Langlois c. Great American Insurance Company

2015 QCCS 791

JD3065

 
COUR SUPÉRIEURE

(Chambre civile)

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

RIMOUSKI

 

N° :

100-17-001241-118

 

DATE :

13 mars 2015

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE 

L’HONORABLE

DANIEL DUMAIS, j.c.s.

______________________________________________________________________

 

 

JEAN-GUY LANGLOIS

-et-

LANGLOIS NAVIGATION INC .

Demandeurs

c.

GREAT AMERICAN INSURANCE COMPANY

-et

CHANTIER NAVAL FORILLON INC .

Défenderesses

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT RECTIFIÉ

______________________________________________________________________

 

[1]            Le soussigné a rendu jugement dans ce dossier le 3 mars 2015.

[2]            Il a omis d'inclure, dans ses conclusions, celle relative à la demande reconventionnelle, laquelle est rejetée, tel qu'il appert des paragraphes 161, 162 et 163. de ce jugement.

[3]            Il y a donc lieu d'ajouter cette conclusion et de rectifier le jugement en conséquence.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[4]            RECTIFIE le jugement rendu le 3 mars 2015 afin d'y ajouter le paragraphe suivant aux conclusions:

[174A]     REJETTE la demande reconventionnelle.

[5]            SANS FRAIS .

 

 

 

________________________________

DANIEL DUMAIS, j.c.s.

 

Me Denis Tremblay

Tremblay & Tremblay Avocats inc.
274, rue Saint-Pierre
Matane QC G4W 2B5

 

Pour les demandeurs

 

Me Hugo Anthony Babos Marchand et Me Cara Cameron

Davies Ward Phillips & Vineberg s.e.n.c.r.l, s.r.l
1501, avenue McGill Collège
26e étage
Montréal QC H3A 3N9

 

Pour la défenderesse Great American Insurance Company

 

Me Monia Minville

Cyr & Minville
147-1, rue de la Reine
Gaspé QC G4X 1T5

Pour la défenderesse Chantier Naval Forillon inc.

 

Dates d’audience :

7, 8, 9 et 10 octobre 2014

 


Langlois c. Great American Insurance Company

2015 QCCS 791

COUR SUPÉRIEURE

(Chambre civile)

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

RIMOUSKI

 

N° :

100-17-001241-118

 

DATE :

3 mars 2015

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE 

L’HONORABLE

DANIEL DUMAIS, j.c.s.

______________________________________________________________________

 

 

JEAN-GUY LANGLOIS

-et-

LANGLOIS NAVIGATION INC .

Demandeurs

c.

GREAT AMERICAN INSURANCE COMPANY

-et

CHANTIER NAVAL FORILLON INC .

Défenderesses

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

[1]            Un incendie survenu sur un bateau de pêche en novembre 2009, alors qu'on y effectuait des travaux de rénovation, est à l'origine du présent dossier.

[2]            Le propriétaire du navire, Jean-Guy Langlois, de même qu'une corporation lui appartenant, soit Langlois Navigation inc. (« LNI »), réclament des dommages additionnels à ceux versés par leur assureur. Leur recours est dirigé, d'une part, contre cet assureur (« GAIC »). D'autre part, il vise aussi Chantier Naval Forillon inc. (« CNF »), laquelle était en charge des réparations, de même que son assureur responsabilité, GAIC.

[3]            Bref, CNF est poursuivie en vertu d'un contrat de services alors que GAIC porte deux chapeaux en défense. Elle est l'assureur du bien endommagé et elle couvre la responsabilité de celui qui faisait les travaux.

[4]            Voyons d'abord dans quel contexte s'est produit ce litige.

1.-                 LE CONTEXTE

[5]            Le demandeur Langlois [1] est propriétaire d'un bateau servant à pêcher la crevette. Celui-ci porte le nom de Jean-Annie. Sa construction remonte à 1976.

[6]            Quant à LNI, c'est l'entreprise qui effectue les opérations de pêche et détient les permis et quota requis à ces fins. Langlois en est l'unique actionnaire.

[7]            À la fin de la saison de pêche 2009, le bateau Jean-Annie requiert des réparations, particulièrement au niveau de ses réservoirs de carburant qui sont perforés. Langlois contacte Robert Côté, propriétaire de CNF, basée à Gaspé.

[8]            Une entente intervient. CNF s'engage à réparer les réservoirs et à effectuer certains autres travaux accessoires. Comme CNF manque d'espace à son chantier de Gaspé, il est prévu que le travail se fasse au parc d'hivernement de Rivière-aux-Renards. Quatre hommes sont affectés aux travaux.

[9]            Le bateau est donc amené à Rivière-aux-Renards et mis sur des blocs. Les travaux débutent. On procède notamment à découper une plaque d'acier permettant l'accès aux réservoirs.

[10]         Le 13 novembre 2009, c'est la catastrophe. Un incendie éclate alors que les employés de CNF s'affairent à effectuer de la soudure. Le feu est surtout concentré sur la partie avant du navire, là où sont situés les réservoirs [2] .

[11]         Les pompiers sont appelés à combattre l'incendie. Il leur faudra environ trois heures pour en venir à bout. Le feu est intense comme en témoigne le pompier Patrick Tremblay.

[12]         Ni Langlois ni Côté ne sont alors présents sur les lieux.

[13]         GAIC assure le navire Jean-Annie. La police d'assurance [3] contient une limite de couverture de 900 000 $ et une franchise de 15 000 $.

[14]         Denis Servant, expert en sinistres du domaine maritime depuis 1995, est mandaté par l'assureur afin d'évaluer les dommages. Il connaît le bateau Jean-Annie, l'ayant même photographié la veille du sinistre [4] . C'est lui qui contacte Langlois et l'informe de l'incendie.

[15]         Servant se rend immédiatement sur place, prend des photographies et constate l'ampleur des dégâts. Il prépare ensuite un devis [5] devant servir à obtenir des soumissions d'entrepreneurs disposés à procéder aux réparations. Il organise une visite des lieux pour les cinq soumissionnaires invités, compte tenu que GAIC exige normalement au moins trois soumissions avant d'attribuer un contrat.

[16]         Malgré ces cinq invitations, une seule soumission est reçue. C'est celle de Réparations Maritimes Bertrand Ross inc. (« Ross »). CNF est l'une des quatre entreprises qui ne donne pas suite à l'appel d'offres, étant occupée sur un autre projet.

[17]         La soumission de Ross est détaillée et répond aux demandes spécifiques de Servant [6] . Datée du 21 décembre 2009, elle totalise 494 678,34 $ en plus d'une réserve budgétaire établie à 40 000 $ pour certains items qui ne peuvent être estimés avec précision. Comme prévu à l'appel d'offres, des charges additionnelles peuvent s'ajouter si des éléments imprévus sont découverts par la suite, le tout requérant alors l'autorisation de l'assureur.

[18]         Préalablement à l'obtention de cette soumission, Servant transmet un rapport préliminaire à son mandant GAIC [7] . Ce rapport porte la date du 22 novembre 2009. On y lit ce qui suit:

                                                 CAUSE OF DAMAGE

Two workers of the shipyard Forillon they have welded on a fuel tank of the boat. Where the fire started there was an accumulation of fuel present on top of the fuel tank. The fire damaged the front part of the boat entire.

A budget estimate of approximately 550 000 $ can be expected .

 

[19]         À la suite de la réception de la soumission de Ross, Servant obtient certaines précisions supplémentaires et négocie auprès de quelques fournisseurs tels que CMC Électronique [8] .

[20]         Le 12 janvier 2010, Servant prépare son rapport détaillé de l'accident [9] . Ce document contient de nombreuses annexes. On y rapporte, entre autres, que:

§      les flammes ont pris naissance lors de l'exécution des travaux de soudure (voir notamment la déclaration de Dave Sinnott à l'annexe 3);

§      les pompiers ont beaucoup arrosé de sorte que la moitié des moteurs baignait dans l'eau;

§      le nettoyage a été effectué et du matériel électronique a été envoyé pour évaluation;

§      la seule soumission reçue estime les dommages à 494 678,34 $, en plus d'une réserve de 40 000 $, pour un total de 534 678,34 $.

[21]         Ce même 12 janvier 2010, Servant écrit à Langlois pour l'informer qu'il fera exécuter les travaux lorsqu'ils se seront entendus sur les réparations requises.

[22]         Aucune autre soumission n'est obtenue à cette période. Langlois dit qu'il a rencontré des estimateurs mais personne ne lui a donné un prix. Servant prévoit compléter les travaux pour la fin avril 2010 si la commande est passée sans délai [10] .

[23]         Aucune entente n'intervient entre les demanderesses et l'assureur quant à l'étendue des dommages et des travaux à effectuer. Le dossier demeure en suspens.

[24]         La saison de pêche 2010 démarre et le Jean-Annie n'est toujours pas réparé. LNI loue son quota de pêche pour cette saison 2010 au prix de 98 886 $, payable pour moitié à elle et moitié à son actionnaire Langlois.

[25]         À l'automne 2010, les demanderesses mandatent Jean-Claude Bégin, ingénieur de Technoform inc. afin qu'il examine les dommages. Celui-ci se rend sur place au mois d'octobre 2010 et produit ensuite un rapport où il conclut:

§      que l'intégrité structurale de la section avant a été totalement déformée par la chaleur de l'incendie;

§      que le système hydraulique doit être remplacé;

§      que les moteurs doivent être examinés par rayons X pour voir s'il y a des microfissures. [11]

[26]         Ce rapport est transmis à Servant de même qu'une lettre de mise en demeure [12] du 23 mars 2011 exigeant une nouvelle évaluation. Langlois n'accepte pas celle provenant de Ross.

[27]         Par ailleurs, les demandeurs ne fournissent, de leur côté, aucune évaluation qui quantifie la mesure des dommages en fonction des constatations de Technorm inc.

[28]         Auparavant, soit le 30 novembre 2010, LNI reçoit une lettre [13] de Simon Pelletier, inspecteur à la sécurité maritime pour le compte de Transport Canada. Celui-ci a visité le navire le 13 janvier 2010, après l'incendie, et en a fait l'inspection le 24 novembre 2010 en présence de Langlois.

[29]         Pelletier précise que le certificat d'inspection antérieure, émis le 8 avril 2008, n'est plus valide et que divers travaux et vérifications sont nécessaires avant d'émettre un nouveau certificat. La liste des travaux requis est incluse.

[30]         Mentionnons à ce sujet que le rôle et le mandat de Transport Canada ne consistent pas à évaluer les dommages résultant d'un sinistre, mais de s'assurer que les normes de sécurité sont rencontrées. À cet effet, des tests sont requis.

[31]         En novembre 2011, les demandeurs déposent leurs procédures judiciaires à l'encontre de GAIC. Ils y estiment à 1 200 000 $ la valeur des dommages consécutifs à l'incendie. Ils y ajoutent des dommages économiques et divers de l'ordre de 295 000 $.

[32]         Au mois de février 2012, GAIC retient les services de Maxime Chevalier, un représentant de Hayes Stuart inc., afin qu'il évalue les dommages causés par le sinistre.

[33]         Le 20 mai suivant, Chevalier produit son rapport [14] après avoir effectué une visite du bateau les 23 et 24 février. Il s'inspire principalement des évaluations faites précédemment par Ross et Servant. Il commente également le rapport de Bégin de Technorm.

[34]         Chevalier évalue les dommages à 491 281,34 $, ce qui inclut une réserve budgétaire de 40 000 $ pour des imprévus. Il déplore de plus les mauvaises conditions d'entreposage du bateau depuis la survenance du sinistre.

[35]         Le 28 juin 2012, GAIC transmet un chèque de 462 781,34 $ aux demandeurs à titre de paiement total et final. Ce montant est déterminé par la récente évaluation de Chevalier de laquelle on a retranché 15 000 $ pour la franchise et 13 500 $ pour le coût des dommages additionnels imputés à la négligence de l'assurée, laquelle n'a pas bien protégé le navire.

[36]         Puis, en octobre 2012, les demandeurs transmettent, pour la première fois, le détail des dommages qu'ils disent avoir subis. Il s'agit du rapport de Nicolas Côté de Méridien Maritime Réparation [15] . Ce dernier évalue, sommairement, les dommages à 709 490 $ excluant des estimés budgétaires de 443 500 $ pour des ajouts qui pourraient s'avérer nécessaires lors des réparations.

[37]         Le 1 er novembre 2012, les demandeurs amendent leur requête introductive afin d'ajouter CNF à titre de co-défenderesse.

[38]         Tout juste avant le procès, GAIC s'engage à payer un montant supplémentaire de 13 500 $, déduit par erreur [16] . Cette somme n'avait pas encore été payée lors de l'audition mais devait l'être dans les jours suivants.

[39]         Mentionnons de plus que CNF a fait signifier une demande reconventionnelle de 21 894,69 $ visant le coût impayé des travaux de réparations réalisés avant l'incendie [17] .

[40]         Quant au bateau Jean-Annie, il est loin d'avoir été remis à l'eau. Il repose toujours sur des blocs à Rivière-aux-Renards. Aucune réparation n'a été exécutée si ce n'est un placardage élémentaire.

[41]         Les demandeurs continuent à louer leur quota de pêche à des tiers. Langlois ne sait pas s'il reprendra les opérations un jour vu ses problèmes de santé.

2.-                 LA POSITION DES PARTIES ET LES QUESTIONS EN LITIGE

[42]         Dans un premier temps, les demandeurs invoquent que leur assureur, GAIC, ne les a pas indemnisés pleinement suite au sinistre. Pour eux, les dommages excèdent la limite de couverture de 900 000 $. Comme ils n'ont reçu que 476 281,34 $ [18] , l'écart de 423 718,66 $ doit leur être payé en vertu de la police d'assurance-biens [19] .

[43]         Deuxièmement, ils allèguent que CNF est entièrement responsable de l'incendie et doit payer tous les dommages qui découlent de ce sinistre, excluant les 476 281,34 $ déjà versés. Cette réclamation n'est pas sujette à la limite de 900 000 $ susmentionnée.

[44]         Troisièmement, ils soutiennent que GAIC, à titre d'assureur-responsabilité de CNF selon la police d'assurance D-1, est tenue, solidairement avec CNF, aux mêmes obligations que cette dernière par application de l'article 2501 du Code civil du Québec .

[45]         De façon plus particulière, les demandeurs réclament les montants suivants:

i)    Perte du bateau:                                                    1 200 000 $

ii)   Frais d'entreposage:                                                     6 000 $

iii)  Perte des profits de Langlois Navigation inc.:       120 000 $

iv)  Perte de salaire de J.-G. Langlois:                         150 000 $

v)   Troubles, ennuis et inconvénients:                             10 000 $

vi)  Frais d'expertise:                                                           9 000 $

vii) Franchise:                                                                    15 000 $

TOTAL :                                                                         1 510 000 $

                                                                plus les taxes applicables

[46]         De son côté, l'assureur GAIC soutient que son assurée a été indemnisée pour la totalité de son préjudice et en conformité avec les dispositions de la police d'assurance de biens. Aucun montant supplémentaire n'est justifié.

[47]         Quant au recours découlant de l'article 2501 C.c.Q ., il plaide que le Code civil du Québec ne régit pas la présente affaire, laquelle découle du droit maritime. Il ajoute que la police d'assurance-responsabilité émise à la demande de CNF exclut les dommages économiques et comporte une franchise de 10 000 $. Au surplus, les items réclamés ne sont pas dus par son assurée.

[48]         Enfin, CNF nie être responsable de l'incendie. Elle aussi plaide l'inapplication du Code civil du Québec à cet accident et nie le bien-fondé des diverses réclamations.

[49]         Le Tribunal entend analyser ces divers aspects en répondant aux questions suivantes:

A)        Quel est le droit applicable?

B)        Quel est le montant de l'indemnité à laquelle a droit LNI en vertu de la police d'assurance D-2, suite au sinistre du 13 novembre 2009?

C)        CNF est-elle responsable du sinistre du 13 novembre 2009?

D)        Si oui, quels sont les dommages que CNF doit être tenue de payer?

E)        GAIC doit-elle être condamnée en tant qu'assureur responsabilité de CNF?

F)         La demande reconventionnelle de CNF est-elle fondée?

G)        Qu'en est-il des intérêts et des frais d'expertise?

3.-                 L'ANALYSE

A)    Quel est le droit applicable?

[50]         Les défendeurs soutiennent que le droit civil québécois ne s'applique pas à la relation existant entre:

i)    l'assurée LNI et son assureur GAIC;

ii)   le réparateur CNF et sa cliente LNI;

iii)  LNI et l'assureur du réparateur CNF.

[51]         Selon eux, c'est le droit maritime canadien qui prévaut. De ce fait, le Code civil du Québec n'est d'aucune utilité dans l'analyse du présent recours.

[52]         Pour ce qui est des demandeurs, ils rétorquent que le droit civil régit la présente affaire.

[53]         Qu'en est-il?

[54]         La problématique émane de l'existence de deux compétences législatives distinctes, l'une relevant du parlement du Canada, l'autre étant attribuée à la législature provinciale. L'article 91 (10) de la Loi constitutionnelle de 1867 octroie compétence au niveau fédéral pour ce qui a trait à «  La navigation et les bâtiments ou navires (shipping ) », tandis que l'article 92(13) donne compétence aux provinces pour légiférer sur «  La propriété et les droits civils dans la province  ».

[55]         Le volet de la poursuite relatif au contrat d'assurance sur les biens D-2 doit, selon le soussigné, être analysé en vertu des règles relatives au droit maritime canadien. L’assurance maritime ne relève pas de la compétence provinciale en matière de droit civil. Dans Triglav c. Terrasses Jewellers Inc ., la Cour suprême du Canada affirme que :

«  À mon avis le procureur général du Canada a raison de qualifier l’assurance maritime de matière relevant à proprement parler de la propriété et des droits civils mais qui a néanmoins été confiée au Parlement comme partie de la navigation et des expéditions par eau. […]

L’assurance maritime , qui a précédé de plusieurs siècles les autres formes d’assurance, est née comme partie intégrante du droit maritime  ». [20]

[56]         Ainsi, les règles qui régissent les contrats d'assurance maritime sont celles du droit maritime canadien et non celles que l'on retrouve au Code civil du Québec . Le contrat d’assurance de biens ne devrait donc pas être analysé en fonction du Code civil du Québec . Ce débat est est plutôt académique en l'instance puisqu'aucune difficulté d'interprétation de ce contrat d'assurance D-2 n'est soulevée.

[57]         En ce qui concerne la cause d'action envers CNF et son assureur, les défendeurs plaident que la situation en litige en est une de droit maritime. Ainsi, la solution ne peut, selon eux, relever du droit provincial étant sujette au droit maritime canadien et aux principes de common law qui en découlent. L'article 2501 C.c.Q . n'aurait donc aucune application en l'espèce.

[58]         Le Tribunal n'est pas d'accord. Il faut considérer les faits à la base de cette cause d'action afin d'y déceler, le cas échéant, des éléments propres à la navigation en territoire canadien. L'analyse doit reposer avant tout sur les événements du 13 novembre 2009, jour du sinistre.

[59]         Dans le passé, les tribunaux ont à plusieurs reprises adopté une définition large du droit maritime canadien, restreignant ainsi la compétence relevant des provinces. Les auteurs Henri Brun et Guy Tremblay s'expriment ainsi à ce sujet:

«  C’est ainsi qu’une assimilation insidieuse s’est faite, dans certaines affaires maritimes, entre compétence fédérale et exclusivité fédérale. Elle s’est manifestée en particulier dans le domaine de la responsabilité civile en cas d’accident de navigation, lors des décisions dans Whitbread et Succession Odon […]. À notre avis, cette exclusivité radicale devrait se limiter aux problèmes de responsabilité civile directement liés à la «navigation», parce que c’est celle-ci qui fonde la compétence fédérale. […]  » [21] .

[60]         Selon ces auteurs, les poursuites en responsabilité civile, non directement liés à la navigation, ne devraient pas relever du droit maritime canadien même s'il peut s'y retrouver certains éléments de nature maritime.

[61]         L’uniformité des règles en matière maritime se justifie avant tout par le besoin d’un traitement équitable de ceux qui se livrent à la navigation et aux expéditions par eaux partout au Canada. D'où le besoin d'un régime juridique uniforme quand se produit un accident sur une voie navigable [22] . Mais qu’en est-il lorsque l’incendie d’un bateau survient sur la terre ferme, alors qu’on procède à sa réparation et qu’aucun contrat de transport ou autre opération maritime n’est en cours d’exécution?

[62]         La marche à suivre consiste généralement à rechercher les facteurs de rattachement pour établir un lien avec le droit maritime. C’est ce qu’a énoncé la Cour suprême dans  ITO-Int'l Terminal Operators c. Miida Electronics :

«  Au risque de me répéter, je tiens à souligner que la nature maritime de l'espèce dépend de trois facteurs importants. Le premier est le fait que les activités d'acconnage se déroulent à proximité de la mer, c'est-à-dire dans la zone qui constitue le port de Montréal. Le second est le rapport qui existe entre les activités de l'acconier dans la zone portuaire et le contrat de transport maritime. Le troisième est le fait que l'entreposage en cause était à court terme en attendant la livraison finale des marchandises au destinataire. À mon avis, ce sont ces facteurs qui, pris ensemble, permettent de caractériser la présente affaire comme mettant en cause du droit maritime canadien . » [23]

[63]         En l’espèce, on s’affairait à réparer les réservoirs de carburant du bateau quant l'incendie s’est déclenché. Les réparations ont eu lieu alors que le bateau était installé sur la berge à Rivière-aux-Renards. Aucune opération maritime n'était en cours, et l'on ne faisait que de la soudure dans un bateau monté sur la rive. Les facteurs de rattachement au droit maritime canadien sont limités et plutôt indirects à notre avis.

[64]         Le présent cas se rapproche beaucoup de l'affaire Isen c. Simms [24] , une décision rendue par la Cour suprême du Canada en 2006.

[65]         Dans Isen  c. Simms , un câble d’attache avait cédé lors de la préparation d'un bateau pour son transport sur route après qu'il eut été sorti de l’eau. Cet incident avait occasionné une blessure à l'œil à une personne se tenant à proximité du navire. Dans cette affaire, la Cour suprême s’exprime ainsi:

« 21 .     Comme l’ont affirmé les juges Iacobucci et Major au par. 73 de l’arrêt Succession Ordon c. Grail, 1998 CanLII 771 (CSC) , [1998] 3 R.C.S. 437 , la question de savoir si une action relève du droit maritime fédéral — à savoir de la navigation et des bâtiments ou navires — requiert l’examen du contexte factuel de cette action.  En l’espèce, le contexte factuel de l’action des appelants consiste dans la négligence dont l’intimé aurait fait preuve lorsqu’il a utilisé un câble élastique en préparant son bateau pour le transporter sur les routes de l’Ontario.  Il faut décider si cette affaire relève de la compétence du Parlement en matière de navigation et de bâtiments ou navires, ou de la compétence reconnue aux provinces à l’égard de la propriété et des droits civils par le par.  92 (13) de la Loi constitutionnelle de 1867.  Il s’agit, pour l’essentiel, de tracer une ligne de démarcation .

[…]

23 .        Étant donné que le présent pourvoi porte sur l’éventuelle responsabilité délictuelle du propriétaire d’une embarcation de plaisance, les considérations relatives aux bâtiments ou navires dont le juge McIntyre devait tenir compte dans son analyse de l’affaire ITO y sont étrangères.  C’est de navigation dont il est question en l’espèce.  Dans l’arrêt Whitbread, notre Cour a conclu que le Parlement doit, par nécessité pratique, être compétent en matière de responsabilité délictuelle découlant de la conduite négligente de bateaux de plaisance sur les voies navigables du Canada.  Comme les navires commerciaux et les navires de plaisance partagent le même réseau de navigation dans l’ensemble du Canada, il est souhaitable de leur appliquer un régime juridique fédéral uniforme en matière de « règles de barre et de route » et de « règles [de] bonne navigation », et à l’égard de toute responsabilité délictuelle liée à l’utilisation des voies navigables : voir Whitbread, p. 1295-1296.

24 .        Le Parlement n’a pas compétence sur les bateaux de plaisance comme tels.  La seule implication d’un bateau de plaisance dans un incident ne saurait fonder la compétence du fédéral à cet égard.  Dans les litiges comme celui qui nous occupe, le tribunal doit plutôt examiner les actes prétendument négligents reprochés et déterminer s’ils faisaient partie intégrante de la conduite du bateau de plaisance sur les voies navigables canadiennes de telle sorte qu’il est nécessaire en pratique que le Parlement ait compétence en la matière.  Comme l’accent est mis sur les actes qui constituent le fondement de l’action pour négligence, le lieu et le moment où ces actes ont été faits ne sont pas déterminants.

[…]

26 .        Je ne puis cependant souscrire à la conclusion du juge Nadon selon laquelle l’arrimage du couvercle du moteur faisait partie intégrante de l’opération de sortie de l’eau.  Les actions de l’intimé n’avaient rien à voir avec la navigation du bateau sur l’eau, et tout à voir avec la préparation du bateau en vue de son transport sur les routes de l’Ontario.  Lorsqu’on préparait le bateau pour son transport sur route, celui - ci ne différait en rien de tout autre objet transporté sur la route.  Ce sont les législatures provinciales qui ont compétence en matière de transport d’objets sur les routes provinciales.  Le fait que l’objet transporté soit un bateau n’a pas pour effet de faire relever du droit fédéral un litige qui, de par son caractère véritable, relève du droit provincial.

[…]

28 .        Je souscris pour l’essentiel à l’analyse du juge Décary, qu’il a résumée ainsi au par. 98 de ses motifs dissidents :  

[L’incident] s’est produit sur la terre ferme.  Les lésions ont été causées sur la terre ferme par une personne qui n’était ni sur le bateau ni dans l’eau.  Il n’y a aucun contrat de transport de marchandises par mer.  Il n’y a pas de cargaison en cause.  Rien ne s’est produit sur l’eau dont on pourrait dire qu’il est directement, voire indirectement, rattaché à l’accident.  La navigabilité du navire n’est pas en cause, la question étant au mieux celle de savoir si un bateau préparé sur la terre ferme pour un transport par route était apte à un tel transport.  Il n’y a aucune procédure in rem.  Il n’y a aucun débat portant sur la bonne navigation.  Il n’y a pas de lois, de règles, de principes ou de pratiques en matière d’amirauté qui soient applicables.  L’accident est sans rapport avec la navigation, ou avec les expéditions par eau.  Il n’y a aucune nécessité pratique d’une loi fédérale uniforme fixant la manière d’empêcher la bâche d’un moteur de claquer au vent lorsqu’un bateau de plaisance est transporté sur la terre ferme dans une remorque.  Le seul facteur pouvant établir un lien avec le droit maritime est le fait que le bateau de plaisance venait d’être sorti de l’eau et qu’on s’affairait à l’arrimer sur la remorque lorsque l’accident est arrivé.  Cela ne suffit pas manifestement à constituer un lien intégral avec la navigation et la marine marchande et à justifier un empiétement sur la propriété et les droits civils. [25]

[66]         Bref, si ce que couvre le droit maritime canadien est vaste, il ne devrait pas intégrer ce qui lui est indirectement lié au point d’excéder sa compétence en matière de navigation ou d’expédition par eau. Le Tribunal n'exclut pas la possibilité que la réparation d’un navire puisse mener à une poursuite en responsabilité civile relevant de la compétence fédérale, par exemple dans l’éventualité où une réparation inadéquate entraînerait un péril en mer. Ce sont les faits propres à chaque dossier qui permettent de déterminer le droit applicable. En l'espèce, les facteurs de rattachement sont trop éloignés. Le recours entre les demandeurs et CNF est donc régi par le droit civil de la province.

[67]         GAIC avance qu'elle ne peut être poursuivie en sa qualité d'assureur responsabilité de la défenderesse CNF puisque, en common law, un tiers ne bénéficie d'aucun recours direct contre l'assureur du fautif pour faire valoir sa réclamation. Autrement dit, elle avance que l'article 2501 C.c.Q . n'a ici aucune application.

[68]         Or, comme les obligations découlant du feu doivent, en l'espèce, être analysées selon les principes de droit civil, le soussigné est d'opinion qu'il en va de même du droit de poursuivre l'assureur du fautif. L'article 2501 C.c.Q . autorise un tel recours, et l'article 2628 C.c.Q . précise que ce droit existe face à l'assureur maritime.

[69]         Il n'est pas ici question d'analyser le contrat d'assurance, ce qui relève du droit maritime, mais bien de décider si le droit civil permet de poursuivre l'assureur de la personne que l'on tient responsable du sinistre. La réponse est positive au Québec.

[70]         L'article 2501 du Code civil du Québec constitue une disposition de droit civil substantif, comme l'a affirmé la Cour d'appel:

Je diffère respectueusement d'opinion avec l'avocat des appelants. L'article 2603 C.c.B.-C. - tout comme 2501 C.c.Q. - crée le recours direct de la victime contre l'assureur du tiers et ce, par exception au principe de l'effet relatif des contrats: c'est donc une disposition de droit substantif. D'ailleurs, la juge Tourigny le dit en toutes lettres dans Traders [ Traders Générales c. Laurentienne Générale, [1991] R.J.Q. 6 ] :

Mais, à mon avis, une interprétation même très large ne peut parvenir à mettre de côté complètement une disposition de droit substantif , incluse dans le Code civil par le législateur il n'y a pas si longtemps, et qui a précisément pour but, faut-il le rappeler, d'ajouter pour une victime ou pour son assureur la possibilité du recours direct contre l'assureur de l'auteur du dommage. Auparavant, la loi ne permettait pas pareil recours direct contre l'assureur. (p. 10) . [26]

[71]         En conclusion, la poursuite des demandeurs contre GAIC, à titre d'assureur de biens, relève du droit maritime, lequel intègre la common law. Par contre, le recours contre CNF est régi par le droit civil québécois, lequel donne ouverture à un recours contre son assureur-responsabilité.

B)    Quel est le montant de l'indemnité à laquelle a droit LNI en vertu de la police d'assurance D-2 suite au sinistre du 13 novembre 2009?

i)    Considérations préliminaires

[72]         Cette question ne soulève pas de grands débats juridiques. Le libellé du contrat d'assurance n'implique aucune interprétation qui ait fait l'objet d'une argumentation lors de plaidoiries. Il s'agit essentiellement d'une question de preuve.

[73]         C'est la demanderesse LNI qui en assume le fardeau conformément à l'article 2803 C.c.Q . Il lui appartient donc d'établir la valeur de l'indemnité qu'elle recherche. Cette indemnité ne doit pas l'enrichir mais lui redonner ce qu'elle possédait avant le sinistre. Elle couvre le coût de réparation du bien mais n'inclut pas les dommages économiques, troubles et inconvénients, etc.

[74]         Selon sa demande, elle a droit à la limite de couverture de 900 000 $ puisque son préjudice s'élève à 1 200 000 $. GAIC plaide, de son côté, que le montant déjà versé, soit 476 281,34 $, couvre l'ensemble des dommages découlant du sinistre.

[75]         La preuve de la demanderesse repose avant tout sur le rapport de l'estimateur Nicolas Côté, représentant de Méridien Maritime Réparation, et sur les conclusions techniques de l'ingénieur Jean-Claude Bégin de Technoform, notamment en ce qui concerne les dommages causés à la structure du navire.

[76]         Du côté de la défense, on s'appuie sur le rapport de Maxime Chevalier, de Hayes Stuart inc., lequel s'inspire grandement de la soumission de Ross et du rapport D-3 de Denis Servant.

[77]         Ces différents rapports et les témoignages de leurs auteurs ont mis en relief les principaux éléments qui expliquent l'écart significatif existant entre les positions respectives des parties. Le Tribunal traitera d'abord de ces évaluations de façon générale. Puis, il procédera à une étude individuelle des items qui y sont traités.

[78]         Auparavant, il y a lieu de disposer des objections relatives à la qualité d'expert de tous et chacun, et à la limite de leurs champs d'expertise.

[79]         Lors du procès, le Tribunal a permis aux auteurs des divers rapports de témoigner sur leur contenu, prenant les objections sous réserve.

[80]         Il ressort que tous ont des compétences techniques utiles à l'issue du litige mais sujettes à plusieurs limitations. Ainsi, l'ingénieur mécanique Bégin connaît sa science, notamment la structure d'acier. Par contre, il n'a aucune expérience en matière maritime. Cela ne l'empêche pas de témoigner comme expert, d'autant plus qu'il l'a souvent fait dans le passé.

[81]         À l'opposé, messieurs Chevalier et Servant connaissent le domaine maritime et l'évaluation des dommages mais ils n'ont pas de formation particulière en matière de structure d'acier et d'ingénierie. Nicolas Côté, technicien en architecture, n'a guère détaillé ses démarches d'évaluation mais il n'en est pas à ses premières armes en la matière. Il a une vaste expérience dans le domaine de la construction maritime.

[82]         Dans ce contexte, tout est ici question de force probante, de justification raisonnée et d'impartialité des opinions exprimées. Il n'apparaît pas approprié de rejeter, sans analyse, l'un ou l'autre des rapports et témoignages. Il s'agit plutôt d'en soupeser la valeur. Les objections relatives à ces preuves d'experts sont donc rejetées.

ii)   Considérations générales

[83]         Ce qui étonne, à première vue, c'est qu'il ne semble pas y avoir eu de discussions ou de négociations entre l'assurée et son assureur.

[84]         Ce n'est qu'à l'automne 2012 que l'assurée fournit, pour la première fois, une réclamation quantifiée, lorsqu'elle transmet l'évaluation de Nicolas Côté, datée du 1 er  octobre 2012 [27] . Celle-ci évalue les dommages à 709 000$, en plus d'une réserve de 443 500 $. Jusque là, l'assurée n'a fourni aucun calcul, si ce n'est l'expertise de Bégin traitant de la structure et ne quantifiant pas les dommages. Aucune autre évaluation n'est fournie par LNI avant 2012.

[85]         Quant à l'assureur, il ne formule pas d'offre précise et ventilée avant juin 2012 soit lorsqu'il obtient le rapport D-5 de Chevalier. C'est alors qu'il émet un premier paiement de 462 781,34 $.

[86]         Il s'est donc passé environ trois ans avant qu'on échange des évaluations et que se fasse un paiement. Pendant ce temps-là, le bateau demeure sur la berge, barricadé et non réparé.

[87]         Il semble n'y avoir eu aucune volonté commune de trouver un terrain d'entente et de remettre les choses en état.

[88]         L'évaluation monétaire de la demanderesse repose sur un rapport qui ne prêche pas par excès de clarté et de précisions. Il se base sur le rapport de Transport Canada, lequel, rappelons-le, ne vise pas à établir les dommages mais plutôt à énumérer les travaux et vérifications requis pour que soit émis un certificat d'inspection valide.

[89]         Les items du rapport Côté sont estimés de façon très sommaire et arrondis. Aucun support ne précise comment on arrive aux prix indiqués. De plus, plusieurs éléments sont conditionnels à des vérifications supplémentaires. Par exemple, l'estimé budgétaire de 220 000 $ pour les moteurs et la génératrice fait l'objet d'une note qui démontre bien que le montant n'a rien de certain et définitif:

«  Note 1:   Les dommages subis au moteur de propulsion Cummins, au moteur Caterpillar, à la transmission et à la génératrice Kubota restent à évaluer. L'ampleur des dégâts n'étant pas mesurable visuellement, une vérification sur place par les motoristes est nécessaire.

Une remotorisation complète de la salle d'engin se ferait pour environ 220 000 $.

Ce document ne constitue pas une soumission de la compagnie Méridien Maritime mais bien une contre-expertise d'évaluation de dommage tel que demandé [sic] par M. Langlois . » [28]

[90]         Le témoignage de Côté n'est pas plus précis et convaincant. On voit bien que tout est approximatif.

[91]         Quant au rapport de l'ingénieur Bégin, il émet l'hypothèse que la structure avant (le nez) est à refaire vu la chaleur de l'incendie et la perte de résistance de l'acier. Cependant, aucun test ne le confirme. Il s'agit plus d'une déduction ou d'une possibilité que d'une probabilité établie.

[92]         La photographie 13 montre que l'hiloire serait tordue. Or, cette section du pont Gaillard a été indemnisée par l'assureur. Quant aux photos 1 et 2, elles n'établissent pas, en soi, que les murs doivent être remplacés [29] . Il aurait fallu faire des tests. Il y a peut-être eu affaiblissement de la structure d'acier à l'avant mais la preuve ne le démontre pas de façon convaincante. La demande de refaire la structure d'acier à l'avant n'est pas établie suivant la balance des probabilités et ne peut reposer sur le dépôt de deux photographies.

[93]         C'est la même chose pour les moteurs. Bégin écrit:

«  Pour ce qui est de la salle des moteurs, en raison de la propagation des gaz chauds et du choc thermique que les équipements présents dans ce secteur auraient subi, nous croyons que la transmission ainsi que les moteurs devraient être retirés du navire afin d'être vérifiés. Il se peut également qu'un examen aux rayons X soit nécessaire sur certaines parties des moteurs afin de vérifier la présence de microfissuration, causée lors du choc thermique . » [30]

[94]         Au procès, Bégin a affirmé qu'il y a peut-être eu un choc thermique causant des microfissures mais il ne peut le confirmer. Le Tribunal ne sait pas si ces craintes sont fondées. Il faudrait des tests et des vérifications qui n'ont pas été faits.

[95]         Le témoin se montre plus catégorique au niveau du système hydraulique mais ne précise pas, par ailleurs, ce qui doit être remplacé.

[96]         En résumé, la preuve de la demande n'est pas suffisamment solide pour supporter la demande substantielle d'indemnité additionnelle qui est recherchée. Elle est incomplète et imprécise. Or, c'est la demanderesse qui assume le fardeau de persuader la Cour du bien-fondé de sa réclamation.

[97]         Du côté de la défense, l'estimation est plus précise. Bien qu'il n'ait pas témoigné, Ross a détaillé les coûts requis pour effectuer les réparations identifiées par Servant dans ses documents d'appel d'offres. Ce travail a été fait quelques semaines après l'incendie. La nature et le détail des réparations requises sont décrits dans chacune des sections individuelles.

[98]         Cet estimé a servi à Servant pour en arriver à son évaluation dans son rapport de 2010. Il conclut au même chiffre que Ross, soit 534 678,34 $ incluant une réserve d'estimé budgétaire de 40 000 $.

[99]         Quant au rapport de Chevalier, il est préparé deux ans plus tard et reconnaît des dommages qu'il a réduits à 491 281,34 $. Il faut émettre des réserves sur ses commentaires du rapport Bégin, puisque ce dernier n'a aucune formation d'ingénieur en matière de structure.

[100]      On doit également garder à l'esprit que Chevalier est lié à l'assureur, preuve étant que c'est lui qui a assisté ses procureurs tout au long du procès.

[101]      C'est à la lumière de ces commentaires généraux que le Tribunal va maintenant réviser chacun des éléments individuels qui composent l'écart. À ces fins, il y a lieu de référer au tableau D-12, qui fait état de ces différences.

iii)  Considérations spécifiques

[102]      Trois évaluations quantitatives de dommages ont été présentées à la Cour à savoir:

i)    l'évaluation P-6 de Meridien Maritime (Nicolas Côté) datée du 1 er  octobre 2012. Déposée par les demandeurs, cette évaluation conclut à des dommages de 709 490 $, en plus d'une réserve budgétaire de 443 500 $;

ii)   l'évaluation P-3 de Ross datée du 21 décembre 2009, et reprise par Services d'Évaluation Maritime (Denis Servant) dans le rapport D-3 de janvier 2010. On y établit les dommages à 534 678,34 $, incluant une provision budgétaire de 40 000 $;

iii)  l'évaluation D-5 de Hayes Stuart (Maxime Chevalier) datée du 28 mai 2012. Les dommages sont estimés à 491 281,34 $, ce qui représente le montant payé par l'assureur moins la franchise de 15 000 $.

[103]      Les items de ces trois rapports sont comparés sur le tableau D-12 et regroupés sous 34 appellations. Certains éléments ne présentent aucun problème alors que les autres expliquent l'écart entre les parties et ont fait l'objet, pour la plupart, de représentations en plaidoirie. Le Tribunal va en faire l'analyse afin de décider si la somme payée à ce jour, soit 476 281,34 $, indemnise entièrement la demanderesse des montants auxquels elle a droit en vertu du contrat d'assurance.

1.-  Nettoyage, peinture intérieure, isolation, finition et ameublement

[104]      Une différence de 42 421 $ sépare les parties, sans que l'on puisse vraiment en comprendre la raison. Le Tribunal retient l'évaluation de Ross (D-3) de préférence à celle de la demande pour deux raisons. Elle est plus détaillée et elle est contemporaine au sinistre. L'estimation P-6, soumise en défense, survient trois ans après le feu et ne contient aucun calcul, ni référence à quoi que ce soit. La demanderesse assume le fardeau de la preuve et n'a pas établi qu'elle a droit à une somme s'ajoutant à celle que lui a reconnue l'assureur.

2.-  Remplacement du pont Gaillard (avant)

[105]      Le même raisonnement vaut quant à l'écart de 9 725 $ en litige. La preuve ne convainc pas qu'un montant supplémentaire soit dû. L'assureur a accepté de réparer le pont Gaillard et on n'a pas fait la preuve que l'assurée ait droit à plus que ce qui a été offert.

3.-  Remplacement partiel de la coque avant

[106]      Trois questions se posent ici. Doit-on remplacer une partie de la muraille à tribord? Si oui, sur quelle surface? Quel en est le prix?

[107]      Chevalier s'appuie sur le fait que Transport Canada exige un test et non un remplacement de la muraille. Il n'accorde rien. Pourtant, Servant a conclu qu'il était nécessaire de remplacer une section jugée endommagée. Le Tribunal retient cette conclusion de Servant et l'estimé qu'il en a fait. L'assureur doit donc verser un montant supplémentaire de 15 380 $, à ce niveau. La demande n'a pas convaincu la Cour qu'elle avait droit à plus que cela.

4.-  Remplacement partiel de la cloison de la salle des machines

[108]      Aucune preuve de la nécessité de remplacer cette cloison n'a été faite de manière déterminante. Il en est de même du montant. Cette demande est donc rejetée.

5.-  Analyse d'échantillon d'acier

[109]      L'écart relatif au coût de l'analyse s'élève à 500 $. Par contre, une réserve de 85 000 $ est prévue, en défense, pour les quantités supplémentaires d'acier qui pourraient être requises selon les résultats d'analyse.

[110]      Comme aucune analyse du genre n'a été faite, on ne peut présumer du résultat. La demanderesse n'a pas établi le bien-fondé de sa demande et sa réserve de 85 000 $ ne peut être accordée dans l'état actuel des choses. L'écart de 500$ n'est pas plus justifié.

6.-  Joint d'étanchéité

[111]      La demanderesse réclame 30 000 $ pour changer tout le joint de la timonerie. Chevalier a accordé 500 $ pour effectuer le test requis par Transport Canada afin de s'assurer de l'étanchéité de ce joint. Comme aucun test n'a été réalisé à ce jour, on ne sait pas si le joint doit être changé. La Cour ne peut donc accorder, à ce stade-ci, que le coût de ce test, lequel a été payé. Aucun témoin n'a démontré que le joint était endommagé et nécessitait un remplacement. Il s'agit d'un dommage hypothétique, et la réclamation de 30 000 $ est refusée.

 

7.-  Vérification du système électrique et remplacement complet

[112]      En demande, le témoin Côté a prévu 5 500 $ de travaux et une réserve de 75 000$. Messieurs Ross et Servant ont initialement prévu 68 000 $. Servant aurait ensuite négocié à la baisse pour 60 000 $. Aucune preuve n'établit clairement la nature, l'étendue et le montant de dommages. C'est la même chose pour le prix révisé et réduit de 8 000 $. Comme c'est la demanderesse qui assume le fardeau de la preuve, sa réclamation pour l'excédent de 68 000 $ doit être rejetée puisqu'elle ne s'est pas acquittée de ce fardeau. Elle a cependant droit à 8 000 $ de plus, la défense n'ayant pas établi la réduction de manière convaincante.

8.-  Vérification mécanique des moteurs et génératrice

[113]      Le rapport en demande P-6 chiffre les dommages à 16 500 $ et prévoit une réserve de 220 000 $, sujette à la note suivante:

«  Note 1:   Les dommages subis au moteur de propulsion Cummins, au moteur Caterpillar, à la transmission et à la génératrice Kubota restent à évaluer. L'ampleur des dégâts n'étant pas mesurable visuellement, une vérification sur place par les motoristes est nécessaire.

Une remotorisation complète de la salle d'engin se ferait pour environ 220 000 $.

Ce document ne constitue pas une soumission de la compagnie Méridien Maritime mais bien une contre-expertise d'évaluation de dommage tel que demandé [sic] par M. Langlois . » [31]

[114]      De leur côté, Ross et Servant ont estimé un coût de 35 180 $. Par la suite, Chevalier a réévalué ce montant à la baisse et l'a réduit à 20 870 $.

[115]      Mentionnons d'abord que le témoin Côté, auteur de l'évaluation P-6, a indiqué à la Cour qu'il n'avait pas vu beaucoup de dommages au moteur. Il a plutôt constaté des dégâts causés par la fumée, et a reconnu qu'il ne pouvait se prononcer sur l'état de ces moteurs. Par ailleurs, il y a lieu de considérer la réserve calculée par Servant, notamment pour la peinture. Le Tribunal ajoute donc l'écart de 14 310 $ à ce qui a été versé à ce jour.

9.-  Vérification hydraulique

[116]      Il n'y a pas de preuve qui permette d'accorder plus que le 14 478 $ payé par l'assureur. De toute façon, ce montant est supérieur à celui de 5 500 $ estimé en demande.

10 .- Vérification de l'alignement moteur/arbre

11.- Vérification des soupapes

12.- Remplacement des fenêtres et portes

[117]      Ici encore, aucune preuve n'est faite que l'assurée doive encourir des montants supérieurs à ceux payés par l'assureur aux fins de remettre le bateau dans le même état. Ni les témoins, ni la plaidoirie n'ont fourni d'explications à ce sujet.

13.- Remplacement du système de navigation

[118]      La demande réclame 184 500 $. Elle a obtenu une soumission de CMC Electronics au montant de 167 741 $. Celle-ci porte la date du 1 er octobre 2012. Quant à la défense, elle réfère à une autre soumission, de janvier 2010, au montant de 121 827 $. Cette soumission provient aussi de CMC Electronics.

[119]      Aucune explication n'est fournie pour expliquer cette différence. S'agit-il des mêmes équipements? Ont-ils augmenté de valeur? Il a été question d'une négociation intervenue entre Servant et CMC Electronics mais ce n'est pas clair. Aucun représentant de CMC Electronics n'est venu expliquer la situation.

[120]      Le Tribunal n'accordera donc pas le montant réclamé par l'assurée puisqu'elle n'en a pas établi le bien-fondé. Il ajoutera cependant la somme de 2 000 $ réservée dans l'estimation P-3 de Ross pour le compas magnétique.

14.- Vérification / remplacement des équipements de sauvetage

15.- Certificats - brevets, cartes, etc.

18.- Amarres et agrès de pêche

[121]      Il s'agit de trois (3) items pour lesquels l'assureur a payé ce qui était demandé ou même plus. Aucun litige n'existe à ce niveau.

16.- Travaux en cours avant l'incident

[122]      L'assurée n'a pas payé ce montant à CNF, et on voit mal comment elle pourrait en obtenir paiement de son assureur.

17.- Peinture extérieure

[123]      La Cour accorde 14 702 $, soit la coupure faite par Chevalier par rapport à l'évaluation antérieure de Ross. Ce dernier s'est prononcé peu de temps après l'incendie et Chevalier n'a pas motivé sa réduction de manière satisfaisante. Quant à l'écart entre les estimations de messieurs Ross et Côté, la preuve de la demande ne convainc pas de la justesse de ce surplus.

19.- Vider la cale à poisson

[124]      Chevalier n'a rien accordé, alors que messieurs Ross et Servant avaient évalué le dommage à 5 505 $. De son côté, la demande arrive à 3 500 $. La Cour retient l'estimation de 5 505 $ et condamne l'assureur à payer ce montant.

20.-    Frais de remorquage

[125]      Cet item de transport n'est pas justifié, selon la preuve entendue. On ne voit pas pourquoi l'assureur devrait payer une telle somme de 20 600 $. Il n'a pas à assumer les frais de retour du Jean-Annie chez l'assurée.

21.- Imprévus

[126]      L'évaluation de Côté, en demande, inclut 97 090 $ d'imprévus par rapport à un total de dommages estimé à 709 490 $. Cet élément, appelé imprévus, s'ajoute au budget de 443 500 $ identifié comme réserve. De leur côté, les représentants mandatés par l'assureur ont estimé 40 000 $ pour ces imprévus.

[127]      Ces deux (2) montants sont approximatifs. Chevalier a mentionné qu'il s'agit d'une somme forfaitaire qu'on ajoute lorsque l'assuré accepte un paiement et prend charge de réparations lui-même. En l'espèce, la Cour exerce sa discrétion et ajoute 10 000 $ à la somme de 40 000 $ qui a été payée. Il y a beaucoup d'inconnus quant aux dommages, et cette addition paraît justifiée dans le contexte général du dossier.

22.- Items 22 à 34

[128]      Ce sont tous des éléments pour lesquels l'assureur a rajouté des montants précis alors que l'assurée n'avait rien requis spécifiquement. Il n'y a donc pas de litige en ce qui concerne ces éléments.

 

23.- Total

[129]      Tenant compte des montants ci-haut accordés par le Tribunal, la demanderesse est en droit de recevoir 69 897 $ (en capital), [32] de plus que ce que lui a versé l'assureur à ce jour.

24.- Taxes

[130]      Dans sa requête introductive d'instance amendée, la demanderesse demande que les taxes soient ajoutées à ce qui est payable par l'assureur. Les parties n'ayant pas plaidé cet aspect, la Cour a requis qu'elles lui soumettent des autorités à cet effet. Après étude des notes qui lui ont été transmises, le soussigné conclut qu'on ne doit pas ajouter les taxes TPS/TVQ. En effet, la demanderesse a droit d'obtenir un crédit de taxes sur les intrants si elle paie pour faire réparer le bien étant donné qu'elle exerce (ou du moins exerçait) des activités commerciales. C'est ce que prévoient les articles 18 et 19 du mémorandum sur la TPS/TVH 17-16 publié par l'Agence du Revenu du Canada [33] .

[131]      Dans ce contexte, la demanderesse ne peut recevoir remboursement des montants de taxes car cela aurait pour conséquence de l'enrichir plutôt que de l'indemniser.

[132]      Les deux décisions [34] citées par la demanderesse doivent être distinguées du présent cas puisqu'il s'agissait de particuliers ne pouvant profiter de crédits sur les intrants. C'est pour cette raison qu'on avait ajouté le montant des taxes au capital payable par l'assureur.

[133]      Par ailleurs, si l'assurée ne fait pas réparer le bien sinistré et reçoit un paiement, le mémorandum ci-haut mentionné prévoit, à son article 17, que le règlement n'est pas taxable.

C)    CNF est-elle responsable du sinistre du 13 novembre 2009?

[134]      Le Tribunal a conclu que c'est le droit civil qui régit les conséquences de l'incendie survenu en novembre 2009. Il ne retient donc pas la prétention de CNF à l'effet qu'il faille s'en remettre aux notions de common law.

[135]      Or, ici la preuve révèle que le feu a pris naissance à l'occasion de travaux de soudure effectués par les employés de CNF. Aucun autre intervenant n'était présent sur les lieux.

[136]      Il se dégage une forte présomption que l'incendie résulte d'une négligence de l'un ou l'autre de ces employés. En effet, il est anormal que des travaux de soudure conduisent à la destruction majeure du bien que l'entrepreneur est chargé de réparer. S'il existe une explication disculpatoire pour les travailleurs, il leur revient de la démontrer.

[137]      Il s'agit ici de mettre en application la maxime Res ipsa loquitur (la chose parle d'elle-même) définie ainsi par la Cour suprême du Canada:

« Quand dans le cours normal des choses, un événement ne doit pas se produire, mais arrive tout de même et cause un dommage à autrui, et quand il est évident qu'il ne serait pas arrivé s'il n'y avait pas eu de négligence, alors c'est à l'auteur de ce fait à démontrer qu'il y a une cause étrangère, dont il ne peut être tenu responsable et qui est la source de ce dommage. Si celui qui avait le contrôle de la chose réussit à établir à la satisfaction de la Cour, l'existence du fait extrinsèque, il aura droit au bénéfice de l'exonération. » [35]

[138]      Cette règle est reprise, de façon plus générale, à l'article 2849 du Code civil du Québec qui réfère à l'existence de présomptions graves, précises et concordantes.

[139]      Or, loin de repousser cette présomption et de fournir une explication, la preuve de CNF se limite à confirmer que le feu est survenu lors des travaux de soudure. C'est ce qui ressort des déclarations des employés Dave Sinnott et Pascal Vallée [36] .

[140]      Ainsi, la négligence des employés de CNF est prouvée et le lien de causalité avec les dommages l'est également. En sa qualité de commettant, CNF est donc tenue responsable de la faute de ses préposés et des dommages découlant du sinistre du 13 novembre 2009.

D)    Quels sont les dommages que CNF doit être tenue de payer aux demandeurs?

[141]      Le Tribunal ayant statué que LNI n'a pas reçu une pleine indemnisation, celle-ci est en droit d'exiger que CNF lui rembourse le surplus de 69 897 $ précédemment déterminé. En effet, ces dommages découlent directement de la négligence de CNF et de ses préposés. Par contre, CNF ne peut être tenue de payer à LNI les 476 281,34 $ versés par l'assureur GAIC puisqu'une subrogation légale s'est opérée suite au paiement effectué par cet assureur.

Les autres chefs de réclamation

i)    La franchise (15 000 $)

[142]      À la somme susdite de 69 897 $, il faut ajouter la franchise de 15 000 $ supportée par la demanderesse. Cette somme est payable par CNF.

ii)   Les frais d'entreposage du bateau (6 000 $)

[143]      Aucune preuve ne supporte cette demande de 6 000 $. Elle sera donc rejetée. La pièce P-9 consiste en une facture pour l'été 2011 alors que le bateau aurait dû être réparé ou transporté ailleurs, tenant compte du temps écoulé depuis le sinistre.

iii)  Perte de profit de LNI (120 000 $)

[144]      La demanderesse évalue qu'elle a droit à des pertes de profits pour les deux saisons de pêche qui ont suivi le sinistre. Elle se base sur ses états financiers antérieurs et déduit les revenus du quota qu'elle a loué en 2010 et 2011. Son calcul représente 82 925 $ pour l'année 2010 et 54 003 $ pour l'année suivante. Elle combine les deux années et réclame 120 000 $ [37] .

[145]      Il appartenait à la demanderesse de procéder aux réparations du navire et d'établir la valeur de l'indemnité à laquelle elle prétendait. Or, aucune réclamation n'a été produite avant 2012, après l'institution des procédures, et le bateau n'est toujours pas réparé. Le litige avec l'assureur ne peut justifier la perte de profit réclamée pour deux ans. D'autant plus que l'indemnité demandée apparaît exagérée.

[146]      Par ailleurs, on ne peut ignorer que le feu est survenu à la mi-novembre 2009 et qu'il est improbable que le bateau aurait pu être réparé et fonctionnel pour l'ouverture de la saison de pêche le 1 er avril 2010. Servant a mentionné, lors du procès, qu'on aurait pu compléter les travaux pour la fin avril si l'assurée avait donné son accord.

[147]      Suivant ce témoignage, le bateau n'aurait pas pu pêcher au début avril même si l'assurée avait agi avec diligence. Le délai d'un mois est donc minimal et la privation du navire aurait pu être prolongée.

 

[148]      En louant son quota de pêche pour 2010, LNI a minimisé ses dommages et on ne peut lui en faire reproche. Usant de sa discrétion et tenant compte des résultats financiers révélés par la preuve, la Cour accordera 15 000 $ représentant une perte de profit partielle pour la saison 2010. Ce calcul n'a rien de scientifique mais reconnaît qu'un dommage a été causé pour la saison 2010: quoique qu'approximatif, il apparaît raisonnable dans les circonstances.

[149]      Quant à l'année 2011, LNI avait amplement le temps de réparer son bateau si tel était son désir. Aucune somme ne sera attribuée.

iv)  Perte de salaire (150 000 $)

[150]      Langlois réclame une perte de salaire personnelle de 150 000 $ soit deux années à 75 000 $. Au soutien de sa demande, son procureur plaide qu'il est l'alter ego de la corporation, ce qui ouvre la porte à sa propre réclamation.

[151]      Or, la notion d'alter ego est généralement invoquée à l'encontre d'une personne, et non en sa faveur. Celui qui veut profiter des avantages de la personnalité morale distincte doit également en subir les inconvénients. Il ne peut gagner sur tous les tableaux.

[152]      Langlois n'a aucun lien de droit avec CNF et ne peut lui réclamer sa perte de salaire personnelle.

v)   Troubles, ennuis et inconvénients (10 000 $)

[153]      Le même raisonnement s'applique quant à cet item de 10 000 $. Quant à la demanderesse, elle est une entité corporative qui ne peut obtenir compensation pour une réclamation ainsi libellée.

vi)  Frais d'expertise

[154]      Ces frais seront discutés lors de l'analyse de la septième question.

Total

[155]      Ainsi, CNF sera condamnée à payer 99 897 $ [38] à la demanderesse alors que la réclamation personnelle de Langlois sera rejetée.

E)    GAIC doit-elle être condamnée en tant qu'assureur de CNF?

[156]      Le Tribunal a déjà statué que GAIC peut être poursuivie directement par le réclamant en vertu de l'article 2501 du Code civil du Québec . Le lien de droit existe donc.

[157]      Reste à savoir si la police d'assurance responsabilité D-1, émise à la demande de CNF, couvre la condamnation prononcée contre celle-ci.

[158]      GAIC reconnaît que la police d'assurance souscrite vaut pour les dommages physiques subis par le navire, sous réserve d'une franchise de 10 000 $. Elle est donc tenue de payer pour les dommages supplémentaires de 69 897 $, en plus de la franchise de 15 000 $, supportée par LNI. Elle peut cependant y soustraire le 10 000 $ de franchise que doit absorber CNF.

[159]      Quant à la perte de profits accordée pour 15 000 $, l'exclusion 6 E) (demurrage, loss of time, etc.) de la section Ship Repairers Liability Clauses de la police D-1 trouve application, de sorte que cet élément n'est pas assuré.

[160]      En définitive, GAIC, en sa qualité d'assureur responsabilité de CNF, doit être condamnée à rembourser la somme de 74 897 $ solidairement avec son assurée, en plus des intérêts s'y rapportant et des dépens.

F)    La demande reconventionnelle de CNF est-elle fondée?

[161]      CNF a produit la facture 15 994 [39] du 9 novembre 2012. Celle-ci s'élève à 21 894,69 $ (taxes incluses) et vise les «  Travaux effectués sur le navire Jean-Annie, complétés le 13 novembre 2009  », soit le jour de l'incendie.

[162]      Cette réclamation n'est pas fondée. Le Tribunal ne voit pas comment LNI peut être tenue de payer le coût de travaux dont elle n'a aucunement profité puisqu'ils ont mené à une destruction substantielle du bien confié. Non seulement ces travaux n'ont entraîné aucune plus-value mais au contraire, ils ont causé une perte considérable à LNI.

[163]      Si CNF n'a pas travaillé convenablement, elle ne peut demander à LNI de la payer pour un travail qui n'a rien donné de positif.

G)    Qu'en est-il des intérêts et des frais d'expertise?

[164]      On l'a vu, GAIC n'a rien payé avant le 28 juin 2012. Elle transmettait alors un chèque de 462 781,34 $ à son assurée LNI. Puis, elle aurait payé 13 500 $ à la mi-octobre dernier.

[165]      Quoique payées, ces sommes ne l'ont pas été dans les délais. En effet, suivant l'article 2473 C.c.Q ., l'indemnité est payable soixante (60) jours après la déclaration du sinistre ou, si l'assureur en fait la demande, l'obtention des renseignements pertinents et de pièces justificatives.

[166]      Or, l'assureur a été prévenu du sinistre dès sa survenance et disposait de l'évaluation des dommages, pour 534 678,34 $ à compter du 24 janvier 2010, jour où Servant lui a envoyé son rapport. Les intérêts et l'indemnité sur cette somme sont donc payables à compter du 23 mars 2010 (60 jours plus tard) jusqu'à leur paiement.

[167]      Quant à l'excédent, il portera intérêts à partir du jour où fut signifiée la poursuite.

[168]      Enfin, le Tribunal n'accorde pas les frais d'expertise demandés, vu le succès mitigé du recours et le peu d'utilité et de fiabilité des rapports d'expertise de la demande.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[169]      ACCUEILLE partiellement la requête introductive d'instance réamendée de Langlois Navigation inc.;

[170]      CONDAMNE Great American Insurance Company à payer à Langlois Navigation inc. la somme de 69 897 $, en vertu de la police d'assurance D-2, avec intérêts et indemnité additionnelle à compter du 23 mars 2010 sur la somme de 43 397 $, et à compter de l'assignation quant au surplus;

[171]      CONDAMNE Great American Insurance Company à payer à Langlois Navigation inc. les intérêts au taux légal et l'indemnité additionnelle sur:

a)        la somme de 462 781,34 $, pour la période écoulée entre le 23 mars 2010 et le 28 juin 2012;

b)        la somme de 13 500 $, pour la période écoulée entre le 23 mars 2010 et le 15 octobre 2014.

 

[172]      CONDAMNE Chantier Naval Forillon inc. à payer à Langlois Navigation inc., la somme de 99 897 $ avec intérêts au taux légal et indemnité additionnelle à compter de l'assignation, étant précisé que cette condamnation inclut celle de 69 897 $ contenue au paragraphe 170;

[173]      CONDAMNE Great American Insurance Company à payer à Langlois Navigation inc. la somme de 74 897 $ avec intérêts au taux légal et l'indemnité additionnelle à compter de l'assignation, étant précisé que cette condamnation inclut celles prononcées aux paragraphes 170 et 172;

[174]      REJETTE la requête introductive d'instance de Jean-Guy Langlois envers les défendeurs;

[175]      AVEC DÉPENS en faveur de Langlois Navigation inc., mais excluant les frais d'expertise et d'assistance au procès;

[176]      SANS FRAIS en ce qui concerne Jean-Guy Langlois.

 

 

________________________________

DANIEL DUMAIS, j.c.s.

 

Me Denis Tremblay

Tremblay & Tremblay Avocats inc.
274, rue Saint-Pierre
Matane QC G4W 2B5

 

Pour les demandeurs

 

Me Hugo Anthony Babos Marchand et Me Cara Cameron

Davies Ward Phillips & Vineberg s.e.n.c.r.l, s.r.l
1501, avenue McGill Collège
26e étage
Montréal QC H3A 3N9

 

Pour la défenderesse Great American Insurance Company

 

Me Monia Minville

Cyr & Minville
147-1, rue de la Reine
Gaspé QC G4X 1T5

Pour la défenderesse Chantier Naval Forillon inc.

 

Dates d’audience :

7, 8, 9 et 10 octobre 2014

 



[1]      L'utilisation des seuls noms de famille dans le présent jugement a pour but d'alléger le texte et l'on voudra bien n'y voir aucun manque de courtoisie à l'égard des personnes concernées.

[2]      Voir le rapport d'incendie P-34.

[3]      Voir la pièce D-2.

[4]      Voir la pièce D-3, exhibit 9.

[5]      Voir la pièce D-3, exhibit 4.

[6]      Voir la pièce P-3 que l'on retrouve aussi à l'exhibit 6 de la pièce D-3.

[7]      Voir la pièce D-10

[8]      Voir exhibit 7 de la pièce D-3.

[9]      Voir la pièce D-3.

[10]     La saison de pêche à la crevette ouvre le 1 er avril.

[11]     Voir la pièce P-2.

[12]     Voir la pièce P-4.

[13]     Voir la pièce D-4.

[14]     Voir la pièce D-5.

[15]     Voir la pièce P-6.

[16]     Voir la pièce D-6.

[17]     Voir la pièce D-CNF-1.

[18]     Prenant pour acquis que le paiement additionnel de 13 500$ leur a été fait.

[19]     Soit la pièce D-2.

[20]      Triglav c. Terrasses Jewellers Inc ., [1983] 1 R.C.S. 283 , p.293. Voir également Verreault Navigation inc . c. Continental Casualty Company , 2014 QCCS 2879 . Notons qu'en 1993, le Parlement fédéral a promulgué la Loi sur l'assurance maritime L.C. 1993, ch-22.

[21]      Henri Brun et Guy Tremblay , Droit constitutionnel , 5 e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2008, p. 489.

[22]     Whitbread c. Walley , [1990] 3 R.C.S. 1273 , p. 1295.

[23]     ITO -Int'l Terminal Operators c. Miida Electronics , [1986] 1 RCS 752 , pp.775-776.

[24]     [2006] 2 R.C.S. 349 .

[25]     Ibid p. 349.

[26]     Certain Marine Underwriters at Lloyd's of London c. Royale du Canada (La), compagnie d'assurances , [1996] R.J.Q. 40 (C.A) .

[27]     Voir la pièce P-6.

[28]     Voir la pièce P-6.

[29]     Voir l'état de la coque avant l'incendie, pièce D-3, exhibit 9.

[30]     Voir la pièce P-2, page 3.

[31]     Voir la pièce P-6.

[32]     Soit 15 380 $ pour l'item 3, 8 000 $ pour l'item 7, 14 310 $ pour l'item 8, 2 000 $ pour l'item 13, 14 702 $ pour l'item 17, 5 505 $ pour l'item 19 et 10 000 $ pour l'item 21.

[33]     Ce principe a été appliqué dans Alex Taylor Contracting Co . c. Bonfa , 2004 CanLII 45492 (ONSC).

[34]     St-Paul Fire and Marine Insurance Company c. Marina Le Nautique St-Jean inc . [2005] R.J.Q. 3063 ; Merit Compagnie d'Assurances c. Gaétan Dazé , [1976] C.S. 590 .

[35]     Parent c. Lapointe [1952],. Vol 1 R.C.S. 376, 381.

[36]     Voir la pièce D-3, exhibit 3.

[37]     Selon les états financiers 2008 et 2009, les revenus nets de pêche ont été respectivement de 60 286 $ et 123 017 $. En 2010, la location du quota aurait rapporté approximativement 40 000 $ après déduction des dépenses.

[38]     Soit 69 897 $ pour les dommages additionnels, 15 000 $, pour la franchise et 15 000 $ pour la perte de profits 2010.

[39]     Voir la pièce D-CNF-1.