L.F. c. Raamco International Properties Canadian Ltd. |
2015 QCCQ 1597 |
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COUR DU QUÉBEC |
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« Division des petites créances » |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
MONTRÉAL |
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« Chambre civile » |
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N°: |
500-32-136275-122 |
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DATE : |
6 février 2015 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE |
L’HONORABLE |
DANIEL DORTÉLUS |
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L... F... |
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Demanderesse |
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c. |
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RAAMCO INTERNATIONAL PROPERTIES CANADIAN LTD |
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Défenderesse |
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JUGEMENT |
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[1] Dans son recours introduit le 27 novembre 2012, la demanderesse poursuit la défenderesse pour la somme de 7 000 $ à titre de dommages résultant d'une exécution hâtive et précipitée d'une décision de la Régie du logement rendue le 27 mars 2012 à son insu, ce qui a occasionné la perte de ses meubles, effets personnels que la défenderesse a mis sur le carreau et la vente en justice de son auto.
1. LE CONTEXTE
[2] Le 12 avril 2012, la défenderesse fait émettre un bref d’éviction pour exécuter une décision de la Régie du logement, peu de temps après que la police et les ambulanciers se soient présentés au logement de la demanderesse pour exécuter une ordonnance émise le 12 avril 2012, par la Cour du Québec pour examen clinique psychiatrique, à l’Institut universitaire en santé mentale Douglas.
[3] L'avis et le bref d’expulsion ont été signifiés sous l'huis de la porte du logement, bien que la défenderesse savait ou aurait dû savoir que la demanderesse était à l’hôpital Douglas.
[4] Le 17 avril 2012, la défenderesse a procédé à l’éviction et à la reprise de possession du logement de la demanderesse pendant qu’elle était hospitalisée temporairement. Elle a procédé à sortir tous les biens et effets personnels de la demanderesse, qui ont été placés sur le carreau. Ils ont été ramassés et entreposés à la fourrière de la ville de Montréal, arrondissement de Lachine.
[5] Par la suite, le 27 avril 2012, elle fait émettre un bref d’exécution pour exécuter la décision de la Régie, qui condamnait la demanderesse à payer la somme de 1 248 $ plus intérêts et frais.
[6] Le 3 mai 2012, elle fait saisir le véhicule de la demanderesse, qui était resté dans le stationnement attenant à l’immeuble. L’huissier l'a nommée en son absence, gardienne du véhicule saisi. Le 3 mai 2012, l’avis de vente est signifié au greffe de la Cour du Québec et le 18 mai 2012, le véhicule est vendu pour le montant de 4 300 $.
[7] Ce n'est que le 21 avril 2012, quand elle est autorisée à sortir de l’hôpital pour quelques heures, afin de se rendre à son logement pour récupérer des effets personnels, que la demanderesse prend connaissance de l’avis et du bref d’expulsion, qui sont collés sur la porte de son logement.
[8] Après la levée de l'ordonnance de la garde en établissement, la demanderesse se rend à la fourrière municipale, où elle constate que la plupart de ses biens sont manquants, et que ceux sur place sont endommagés et inutilisables.
[9] Les frais pour l'exécution du bref d’éviction, de la saisie et la vente de l'auto de madame F... dépassent le montant de 4 000 $. La perte de ses biens (meubles, appareils électroménagers, appareils électroniques) et effets personnels dépassent le montant de 15 000 $, sans compter les dommages moraux et punitifs auxquels elle pourrait avoir droit pour violation de ses droits garantis par la Charte des droits et libertés de la personne [1] .
2. QUESTIONS EN LITIGE
[10] Les principales questions soulevées par ce litige sont les suivantes :
· L'amendement pour augmenter le montant de la réclamation pour la porter à 15 000 $ est-il une issue possible ?
· Les mandataires de la défenderesse ont-ils commis une faute et engagé sa responsabilité pour avoir omis d'informer l'huissier que la demanderesse était hospitalisée et avoir omis de lui faire signifier l'avis et le bref d’expulsion à l’hôpital ?
· La signification de l'avis de 48 heures, et du bref d'expulsion sous l'huis de la porte du logement de la demanderesse est-elle valide? L'exécution du bref d’expulsion qui a suivi est-elle entachée d’irrégularités?
· Les significations du bref d’exécution, et l'avis de vente du véhicule de la demanderesse sont-elles valides? La saisie et la vente qui en a résulté, sont-elles entachées d’irrégularités?
· La défenderesse a-t-elle commis un abus de droit en ayant procédé à l'éviction, la reprise de possession du logement de la défenderesse et la vente de son véhicule ?
3. LA PREUVE
3.1 Preuve en demande
[11] En 2012, les parties sont liées par un bail pour un logement situé dans un complexe de 144 logements, composé de plusieurs immeubles de 24 logements.
[12] Le complexe, situé sur la rue A, à Lachine, est connu sous le nom « Domaine A ».
[13] La demanderesse réside dans le même logement depuis 2001, son bail est renouvelé chaque année, son loyer mensuel, en 2012, était de 416 $.
[14] Durant une période de 11 ans, elle a toujours payé son loyer à temps.
[15] Au mois de janvier et mars 2012, elle est en attente de recevoir des prestations d’assurance salaire, étant en arrêt de travail pour cause de maladie. Elle occupe un poste dans la fonction publique du Québec depuis 1991.
[16] En janvier et par la suite en février 2012, elle prend le soin d'informer la gérante de RAAMCO de sa situation financière et a tenté, sans succès, de prendre un arrangement pour acquitter les loyers échus.
[17] À son insu, RAAMCO dépose une demande de résiliation de bail pour non-paiement de loyer dès le 9 février 2012. Ce n’est qu’au mois d’avril 2012, qu’elle l’apprendra après que RAAMCO ait jeté sur le pavé ses meubles et effets personnels.
[18] La demanderesse explique qu’elle était souffrante et était à la recherche d’un médecin de famille pour remplir les formulaires requis pour le traitement de son dossier d’assurance salaire.
[19] Au début du mois d’avril 2012, elle est en crise quand les policiers et ambulanciers se présentent à son logement pour l’amener à l’hôpital Douglas, aux fins d’examen psychiatrique, ordonné par la Cour du Québec. Elle ne sait pas qui a initié la requête auprès de la Cour. Elle se rappelle qu'elle n'allait pas bien depuis un certain temps et que son état dérangeait certains de ses voisins.
[20] Le concierge de RAAMCO, M. Yacu Bagate, est présent quand les policiers et ambulanciers la prennent en charge pour l’amener à l’hôpital Douglas. Lors de son départ, à la suggestion des policiers, elle remet les clés du logement au concierge.
[21] Dans les jours précédant son hospitalisation, elle s'est présentée au bureau de Mme Filoména Delacruz, la gérante de RAAMCO, pour l’aviser de ne pas s’inquiéter pour les loyers dus jusqu’en avril, qu'elle était en attente de prestations d’assurance-salaire et qu'elle serait en mesure d'acquitter le paiement des arrérages dus.
[22] Lors de cette rencontre, Mme Delacruz ne l’a pas informée ni de la demande de résiliation de son bail, ni de la décision de la Régie du logement, qu'elle a obtenue en son absence.
[23] Dès qu’elle a pu sortir pour quelques heures de l’hôpital, le 21 avril 2012, elle se rend à son logement, où elle constate que la serrure de la porte a été changée.
[24] C'est à cette date qu'elle prend possession de l’avis de 48 heures, du bref d’expulsion, que l’huissier avait collé sur sa porte, ainsi que d’un avis de la ville de Montréal, arrondissement Lachine, indiquant que la ville de Montréal a récupéré ses effets, afin de les protéger durant sa recherche d’un logement.
[25] Le 23 avril 2012, pendant qu’elle est toujours hospitalisée à l’hôpital Douglas, elle communique avec l’assistant gérant de RAAMCO, M. David Hu, qui l’informe qu’il n’y a plus rien à faire et qu’elle doit s’adresser à la municipalité. Sa travailleuse sociale de Douglas, qui a parlé aussi à M. Hu, a obtenu la même réponse.
[26] Après avoir reçu son congé de l’hôpital, la demanderesse a pu se rendre à la fourrière, où elle constate l’ampleur des dommages causés à ses meubles et effets personnels, dont une grande partie était manquante et la plupart sont endommagés.
[27] Elle produit une longue liste de ses biens, sur laquelle sont identifiés les meubles endommagés et manquants.
[28] La défenderesse admet que la valeur des biens dépasse le montant réclamé, soit 7 000 $.
[29] La demanderesse affirme qu’elle était très affectée de voir l’état dans lequel se trouvaient ses meubles et effets personnels.
[30] Dès sa sortie de l’hôpital, elle s’est présentée à la Régie du logement, où on l’a avisée qu’une décision avait été rendue contre elle et qu’il n’y avait plus rien à faire. Ses démarches auprès du bureau d’aide juridique ont été aussi infructueuses, car elle s’est fait refuser l’aide juridique.
[31] La demanderesse affirme qu'elle n'a pas reçu signification de la demande de résiliation de bail pour non-paiement de loyer déposée contre elle, par RAAMCO, à la Régie. Elle n’a pas reçu d’avis d’audition, ce qui explique pourquoi elle n’était pas présente le jour de l’audition à la Régie.
[32] Elle n’a pas reçu signification du bref d’exécution que RAAMCO a fait émettre, le 27 avril 2012, pour vendre son véhicule, qui est demeuré sur place durant son hospitalisation.
[33] Le 21 novembre 2012, elle transmet une mise en demeure à RAAMCO, dans laquelle elle lui reproche, entre autres, d’avoir procédé à reprendre possession du logement et à expulser tout son « stock » de son logement, d'avoir disposé de son véhicule, même si les mandataires de RAAMCO savaient qu’elle était à l’hôpital. Elle met RAAMCO en demeure de lui payer la somme de 7 000 $, dans un délai de 10 jours.
[34] Le 27 novembre 2012, la demanderesse introduit ce recours, réclamant la condamnation de RAAMCO pour 7 000 $, à titre de dommages.
[35] Elle affirme qu'à cause de sa situation, elle n'avait pas de choix que d'intenter son recours à la Division des petites créances pour 7 000 $, le montant maximum qu'elle pouvait réclamer.
3.2 Preuve en défense
[36] RAAMCO est une compagnie internationale, qui possède au Québec plusieurs complexes composés de logements et condos qu’elle loue. M. Joey Dieni représente RAAMCO à l’audience.
[37] Il occupe un poste de superviseur auprès de Gateway Property Management, qui offre des services de gestion à RAAMCO. Il précise qu’il existe une politique en vigueur chez RAAMCO suivant laquelle, c’est le gérant qui représente RAAMCO devant la Régie du logement.
[38] Lorsqu’une décision est rendue par la Régie, elle est remise à l'huissier, qui voit aux recours subséquents pour faire exécuter la décision. C’est cette procédure qui a été suivie dans cette affaire.
La reprise de possession du logement et l’éviction des meubles de la demanderesse
[39] La défenderesse produit la décision rendue en sa faveur par la Régie du logement, le 27 mars 2012, dont voici le dispositif :
« RÉSILIE le bail et ORDONNE l’expulsion de la locataire et de tous les occupants du logement;
ORDONNE l’exécution provisoire, malgré l’appel, de l’ordonnance d’expulsion à compter du 11 e jour de sa date;
CONDAMNE la locataire à payer au locateur la somme
de 1 248 $, plus les intérêts au taux légal et l’indemnité
additionnelle prévue à l’article
[40] RAAMCO a remis cette décision au bureau de l’huissier, Petro Macera Inc., qui procède, le 12 avril 2012, à faire émettre le bref d’expulsion.
[41]
Le 13 avril 2012, le bref d’expulsion est signifié sous l'huis de la
porte du logement de la demanderesse par l’huissier Sothen Nhek, en vertu de
l’article
[42] Le 17 avril 2012, l’huissier, Michel Di Fiore, de l’étude Pietro Macera Inc., procède à l’exécution du bref d’expulsion. Dans son rapport (pièce D-4), il certifie qu’il a exécuté le bref d’expulsion et de mise en possession en plaçant tous les biens et effets mobiliers de la demanderesse sur le carreau. Le coût de l’opération s’élève à 2 015,92 $.
[43] À l’audience, il précise qu'un représentant de RAAMCO sur place qui était en possession de la clé du logement lui a donné accès pour qu'il procède à l'exécution du bref d'expulsion.
La saisie et la vente du véhicule de la demanderesse
[44] Le 27 avril 2012, RAAMCO, par l’intermédiaire du même bureau d’huissiers, fait émettre un bref d’exécution pour exécuter la décision de la Régie du 27 mars 2012 pour le montant de 1 248 $. Le bref est émis pour montant total de 1 448,65 $, incluant les intérêts et frais.
[45] Le 30 avril 2012, l’huissier, Michel Di Fiore, procède à 9 h 20 à la saisie du véhicule de la demanderesse de marque Toyota, modèle Écho 2004, 4 portes. Dans le procès-verbal de saisie, il indique que la somme due est de 3 695,32 $ plus les frais du RDPRM, avis pour la vente à venir.
[46] Monsieur Di Fiore précise qu’il a glissé une copie de courtoisie du procès-verbal dans le véhicule, à l’attention de la demanderesse.
[47] Il produit un rapport de signification amendé, dans lequel il est indiqué que l’avis de vente du véhicule est signifié au greffe de la Cour du Québec (pièce D-10).
[48] Le 18 mai 2012, à 10 h 00, il procède à la vente du véhicule de la demanderesse pour la somme de 4 300 $ (pièce D-8).
[49] Madame Filomena De la Cruz est gérante du complexe où est situé le logement de la demanderesse.
[50] Elle ne se souvient pas que la demanderesse l’ait rencontré pour l’informer de sa situation d’attente de paiement de prestations d’assurance salaire.
[51] Elle a représenté RAAMCO à la Régie du logement pour obtenir une décision par défaut contre la demanderesse, qui était absente.
[52] Elle reconnaît que le concierge l’a informée quand les ambulanciers et la police ont transporté la demanderesse à l’hôpital.
[53] Elle admet qu’elle n’a pas informé le bureau des huissiers, à qui elle a remis la décision de la Régie du logement pour exécution, que la demanderesse était hospitalisée.
[54] Monsieur Dieni soulève qu’il a approuvé, en tant que gestionnaire, l’expulsion de la demanderesse en appliquant la politique en vigueur.
[55] Il est présent lors de l’éviction, il a fait le tour du logement et reconnaît que les meubles n’étaient pas endommagés.
[56] Le concierge est aussi présent lors de l'exécution du bref d'expulsion, c’est lui qui ouvre la porte du logement de la demanderesse aux huissiers.
[57] Monsieur Dieni est présent lors de la vente du véhicule, il mentionne qu’il était lui-même intéressé à l’acheter pour sa fille.
[58] Étant le premier à s’asseoir dans le véhicule, n’ayant pas trouvé la copie que l’huissier y avait laissée, il suggère que la demanderesse ou quelqu’un ayant accès au véhicule l’aurait emporté.
[59] Monsieur Dieni plaide que la défenderesse ne pouvait pas savoir que la demanderesse demeurerait hospitalisée durant plusieurs semaines.
[60] La défenderesse prétend que le recours de la demanderesse aurait dû être dirigé contre la municipalité, suggérant que la perte et les dommages seraient survenus après que les préposés de la ville ont pris en charge les biens de la demanderesse.
4. ANALYSE ET MOTIFS
[61] Les dispositions pertinentes du Code civil du Québec (« C.c.Q. ») [3] applicables dans la présente cause se retrouvent aux articles 6, 7 et 1375 qui énoncent :
« 6. Toute personne est tenue d'exercer ses droits civils selon les exigences de la bonne foi.
7. Aucun droit ne peut être exercé en vue de nuire à autrui ou d'une manière excessive et déraisonnable, allant ainsi à l'encontre des exigences de la bonne foi.
1375. La bonne foi doit gouverner la conduite des parties, tant au moment de la naissance de l'obligation qu'à celui de son exécution ou de son extinction. »
[62] Suivant les principes dégagés par la jurisprudence en matière contractuelle, la bonne foi est de rigueur. [4]
[63] Dans l'arrêt Banque Nationale du Canada c. Houle [5] , la Cour suprême a défini les principes concernant l'application de la théorie de l'abus de droit contractuel.
« La théorie de l'abus des droits contractuels fait partie du droit civil québécois. Cette théorie remplit une importante fonction à la fois sociale et économique, celle d'un contrôle de l'exercice du droit contractuel, et s'inscrit dans la tendance actuelle à concevoir les droits et obligations sous l'angle de la justice et de l'équité. La mauvaise foi et la malice dans l'exercice d'un droit contractuel ne sont plus les critères exclusifs pour apprécier s'il y a eu abus de droit contractuel.
Le critère de l'individu prudent et exigeant peut également servir de fondement à la responsabilité résultant de l'abus d'un droit contractuel.
Il peut y avoir abus d'un droit contractuel lorsque celui-ci n'est pas exercé de manière raisonnable, c'est-à-dire selon les règles de l'équité et de la loyauté. L'abus d'un droit contractuel engendre une responsabilité contractuelle ».
(Soulignements ajoutés)
[64] C'est en appliquant ces principes que le Tribunal analyse la preuve des agissements des mandataires et préposés de RAAMCO, afin de déterminer s'il y a eu mauvaise foi, malice et abus de droit, pour engager sa responsabilité pour les dommages et préjudices causés à la demanderesse.
[65] Il ressort de la preuve que lorsque les policiers et les ambulanciers se présentent au logement de la demanderesse, afin d’exécuter l’ordonnance pour examen psychiatrique, le représentant de RAAMCO, le concierge, est sur place.
[66] À la suggestion des policiers, la demanderesse lui a laissé les clés de son logement. Le lieu de l’hospitalisation de la demanderesse est connu, car selon l’ordonnance, la demanderesse devait se soumettre à un examen psychiatrique à l’Institut universitaire en santé mentale Douglas.
[67] Lorsqu’elle quitte en ambulance pour l’hôpital, la demanderesse n’est pas au courant que RAAMCO avait obtenu une décision de la Régie du logement, le 27 mars 2012, laquelle résilie son bail et ordonne son expulsion. Cette décision a été rendue par défaut contre elle, car elle n’avait pas reçu la signification de la demande déposée à la Régie, ni de l’avis d’audition.
[68] Le Tribunal retient de la preuve que lorsque RAAMCO fait émettre le bref d'expulsion et fait signifier l’avis de 48 heures et le bref d’expulsion, le concierge et la gérante de RAAMCO savaient que la demanderesse était hospitalisée à l’hôpital Douglas.
[69] En cachant la vérité, les mandataires de RAAMCO ont provoqué la perte des biens de la demanderesse. Cette situation aurait facilement pu être évitée, si lorsqu'elle la rencontre peu de temps avant son hospitalisation, la gérante de RAAMCO ne lui avait pas caché qu'une demande de résiliation de son bail avait été déposée à la Régie et qu'une décision avait été rendue contre elle.
[70] Le comportement général des mandataires de RAAMCO amène à la conclusion qu'ils ont a agi de mauvaise foi à l'endroit de la demanderesse et ont profité de la situation de vulnérabilité, dans laquelle elle se retrouvait, pour se débarrasser d'elle à la hâte et reprendre possession à tout prix de son logement, sans se soucier des dommages importants et des sérieux préjudices que cela lui causerait.
[71] L'omission des mandataires de fournir une information importante à l’huissier instrumentant a occasionné la signification de l’avis de 48 heures et du bref d’expulsion sous l'huis de la porte du logement de la demanderesse qui était absente, étant hospitalisée. Ce qui l'a empêchée d'être avisée correctement et l'a privée de ses droits d'exercer ses options, de payer le montant qui initialement n'était que de 1 248 $, ou de demander la rétractation de la décision de la Régie rendue par défaut contre elle et de s'opposer à l'avis de 48 heures et faire annuler l'avis d'expulsion.
[72] En raison de l'omission de la mandataire de RAAMCO, la signification est irrégulière, tant pour l'avis de 48 heures que pour le bref d'expulsion, ce qui a entaché l'exécution du bref d’expulsion qui a suivi.
[73] Il y a preuve suffisante pour établir que les mandataires de RAAMCO ont commis une faute, ce qui engage sa responsabilité en tant que commettant [6] .
[74] En procédant à sortir sur le carreau les biens et effets personnels de la demanderesse, et à la reprise de possession du logement dans ce contexte, RAAMCO a commis un abus de droit, ce qui selon le Tribunal, constitue aussi une faute de nature à engager sa responsabilité pour la perte et les dommages causés aux meubles et biens de la demanderesse.
[75] Le fait que la décision de la Régie du logement contient une conclusion ordonnant l’exécution provisoire, malgré l’appel, à compter du 11 e jour de sa date, ne dispensait pas RAAMCO de respecter les règles applicables en matière de signification et ne l’exonère pas d’exécuter la décision en respectant les exigences de la bonne foi, qui doit gouverner la conduite des parties, tant au moment de la naissance de l'obligation qu'à celui de son exécution ou de son extinction [7] .
[76] La suggestion du représentant de RAAMCO, voulant qu’elle ne savait pas où se trouvait la demanderesse, n’est pas retenue, car elle n’est pas supportée par la preuve, puisque le concierge est présent quand elle est transportée à l’hôpital Douglas et la gérante admet qu'elle a été informée de la situation par le concierge.
[77] RAAMCO n’a effectué aucune démarche pour faire signifier l’avis et le bref d’expulsion à la demanderesse à l’hôpital Douglas, où elle était temporairement hospitalisée. Elle a maintenu cette même approche, bien que le 23 avril 2012, à partir de l'hôpital, la demanderesse et sa travailleuse sociale de l’hôpital communiquent avec M. David Hu, l’assistant gérant de RAAMCO.
[78] Le Tribunal note que c'est après le 23 avril 2012 qu'est émis le bref d'exécution qui a donné lieu à la vente de l'auto de la demanderesse. L'avis de vente a été signifié au greffe de la Cour.
[79] Il y a preuve suffisante pour établir que RAAMCO savait que la demanderesse se trouvait à l’hôpital Douglas lorsqu’elle fait émettre, le 27 avril 2012, un bref d’exécution pour vendre son véhicule. RAAMCO n’a pas fait signifier le bref de saisie-exécution et l’avis de vente à la demanderesse à l’hôpital.
[80] En effet les mandataires de RAAMCO ont caché l'information que la demanderesse était hospitalisée à l'hôpital, car s'ils avaient porté cette information à l'attention du huissier, ce dernier aurait pu signifier la demanderesse à l'hôpital Douglas.
[81] Pour les mêmes raisons mentionnées précédemment, le Tribunal estime que RAAMCO n’a pas agi selon les exigences de la bonne foi, et a commis un abus de droit en procédant à la vente du véhicule de la demanderesse.
[82] La signification du bref d’exécution, la nomination, en son absence, de la demanderesse comme gardien de son véhicule et la signification de l'avis de vente sont irrégulières, ce qui a entaché la vente qui a suivi.
[83] Nous sommes ici en présence d'une situation, où au regard du déroulement de l’exécution hâtive, irrégulière et intempestive de la décision de la Régie pour un montant de 1 248 $, obtenue à l’insu de la demanderesse, une personne prudente et diligente conclurait à une utilisation excessive et déraisonnable des procédures d'éviction, de reprise de possession et de vente de l’auto de madame F..., à l'abus de droit, à la négligence donc à la faute de RAAMCO.
[84] Il y a preuve suffisante pour donner ouverture, en sus des dommages compensatoires pour perte des biens et effets personnels, à l'octroi des dommages moraux et punitifs pour violation de droits garantis par la Charte des droits et libertés de la personne [8] , qui prévoit :
« Article 6 . Toute personne a droit à la jouissance paisible et à la libre disposition de ses biens, sauf dans la mesure prévue par la loi.
Article 8 . Nul ne peut pénétrer chez autrui ni y prendre quoi que ce soit sans son consentement exprès ou tacite. »
Article 49. Une atteinte illicite à un droit ou à une liberté reconnu par la présente Charte confère à la victime le droit d'obtenir la cessation de cette atteinte et la réparation du préjudice moral ou matériel qui en résulte.
En cas d'atteinte illicite et intentionnelle, le tribunal peut en outre condamner son auteur à des dommages-intérêts punitifs. »
Quantum des dommages
[85] Le 27 novembre 2012, quand la demanderesse introduit ce recours, le montant admissible à la Division des petites créances est limité à 7 000 $. Lors de l’audition de sa cause, le 15 janvier 2015, le seuil d’admissibilité a augmenté à 15 000 $ [9] .
[86] Le législateur n’a pas adopté de dispositions transitoires donnant un effet rétroactif à cette augmentation du seuil du montant admissible à la Division des petites créances. Il n’a pas non plus fermé la porte à la possibilité pour le justiciable, ayant une cause pendante introduite avant le 1 er janvier 2015, d’amender sa demande.
[87] Hormis les cas de renonciation clairement exprimés par un justiciable lors du dépôt de sa demande [10] , le Tribunal ne décèle dans la Loi, ni dans la jurisprudence des tribunaux supérieurs aucune intention claire du législateur ou interprétation jurisprudentielle qui interdit d’amender le montant réclamé suite à l’augmentation du seuil d’admissibilité en matière de petites créances. Il va de soi que le principe du stare decisis ne s'étend pas à l'opinion d'un auteur.
[88] Il revient donc au juge saisi du dossier d’utiliser sa discrétion judiciaire en toute indépendance et impartialité pour refuser ou accorder l’amendement, suivant les principes juridiques applicables en cette matière, en ayant à l’esprit l’objectif visé par la réforme qui est de faciliter au justiciable l’accessibilité à la justice pour faire valoir pleinement ses droits, ce qui devrait mettre le juge en garde contre toute règle non requise par la Loi et non clairement établie par l’état du droit, ayant pour conséquence de faire perdre, sans motif valable, des droits au justiciable.
[89] Le Tribunal partage l'opinion de l'honorable Richard Landry, dans la cause Cournoyer c. Ville De Lavaltrie [11] , ainsi que la conclusion à laquelle il arrive :
« 47 En adoptant et en mettant en vigueur le nouveau plafond de 15 000 $ avant même l'entrée en vigueur du nouveau Code de procédure civile prévue à l'automne 2015, le législateur a manifesté son empressement à faire bénéficier à tous les justiciables québécois d'une accessibilité élargie à la Division des petites créances et, à ceux qui avaient déjà déposé une poursuite, de réclamer le plein montant de leurs créances alléguées, jusqu'à concurrence de ce nouveau plafond. »
[90] Suivant les principes dégagés par la jurisprudence, la renonciation à un droit peut être explicite ou implicite, mais dans tous les cas, elle doit être claire, volontaire et avoir été exprimée librement en pleine connaissance de ses conséquences et effets véritables. La renonciation ne se présume pas [12] . Appliquant ces principes et pour les raisons déjà mentionnées, le Tribunal ne pouvait pas en toute légalité conclure à l’avance, à l’existence ou non d’une renonciation avant même d’entendre la demanderesse, madame F....
[91] Il serait contraire au sens commun et à la règle audi alteram partem d’utiliser la prémisse voulant que réduction équivaut à renonciation automatique pour faire obstacle à l’avance à la demande d’amendement en l’instance. Comme le rappelle la Cour suprême dans l’arrêt Hryniak [13] , notre système de justice civile repose sur le principe voulant que le processus décisionnel doit être juste et équitable. Ce résultat ne peut être atteint si des principes juridiques bien établis sont écartés sans motifs valables. Une violation de la règle audi alteram partem est déraisonnable [14] .
[92] En vertu des dispositions de l'article 977 C.p.c. [15] , le juge qui préside l'audience dans une cause en matière de petites créances est tenu d'apporter à chacune des parties une aide équitable et impartiale de façon à faire apparaître le droit et à en assurer la sanction.
[93]
Avec égards pour l'opinion contraire, en application de l'article
[94] En appliquant les principes juridiques établis à la trame factuelle dont il dispose, le Tribunal est d'avis qu'en intentant son recours à la Division des petites créances, la demanderesse n'a pas clairement ni volontairement renoncé à poursuivre RAAMCO pour un montant supérieur à 7 000 $.
[95] Le fait que l’aide juridique lui avait été refusée, ce qui étonne, et le fait qu’elle n’avait pas les moyens de se payer un avocat, supportent sa version qu'elle était obligée de se prévaloir d'un recours à la Division des petites créances, où le montant qu'elle pouvait réclamer était plafonné à 7 000 $, lorsqu'elle a introduit son recours.
[96] En effet, le témoignage de la demanderesse, le contenu de la mise en demeure et les allégations dans la demande n'indiquent pas une quelconque renonciation [16] , reliée à une réduction du montant pour les préjudices graves et les dommages importants que lui a causés RAAMCO.
[97] De surcroît, les préjudices et dommages causés à la demanderesse résultent entre autres de violations de droits garantis aux articles 6 et 8 de la Charte des droits et libertés de la personne [17] , qui sont d'ordre public, ce qui fait obstacle, entre autres, à la renonciation implicite au motif qu'il existerait entre les parties un contrat judiciaire.
[98] Dans l’arrêt Syndicat Northcrest c . Amselem [18] , la Cour suprême enseigne que la Charte québécoise s’applique entre parties privées pour notamment rendre inopposables et sans effet les stipulations d’un contrat qui portent atteinte de façon injustifiée à un droit ou une liberté garantis par celle-ci. L’arrêt Centre universitaire de santé McGill (Hôpital général de Montréal) c. Syndicat des employés de l'Hôpital général de Montréal [19] , confirme que « Le principe selon lequel les parties ne peuvent conventionnellement limiter les droits fondamentaux d’une personne est depuis longtemps reconnu ».
[99] L'application du principe voulant que la renonciation doit être claire et volontaire, jumelée à ces enseignements de la Cour suprême, amène le Tribunal à conclure à l'absence de renonciation par madame F... de recouvrer pleinement les dommages occasionnés par la violation de ses droits, qui inclus des droits garantis par la Charte . « Il est de la dignité de l’Homme de poursuivre la quête de la justice [20] » .
[100]
Les règles
de l'équité sont applicables en matière de droit civil québécois. C’est ce que
la cour Suprême enseigne dans l’arrêt Houle
[21]
.
Elles sont de mise et d’actualité à la Division des petites créances, où les
parties se représentent seules et peuvent bénéficier d’une aide équitable et
impartiale du juge de façon à faire apparaître le droit et à en assurer la
sanction, ce qui ne relève pas en soi d’une faveur ou d’un geste de générosité
ou d’altruisme à la discrétion du juge, mais plutôt de l’application d’une
obligation codifiée à l’article
[101] Bien qu'elle ait été informée par le Tribunal de la possibilité d'amender sa réclamation, malheureusement la demanderesse n'a pas formulé avant la fin de l'audience de demande pour augmenter le montant de sa réclamation. Le Tribunal ne peut pas d’office intervenir pour accorder l’amendement. Si elle avait demandé d’amender sa réclamation pour la porter à hauteur de 15 000 $, soit le seuil admissible lors de l'audition de sa cause, le Tribunal n’aurait pas eu d’hésitation à permettre l’amendement.
[102] Pour tous ces motifs, la demande doit être accueillie jusqu’à concurrence du montant de 7 000 $.
[103] POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[104] ACCUEILLE la demande;
[105]
CONDAMNE
la défenderesse, RAAMCO International Properties Canada Ltd (RAAMCO), à payer à
la demanderesse la somme de 7 000 $ avec intérêts au taux légal de
5 % l’an, plus l’indemnité additionnelle prévue à l’article
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__________________________________ DANIEL DORTÉLUS, J.C.Q. |
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Date d’audience : |
15 janvier 2015 |
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[1] Charte des droits et libertés de la personne , R.L.R.Q., c. C-12, art. 6 et 8.
[2] Code de procédure civile, R.L.R.Q., c. C-25, art. 138.
[3] Code civil du Québec , R.L.R.Q., c. C-1991, art. 6, 7, 1375.
[4]
Verrelli
c.
Brave
,
[5] Banque Nationale du Canada c. Houle , [1990], 3 R.C.S.
[6] Précité, note 2, art 1463.
[7] Précité, note 2.
[8] Précité, note 1, art. 6, 8 et 49.
[9] Précité, note 2, art 955.
[10]
Boukendour
c.
Gosselin
,
[11] Cournoyer c. Ville De Lavaltrie, 705-32-014068-149.
[12]
Glegg
c.
Smith & Nephew Inc.
,
[13]
Hryniak
c.
Mauldin
,
[14]
Dimitri (Electrona)
c.
Sauvé
,
[15] Précité, note 2, art 977.
[16]
Nadeau
c.
Caisse populaire Desjardins D’Anjou
,
[17] Précité, note 1.
[18]
Syndicat Northcrest
c.
Amselem
,
[19]
Centre universitaire de santé McGill (Hôpital général de Montréal)
c.
Syndicat des employés de l'Hôpital général de Montréal,
[20] André TUNC, En quête de justice , dans Mauro CAPPELLETTI, Accès à la justice et État-providence , Paris, Économica, 1984, p. 303, 340.
[21] Précité, note 5.