Québec (Procureur général) c. Montcalm

2015 QCCQ 1358

 

COUR DU QUÉBEC

Division administrative et d'appel

 

 

 

CANADA

 

PROVINCE DE QUÉBEC

 

DISTRICT DE

MONTRÉAL

 

« Chambre civile »

 

N° :

500-80-026623-133

 

 

DATE :

 9 février 2015

______________________________________________________________________

 

 

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE L’HONORABLE MARTINE L. TREMBLAY, J.C.Q.

 

______________________________________________________________________

 

 

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU QUÉBEC

 

Appelant/Intimé incident

 

c.

 

 

 

Me NORMAN MONTCALM

 

Intimé/Appelant incident

 

et

 

 

 

COMMISSION D’ACCÈS À L’INFORMATION DU QUÉBEC

 

Mise en cause

 

______________________________________________________________________

 

 

 

JUGEMENT

 

______________________________________________________________________

 

 

 

[1]            Le Procureur général du Québec («  PGQ  ») appelle en partie la décision [1] du 21 août 2013 de la Commission d’accès à l’information du Québec («  CAI  »), qui accueille en partie la demande de Me Norman Montcalm («  Me Montcalm  ») pour révision de la décision du ministère du Conseil exécutif («  MCE  ») refusant l’accès à des documents relatifs à la préparation du projet de loi intitulé Loi sur le recouvrement du coût des soins de santé et des dommages-intérêts liés au tabac (le «  Projet de loi  »).

[2]            Me Montcalm formule un appel incident pour obtenir communication de quatre lettres transmises par des tiers au premier ministre et au ministre de la Santé et des Services sociaux («  Ministre de la Santé  ») concernant directement ou indirectement le Projet de loi.

LES FAITS

[3]            Le 19 juin 2009, la Loi sur le recouvrement du coût des soins de santé et des dommages-intérêts liés au tabac [2] («  Loi sur le recouvrement  ») est adoptée. Elle reconnaît au gouvernement du Québec le droit de réclamer le coût des soins de santé liés au tabac qu’il a assumé directement des fabricants de produits de tabac.

[4]            Le 25 août 2009, une requête attaquant la constitutionnalité de la Loi sur le recouvrement est déposée devant la Cour supérieure.

[5]            Le 15 juin 2011, dans le cadre du dossier en Cour supérieure contestant la constitutionnalité de la Loi sur le recouvrement , le PGQ dépose une requête en annulation d’un subpoena duces tecum , qui est accueillie le 23 février 2012 [3] . Une requête pour permission d’appeler de ce jugement est produite à la Cour d’appel le 27 mars 2012.

[6]            Le 29 novembre 2011, Me Montcalm transmet une demande d’accès à l’information auprès du MCE pour obtenir :

-        Tout document préparé au sein du Ministère du Conseil exécutif entre le 1 er janvier 2008 et le 19 juin 2009 et portant sur le projet de Loi no 43 intitulé «  Loi sur le recouvrement du coût des soins de santé et des dommages-intérêts liés au tabac » ;

-        Tout document transmis au Ministère du Conseil exécutif entre le 1 er janvier 2008 et le 18 novembre 2009 par un autre organisme public relevant de l’autorité du gouvernement du Québec ou par un organisme public relevant de l’autorité du gouvernement du Canada au sujet du projet de loi no 43 intitulé «  Loi sur le recouvrement du coût des soins de santé et des dommages-intérêts liés au tabac  » ;

-        Tout document transmis au Ministère du Conseil exécutif entre le 1 er janvier 2008 et le 18 novembre 2009 par un tiers et plus particulièrement par la Société canadienne du Cancer, la Coalition québécoise pour le contrôle du tabac (CQCT), l’Association pour les droits des non-fumeurs, bureau du Québec (ADNF), les Médecins pour un Canada sans fumée, le Conseil québécois sur la santé et le tabac ou un représentant de l’un ou l’autre de ces organismes, au sujet du projet de loi no 43 intitulé «  Loi sur le recouvrement du coût des soins de santé et des dommages-intérêts liés au tabac  » ou sur l’opportunité de modifier les règles de droit applicables à un recours individuel ou à un recours collectif contre les fabricants de tabac;

-        Tout document transmis par le Ministère du Conseil exécutif entre le 1 er janvier 2008 et le 18 novembre 2009 à des tiers, notamment aux organismes mentionnés dans le paragraphe précédent, au sujet de leurs demandes relatives à l’adoption de la «  Loi sur le recouvrement du coût des soins de santé et des dommages-intérêts liés au tabac  » ou au sujet de modifications devant être apportées au projet de loi no 43 avant qu’il ne devienne loi.

[7]            Cette demande est l’aboutissement des démarches de Me Montcalm depuis le 18 novembre 2009, pour obtenir divers documents relatifs à l’élaboration de la Loi sur le recouvrement .

[8]            Le 19 décembre 2011, le MCE refuse de communiquer entièrement les documents qu’il détient en invoquant qu’il s’agit de renseignements protégés en vertu des articles 14, 30, 33, 34 et 37 de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels [4] («  Loi sur l’accès  »).

[9]            Le 22 décembre 2011, Me Montcalm transmet à la CAI une demande de révision de la décision du MCE aux termes de l’article 135 de la Loi sur l’accès .

[10]         Le 8 juin 2012, le PGQ introduit un recours en dommages-intérêts [5] réclamant 60 657 392 273 $ à plusieurs fabricants de tabac, soit le coût des soins de santé liés au tabac qu’il assume depuis l’entrée en vigueur du régime universel d’assurance maladie en 1970.

[11]         Des audiences se tiennent le 24 septembre et le 18 décembre 2012 dans ce dossier et dans un dossier connexe, où Lamarre, Linteau et Montcalm (« LLM ») demande la révision d’une décision [6]  du Ministère de la Santé et des Services sociaux («  MSSS »), refusant l’accès à certains documents (le «  Dossier connexe  »).

[12]         Entre-temps, Le 5 décembre 2012, la Cour d’appel rejette [7] la requête pour permission d’appeler du jugement de la Cour supérieure du 23 février 2012 ayant cassé le subpoena duces tecum dans le cadre du dossier attaquant la constitutionnalité de la Loi sur le recouvrement .

[13]         Le 21 août 2013, la CAI accueille en partie la demande de révision et ordonne au MCE de communiquer les documents suivants [8]  :

·         Le sommaire (onglet 1) à l’exception de la section recommandation aux  pages 6 et 7.

·         Le mémoire (onglet 2) à l’exception de la section recommandation aux pages 14 et 15.

·         La partie « contexte » de l’analyse du Secrétariat des comités ministériels (onglet 6).

·         La correspondance contenue à l’onglet 7, à l’exception du quatrième paragraphe de la deuxième lettre.

·         Le sommaire du Secrétariat du comité ministériel (onglet 8), à l’exception de la deuxième partie.

[14]         Par son appel, le PGQ demande l’annulation de la conclusion ordonnant au MCE de communiquer les documents suivants, sauf les extraits protégés :

-         le sommaire (onglet 1);

-         le mémoire  (onglet 2);

-         la note complémentaire au Conseil des ministres que la CAI déclare accessible au paragraphe 144 de la décision (onglet 3);

-         la partie « contexte » de l’analyse du Secrétariat des comités ministériels; (onglet 6);

-         la deuxième lettre transmise au MCE (onglet 7);

-         le sommaire du Secrétariat du comité ministériel (onglet 8);

[15]         En résumé, pour ces documents, le PGQ attaque les conclusions de la CAI voulant :

a)      que l’article 33 al. 1 (2) de la Loi sur l’accès ne protège pas le sommaire d’un mémoire ministériel (onglet 1), le mémoire ministériel (onglet 2) et la note complémentaire d’un ministre (onglet 3), ces documents étant communiqués à plus d’un membre du Conseil des ministres;

b)      que l’article 33 al. 1 (2) de la Loi sur l’accès ne protège pas en raison de leur nature accessoire l’analyse du Secrétariat des comités ministériels (onglet 6) et le Sommaire du Secrétariat des comités ministériels (onglet 8) contenant des renseignements provenant ou ayant servi à la confection du mémoire ministériel ;

c)      que l’article 34 de la Loi sur l’accès ne protège pas le sommaire d’un mémoire ministériel (onglet 1), le mémoire ministériel (onglet 2) et la note complémentaire d’un ministre (onglet 3) puisqu’ils ne sont pas des documents du cabinet d’un ministre au sens de cette disposition;

d)      que l’article 37 de la Loi sur l’accès ne protège pas la deuxième lettre à l’exception du quatrième paragraphe (onglet 7) puisqu’elle ne remplit pas les conditions d’application de cet article;

[16]         Par son appel incident, Me Montcalm demande qu’il soit ordonné au MCE de communiquer les quatre lettres transmises par des tiers au premier ministre et au Ministre de la Santé concernant directement ou indirectement le Projet de loi (onglets 10 à 13). La CAI a refusé ayant conclu que la Loi sur la transparence et l’éthique en matière de lobbyisme [9] (la «  Loi sur le lobbyisme  ») ne confère pas un caractère public à la correspondance entre un lobbyiste et un ministre et que ces lettres sont par ailleurs des «  documents du cabinet  » du ministre protégés par l’article 34 de la Loi sur l’accès .

QUESTIONS EN LITIGE

[17]         Sur l’appel principal, le PGQ propose les questions suivantes :

            1.      La CAI a-t-elle commis une erreur de droit en n’appliquant pas le jugement de la Cour du Québec dans Québec (Ministre des Finances) c. David [10] pour interpréter le paragraphe 2 du premier alinéa de l’article 33 de la Loi sur l’accès ?

            2.      La CAI a-t-elle commis une erreur de droit dans l’interprétation de ce qu’est une «  communication d’un membre du Conseil exécutif à un autre membre de ce conseil  », au sens du paragraphe 2 du premier alinéa de l’article 33 de la Loi sur l’accès ?

            3.      La CAI a-t-elle commis une erreur de droit dans l’interprétation de ce qu’est un « d ocument du cabinet d’un ministre  » au sens de l’article 34 de la Loi sur l’accès ?

            4.      La CAI a-t-elle commis une erreur de droit dans l’interprétation de l’article 37 de la Loi sur l’accès ?

[18]         De son côté, l’appel incident de LLM soumet les questions suivantes :

            A.     La CAI a-t-elle commis des erreurs de fait manifestes et déterminantes, erreurs de droit et erreurs de compétence qui l’ont amenée à conclure à tort que la correspondance en litige (onglets 10 à 13) est protégée par l’article 34, alinéa 2, de la Loi sur l’accès ?

            B.     Subsidiairement, si cette Cour devait conclure que la CAI a correctement interprété et appliqué l’article 34 de la Loi sur l’accès , la CAI a-t-elle néanmoins commis des erreurs de fait manifestes et déterminantes, erreurs de droit et erreurs de compétence qui l’ont amenée à conclure à tort que la Loi sur le lobbyisme ne confère pas un caractère public à la correspondance en litige, en tout ou en partie?

LA NORME DE CONTRÔLE APPLICABLE

[19]         Dans un premier temps, le PGQ soutient que la Loi sur l’accès donne à la Cour du Québec un véritable pouvoir de siéger en appel de la décision de la CAI. Il écrit :

Confiner l’objet de l’appel à la simple attestation du caractère raisonnable des solutions avancées par la CAI pour délimiter le droit d’accès et ses restrictions serait inconciliable avec une hiérarchisation cohérente et efficace des différents paliers décisionnels instaurés par le législateur. [11]

[20]         De nombreux arrêts de la Cour suprême du Canada (la «  Cour suprême  ») et de la Cour d’appel [12] imposent à notre Cour d’appliquer les concepts qui régissent la révision judiciaire lorsqu’elle siège en appel des décisions de la CAI [13] .

[21]         Tel que le signalait le juge Keable dans Beaudin c. Simard [14] , tant que des amendements législatifs ne seront pas apportés ou que la Cour suprême n’aura pas été convaincue, la théorie du PGQ sur l’existence d’un véritable droit d’appel doit être ignorée.

[22]         Subsidiairement, le PGQ plaide que le Tribunal doit utiliser la norme de la décision correcte pour décider de l’ensemble des questions soumises par l’appel et l’appel incident. Il justifie cet emploi par le fait que toutes les questions soumises concernent des restrictions imposées au droit d’accès édicté par le législateur en vue de préserver le secret des travaux préparatoires aux délibérations du Conseil exécutif, le secret des documents de cabinets ministériels, ainsi que le secret dont doivent bénéficier les documents qui sont couverts par le privilège relatif au litige et par le secret professionnel.

[23]         À l’opposé, Me Montcalm plaide que le Tribunal doit appliquer la norme de la décision raisonnable, sauf pour la question soulevée par son appel incident sur les droits d’accès conférés par la Loi sur le lobbyisme où il  y aurait lieu d'appliquer la norme de la décision correcte.

[24]         Le Tribunal reconnaît que lorsqu’un appel soulève plusieurs questions, les deux normes de contrôle peuvent coexister.

[25]         Dans Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers Association [15] , la Cour suprême statue qu’ «  il convient de présumer que l’interprétation par un tribunal administratif de sa propre loi constitutive ou [d’] une loi étroitement liée […] est une question d’interprétation législative commandant la déférence en cas de contrôle judiciaire  ».

[26]         Il peut donc être présumé que les questions afférentes à l’interprétation et l’application de la Loi sur l’accès , qui est la loi constitutive de la CAI [16] , ou de toute autre loi étroitement liée au mandat de la CAI, oblige notre Cour à faire preuve de déférence à l’égard de la décision et à contrôler celle-ci en fonction de la norme de la décision raisonnable [17] .

[27]         Par ailleurs, dans Rogers Communications Inc . c. Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique [18] , la Cour suprême précise que l’arrêt Alberta Teacher s’ [19] ne modifie pas le principe établi par l’arrêt Dunsmuir c . Nouveau-Brunswick [20] voulant que la norme de la décision correcte s’applique :

a)      aux questions constitutionnelles;

b)      aux questions de droit général qui revêtent une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble et qui sont étrangères au domaine d’expertise du décideur, ces conditions étant cumulatives;

c)      aux questions portant sur la délimitation des compétences respectives de tribunaux spécialisés concurrents; et

d)      aux questions touchant véritablement à la compétence.

[28]         De plus, dans McLean c. Colombie-Britannique (Securities Commission) [21] , la Cour suprême précisait que la présomption favorable à la norme de la décision raisonnable établie par l’arrêt Alberta Teachers’ n’est pas immuable :

[22]       Or, la présomption dans Alberta Teachers n’est pas immuable. D’abord, notre Cour reconnaît depuis longtemps que certaines catégories de questions, même lorsqu’elles emportent l’interprétation d’une loi constitutive, sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte ( Dunsmuir , par. 58-61). Ensuite, elle affirme également qu’une analyse contextuelle peut « écarter la présomption d’assujettissement à la norme de la raisonnabilité de la décision qui résulte d’une interprétation de la loi constitutive » ( Rogers Communications inc. c. Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique , 2012 CSC 35 , [2012] 2 R.C.S. 283 , par. 16).

[29]         Avec ces principes à l’esprit, il y a donc lieu de déterminer la norme de contrôle applicable à chacune des interprétations par la CAI de sa loi constitutive et de la Loi sur le lobbyisme , faisant l’objet de l’appel et de l’appel incident.

La norme de contrôle applicable aux questions en litige traitant des articles   33 , 34 et 37 de la Loi sur l’accès

[30]         Les décisions de la CAI interprétant et appliquant les articles 33 et 34 de la Loi sur l’accès reposent en grande partie sur ses décision dans D.T . c. Québec (Ministère du Conseil exécutif) [22] et D.T . c. Québec (Ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale) [23] , qui ont elles-mêmes été portées en appel devant cette Cour et font l’objet de décisions [24] .

[31]         Dans ces affaires, D.T . veut obtenir plusieurs documents, dont 18 mémoires soumis au Conseil des ministres dans le dossier des orphelins de Duplessis. Le PGQ plaide que ces mémoires sont protégés par les articles 33, al. 1 (2) et 34 de la Loi sur l’accès . Il soutient, tout comme dans la présente affaire, que le privilège de common law rattaché au secret des délibérations du Conseil des ministres protège ces mémoires et que le contrôle judiciaire doit utiliser la norme de la décision correcte.

[32]         Procédant à une analyse des quatre facteurs contextuels identifiés par la Cour suprême dans Dunsmuir [25] , notre Cour conclut que la clause privative de la Loi sur l’accès [26] et l'article qui en limite les cas d’appel [27] ; l’objet de la loi et des dispositions particulières en cause; la nature des questions en litige; et l’expertise relative de la CAI par rapport à celle de la Cour de révision sur le point en litige justifient le recours à la norme de la décision raisonnable.

[33]         Le Tribunal partage cette opinion et la fait sienne pour conclure qu’il y a lieu d’appliquer la norme de la décision raisonnable aux questions du PGQ et de LLM remettant en cause les conclusions de la CAI résultant de son interprétation et application non seulement des articles 33, al. 1 (2) et 34, mais également de l’article 37 de la Loi sur l’accès. En effet, les réponses aux questions soumises en lien avec ces articles dépendent de l’application des faits en l’espèce à des dispositions relevant de la compétence spécialisée de la CAI.

[34]         Le secret des délibérations du Conseil des ministres invoqué par le PGQ n’élève pas au rang des questions d’ordre constitutionnel celles tranchées par la CAI.

[35]         En effet, dans Macdonell c. Québec (Commission d’accès à l’information) [28] , la Cour suprême se penche sur le refus de la CAI de donner accès à des documents d’un député de l’Assemblée nationale. Cet arrêt souligne l’importance pour le système parlementaire canadien de notions toutes aussi centrales que celles protégeant les délibérations des ministres. Or, la Cour suprême écrit [29]  :

[…] L’article 43 de la Loi sur l’Assemblée nationale , L.R.Q., ch. A-23.1, démontre l’importance que le législateur accorde à l’indépendance des députés :

43.   Un député jouit d’une entière indépendance dans l’exercice de ses fonctions. [Je souligne.]

La Loi sur l’accès protège et concilie deux principes fondamentaux de notre démocratie : l’accès à l’information et l’indépendance des députés. Le législateur le fait en limitant la portée de chacun. Il faut considérer ces deux droits en corrélation sans donner préséance à l’un ou l’autre, à moins d’indication contraire dans la loi, et respecter la volonté du législateur à cet égard.

[36]         Le Tribunal conclut donc qu’il n’y a pas lieu d’appliquer la norme de la décision correcte lorsqu’il s’agit du privilège de l’exécutif, dans un contexte où, en raison de l’adoption de la Loi sur l’accès  :

Le gouvernement et ses organismes ne peuvent plus désormais se réfugier derrière le silence administratif ou le droit au secret pour, d’une part, refuser de dévoiler des informations même sensibles et, d’autre part, éviter de subir l’imputabilité de leurs décisions. [30]

[37]         Par ailleurs, le Tribunal estime que la première question soumise par le PGQ est une composante de la deuxième qui concerne l’article 33 , al. 1 (2) de la Loi sur l’accès . En effet, la CAI a refusé de suivre une décision antérieure de notre Cour traitant de la question, un exercice qui relève de sa compétence. Or, si la CAI a erré dans l’application de la règle du stare decisis , une règle de droit général d’une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble et qui est étrangère à son domaine d’expertise, il se pourrait que sa décision ne puisse pas se justifier au regard du droit, avec les conséquences que cela pourrait avoir sur le caractère raisonnable de la décision.

La norme de contrôle applicable à l’interprétation par la CAI de la Loi sur le lobbyisme

[38]         Les parties plaident que la norme de la décision correcte doit prévaloir pour procéder à la révision judiciaire de la décision de la CAI relativement à l’interprétation et à l’application de la Loi sur le lobbyisme . Le PGQ invoque la spécificité et l’utilité du droit d’appel prévues à la Loi sur l’accès, alors que Me Montcalm s’appuie sur le fait que la Loi sur le lobbyisme n’est ni la loi constitutive de la CAI ni une loi étroitement liée à son mandat.

[39]         Le Tribunal préfère au choix des parties, celui qui s’impose [31] en raison de la récente décision de la Cour suprême dans Ontario (Sécurité communautaire et Services correctionnels) c. Ontario (Commissaire à l’information et à la protection de la vie privée) [32] , qui établit de manière satisfaisante le degré de déférence requis, soit la norme de la décision raisonnable.

[40]         En effet, la CAI devait décider si le paragraphe 1 o de l’article 171 de la Loi sur l’accès permet de neutraliser la restriction imposée par son article 34, sous prétexte que la demande d’accès vise des renseignements accessibles en vertu de la Loi sur le lobbyisme , soit la date, l’objet et le nom des auteurs de la correspondance adressée au Ministre de la Santé et au premier ministre.

[41]         La CAI devait donc interpréter la Loi sur le lobbyisme dans le but précis de déterminer si celle-ci prévoit un régime d’accès plus généreux que la Loi sur l’accès , l’objectif du paragraphe 1 o de l’article 171 étant justement de préserver un tel régime.

[42]         La tâche de la CAI dans ce dossier était donc similaire à celle de la Commissaire ontarienne dans l’arrêt Ontario (Sécurité communautaire et Services correctionnels) , qui était contrainte d’interpréter la Loi Christopher de 2000 sur le registre des délinquants sexuels [33] dans le but précis de déterminer si cette loi permettait au ministère de la Sécurité communautaire et des Services correctionnels et à la police de ne pas divulguer des renseignements contenus dans le registre des délinquants sexuels en raison des exceptions relatives à la Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée [34] .

[43]         Le Tribunal, dans la foulée et le respect du raisonnement de la Cour suprême dans ce dossier ontarien, doit donc conclure que la tâche d’interprétation des dispositions de la Loi sur le lobbyisme , dans le but précis de déterminer si elles permettent la mise à l’écart de l’article 34 de la Loi sur l’accès , est intimement liée aux fonctions essentielles conférées à la CAI par la Loi sur l’accès . Cette tâche suppose que la CAI interprète des dispositions de la Loi sur le lobbyisme , une loi devant alors être considérée comme «  étroitement liée  » aux fonctions de la CAI.

L’impact du choix de la norme de contrôle

[44]         Il y a lieu de préciser dès maintenant l’impact de la norme de contrôle sur l’exercice de révision judiciaire auquel le Tribunal se livre ci-après.

[45]         Ainsi, lorsqu’il applique la norme de la décision raisonnable, le Tribunal évalue si la décision contestée possède les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit [35] . La norme de la décision raisonnable commande la déférence [36] . Il peut exister plus d’une issue raisonnable. Le Tribunal ne peut substituer sa solution à celle qui a été retenue par le décideur spécialisé et qui peut «  se justifier au regard des faits et du droit  » [37] .

[46]         Pour paraphraser la Cour d’appel dans sa plus récente décision sur la question : «  Il ne s’agit jamais de déterminer si une décision est mal fondée en droit, et donc hors du cadre des issues raisonnables, mais de déterminer si une issue est raisonnable, auquel cas la décision ne peut être mal fondée en droit  » [38] .

L’APPEL PRINCIPAL

Remarques préliminaires

[47]     Le sommaire d’un mémoire ministériel (onglet 1) et le mémoire ministériel (onglet 2) auxquels Me Montcalm demande l'accès sont les mêmes que ceux auxquels LLM   demande accès dans le Dossier connexe.

[48]     L'article 48 de la Loi sur l'accès se lit :

48.  Lorsqu'il est saisi d'une demande qui, à son avis, relève davantage de la compétence d'un autre organisme public ou qui est relative à un document produit par un autre organisme public ou pour son compte, le responsable doit, dans le délai prévu par le premier alinéa de l'article 47, indiquer au requérant le nom de l'organisme compétent et celui du responsable de l'accès aux documents de cet organisme, et lui donner les renseignements prévus par l'article 45 ou par le deuxième alinéa de l'article 46, selon le cas.

Lorsque la demande est écrite, ces indications doivent être communiquées par écrit.

[49]     Ni le MCE ni le MSSS n’a soulevé l’article 48 de la Loi sur l’accès au sujet du sommaire d'un mémoire ministériel (onglet 1) et du mémoire ministériel (onglet 2). Or, dans le Dossier connexe, le MSSS a invoqué cet article estimant que certains autres documents relevaient davantage du MCE.

[50]         La CAI a donc rendu une décision dans ce dossier et dans le Dossier connexe. Dans ce dossier, elle s’est prononcée sur l’accessibilité au sommaire d’un mémoire ministériel (onglet 1) et au mémoire ministériel (onglet 2) en fonction des articles 33 al.1 (2) et 34 de la Loi sur l’accès [39] . Dans le Dossier connexe, elle a également considéré la possibilité de protéger ces deux documents de la divulgation recherchée en raison des articles 31 et 32 de la Loi sur l’accès.

[51]         Il y a lieu de préciser que le 18 septembre 2012, avant le début des audiences de la CAI dans ce dossier et dans le Dossier connexe, les procureurs du MCE et du MSSS avaient  écrit à la CAI [40] pour contester une demande des procureurs de LLM et de Me Montcalm. Cette lettre se termine comme suit :

« Nous profitons de l’occasion pour vous informer que lors de l’audition impliquant le ministère de la Santé et des Services sociaux, nous ajouterons les articles suivants pour refuser l’accès aux documents demandés : 9,21, 31, 33 (2) (4), 36 et 48 de la Loi sur l’accès et l’article 9 de la Charte des droits et libertés de la personne, L.R.Q., c. C-R »

(Reproduction intégrale)

[52]     Les audiences devant la CAI ont eu lieu les 24 septembre et 18 décembre 2012 dans ce dossier et dans le Dossier connexe et la preuve dans le présent dossier s’est continuée le 19 décembre 2012. Suite à l’argumentation écrite des procureurs, les deux dossiers ont été mis en délibéré le 4 juin 2013.

[53]     Le 21 août 2013, la CAI a rendu les deux décisions que l’on sait, dont l’ultime effet est de permettre l’accès au sommaire ministériel (onglet 1) et au mémoire ministériel (onglet 2).

[54]     Dans son avis d’appel préparé pour le présent dossier, le MCE n’a pas invoqué l’article 32 de la Loi sur l’accès pour obtenir de ne pas avoir à remettre ce document.

[55]     Les appels ont été plaidés ensemble. À l’audience, les procureurs de Me Montcalm et de LLM ont déposé deux listes identifiant pour chacun des documents les articles de la Loi sur l’accès invoqués dans chacun des deux dossiers et les procureurs de l’appelant, dans les deux dossiers, n’ont pas allégué ou plaidé que ces listes étaient erronées.

[56]     Le 6 janvier 2015, le Tribunal a demandé aux procureurs du MCE et de Me Montcalm de confirmer si dans ce dossier, comme dans le Dossier connexe, le Tribunal devait décider de l’applicabilité des articles 31 et 32 de la Loi sur l’accès .

[57]     Me Montcalm fait valoir que non seulement son dossier et celui de LLM s’inscrivent dans des contextes factuels différents, mais que le Tribunal agirait ultra petita s’il rendait une décision sur la base d’articles de loi que le MCE n’a pas invoquée ni dans son avis d’appel ni dans son mémoire.

[58]     De son côté, le PGQ plaide que la preuve de l’applicabilité de la protection offerte par les articles 31 et 32 de la Loi sur l’accès et les arguments à son soutien ont été administrés dans le Dossier connexe et permettent de décider de l’application de ces articles au présent dossier. Il soumet qu’un jugement concluant à la confidentialité du sommaire ministériel (onglet 1) et du mémoire ministériel (onglet 2) dans le dossier du MSSS, pour avoir un véritable effet et ne pas rendre son application illusoire,  devrait être applicable quelque soit l’organisme détenteur des documents que ce soit le MCE ou le MSSS. Une interprétation contraire priverait d’effet la protection de confidentialité que le Tribunal pourrait éventuellement accorder dans le dossier du MSSS et rendrait ainsi son application illusoire.

Analyse

[59]     Tel que mentionné préalablement, les arrêts de la Cour suprême imposent à cette Cour d’appliquer les concepts qui régissent la révision judiciaire lorsqu’elle siège en appel des décisions de la CAI.

[60]     Par décision rendue ce jour même dans le Dossier connexe, cette Cour conclut que la décision de la CAI de ne pas considérer que l’article 32 de la Loi sur l’accès permet au MSSS de ne pas remettre copie du sommaire ministériel et du mémoire ministériel est déraisonnable. Cette décision n'infirme cependant pas la décision de la CAI relativement à l'article 31 de la Loi sur l'accès .

[61]     L’article 32 de la Loi sur l’accès se lit :

32.  Un organisme public peut refuser de communiquer une analyse lorsque sa divulgation risquerait vraisemblablement d'avoir un effet sur une procédure judiciaire.

[62]         Cependant, l’article 32 de la Loi sur l’accès n’a pas été spécifiquement invoqué par le MCE dans la présente affaire.

[63]         Le demandeur d’accès dans ce dossier et dans le Dossier connexe n’est pas le même.

[64]         Force est de constater que dans leur lettre à la CAI du 18 septembre 2012 [41] , les procureurs du MCE auraient pu expressément indiquer que celui-ci voulait dorénavant invoquer les articles 31 et 32 à l’égard de ces documents, de la même manière que le MSSS a modifié ses motifs d’objection à leur remise à LLM.

[65]         L’avis d’appel et le mémoire ne parlent pas des articles 31 et 32 de la Loi sur l'accès . La correspondance du 12 janvier 2015 du PGQ et des procureurs du MCE se contente de conclure à l’évidence, soit qu’en ne considérant pas l’application possible de ces articles, le Tribunal pourrait priver d’effet la protection de confidentialité éventuellement accordée en raison de son jugement dans le Dossier connexe.

[66]         De plus, l’article 32 de la Loi sur l’accès est une restriction facultative et non pas impérative de la Loi sur l’accès . En effet, lorsque les conditions d’application de l’article 32 de la Loi sur l’accès sont satisfaites, l’organisme public n’est pas obligé de refuser l’accès aux documents. Il jouit d’une discrétion pour ce faire. Bien qu’il n’y ait qu’un seul gouvernement du Québec, il y a plusieurs « organismes publics  » aux fins de l’application de la Loi sur l’accès , ne serait-ce qu’en raison de la définition qu’en donne l’article 3 de la Loi sur l’accès qui se lit :

3 .  Sont des organismes publics: le gouvernement, le Conseil exécutif, le Conseil du trésor, les ministères, les organismes gouvernementaux, les organismes municipaux, les organismes scolaires et les établissements de santé ou de services sociaux.

Organismes publics.

Sont assimilés à des organismes publics, aux fins de la présente loi: le lieutenant-gouverneur, l'Assemblée nationale, un organisme dont celle-ci nomme les membres et une personne qu'elle désigne pour exercer une fonction en relevant, avec le personnel qu'elle dirige.

Exception.

Les organismes publics ne comprennent pas les tribunaux au sens de la Loi sur les tribunaux judiciaires (chapitre T-16).

[67]         Le Tribunal ne peut donc pas appliquer d’office une restriction qui n’a pas été invoquée par l’organisme et ce, même si le résultat peut paraître incohérent dans un contexte où il reconnaît le droit du MSSS de l’invoquer.

[68]         S’il est vrai que cet appel a été entendu en même temps que celui formé dans le Dossier connexe, ne serait-ce que pour des raisons liées à une saine gestion des ressources judiciaires, il n’en demeure pas moins qu’un autre juge de notre Cour aurait pu l’entendre puisqu’il s’agit d’une autre partie et d’un autre organisme public.

[69]         Le Tribunal ne traitera donc pas dans le présent appel de l’applicabilité des articles 31 et 32 aux fins de prévenir l’accès au sommaire ministériel (onglet 1) et au mémoire ministériel (onglet 2).

 

1 et 2. La CAI a-t-elle commis une erreur de droit dans l’interprétation de ce qu’est une «  communication d’un membre du Conseil exécutif à un autre membre de ce Conseil  », au sens de l’article 33 , al. 1 (2) de la Loi sur l’accès ?

[70]         L’article 33 , al. 1 de la Loi sur l’accès se lit :

33.  Ne peuvent être communiqués avant l'expiration d'un délai de 25 ans de leur date:

 1° les communications du Conseil exécutif à l'un de ses membres, au Conseil du trésor ou à un comité ministériel, à moins que le Conseil exécutif n'en décide autrement;

2° les communications d'un membre du Conseil exécutif à un autre membre de ce conseil, à moins que l'auteur n'en décide autrement;

 3° les recommandations du Conseil du trésor ou d'un comité ministériel au Conseil exécutif, à moins que l'auteur ou le destinataire n'en décide autrement;

 4° les recommandations d'un membre du Conseil exécutif au Conseil exécutif, au Conseil du trésor ou à un comité ministériel, à moins que l'auteur ou le destinataire n'en décide autrement;

 5° les analyses effectuées au sein du ministère du Conseil exécutif ou du secrétariat du Conseil du trésor et portant sur une recommandation ou une demande faite par un ministre, un comité ministériel ou un organisme public, ou sur un document visé dans l'article 36;

 6° les mémoires ou les comptes rendus des délibérations du Conseil exécutif ou d'un comité ministériel;

 7° une liste de titres de documents comportant des recommandations au Conseil exécutif ou au Conseil du trésor;

 8° l'ordre du jour d'une réunion du Conseil exécutif, du Conseil du trésor ou d'un comité ministériel.

[71]         Le PGQ ne remet pas en cause les faits retenus par la CAI, mais plaide qu’elle aurait dû conclure qu’une interprétation appropriée de l’expression «  communication d’un membre du Conseil exécutif à un autre membre de ce Conseil  » inclut et protège contre la divulgation à Me Montcalm :

a)     le sommaire du mémoire ministériel (onglet 1);

b)     le mémoire ministériel (onglet 2);

c)      la note complémentaire d’un ministre (onglet 3);

d)     l’analyse du Secrétariat des comités ministériels (onglet 6) et le Sommaire du Secrétariat des comités ministériels (onglet 8)

La décision de la CAI

[72]         D’entrée de jeu, la CAI réitère l’énoncé de la Cour suprême [42] voulant que les restrictions prévues aux articles 33 et 34 de la Loi sur l’accès visent à protéger le secret des délibérations du Conseil des ministres et à assurer l’indépendance de ses membres.

[73]         Elle retient de la preuve qu’un ministre qui désire saisir le Conseil des ministres d’une question doit le faire au moyen d’un mémoire dont la forme est prescrite par l’annexe A du Décret 111-2005 concernant l’organisation et le fonctionnement du Conseil exécutif [43] (le «  Décret  »). Or, cette annexe précise qu’un mémoire comporte deux parties distinctes : une première partie qui deviendra «  normalement  » accessible au public et une deuxième qui, «  le cas échéant  », peut ne pas être accessible au public.

[74]         La CAI constate que le mémoire (onglet 2), son sommaire (onglet 1) et la note d’un ministre (onglet 3) respectent la forme prescrite par le Décret .

[75]         Si le Décret n’a pas pour effet de conférer un droit d’accès plus généreux au mémoire du Conseil des ministres que la Loi sur l’accès , la CAI estime que la description du contenu et de la forme des mémoires précisées dans ce texte apportent un éclairage qu’elle doit prendre en compte dans l’interprétation de l’article 33 de la Loi sur l’accès .

[76]         Puis, la CAI réitère les propos qu’elle tient dans D.T. c. Québec (Ministère du Conseil exécutif) [44] et D.T . c. Québec (Ministère de l’emploi et de la Solidarité sociale) [45] qui découlent de sa lecture du rapport Paré [46] et des travaux parlementaires ayant mené à l’adoption de cette disposition pour justifier sa conclusion que le mémoire, son sommaire et la note complémentaire d’un ministre ne sont pas les «  communications d’un membre du Conseil exécutif à un autre membre de ce Conseil  » protégées par l’article 33 , al. 1 (2) de la Loi sur l’accès .

[77]         La CAI fait plutôt la lecture suivante : le paragraphe 2 o de l’alinéa 1 ne protège que les communications entre les membres; le paragraphe 4 o prévoit la situation d’un membre du Conseil des ministres qui s’adresse au Conseil dans son entier; alors que le paragraphe 1 o cible les communications du Conseil des ministres à l’un de ses membres en particulier.

[78]         Puis, la CAI se penche sur la signification à donner au terme «  communications  » utilisé au paragraphe 2 o . Elle conclut qu’il ne peut pas s’agir d’un mémoire au Conseil des ministres puisque, si tel était le cas, le paragraphe 4 o deviendrait inutile.

[79]         Finalement, parce qu’elle réalise que sa décision écarte celle de notre Cour dans Québec (Ministère des Finances) c. David [47] , la CAI explique :

[125]     Or, dans le présent dossier, la preuve présentée et les arguments des parties permettent une lecture différente de l’article 33 al.1 (2) permettant de se distinguer de l’affaire David . En effet, l’interaction entre les différents paragraphes de l’alinéa 1 de l’article 33 ainsi que l’éclairage fourni par le Décret permettent de partager les conclusions tirées par la Commission dans les affaires D.T . c. Québec (ministère du Conseil exécutif) et D.T . c. Québec (ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale). Il s’agit, à mon avis, de l’interprétation qui doit être donnée à cette disposition.

[80]         La CAI ne se prononce pas sur la protection accordée par le paragraphe 2, du premier alinéa de l’article 33 de la Loi sur l’accès à la partie « contexte » de l’analyse du Secrétariat des comités ministériels (onglet 6). Elle n’élabore également pas sur sa raison d’ignorer ce paragraphe au sujet du sommaire du Secrétariat des comités ministériels (onglet 8) qu’elle déclare accessible à l’exception de sa deuxième partie.

[81]         Par ailleurs, tant le PGQ [48] que Me Montcalm [49] admettent dans leur mémoire que l’accessibilité à ces documents dépend en toute logique, de l’accessibilité au mémoire ministériel (onglet 1) puisque les renseignements qu’ils contiennent proviennent ou ont servi à la confection de celui-ci.

Analyse

[82]         L’interprétation par la CAI de l’article 33 , al. 1 (2) de la Loi sur l’accès et son application au mémoire (onglet 2), à son sommaire (onglet 1) et à la note complémentaire d’un ministre (onglet 3) est donc le résultat d’une analyse transparente et intelligible de l’interaction entre eux des différents paragraphes de l’alinéa 1 de cet article. Dans le cadre de la révision judicaire, le Tribunal doit par ailleurs se demander si le résultat est une issue raisonnable acceptable au regard des faits et du droit.

[83]         Il revient au PGQ de prouver que tel n’est pas le cas. Pour ce faire, il plaide, dans un premier temps, que la CAI était liée par le jugement David [50] et qu’une décision qui enfreint le principe de l’autorité du précédent ou stare decisis ne peut donc pas se justifier au regard du droit.

[84]         Dans un deuxième temps, le PGQ plaide que la décision est déraisonnable en ce qu’elle ignore :

            a)      l’article 54 de la Loi d’interprétation [51] ;

            b)      le fait que le mémoire est le moyen de communication privilégié entre les ministres;

            c)      le fait que le Conseil des ministres n’est pas juridiquement distinct des ministres qui le composent; et

            d)      que le droit d’accès à l’information n’emporte pas l’interprétation restrictive d’une exception dont l’objectif est d’assurer le secret des délibérations des ministres, principe fondamental de notre démocratie.

Le non respect du précédent créé par l’arrêt David [52]

[85]         Tout récemment, dans Canada (Procureur général) c. Confédération des syndicats nationaux [53] , la Cour suprême rappelle ce qui suit au sujet de la règle de l’autorité du précédent :

[24]   Certes, la règle de l’autorité du précédent ou du stare decisis n’est plus d’une rigidité absolue aujourd’hui. Comme l’a rappelé notre Cour dans l’arrêt Bedford , la valeur précédentielle d’un jugement peut être remise en cause « lorsque de nouvelles questions de droit sont soulevées par suite d’une évolution importante du droit ou qu’une modification de la situation ou de la preuve change radicalement la donne » (par. 42). En revanche, quand la question juridique demeure la même et s’insère dans un contexte similaire, le précédent représente toujours l’état du droit et doit être respecté par les tribunaux ( Bedford , par. 46).

[86]         À noter que dans l’arrêt Bedford [54] , la Cour suprême a rejeté l’approche proposée par le PGQ dans le présent dossier, à savoir qu’un tribunal d’instance inférieure confronté à un précédent qu’il ne veut pas appliquer en raison des conclusions tirées des faits mis en preuve devant lui, doit se contenter de souligner cette problématique pour que la juridiction supérieure puisse ensuite réexaminer ce précédent. Elle écrit :

[44]   […] Mais comme le signale aussi l’intervenant, la juridiction inférieure ne peut faire abstraction d’un précédent qui fait autorité, et la barre est haute lorsqu’il s’agit de justifier le réexamen d’un précédent.  Rappelons que, selon moi, le réexamen est justifié lorsqu’une nouvelle question de droit se pose ou qu’il y a modification importante de la situation ou de la preuve.  Cette approche met en balance les impératifs que sont le caractère définitif et la stabilité avec la reconnaissance du fait qu’une juridiction inférieure doit pouvoir exercer pleinement sa fonction lorsqu’elle est aux prises avec une situation où il convient de revoir un précédent.

[87]         Tout comme le juge Laporte l’indique dans Québec (Procureur général) c. Tremblay [55] , le Tribunal est d’avis que le jugement dans David «  ne saurait se substituer à une analyse contemporaine de la disposition à la lumière de son contexte immédiat et général, de son objectif et des valeurs qu’il est destiné à protéger  » [56] .

[88]         En effet, le jugement David a été rendu en 1995, donc bien avant les affaires Macdonell [57] et Conseil de la magistrature du Québec [58] .

[89]         L’affaire David était la première et seule décision rendue par une instance judicaire à l’époque et ne mettait pas fin à une controverse jurisprudentielle ni ne confirmait une jurisprudence longtemps établie. Cette décision ne cite aucun précédent, ne traite qu’indirectement du Rapport Paré [59] , ne mentionne pas les débats parlementaires et ne cite aucune doctrine au soutien du raisonnement la soutenant.

[90]         Le juge, dans David , s’appuie, de plus, sur l’article 12 du Code civil du Bas-Canada , qui n’était alors plus en vigueur et qui n’a pas été reconduit dans le Code civil du Québec.

[91]         Depuis l’arrêt David , outre les nombreux auteurs qui se sont penchés sur différents aspects de la Loi sur l’accès et sur d’autres lois de cette nature, la Cour suprême et la Cour d’appel ont eu l’occasion de dire le droit en la matière et notamment de reconnaître qu’en adoptant la Loi sur l’accès , le gouvernement a lui-même décidé d’ouvrir les livres et de faire «  un remarquable pas en avant dans la recherche de la transparence de la gestion et de l’administration publique  » [60] .

[92]         Les motifs énoncés par la CAI au paragraphe 125 de sa décision, qui incluent ceux des décisions D.T . [61] , sont conformes à ceux requis d’une instance hiérarchiquement inférieure pour s’écarter de la règle du stare decisis . Le PGQ ne peut donc pas plaider que le refus de la CAI d’appliquer cette règle fait de son interprétation et application de l’article 33 , al. 1 (2) de la Loi sur l’accès une issue qui n’est pas raisonnable et qui ne se justifie pas au regard du droit.

La raisonnabilité de la décision

[93]         Dans les arrêts Tremblay [62] , le juge Laporte analyse l’article 33 , al. 1 (2) de la Loi sur l’accès pour déterminer si la décision de la CAI peut se justifier rationnellement. Il utilise la méthode textuelle, contextuelle et téléologique de l’interprétation des lois et prend assise sur les énoncés de la Cour suprême dans les arrêts Macdonell [63] et Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Ministre de la Défense nationale) [64] , tous deux rendus en matière d’accès à l’information. Il conclut que parmi les issues possibles acceptables découlant de l’interprétation de l’article 33 , al. 1 (2) de la Loi sur l’accès se retrouve celle voulant que seules les communications entre deux membres du Conseil exécutif sont protégées et non la communication transmise par un, voire plus d’un, membres du Conseil des ministres à tous les membres de celui-ci.

[94]         Le Tribunal estime que l’analyse du juge Laporte, qui prend en considération plusieurs des points soulevés par le PGQ dans la présente affaire pour soutenir sa position, confirme que la décision de la CAI dans le présent dossier se justifie rationnellement en droit.

[95]         Le Tribunal ajoute qu’il ne retient pas l’argument du PGQ voulant que la décision de la Cour suprême dans l’arrêt Babcock [65] enlève toute raisonnabilité, en regard du droit, à la conclusion de la CAI interprétant l’article 33 , al. 1 (2) de la Loi sur l’accès . Au contraire, l’arrêt Babcock [66] reconnaît que diverses législations ont limité le droit à la confidentialité des renseignements du Conseil des ministres :

Toutefois, au fil des ans, la Common Law en est venue à reconnaître que l’intérêt public dans la confidentialité des renseignements du cabinet devait se mesurer à un autre intérêt public auquel il peut parfois céder le pas, soit l’intérêt public dans la divulgation de ces renseignements : voir Carey, précité.

[96]         Les diverses lois provinciales sur l’accès aux informations dans le secteur public, dont la Loi sur l’accès , font partie de ces législations.

[97]         Ajoutons que l’article 39 de la Loi sur la preuve au Canada [67] , objet de la décision dans l’arrêt Babcock , est rédigé différemment de l’article 33 de la Loi sur l’accès .

[98]         Finalement, le Tribunal note que le PGQ offre lui-même une interprétation des paragraphes 2, 4 et 6 du premier alinéa de l’article 33 de la Loi sur l’accès , qui vise à démontrer leur complémentarité dans la poursuite d’un objectif commun, soit la protection du secret des délibérations du Conseil des ministres. Or, c’est à la CAI qu’il revenait de choisir entre des interprétations divergentes raisonnables [68]  :

[32]     En clair, une disposition législative fera parfois l’objet de plusieurs interprétations raisonnables , car le législateur ne s’exprime pas toujours de manière limpide et les moyens d’interprétation législative ne garantissent pas toujours l’obtention d’une seule solution précise ( Dunsmuir , par. 47; voir également Construction Labour Relations c. Driver Iron Inc. , 2012 CSC 65 , [2012] 3 R.C.S. 405).  Tel est effectivement le cas en l’espèce, comme je l’explique ci-après.  Il faut donc se demander à qui il appartient de choisir entre ces interprétations divergentes raisonnables ?

[33]    Comme l’a maintes fois rappelé notre Cour depuis l’arrêt Dunsmuir , mieux vaut généralement laisser au décideur administratif le soin de clarifier le texte ambigu de sa loi constitutive.  La raison en est que le choix d’une interprétation parmi plusieurs qui sont raisonnables tient souvent à des considérations de politique générale dont on présume que le législateur a voulu confier la prise en compte au décideur administratif plutôt qu’à une cour de justice.  L’exercice de ce pouvoir discrétionnaire d’interprétation relève en effet de l’« expertise » du décideur administratif.

[99]         Il n’y a donc pas lieu de casser les décisions de la CAI sur les questions soulevant l’application de l’article 33 , al. 1 (2) de la Loi sur l’accès relativement au mémoire (onglet 2), son sommaire (onglet 1) et la note complémentaire d’un ministre (onglet 3).

[100]      Vu la conclusion du Tribunal sur l’inapplicabilité de ce paragraphe de l’article 33 de la Loi sur l’accès relativement au mémoire, il n’y a donc pas lieu d’empêcher, en vertu de celui-ci, la communication de la partie « contexte » de l’analyse du Secrétariat des comités ministériels (onglet 6) et du Sommaire du Secrétariat des comités ministériels (onglet 8).

3.         La CAI a-t-elle commis une erreur de droit dans l’interprétation de ce qu’est un « d ocument du cabinet d’un ministre  » au sens de l’article 34 de la Loi sur l’accès ?

[101]      L’article 34 de la Loi sur l’accès se lit :

34.  Un document du bureau d'un membre de l'Assemblée nationale ou un document produit pour le compte de ce membre par les services de l'Assemblée n'est pas accessible à moins que le membre ne le juge opportun.

Il en est de même d'un document du cabinet du président de l'Assemblée, d'un membre de celle-ci visé dans le premier alinéa de l'article 124.1 de la Loi sur l'Assemblée nationale (chapitre A-23.1) ou d'un ministre visé dans l'article 11.5 de la Loi sur l'exécutif (chapitre E-18), ainsi que d'un document du cabinet ou du bureau d'un membre d'un organisme municipal ou scolaire.

[102]      Le PGQ ne remet pas en cause les faits retenus par la CAI, mais plaide qu’elle aurait dû conclure qu’une interprétation appropriée de l’expression «  document du cabinet d’un ministre  » inclut et protège contre la divulgation à Me Montcalm :

            a)      le sommaire du mémoire ministériel (onglet 1);

            b)      le mémoire ministériel (onglet 2);

            c)      la note complémentaire d’un ministre (onglet 3).

[103]      La décision de la CAI serait erronée puisque, selon le PGQ :

a)         l’article 34 ne comporte pas le vocable «  réservé  » que la CAI persiste à vouloir y lire;

            b)      l’interprétation donnée à cet article en restreint la portée reconnue par l’arrêt Macdonell [69] , soit donner accès à certains documents et limiter ce droit. Cet article confirmerait ainsi l’intention du législateur de protéger le libre exercice de la fonction ministérielle contre les pressions intempestives et arbitraires en lui aménageant une sphère de confidentialité à laquelle il peut avoir recours dans son travail;

            c)      la CAI applique incorrectement le critère du rattachement des documents en litige au cabinet; et

            d)      la CAI conclut erronément que la circulation préparatoire ou requise pour la confection de ces documents est une renonciation à la confidentialité protégée par l’article 34 de la Loi sur l’accès .

La décision de la CAI

[104]      La CAI conclut que la preuve révèle que le sommaire, le mémoire et la note complémentaire, signés par les ministres, ont été préparés par le personnel des ministères en cause et transmis au secrétariat du Conseil exécutif en vue d’être soumis au Conseil exécutif. Ces documents ont circulé auprès du personnel de plusieurs ministères, comités ministériels et secrétariats.

 

[105]      En raison de cette preuve, elle décide que ces documents ne sauraient être des documents du cabinet d’un ministre. En effet, elle réitère son opinion, émise dans D.T . c. Québec (Ministère du Conseil exécutif) [70] , voulant que la protection de l’article 34 de la Loi sur l’accès s’applique aux seuls documents réservés au ministre ou au personnel de son cabinet, c’est-à-dire les collaborateurs qu’il a recrutés personnellement pour agir à titre de conseillers politiques et non pas les fonctionnaires chargés de l’administration du ministère.

Analyse

[106]      Le Tribunal a pris connaissance, non seulement de la décision dans D.T. c. Québec (Ministère du Conseil exécutif) à laquelle se réfère la décision de la CAI, mais également des affaires Marois c. Québec (Ministère de la Santé et des services sociaux) [71] , Ricard-Chatelain c. Québec (Ministère de la Santé et des services sociaux) [72] , Québec (Procureur général) c. Bayle [73] , Ruet c. Québec (Ministère des Transports) [74] et Marcotte c. Québec (Ministère de la Santé et des services sociaux) [75] , sur lesquelles la CAI s’appuie.

[107]      Le Tribunal conclut que l’interprétation donnée par la CAI à l’expression «  document du cabinet  » est le résultat d’une analyse transparente et intelligible, qui se justifie au regard des faits et du droit. Sa décision de ne pas considérer le sommaire du mémoire ministériel, le mémoire ministériel et la note complémentaire comme faisant partie de la catégorie des «  documents du cabinet  » est une issue raisonnable acceptable au regard des faits et du droit.

[108]      D’ailleurs, dans les affaires Tremblay [76] , le juge Laporte procède à une analyse textuelle, contextuelle et téléologique de l’article 34 de la Loi sur l’accès qui confirme que la décision de la CAI dans ce dossier, tout comme dans la présente affaire, peut se justifier rationnellement en droit.

[109]      Ainsi, en droit canadien, le ministre a, à l’égard de son ministère, un rôle de chef administratif et un rôle de chef politique. Le «  cabinet  » est donc distinct du ministère. Le premier est formé de conseillers politiques, recrutés personnellement par le ministre. Le second regroupe des fonctionnaires apolitiques qui veillent à assister le ministre dans l’administration et l’exercice des pouvoirs lui étant conférés par diverses lois.

[110]      Les documents qui se retrouvent au cabinet ministériel sont donc, pour l’essentiel, politiques. La protection de ceux-ci par l’article 34 est en accord avec la nécessité de prévoir un espace privé où il est possible pour un ministre de débattre franchement et ouvertement de certaines questions.

[111]      Le PGQ demande au Tribunal de considérer les documents en litige comme étant préparés « pour le compte » du ministre et de les protéger au même titre que la Cour suprême a protégé le document préparé pour le compte du député dans l’affaire Macdonell [77] . Or, les mots « pour le compte de » ne se retrouvent pas au deuxième alinéa de l’article 34.

[112]      La décision de la CAI étant une issue raisonnable acceptable au regard des faits et du droit, le Tribunal n’intervient donc pas.

4.         La CAI a-t-elle commis une erreur de droit en statuant que la deuxième lettre transmise au MCE, à l’exception de son quatrième paragraphe, n’est pas protégée par l’article 37 de la Loi sur l’accès ?

[113]      L’article 37 de la Loi sur l’accès se lit :

37.  Un organisme public peut refuser de communiquer un avis ou une recommandation faits depuis moins de dix ans, par un de ses membres, un membre de son personnel, un membre d'un autre organisme public ou un membre du personnel de cet autre organisme, dans l'exercice de leurs fonctions.

 

Il peut également refuser de communiquer un avis ou une recommandation qui lui ont été faits, à sa demande, depuis moins de dix ans, par un consultant ou par un conseiller sur une matière de sa compétence.

[114]      Le PGQ soumet que la CAI n’a pas protégé tout le document, selon l’article 37 de la Loi sur l’accès , uniquement en raison d’une erreur manifeste et dominante sur la qualité de l’auteur du document.

La décision de la CAI

[115]      Dans un premier temps, la CAI établit que cette lettre est transmise par un sous-ministre au nom de son ministère, dont elle reflète la position et qui contient les avis de ce ministère [78] .  Puis après avoir exposé la position de Me Montcalm sur l’impossibilité par le MCE de se prévaloir de l’article 37 de la Loi sur l’accès pour protéger ce qui exposerait le point de vue du ministère sur une question [79] , la CAI reprend les articles 37 et 38 de la Loi sur l’accès et conclut :

[164]        Pour que l’une de ces restrictions s’applique, les documents en litiges doivent contenir des renseignements qui constituent un avis ou une recommandation.

[165]        Selon la jurisprudence, un avis est « une évaluation ou un jugement de valeur, portant sur les informations qui peuvent faire l’objet d’une décision et formulés de nature à mettre l’organisme dans une position de choix : agir ou non » et la recommandation désigne un énoncé proposant une ligne de conduite ayant pour but d’influencer une décision, un jugement de valeur conditionnant l’exercice d’un choix entre diverses alternatives [25] .

[166]        Seuls les passages des lettres correspondants à ces notions sont protégés par ces dispositions. Les analyses et les faits ne le sont pas. De plus, une lettre mentionnant qu’un ministère n’a pas d’objection à formuler ne constitue pas un avis ou une recommandation au sens de la jurisprudence.

[167]        La Commission constate que seul le quatrième paragraphe de la deuxième lettre révèle une recommandation d’un ministre ou d’un comité ministériel au Conseil exécutif.

[168]        Il ne s’agit toutefois pas d’une recommandation ou d’un avis protégé par l’article 37 puisqu’il n’a pas été émis par un membre du MCE, un membre de son personnel, un membre d’un autre organisme public ou un membre du personnel de ce dernier.

[…]

[171]        À la lecture de la deuxième lettre, la Commission constate que le quatrième paragraphe reprend une recommandation, contenue dans un mémoire, dont l’accessibilité a été refusée en vertu de l’article 33 al. 1 (4). Par conséquent, les deux lettres sont accessibles à l’exception de ce paragraphe.

[…]

Analyse

[116]      Alors qu’elle doit décider de l’applicabilité de l’article 37 de la Loi sur l’accès pour prévenir la divulgation de cette deuxième lettre transmise par un ministère au MCE (onglet 7), la CAI identifie les conditions requises pour l’application de cet article aux paragraphes 164 à 166 de sa décision. Puis, elle impose, non pas une mais deux conclusions à l’égard des faits mis en preuve soit :

a)     que seul le quatrième paragraphe de cette lettre révèle une recommandation d’un ministre ou d’un comité ministériel au Conseil exécutif [80] , et

b)     que l’auteur n’est pas un membre du MCE ou un membre d’un autre  organisme public ou un membre du personnel d’un tel organisme [81] ou du MCE.

[117]      Le PGQ n’a pas démontré en quoi la première de ces conclusions est déraisonnable. Le Tribunal ne peut pas simplement souscrire à l’opinion du PGQ voulant que la CAI a implicitement reconnu que le troisième paragraphe est un « avis » au sens de l’article 37 de la Loi sur l’accès , alors que la CAI a formellement identifié le seul passage de cette lettre susceptible d’être un « avis » ou une « recommandation » [82] .

[118]      Le Tribunal ne peut pas substituer sa propre décision sur cette question alors que l’issue choisie par le décideur spécialisé appartient aux issues possibles acceptables au regard des faits et du droit applicable en la matière.

[119]      Ainsi, même si le Tribunal conclut que la CAI a commis une erreur manifeste en décidant que le sous-ministre signant une lettre au nom de son ministère n’est pas un membre d’un autre organisme public, il ne pourrait pas intervenir vu la conclusion que seule le quatrième paragraphe de cette lettre contient une recommandation ou un avis devant être protégé par l’article 37 de la Loi sur l’accès.

[120]      En effet, cette erreur sur la qualité de l’auteur du document, dans un tel contexte, n’est pas déterminante.

[121]      En l’espèce, une attention respectueuse au motif donné ou qui pourrait avoir été donné à l’appui de la décision incite le Tribunal à conclure que le résultat auquel la CAI en est venue au sujet de la deuxième lettre transmise au MCE (onglet 7) est une issue possible au regard des faits que la CAI a retenu aux fins de sa conclusion à l’égard de ce document et du droit qu’elle a déclaré applicable.

L’APPEL INCIDENT

A.        La CAI a-t-elle commis plusieurs erreurs de fait manifestes et déterminantes, erreurs de droit et erreurs de compétence qui l’ont amenée à conclure à tort que la correspondance en litige (onglets 10 à 13) est protégée par l’article 34 de la Loi sur l’accès ?

[122]      Me Montcalm plaide que les trois lettres adressées par des tiers au premier ministre et celle sur laquelle il est en copie et qui est adressée par des tiers au Ministre de la santé ne sont pas des «  documents du cabinet  » que l’article 34 , al. 2 de la Loi sur l’accès permet au ministre de ne pas divulguer. Pour Me Montcalm :

            a)         le fait que ces lettres soient adressées à un ministre ne suffit pas;

            b)         seuls sont protégés les documents en possession des membres du cabinet ministériel et qui se rattachent à l’exercice de leur fonction politique, tout en excluant les documents produits pour le compte du cabinet d’un ministre par son ministère;

            c)         un ministre n’est pas un membre du cabinet ministériel, mais le porteur d’un projet de loi. En ce sens, les lettres qu’il reçoit participent à l’élaboration du Projet de loi et du mémoire ministériel. En raison de leur nature, ces lettres ne peuvent donc pas être des «  documents du cabinet  »; et

            d)         même s’il s’agit à l’origine de «  documents du cabinet  », la circulation de ces lettres au sein de l’appareil administratif leur fait perdre la protection que le MCE aurait pu invoquer. En décidant autrement, la CAI se contredit elle-même puisque cette circulation a fait perdre cette protection au sommaire du mémoire ministériel (onglet 1), au mémoire ministériel (onglet 2) et à la note complémentaire d’un ministre (onglet 3).

La décision de la CAI

[123]      La CAI conclut que la preuve révèle que ces lettres, toutes destinées au premier ministre ou au Ministre de la Santé, formulant des commentaires en lien avec le Projet de loi, n’ont pas circulé à l’intérieur de l’organisme, sauf pour être remises à l’attaché politique et du premier ministre et au cabinet du Ministre de la santé, et que le premier ministre n’a pas jugé opportun de les rendre accessibles. La CAI conclut [83] donc qu’ils sont des «  documents du cabinet  » selon l’article 34 , al. 2 de la Loi sur l’accès.

Analyse

[124]      La déférence que le Tribunal doit à la CAI l’empêche de réévaluer la preuve, comme le lui demande Me Montcalm, afin de décider si le premier ministre a fait circuler les lettres d’une manière lui faisant perdre la possibilité de ne pas les divulguer prévue par l’article 34 de la Loi sur l’accès .

[125]      Sur la base des faits qu’elle a acceptés, la CAI a rendu à l’égard de cette correspondance une décision tout à fait cohérente avec celle prise pour le sommaire ministériel (onglet 1), le mémoire ministériel (onglet 2) et la note complémentaire (onglet 3) dont la nature et le cheminement diffèrent. Ainsi, le sommaire ministériel (onglet 1), le mémoire ministériel (onglet 2) et la note complémentaire (onglet 3), préparés par le personnel des ministères et transmis au secrétariat du Conseil exécutif en vue d’être soumis au Conseil exécutif par le sous-ministre de la Santé, ont aussi circulé auprès du personnel du MSSS et du ministère de la Justice [84] . Cette circulation est celle pour laquelle la CAI a conclu que ces documents ne sont pas des «  documents du cabinet  », mais bien des documents de l’administration du ministère.

[126]      La CAI a suivi la même logique dans son analyse transparente et intelligible de la situation ayant prévalu au sujet de la correspondance en litige et a conclu de la preuve devant elle, qui est différente de celle faite pour le sommaire ministériel (onglet 1), le mémoire ministériel (onglet 2) et la note complémentaire (onglet 3), que cette correspondance est un «  document du cabinet  ».

[127]      Le Tribunal ne peut donc pas retenir qu’il y a une incohérence dans les conclusions de la CAI rendant celles-ci déraisonnables pour ce qui est des quatre lettres en litige. Au contraire.

[128]      Pour les motifs qui précèdent et ceux élaborés aux paragraphes   105 et 107 à 110 du présent jugement, le Tribunal conclut que la décision de la CAI au sujet de la correspondance est une issue raisonnable acceptable au regard des faits et du droit et n’intervient pas. 

B.        Subsidiairement, si cette Cour devait conclure que la CAI a correctement interprété et appliqué l’article 34 de la Loi sur l’accès , la CAI a-t-elle néanmoins commis plusieurs erreurs de fait manifestes et déterminantes, erreurs de droit et erreurs de compétence qui l’ont amenée à conclure à tort que la Loi sur le lobbyisme ne confère pas un caractère public à la correspondance en litige, en tout ou en partie?

[129]      L’article 171, 1 o de la Loi sur l’accès se lit :

171.  Malgré les articles 168 et 169, la présente loi n'a pas pour effet de restreindre:

 

 1° l'exercice du droit d'accès d'une personne à un document résultant de l'application d'une autre loi ou d'une pratique établie avant le 1 er octobre 1982, à moins que l'exercice de ce droit ne porte atteinte à la protection des renseignements personnels;

[…]

[130]      Me Montcalm plaide que la Loi sur le lobbyisme apporte une nouvelle dimension au droit à l’information. Elle permet à tous les citoyens de savoir qui cherche à influencer les décisions d’intérêt public, pour le compte de qui et comment.

[131]      L’article 171 de la Loi sur l’accès fait donc de celle-ci un standard minimum d’accès à l’information et préserve les régimes d’accès plus généreux comme celui mis en place par la Loi sur le lobbyisme . Ainsi, bien que la Loi sur le lobbyisme ne rende pas accessible l’intégralité de la correspondance en litige, la CAI devrait forcer le MSSS à divulguer le nom de leurs auteurs, les renseignements utiles dans la détermination de leur objet et leur date en dépit de ce que prévoit l’article 34 , al. 2 de la Loi sur l’accès . Pour Me Montcalm, en ne le faisant pas, la CAI refuse d’exercer sa compétence et notre Cour doit intervenir.

La décision de la CAI

[132]      La CAI résume d’abord la position de Me Montcalm, soit que les auteurs de la correspondance sont des lobbyistes au sens de la Loi sur le lobbyisme [85] et que l’article 171 de la Loi sur l’accès oblige le MCE à communiquer les renseignements requis.

[133]      Elle reconnaît que la Loi sur le lobbyisme vise à rendre transparentes les activités de lobbyisme exercées auprès de ministres par le moyen du registre des lobbyistes auquel l’accès ne peut pas être restreint par la Loi sur l’accès [86] . Puis, elle conclut :

[186]     Toutefois, le Registre ne contient pas les communications entre lobbyistes et ministres et cette loi ne prévoit pas l’accès à de tels documents. Même si les auteurs des lettres adressées au ministre étaient inscrits au Registre à titre de lobbyistes, cela ne conférerait pas un caractère public à ces lettres.

Analyse

[134]      Ayant correctement cerné les prétentions de Me Montcalm en lien avec la Loi sur le lobbyisme , la CAI les rejette au terme d’une analyse transparente et intelligible des articles 1, 4, 8, 9, 10 et 19 de la Loi sur le lobbyisme , laquelle écarte le résultat suggéré par Me Montcalm.

[135]      Me Montcalm plaide que le résultat de cette analyse n’est pas une issue raisonnable acceptable au regard des faits et du droit puisqu’elle permet de protéger l’identité des lobbyistes qui violent la loi en ne s’inscrivant pas au registre des lobbyistes.

[136]      Le Tribunal est d’avis qu’il n’y a pas lieu de confondre la compétence de la CAI et celle du Commissaire aux lobbyistes. La CAI doit déterminer s’il faut donner accès à un document pour lequel le MCE invoque l’article 34 , al. 2 de la Loi sur l’accès , notamment en raison du paragraphe 1 o de l’article 171 de la Loi sur l’accès , ce qu’elle a fait en l’instance.

[137]      Il n’appartient pas à la CAI de décider si un tiers a enfreint la Loi sur le lobbyisme ou de fonder sa décision sur la nécessité d’empêcher une telle violation. Le Commissaire au lobbyisme possède des pouvoirs administratifs de surveillance et d’enquête à cette fin [87] .

[138]      Le Tribunal rejette donc également ce motif d’appel basé sur la Loi sur le lobbyisme .

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[139]      REJETTE l’appel du Procureur général du Québec, avec dépens.

[140]      REJETTE l’appel incident de Me Norman Montcalm, avec dépens

 

 

_______________________________

                                                                                      MARTINE L. TREMBLAY, J.C.Q.

 

 

Me Marie-Josée Bourgeault

Me Charles Gravel

Bernard, Roy (Justice-Québec)

Représentant l’appelant

 

Me Raymond Doray

Me Loïc Berdnikoff

Lavery, de Billy

Représentant l’intimée

 

Me Marie-Josée Brunelle

Commission d’accès à l’information du Québec

 

Dates d’audience : 2 et 3 juin 2014

 



[1]    N.M. c. Québec (Ministère du Conseil exécutif) , 2013 QCCAI 228 .

[2]      RLRQ, c. R-2.2.0.0.1.

[3]      Pièce O-5.

[4]      RLRQ, c. A-2.1.

[5]      Pièce O-2.

[6]      La décision de la CAI prononcée dans ce dossier fait d’ailleurs l’objet d’un appel qui a été entendu en même temps que le présent dossier et qui fait l’objet d’un jugement signé ce jour dans le dossier 500-80-026622-135.

[7]      Pièce O-6.

[8]      L’onglet auquel la CAI fait référence est celui des cartables contenant les documents en litige.

[9]      RLRQ, c. T-11.011.

[10]     [1995] C.A.I. 477 (C.Q.).

[11]     M.A., paragr. 31.

[12]     Le dernier en date étant Frères Maristes (Iberville) c. Laval (Ville de) , 2014 QCCA 1176 , paragr. 5.

[13]     Montréal (Ville de) c. Gyulai , 2011 QCCA 238 .

[14]     2014 QCCQ 4544 .

[15]     [2011] 3 R.C.S. 654 , paragr. 34.

[16]     Précitée, note 4, art. 103 à 146.1.

[17]     Précitée , note 15 . Voir également Ontario (Sûreté et Sécurité publique) c. Criminal Lawyers’ Association, [2010] 1 R.C.S. 815 , paragr. 70.

[18]     2012 CSC 35, paragr. 16.

[19]     Précité, note 15, paragr. 70.

[20]     [2008] 1 R.C.S. 190 , paragr. 58 à 61.

[21]     [2013] 3 R.C.S. 895 , paragr. 22.

[22]     2013 QCCAI 76 .

[23]     2013 QCCAI 40 .

[24]     Québec (Procureur général) c. Tremblay, 2014 QCCQ 3998 ; Québec (Procureur général) c. Tremblay , 2014 QCCQ 3999 . Le Tribunal est par ailleurs conscient du fait que ces décisions font l’objet de demandes en révision judiciaire encore pendantes.

[25]     Précité, note 20.

[26]     Précitée, note 4.

[27]     Id ., art. 147.

[28]     [2002] 3 R.C.S. 661 .

[29]     Id ., paragr. 15.

[30]     Conseil de la magistrature du Québec c. Commission d’accès à l’information , [2000] R.J.Q. 638 (C.A.), paragr. 47, citée avec approbation dans Macdonell , paragr. 72.

[31]     Précité, note 20 . , paragr. 62.

[32]     2014, CSC 31.

[33]     L.O. 2000, ch. 1.

[34]     L.R.O. 1990, ch. F.31.

[35]     Précité, note 20, paragr. 47.

[36]     Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Khosa , 2009 CSC 12 .

[37]     Précité, note 20, paragr. 47 à 50.

[38]    Précité, note 12, paragr. 10.

[39]     Précité, note 4.

[40]    Pièce D-7 dans le Dossier connexe.

[41]    Précité, note 40.

[42]     Précité, note 28.

[43]     (2005) 9 G.O. II, p. 861.

[44]     Précité, note 22, paragr. 94 à 107

[45]     Précité, note 23.

[46]     Québec, Commission d’étude sur l’accès du citoyen à l’information gouvernementale et sur la protection des renseignements personnels, rapport Information et Liberté; direction générale de publications gouvernementales, ministre des Communications, 1981, p. 45.

[47]     Précité, note 10.

[48]    Mémoire de l’appelant, paragr. 72.

[49]    Mémoire de l’intimé, paragr. 51.

[50]     Précité, note 10.

[51]     RLRQ, c I-16.

[52]     Précité, note 10.

[53]     2014 CSC 49 , paragr. 24.

[54]     Canada (Procureur général) c. Bedford , 2013 CSC 72 .

[55]     Précité, note 24.

[56]     Québec (Procureur général) c. Tremblay , 2014 QCCQ 3998 , paragr. 134.

[57]     Précité, note 28.

[58]     Précité, note 30.

[59]     Précité, note 46, p. 45.

[60]     Précité, note 30, paragr. 47.

[61]     Précité, notes 22 et 23.

[62]     Québec (Procureur général) c. Tremblay , 2014 QCCQ 3998 , paragr. 77 à 118.

[63]     Précité, note 28, paragr. 67.

[64]     [2011], 2 R.C.S. 306 , paragr. 27.

[65]     Babcock c. Canada (Procureur général) , [2002] 3 R.C.S. 3 .

[66]     Id ., paragr. 19.

[67]     L.R.C. (1985) c. C-5.

[68]     Précité, note 21.

[69]     Précité, note 28, paragr. 14 et 15.

[70]     Précité, note 22.

[71]     [2003] C.A.I. 211 .

[72]     [2007] C.A.I. 543 (C.Q.).

[73]     [1991] C.A.I. 306 (C.Q.).

[74]     [1997] C.A.I. 203.

[75]     [2007] C.A.I. 209 .

[76]     Précitées, note 24.

[77]     Précité, note 28.

[78]    Paragr. 160 de la décision dont appel.

[79]    Paragr. 161 de la décision dont appel.

[80]    Paragr. 167 de la décision dont appel.

[81]    Paragr. 168 de la décision dont appel.

[82]    Id. , note 80.

[83]     Décision dont appel, paragr. 135, 136 et 188.

[84]     Id ., paragr. 137 et 138.

[85]     Id ., paragr. 181. Ce qui est d’ailleurs cohérent avec sa conclusion que ces lettres formulent des commentaires en rapport avec le projet de loi au paragr. 189 de la décision dont appel.

[86]     Id ., paragr. 182, 183 et 185.

[87]     Précitée, note 9, art. 39 à 48.