Letellier c. Dostoievski

2015 QCCQ 1437

COUR DU QUÉBEC

« Division des petites créances »

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

MONTRÉAL

« Chambre civile »

N° :

500-32-143050-146

 

 

DATE :

Le 27 février 2015

 

 

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

ALAIN BREAULT, J.C.Q.

______________________________________________________________________

 

JULIE LETELLIER

[…] Montréal (Québec) […]

 

Demanderesse

 

c.

 

EUGENE DOSTOIEVSKI

[…] Pincourt (Québec) […]

 

-et-

 

SUZANNE GOEDIKE

[…] Montréal (Québec) […]

 

Défendeurs

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

[1]            La demanderesse Julie Letellier (« Me Letellier ») est avocate. Elle réclame solidairement 857,20 $ aux défendeurs Eugene Dostoievski (« M. Dostoievski ») et Suzanne Goedike (« Mme Goedike »), à la suite de services professionnels qu’elle allègue leur avoir rendus à leur demande.

[2]            Les défendeurs contestent la réclamation en soulevant plusieurs moyens. Ils plaident principalement qu’il n’y a jamais eu d’entente entre eux et Me Letellier pour que cette dernière prépare une convention portant sur l’exercice de l’autorité parentale et les mesures reliées à la séparation de leurs biens.

ANALYSE ET MOTIFS

[3]            En 2011, M. Dostoievski et Mme Goedike habitent ensemble sans être mariés depuis plusieurs années et ils ont deux enfants. Ils décident de se séparer.

[4]            Aux fins de tenter de convenir d’une entente sur les conditions d’exercice de l’autorité parentale et sur les mesures reliées à la séparation de leurs biens, ils acceptent de participer à des séances de médiation offertes dans le cadre d’un programme gouvernemental fédéral.

[5]            Le programme fédéral permet aux personnes qui le désirent de bénéficier, sans aucuns frais, de six séances de médiation présidées par un membre du Barreau du Québec spécifiquement accrédité à cette fin.

[6]            Mme Goedike communique avec Me Letellier. Cette dernière lui est recommandée par une collègue de travail. Un contrat de médiation est signé entre les parties le 7 mars 2011.

[7]            Mme Goedike et M. Dostoievski participent à cinq séances de médiation. Me Letellier explique que la cinquième séance, en raison de la longue période de temps qu’elle y a consacré, englobait les deux dernières séances prévues au contrat de médiation.

[8]            Les séances de médiation ont lieu de mars à mai 2011. Les honoraires de Me Letellier sont couverts par le programme fédéral.

[9]            Les parties ne s’entendent pas sur la suite des évènements.

[10]         Me Letellier allègue qu’après la dernière séance de médiation, les défendeurs lui ont donné le mandat de préparer une convention ou un projet de convention portant sur l’exercice des droits parentaux et la séparation de tous leurs biens respectifs.

[11]         En mai 2011, elle prépare donc une convention ou un projet d’entente, qu’elle transmet aux défendeurs. Elle témoigne que, par la suite, elle demeure sans nouvelles des défendeurs.

[12]         En juin 2011, elle leur envoie une facture. Elle totalise 857,29 $, incluant les taxes pertinentes applicables. En juillet 2011, toujours sans nouvelles des défendeurs, elle transmet par courrier électronique une copie de son projet d’entente. Elle espère que son envoi incitera les défendeurs à communiquer avec elle.

[13]         Ce ne sera pas le cas.

[14]         Les défendeurs contestent la réclamation. De fait, plusieurs choses sont reprochées à Me Letellier, par exemple des erreurs importantes de calcul qu’elle aurait commises. En particulier, ils témoignent qu’il n’y a jamais eu d’entente entre eux et Me Letellier pour que cette dernière prépare une convention ou un projet d’entente.

[15]         Les extraits suivants, tirés de la contestation écrite de Mme Goedike, résument son témoignage sur l’absence d’entente entre les parties :

1° Nous n'avons jamais demandé le service final d'entente. Mme Letellier l'a fait à sa propre discrétion.

2° Mme Letellier a préparé cette entente bidon dans le seul but de précipiter les choses avec M. Dostoievsky.

3° Nous n'avions aucune intention, après les 6 sessions permisent, de continuer avec Mme Letellier à cause de ses competences limitées et son impartialité.

4° Mme Letellier a dit que la facture était fictive et que je n'avais pas à m'en inquieter puisque je n'aurais pas à la payer si nous n'en venions à aucune entente.

(sic)

ANALYSE ET MOTIFS

[16]         L'article 2803 C.c.Q. énonce ce qui suit :

2803.   Celui qui veut faire valoir un droit doit prouver les faits qui soutiennent sa prétention.

Celui qui prétend qu'un droit est nul, a été modifié ou est éteint doit prouver les faits sur lesquels sa prétention est fondée.

[17]          Les auteurs Jean-Claude Royer et Sophie Lavallée [1] expliquent ainsi la portée de cet article :

156 -   Fondement - Le principe énoncé à l'article 2803 C.c.Q. a son fondement dans l'existence de deux grandes présomptions expérimentales, soit celle de la normalité des actes et des choses et celle de la conservation des droits.  Il n'est pas conforme à l'état habituel des choses qu'une personne soit la débitrice d'une autre.  Celui qui allègue ce fait doit le prouver.  Il doit établir le contrat, la faute ou tout autre fait qui a créé son droit.  D'autre part, si le demandeur a prouvé les faits générateurs de son droit, le fardeau de démontrer sa modification ou son extinction incombe au défendeur.  En effet, toute personne est présumée avoir conservé son droit.  Ainsi, lorsqu'un prêteur a établi son contrat, il appartient alors à l'emprunteur de démontrer la nullité, la modification ou l'extinction de son obligation. 

[ ]

190 - Généralités - La partie qui a le fardeau de persuasion perd son procès si elle ne réussit pas à convaincre le juge que ses prétentions sont fondées.  Ainsi, l'action du demandeur sera rejetée si celui-ci n'établit pas les actes ou les faits générateurs de son droit.  D'autre part, le défendeur sera condamné à exécuter sa prestation s'il ne prouve pas son extinction.

[18]         En l’espèce, il n’est pas nécessaire d’analyser ou de trancher tous les arguments ou plaintes que les défendeurs ont exposés au sujet de la qualité des services rendus par Me Letellier.

[19]         Me Letellier avait le fardeau de prouver et convaincre que les défendeurs lui ont donné le mandat de préparer une convention ou un projet d’entente sur l’exercice de l’autorité parentale et les mesures reliées à la séparation de leurs biens.

[20]         Or, eu égard à la preuve faite de part et d’autre, le Tribunal n’est pas convaincu que les parties se sont effectivement entendues dans cette perspective.

[21]         Le mandat que Me Letellier allègue avoir reçu n’a pas été consacré dans une entente écrite. Elle n’a produit aucun autre écrit non plus, que ce soit une lettre ou un courrier électronique qui pourrait confirmer, en tout ou en partie, que les défendeurs lui ont effectivement donné le mandat faisant l’objet du litige.

[22]         Il est possible que les défendeurs n’aient pas bien compris la portée de ses explications au sujet de ses services professionnels. Cela n’atténue toutefois en rien, au contraire, l’obligation qui lui revenait d’obtenir un consentement éclairé des défendeurs avant d’entreprendre ses prestations professionnelles. Dans les circonstances, pour éviter toute mésentente à cet égard, elle aurait dû prévoir une confirmation écrite de son mandat.

[23]         En définitive, n’ayant pas satisfait à son fardeau de prouver l’existence d’un mandat donné par les défendeurs, la réclamation de la demanderesse sera rejetée, sans frais judiciaires dans les circonstances.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

REJETTE  la réclamation de la demanderesse, sans frais judiciaires.

 

 

 

__________________________________

ALAIN BREAULT, J.C.Q.

 

 

 

 

Date d’audience :

Le 9 février 2015

 



[1]     Jean-Claude ROYER et Sophie LAVALLÉE, La preuve civile , 4 e édition, Cowansville, Les Éditions Yvon Blais Inc, 2008, pp. 103, 137-138.