la ligne pour monter sur la glissoire;
- utiliser les escaliers;
- glisser un à la fois;
- attendre avant de glisser que l’autre ait terminé.
[19] Les trois responsables du service de garde expliquent que ces consignes sont répétées quotidiennement aux enfants puisqu’ils sont jeunes et qu’ils ont tendance à oublier.
[20] Selon la balance des probabilités, ces mêmes consignes sont données à Madad, le jour de l’incident.
[21] Le 8 février 2008, le père de Madad ignore combien d’enfants sont sous la responsabilité de la surveillante.
[22] Or, ce jour-là, la CSM respecte les ratios du règlement [6] sur les services de garde en milieu scolaire :
6. Le nombre d'élèves par membre du personnel de garde dans un service de garde en milieu scolaire ne doit pas dépasser 20 élèves présents.
[23] De plus, le personnel surveillant de la CSM est formé et encadré [7] .
[24] À l’audience, la responsable du service de garde et les deux surveillantes lors du dîner du 8 février 2008 en témoignent. Elles confirment le mécanisme en place pour avertir les élèves dont le comportement est inadmissible : avertissements et retrait pour réflexion.
[25] Un rapport d’incident est rédigé le jour-même. La surveillante y note que Madad lui a dit avoir sauté et qu’il y avait de la glace [8] .
[26] Suite à l’accident, Madad est conscient et est transporté à l’intérieur de l’école dans les bras d’une surveillante.
[27] Un délai de 40 minutes s’écoule, expliqué par le fait que l’école a de la difficulté à joindre les parents puisque les numéros au dossier de Madad ne sont pas à jour.
[28] L’école parvient toutefois à rejoindre la mère qui travaille dans une autre école à proximité.
[29] Pendant cette période, l’école administre les premiers soins à Madad et utilise sa trousse à cet égard.
[30] Selon la CSM, il y a refus de partir en ambulance et la mère quitte plutôt avec Madad et une éducatrice de l’école.
[31] La demande plaide que la prise en charge après l’incident est fautive. Elle s’appuie sur les commentaires du Dr Godin. Celui-ci commente cette prise en charge de Madad par la CSM suite à l’incident et suggère la révision des mesures d’urgence. Son analyse repose sur une version des faits donnés par les parents ou par leur avocate. Dr Godin est absent à l’audience. Il n’a pas bénéficié de toute la preuve et s’aventure dans un domaine qui relève de l’appréciation du Tribunal plutôt que d’un expert en orthopédie [9] .
[32] Selon la preuve, rien n’indique une faute dans la prise en charge et rien n’en établirait un lien de causalité avec les dommages réclamés.
[33] Le juge François Bousquet [10] traite de faits similaires dans Prairie c . Centre de la petite enfance Imagémo . Il rappelle :
[17] Les tribunaux ont souvent affirmé que le responsable d'un lieu n’a pas l’obligation de prévenir tous les accidents possibles mais seulement ceux qui sont prévisibles :
"Il se peut qu'il était possible qu'un accident semblable arrivât. Mais ce n'est pas là le critère qui doive servir à déterminer s'il y a eu oui ou non négligence. La loi n'exige pas qu'un homme prévoie tout ce qui est possible. On doit se prémunir contre un danger à condition que celui-ci soit assez probable, qu'il entre ainsi dans la catégorie des éventualités normalement prévisibles. Exiger davantage et prétendre que l'homme prudent doive prévoir toute possibilité, quelque vague qu'elle puisse être, rendrait impossible toute activité pratique.»
«One principle emerges upon which there is universal agreement, namely, that whether or not an act or omission is negligent must be judged not by its consequences alone but also by considering whether a reasonable person should have anticipated that what happened might be a natural result of that act or omission. »
«…il convient de rappeler que le «bon père de famille» n'est pas l'homme qui prévoit toujours tous les obstacles susceptibles de se dresser entre lui et l'accomplissement de son devoir, et qui ne manque jamais d'être en l'état de les vaincre; c'est celui dont la prudence est à la mesure de la probabilité et de la gravité des risques normalement prévisibles et qui, pour empêcher que ceux-ci ne se réalisent, prend les mesures qu'il est raisonnable d'adopter dans les circonstances, eu égard aux difficultés que leur adoption peut présenter et à l'importance de l'intérêt qu'il a à sauvegarder.»
«Quant aux principes devant établir la responsabilité des surveillants et même de l'exploitant du Centre de sports, il faut retenir qu'il s'agit pour eux d'une obligation de moyens raisonnables et non pas d'une obligation de résultat. Ces personnes n'agissent pas comme les assureurs des usagés mais, les enseignants agissant in loco parentis doivent faire preuve de la diligence raisonnable pour éviter les risques raisonnablement prévisibles auxquels les élèves sont confrontés, compte tenu des circonstances, tout comme le propriétaire a l'obligation d'empêcher que ne se créent des situations dangereuses dépassant le cap des risques inhérents à l'activité proposée.»
«L'obligation de la partie défenderesse n'est pas une obligation de résultat et il ne peut y avoir faute que si le dommage était prévisible. La faute, qu'elle soit contractuelle ou extracontractuelle, n'existe que si l'on a pu prévenir le dommage. L'obligation de sécurité ne peut être une obligation de résultat.(…)Une distinction existe entre un accident qui est " possible " et un accident qui est " probable "»
[18] Ce principe doit évidemment être appliqué en tenant compte des circonstances de chaque cas et la demanderesse plaide avec raison que le «standard» de prévisibilité est plus élevé à l'égard de la sécurité de jeunes enfants.
[19] C'est la demand eresse qui a le fardeau de prouver que l'accident était prévisible en raison de l'insuffisance d'espace à l'endroit de l'accident (…) :
[références omises]
[34] La Cour d’appel dans X c . Commission scolaire des Portages-de-l’Outaouais [11] , encadre l’obligation de surveillance :
[32] Les institutions scolaires et leurs professeurs doivent faire preuve de prudence et de diligence dans le cadre de la surveillance des élèves, ce qui oblige à interrompre toutes activités qui ne se dérouleraient pas dans des conditions normales et adéquates. Dans Myers c. Peel County Board of Education , le juge McIntyre rappelle que la norme de diligence est celle d’un parent prévoyant et prudent et que son application dépend des faits de l’espèce :
La norme de diligence à laquelle doivent satisfaire les autorités scolaires en assurant la surveillance et la protection d’élèves dont elles sont responsables est celle d’un parent prévoyant ou prudent, norme énoncée dans Williams v. Eady . […] Il ne s’agit cependant pas d’une norme que l’on peut appliquer de la même manière et dans la même mesure dans chaque cas. Son application variera d’un cas à l’autre et sera fonction du nombre d’élèves surveillés à un moment donné, de la nature de l’exercice ou de l’activité en cours, de l’âge des élèves, du niveau d’habileté et du degré d’entraînement qu’ils ont pu recevoir relativement à cette activité, de la nature et de l’état de l’équipement employé au moment considéré, de la compétence et de la capacité des élèves concernés et d’une foule d’autres facteurs qui peuvent varié beaucoup mais qui, dans un cas donné, peuvent avoir une incidence sur l’application de la norme du parent prudent au comportement de l’autorité scolaire dans les circonstances.
[références omises]
[35] Le jour de l’incident, le service de garde gère Madad, averti à deux reprises, par la surveillante de cesser de mal utiliser la glissoire.
[36] Selon la balance des probabilités, Madad a fait une manœuvre malheureuse, ce qui explique l’incident.
[37] La CSM s’occupe alors de lui jusqu’à sa prise en charge par sa mère.
[38] Ni le père ni la mère n’établissent un manque de surveillance ou une faute quant aux instructions données ou à la gestion de l’incident.
[39] De plus, ni le père, ni la mère de Madad n’établissent en quoi la structure de jeux constitue en soi un danger.
[40] Certes, à cette date, des conditions hivernales prévalent. De la neige recouvre le sol et la base de l’escalier [12] .
[41] Le juge Louis Crête dans Ammoura c . Lester B. Pearson School Board [13] commente la recension faite par le juge Maurice Lagacé quant aux principes et lignes directrices applicables en lien avec des chutes sur des trottoirs glacés ou enneigés. En bref, cela confirme la nécessité pour le père et la mère de Madad d’établir la faute de la CSM ainsi que de sa négligence.
[42] Les chutes en hiver sont un fait de la vie au Québec.
[43] Le Tribunal ignore dans quelles circonstances précises la chute arrive.
[44] Quoiqu’il s’agisse d’un malheureux accident, le Tribunal conclut que le père et la mère de Madad n’ont pas établi une faute génératrice de responsabilité de la CSM.
B) Quels sont les dommages subis par le père, la mère et Madad en lien avec l’incident?
[45] En raison de la compétence de la Cour du Québec, division des petites créances, le père et la mère réclament 6 000 $ pour Madad et réclament personnellement chacun 500 $ pour différentes dépenses et inconvénients.
[46] Le Dr Godin [14] examine Madad lorsqu’il a huit ans et ne peut expliquer avec certitude comment la fracture s’est produite :
(…) I l est impossible toutefois de savoir avec certitude si la fracture s’est produite au moment où son pied droit s’est coincé dans une fente de la glace qui se trouvait près de l’escalier ou lorsque la surveillante a fait des mouvements pour le sortir de cette situation précaire (…)
Madad présente actuellement plus de deux ans après sa fracture un excellent résultat clinique. Il fonctionne normalement. Son examen ne montre aucune déformation résiduelle et il n’y a pas non plus d’inégalité de longueur des membres inférieurs. Les parents de Madad confirment par ailleurs qu’il a repris toutes les activités physiques que l’on peut s’attendre d’un enfant de 8 ans.
[47] Le dossier médical de Madad est volumineux [15] . Madad reste à l’hôpital 27 jours. Pendant cette période, un des deux parents est avec lui, 24 heures sur 24 heures, avec des impacts sur leur vie personnelle respective.
[48] Après cela, Madad sort de l’hôpital avec un plâtre qui va de la poitrine jusqu’aux orteils. Il conserve ce plâtre pendant un mois et ses parents restent avec lui. Des douleurs et inconvénients en découlent.
[49] Le père de Madad dépose un relevé de leurs dépenses [16] .
[50] N’eut été de la conclusion du Tribunal sur la responsabilité, le Tribunal aurait alloué 6 000 $ à titre de dommages à Madad et 500 $ pour chaque parent, pour un total de 7 000 $.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
REJETTE le recours des demandeurs Nader Nourizadeh et Shafie Zadeh-Rashti Fatemeh, en leurs noms personnels et à titre de tuteurs de leur enfant Madad Nourizadeh;
CONDAMNE les demandeurs Nader Nourizadeh et Shafie Zadeh-Rashti Fatemeh, en leurs noms personnels et à titre de tuteurs de leur enfant Madad Nourizadeh, à payer les frais judiciaires de 199 $ à la défenderesse Commission scolaire de Montréal.
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__________________________________ DOMINIQUE VÉZINA, J.C.Q. |
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Date d’audience : |
1 er décembre 2014 |
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[1]
Art.
[2]
Art.
[3]
Art.
[4] Pièce D-2 : voir l’endroit encerclé sur la photo.
[5] Pièce D-4 : Aéroport Pierre Elliott-Trudeau.
[6] RLRQ c. I-13.3 r.11.
[7] Pièce D-1 : Consignes remises en début d’année et approuvées par le conseil d’établissement.
[8] Pièce P-6.
[9] Pièce P-5.
[10] 2005 CanLII 17139 (QCCQ).
[11]
[12] Pièce P-7 : Photos prises deux jours après l’accident.
[13]
[14] Pièce P-5.
[15] Pièce P-3 : Rapport du 12 avril 2010.
[16] Pièce P-8.