Simard et Québec (Ministère de la Sécurité publique)

2015 QCCLP 1310

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Lévis

4 mars 2015

 

Région :

Chaudière-Appalaches

 

Dossier :

549458-03B-1408

 

Dossier CSST :

500109442

 

Commissaire :

Robert Deraiche, juge administratif

 

Membres :

Normand Beaulieu, associations d’employeurs

 

André Chamberland, associations syndicales

 

 

______________________________________________________________________

 

 

 

Manon Simard

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Ministère de la Sécurité publique

 

Partie intéressée

 

 

 

et

 

 

 

Commission de la santé

et de la sécurité du travail

 

Partie intervenante

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]            Le 14 août 2014, madame Manon Simard (la travailleuse) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle elle conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 31 juillet 2014 à la suite d'une révision administrative.

[2]            Par cette décision, la CSST confirme celle qu'elle a initialement rendue le 8 juillet 2014 et déclare que l’affectation offerte à la travailleuse à compter du 10 juin 2014 respecte les recommandations du médecin du CLSC et du certificat émis par le médecin traitant.

[3]            Une audience s'est tenue le 2 décembre 2014, à Lévis, en présence de la travailleuse. Le ministère de la Sécurité publique (l'employeur) était également présent et représenté.

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[4]            La travailleuse demande à la Commission des lésions professionnelles de reconnaître que l’affectation proposée par l’employeur comporte des dangers pour elle et/ou l'enfant à naître et, par conséquent, qu’elle a droit à une nouvelle réaffectation ou de se retirer du milieu de travail à compter du 10 juin 2014.

LES FAITS

[5]            Le tribunal a reçu des témoignages et a pris connaissance de preuve factuelle au dossier administratif ainsi que de celle déposée lors de l'audience. Puisque certains renseignements sont sensibles et peuvent être utilisés à d’autres fins que celles prévues à la Loi sur les accidents du travail et des maladies professionnelles [1] , le soussigné se limitera aux résumés des faits, sans les décrire en détail, mais l'ensemble des témoignages et des faits rapportés sera pris en considération dans l’analyse de la preuve.

[6]            Monsieur Émond, conseiller en gestion des ressources humaines chez l’employeur, témoigne au sujet du « Registre d’accidents de travail avec perte de temps et ceux sans perte de temps » (pièce E - 2) tenu par l'employeur. Les données compilées ne concernent que les agents de probation et les attachés d’administration. Le tribunal retient les renseignements suivants :

·         Les données apparaissant au registre sont provinciales. Elles incluent les réclamations adressées à la CSST ainsi que les incidents n’ayant pas fait l'objet d'une réclamation, mais qui ont été rapportés, et ce, depuis 2006;

·         Aucune agression physique d’agent de probation n’est répertoriée à ce registre.

 

 

[7]            En réponse à une question de la travailleuse, le témoin mentionne que les incidents survenus impliquant un potentiel de danger d’agression ne sont pas compilés s’ils ne font pas l’objet d’une dénonciation de la part d’un agent de probation.

[8]            En réponse aux questions du tribunal, le témoin précise ce qui suit :

·         Dans le registre, trois cas impliquant des lésions professionnelles causées par la clientèle à des agents de probation sont répertoriés;

·         Ces lésions résultent de gestes posés par des personnes incarcérées (en milieu fermé);

·         Les trois lésions professionnelles rapportées sont de nature psychologique. Par contre, il semble qu’une de ces lésions ait comme événement initial une agression physique ayant mené à un diagnostic de stress post-traumatique. Il s’agit également d’une agression survenue dans le milieu carcéral.

 

 

[9]            La travailleuse témoigne des éléments suivants :

·         Elle occupe l’emploi d’agente de probation en milieu ouvert auprès d’une clientèle judiciarisée adulte depuis plusieurs années;

·         Ses tâches consistent, notamment, à évaluer et à produire des rapports, avant ou après sentence, dans le cadre de la réinsertion sociale d’une personne condamnée;

·         Elle est aussi agente de liaison auprès d’organismes publics ou d’intervenants comme le CLSC ou de centre communautaire impliqués dans le processus de réinsertion;

·         La clientèle dont elle s’occupe est celle qui est réfractaire aux ordonnances de la cour. Il peut s’agir de personnes incarcérées ou en liberté conditionnelle, de même que des personnes souffrant de multiples problèmes reliés à la consommation de drogue, d’alcool ou qui présentent des problèmes de comportement ou de délinquance;

·         Souvent, les personnes rencontrées ne dévoilent pas tous leurs problèmes à leur agent de probation;

·         Il peut également s’agir de personnes judiciarisées pour des actes criminels comportant de la violence;

·         Cette clientèle est également très émotive et s’exprime souvent de façon agressive;

·         Cette clientèle a l’obligation de se présenter à l’agent de probation, ce qui peut créer des situations tendues;

·         Afin d’effectuer adéquatement son travail, elle doit rencontrer sa clientèle à différentes reprises, l’évaluer tant sur le plan comportemental qu’en regard des besoins, notamment lorsqu’il y a des problèmes de toxicomanie, et de procéder à la rédaction d’un rapport;

·         Lorsqu’il y a contravention des ordonnances du tribunal, elle peut exercer un pouvoir coercitif sur ses clients pouvant aller jusqu’à recommander la révocation de la liberté conditionnelle, ce qui peut les rendre agressifs et violents;

·         La travailleuse explique en détail ses tâches. Essentiellement, les évaluations sont effectuées lors de rencontres avec la personne concernée, rencontres qui ont lieu dans un local fermé. Le bureau où elle est assise est muni d’un bouton d’alarme relié à l’agent de sécurité situé dans le palais de justice. Lors de ces rencontres, un deuxième agent de probation est présent dans le bureau et il s’occupe de répondre au téléphone ou aux personnes se présentant au comptoir de la réception;

·         Essentiellement, la travailleuse soutient que dans le cadre de ses activités, elle est en contact avec une clientèle potentiellement dangereuse. Ainsi, dans ses déplacements dans le bureau de probation et le palais de justice, elle peut être en contact direct avec celle-ci, que ce soit lorsqu’elle se rend à la cour à la demande d’un procureur de la couronne, d’un juge ou d’un avocat, ainsi que pour aller dîner à la salle à manger;

·         Ainsi, le danger identifié par son médecin, soit celui de recevoir un coup, est toujours présent;

·         Quant à la réaffectation proposée par l’employeur, elle mentionne que plusieurs éléments de dangerosité ont effectivement été pris en considération et qu’une entente est habituellement conclue sur certaines situations ponctuelles pouvant présenter un danger. Par contre, elle mentionne qu’il perdure des situations hors de contrôle où il peut y avoir un contact avec une clientèle à risque;

·         Dans le cadre de sa réaffectation, la clientèle identifiée comme potentiellement dangereuse n’est plus rencontrée par la travailleuse;

·         De plus, elle travaille plus souvent au comptoir de la réception, où se présente la clientèle, notamment celle qui a été identifiée comme dangereuse ou agressive et qu’on lui a retirée de sa liste de clients. Ainsi, elle évalue son temps de travail à ce poste, ce qui représente 15 à 20 % de ses tâches;

·         La travailleuse poursuit son témoignage en donnant des exemples de situation où elle a été en contact avec une clientèle dangereuse et qui n’était pas identifiée comme telle. Il est inutile d’en décrire précisément les faits, mais le tribunal retient qu’à au moins une reprise, elle a été en contact avec une personne portant un couteau (de type « Exacto ») qui avait alors attiré l’attention de l’agent de sécurité. Le client avait mentionné que c’était pour son travail. Fait à noter, aucune menace n’a été proférée envers la travailleuse;

·         Quant à son certificat de retrait, plusieurs dangers identifiés ne sont pas en cause dans le présent dossier. Par contre, la travailleuse soumet que son médecin a mentionné de ne pas être en contact avec une clientèle reconnue dangereuse, dès le début de sa grossesse, d’éviter la clientèle reconnue agressive, à partir de quatorze semaines, et celle potentiellement agressive, à compter de vingt semaines;

·         Lorsqu’elle a avisé l’employeur de sa condition, des mesures ont été prises afin de se conformer aux prescriptions du certificat. Ainsi, le 12 août 2014, l’employeur transmet une lettre (pièce T-2) dans laquelle y sont spécifiées les modifications de différentes procédures de travail afin de respecter les recommandations du médecin.

 

[10]         En contre-interrogatoire, la travailleuse précise les éléments suivants :

·         Lors de sa première grossesse, elle a été affectée au même poste que celui actuellement proposé;

·         Elle n’a jamais été victime d’agression physique;

·         Elle détient une formation générale et une en milieu de travail relativement à la façon d’aborder des clients agressifs;

·         Elle se présente à la confection du rôle des causes impliquant la clientèle du bureau de probation. Par contre, l'employeur lui a mentionné que ce n’était pas obligatoire, mais celle-ci a choisi d’y assister;

·         Elle a été appelée à témoigner à la cour de façon impromptue, soit une ou deux fois, depuis qu’elle est en poste;

·         Ses clients se présentent au bureau habituellement sur rendez-vous, mais également de façon non planifiée;

·         Lorsqu’elle est seule, notamment lorsque sa collègue doit quitter le bureau, elle ferme la porte d’entrée à clef;

·         Elle ne rencontre jamais une personne en étant seule dans le bureau. Pour respecter cette consigne, elle a dû déplacer trois ou quatre rendez-vous durant sa grossesse;

·         Le comptoir de la réception n’est pas muni d’une fenêtre vitrée. Par contre, la porte d’accès du local est munie d’un verrouillage électronique;

·         Elle confirme que l'employeur lui offre la possibilité de ne pas recevoir un client avec lequel elle ressent un inconfort;

·         Les clients présentant des problèmes de toxicomanie, de santé mentale, ainsi que ceux identifiés comme étant agressifs, ont été retirés de sa liste de clients habituels;

·         Lorsqu’elle rencontre sa clientèle, celle-ci n’est pas escortée par des agents de sécurité;

·         La travailleuse précise les événements qu’elle a donnés comme exemples et dans lesquels les clients ont fait preuve d’agressivité;

·         Elle précise également la formation reçue dans le cadre de son travail.

 

[11]         Le tribunal a reçu le témoignage de madame Isabelle Pagé, directrice des services correctionnels. Essentiellement, elle explique les différentes interventions que doivent effectuer les agents de probation dans le cadre de leur travail.

[12]         Quant au cas de la travailleuse, elle a été avisée, dès le mois de juin 2014, qu’elle était enceinte et des mesures de réaffectation ont été mises en place immédiatement.

[13]         Le dossier administratif contient les renseignements suivants :

·         Dans l’analyse effectuée par l’équipe du service de santé au travail de Montmagny, dans le cadre du programme « Pour une maternité sans danger », le docteur Labrie identifie les dangers suivants :

o    Facteurs de risque d’accident de voiture  : limiter les déplacements à une heure, à partir de la 12 e semaine, et à quinze minutes, à l'occasion, après la 28 e semaine;

o    Facteurs de risque ergonomique  : en ce qui concerne l’horaire de travail, pas plus que huit heures par jour, dès le début de la grossesse, et une semaine de travail de 35 heures est recommandée à partir de la 24 e semaine;

o    Facteurs de risque psychosocial : agression - violence (coups) : dès le début de la grossesse, éviter le travail avec la clientèle reconnue dangereuse. À partir de la 12 e semaine : éliminer le travail avec la clientèle reconnue agressive. À partir de la 20 e semaine : éliminer le travail avec une clientèle potentiellement agressive.

 

·         Le 16 juillet 2014, la docteure Lucie Champagne transmet un billet médical dans lequel elle écrit :

 

À qui de droit,

 

Ma pte doit avoir réaffectation dans un lieu de travail où il n’y a aucun risque d’agression-violence potentiel dès maintenant. Actuellement, au Palais de Justice, il y a contact constant c clientèle potentiellement dangereuse. Si ré-affectation impossible devrait avoir retrait immédiat. [ sic ]

 

 

[14]         Le 17 juillet 2014, la travailleuse conteste son affectation et fait la déclaration suivante :

À qui de droit,

 

J’ai contesté auprès de vos services l’affectation qui a été mise en place par mon employeur dès l’annonce de ma grossesse. Le 14 juillet 2014, j’ai reçu une lettre datée du 8 juillet 2014 mentionnant l’information suivante : «  Par conséquent, je confirme que vous êtes raisonnablement en mesure d’accomplir sans risque pour l’enfant à naître ou pour vous-même, les tâches auxquelles vous avez été affectées par votre employeur. »

 

Je vous fais donc parvenir la présente lettre pour vous informer de mon désaccord quant à cette décision et les raisons pour lesquelles je souhaite la contester.

 

Le 10 juin 2014, j’avise la directrice de mon organisation que je suis enceinte de 5 semaines. Dès lors, elle m’avise verbalement que mes tâches seront modifiées de la façon suivante :

Ø   Tous les dossiers pouvant présenter un risque de violence, d’agression ou de santé mentale sont retirés de ma charge de travail régulière.

Ø   Je ne dois plus faire d’entrevue d’accueil avec des clients inconnus de nos services.

Ø   Lorsque je suis seule au bureau, je dois fermer la porte pour ne pas rencontrer la clientèle seule.

Ø   Finalement, je pourrais être demandée pour effectuer des tâches plus administratives.

 

Le 12 juin 2014, j’ai déposé à ma clinique médicale le formulaire complété « Certificat visant le retrait préventif et l’affectation de la travailleuse enceinte ou qui allaite» étant donné mon travail d’agente de probation avec la clientèle judiciarisée et multiproblématique.

 

Le 18 juin 2014, j’ai reçu une copie complétée du certificat. Trois facteurs de risques ont été retenus, soit le facteur de risque d’accident, de risque ergonomique et de risque psychosocial. Les deux premiers risques ne posent aucun problème. Le litige concerne le dernier facteur de risque, soit le risque psychosocial (agression - violence - coup). Le libellé est effectué de la façon suivante :

 

Ø   Dès le début dc la grossesse : Éliminer le travail avec la clientèle reconnue

Ø   Dangereuse.

Ø   À partir de 12 semaines : Éliminer le travail avec la clientèle reconnue agressive.

Ø   À partir de 20 semaines: Éliminer le travail avec la clientèle potentiellement agressive.

 

Explicatif de mon travail :

 

Je suis agente de probation. Je travaille avec une clientèle judiciarisée adulte dans un contexte d’autorité. Mon travail consiste à faire l’évaluation et la surveillance de la clientèle qui nous est référée par les Tribunaux. Je dois évaluer les risques de récidive, les besoins criminogènes et le potentiel de réinsertion sociale des personnes que je rencontre. Par ailleurs, mon travail m’amène à dénoncer au procureur des poursuites criminelles et pénales ou encore aux policiers les clients qui ne respectent pas leurs engagements légaux. Toutefois, avant de déposer mes rapports, je dois toujours discuter de la situation avec le contrevenant. Donc, il peut arriver que je sois dans l’obligation de les confronter sur leur comportement inadéquat. Notons également que l’obligation légale de se présenter à des rendez-vous avec un agent de probation et le contexte d’autorité exercé par une femme peut déclencher une certaine violence chez des clients qui n’ont présenté aucun signe auparavant.

 

Également, j’occupe le poste d’agente de relation communautaire (ARC) ce qui m’amène à travailler en collaboration avec un intervenant d’une ressource communautaire qui effectue de la surveillance pour nos services. Bien que je ne sois pas appelé à rencontrer directement cette clientèle, je demeure tout de même, dans la majorité des cas, responsable légale du dossier. Donc, il peut m’arriver que je sois obligée de rédiger des rapports de manquement aux conditions, tel que mentionné précédemment, dans ces dossiers.

 

Mon travail peut également m’amener à aller témoigner à la Cour pour offrir des précisions au Juge concernant la situation du contrevenant. Lorsque je témoigne, la personne est toujours présente. Il est possible de subir des représailles par la suite, selon les informations fournies au Tribunal.

 

La clientèle référée à nos bureaux peut avoir séjournée en détention ou sortir directement de la Cour. La clientèle présente de multiples problématiques personnelles telles que des problématiques de consommation de drogues et alcool présente et/ou passée, de santé mentale (diagnostiquée et médicamentée ou non), de problèmes de violence, d’agressivité physique et verbale… Il peut également arriver que des personnes se présentent avec de petites armes blanches telles que couteau de poche et exacto. Aucun système de détection ne nous permet de savoir si les clients sont armés. Les diverses problématiques présentées chez notre clientèle ne sont pas toujours documentées et peuvent parfois être découvertes en cours de surveillance. De plus, leurs divers problèmes ne sont pas toujours sous contrôle ou encore médicamentés. En effet, l’histoire psychosociale du contrevenant est analysée en cours de suivi. Les divers éléments sont recueillis au cours des entrevues nous permettant de faire l’évaluation.

 

Raisons de ma contestation :

 

Bien que ma collègue de travail doit faire la rencontre d’accueil avec tous les nouveaux clients qui ne sont pas connus de nos services, il lui est très difficile de faire une évaluation exhaustive de la situation. En effet, l’entrevue d’accueil nous permet de recueillir l’information générale du contrevenant (nominative) et de lui expliquer les conditions légales qui lui sont imposées. Donc, lors de cette rencontre aucune cueillette d’information approfondie n’est effectuée. Si, de premier abord, aucun antécédent de violence n’est dénoté, l’accusation actuelle n’est pas de nature violente et qu’en entrevue il n’a pas présenté ou encore dévoilé ses problématiques, il nous est impossible de le savoir à ce moment. Il faudra attendre les rencontres subséquentes, lors de la cueillette d’information servant à l’évaluation, pour peut-être obtenir les informations. Le dossier pourrait donc m’être assigné.

 

Par ailleurs, étant donné l’aménagement physique et l’étroitesse du bureau, je suis amenée à côtoyer la clientèle précédemment décrite, et ce, malgré la réorganisation de ma charge de travail. C’est ma collègue de travail qui doit rencontrer toute la clientèle qui m’est retirée. Alors, malgré ma réaffectation, je demeure toujours en contact avec la clientèle problématique. Je considère que cet élément fait en sorte que je suis toujours à risque de recevoir des coups ou d’être victime de violence verbale, physique ou psychologique de la part de la clientèle dans le cadre de mon travail comme agente de probation. En effet, pour accomplir mes tâches je dois me déplacer dans notre local (photocopieur/fax, secrétariat, classeurs...) Par ailleurs, mon travail m’amène à devoir me déplacer dans le palais de justice pour rencontrer différents partenaires, ainsi que pour aller à la salle de Cour ou à la salle de bain. Il peut donc m’arriver de rencontrer de la clientèle agressive et/ou violente dans ces déplacements.

 

Notons également, que certains clients que j’ai déjà rencontrés et évalués et qui présentaient une des problématiques ciblées peuvent toujours être en suivi avec nos services. Il peut donc arriver que j’aie à travailler dans leur dossier comme ARC, ou encore que je doive les côtoyer au bureau si c’est ma collègue de travail qui doit maintenant les rencontrer.

 

Je considère donc, que mes nouvelles tâches suite à ma réaffectation réduisent les risques ciblés par mon certificat, mais qu’il ne les élimine pas tous, tel que le programme pour une maternité sans danger le prévoit.

 

Démarches :

 

J’ai effectué diverses démarches afin de clarifier les conditions émises sur mon certificat de maternité sans danger. En effet, à mon avis il s’agit d’un problème de compréhension du libellé inscrit sur mon certificat. Il semble porter à interprétation de part et d’autre.

 

Lors de l’émission de mon certificat, j’ai discuté avec l’infirmière responsable de l’évaluation de mon poste de travail, madame Laurette Nicole. Cette dernière m’a référé à la responsable de son département, soit madame Chantale Champeaux ainsi qu’au médecin désigné, soit le docteur Robert Labrie.

 

Lors de ma discussion avec madame Champeaux, cette dernière m’a indiqué qu’à son avis, les recommandations n’étaient pas respectées dans le cadre de ma réaffectation. Elle m’a suggéré de communiquer rapidement avec la CSST afin de contester ma réaffectation, ce que j’ai fait.

 

Lors de ma discussion avec le docteur Labrie, ce dernier m’a indiqué que les recommandations parlaient par elles-mêmes et que ma situation n’était pas très difficile à comprendre. Toutefois, il n’a pas voulu être plus explicite. J’ai tenté de le rejoindre à nouveau après la réception du refus de ma contestation, mais sans succès.

 

J’ai tenté d’obtenir de l’aide de la part de la Santé, mais on m’a répondu qu’on ne pouvait changer le libellé des recommandations. On m’a indiqué de rejoindre le docteur Labrie, qu’on ne pouvait rien faire pour moi. On me réfère à la CSST pour contester.

 

Le 16 juillet 2014, j’ai rencontré mon médecin responsable du suivi de ma grossesse, le docteur Lucie Champagne. Lorsque je lui ai expliqué la situation, elle m’a remis un papier avec l’inscription suivante : « Ma patiente doit avoir réaffectation dans un lieu de travail où il n’y a aucun risque d’agression-violence potentiel dès maintenant. Actuellement au Palais de Justice, il y a contact constant avec clientèle potentiellement dangereuse. Si réaffectation impossible devrait avoir retrait immédiat.». Une copie de ce papier est en annexe.

 

J’ai remis copie de ce document à mon employeur la même journée. Malgré ce document, il m’a été dit que je devais tout de même être à mon travail le lendemain. Il a été mentionné que ce n’est pas à mon médecin de famille de faire des recommandations, mais au médecin de la Santé.

 

Considérant que je suis toujours en contact avec la clientèle ciblée dans le cadre de mon travail, que mon employeur ne prend pas en considération l’avis médical de mon médecin et que les risques d’agression, de coup et de violence sont toujours présents, je demande à la CSST de prendre position dans mon dossier. Afin de respecter intégralement mon certificat, l’avis médical de mon médecin traitant et d’éliminer tous les risques tel que prévu au programme pour une maternité sans danger , je crois essentiel d’être réaffectée dans un lieu où il n’y a aucun risque d’agression et de contact avec tout type de clientèle .[ sic ]

 

[…]

 

L’ARGUMENTATION DES PARTIES

[15]         La travailleuse soumet les arguments suivants :

·         Le danger d’agression physique est en lien direct avec la clientèle dont elle s’occupe;

·         Le danger de recevoir un coup mettant en danger elle-même et/ou l'enfant à naître est constamment présent puisqu’une partie de la clientèle présente une probabilité de concrétiser cette violence par des gestes;

·         L'employeur estime également qu’il y a des possibilités de violence envers elle puisqu’il prend des mesures afin de contrer ce problème en la réaffectant et en instaurant des procédures pour assurer sa sécurité;

·         La travailleuse, en se référant à une décision du tribunal [2] , considère avoir fait la démonstration, par les exemples donnés, qu’il existe un danger réel;

·         Elle soumet que son médecin traitant a clairement décrit le danger environnemental dans son billet médical du mois de juillet 2014. Ainsi, aucun contact avec sa clientèle dangereuse ou agressive n’est possible;

·         De plus, elle se demande pourquoi la notion de « danger »  doit être  appliquée alors que le certificat mentionne spécifiquement le non-contact avec une clientèle dangereuse et agressive;

·         Elle soumet également une décision de ce tribunal représentant un courant jurisprudentiel minoritaire. Celui-ci conclut que le danger appréhendé n’a pas besoin d’être analysé en tenant compte du principe de concrétisation de celui-ci [3] , mais plutôt en considérant le risque potentiel.

 

[16]         Quant à l’employeur, il soumet ce qui suit :

·         L’employeur fait référence à la décision rendue par trois juges administratifs dans l'affaire Centre hospitalier de St. Mary [4] précitée , décision qui a balisé la notion de « danger »;

·         Le courant minoritaire invoqué par la travailleuse correspond à un risque zéro. Or, un tel risque revient à dire que la réaffectation est impossible dans le cadre du programme « Pour une maternité sans danger »;

·         L’employeur soumet que les statistiques démontrent qu’il n’y a eu aucun incident impliquant l’agression physique d’un agent de probation et encore moins une agente de probation enceinte. De plus, la travailleuse admet n’avoir jamais fait l’objet d’une agression physique dans le cadre de son travail;

·         L’employeur a mis en place des procédures de travail qui élimine les dangers, comme le retrait de la clientèle reconnue dangereuse, la procédure de verrouillage de la porte d’entrée du bureau lorsque la travailleuse est seule et la présence d’un agent de sécurité dans le palais de justice;

·         L'employeur allègue également que la clientèle se présentant au bureau de probation a déjà été évaluée par le juge qui a rendu la sentence et que les mesures de sécurité sont prises en conséquence;

·         Le risque de rencontrer une clientèle reconnue agressive existe en dehors du milieu de travail, soit la possibilité d’une telle rencontre à l’épicerie ou sur la rue;

·         Quant à la clientèle, de façon générale, elle n’a aucun motif d’agresser un agent de probation, car la libération conditionnelle est tributaire du rapport de ce dernier. Les chances d’être victime d’une agression sont donc minimes;

·         L’employeur soumet des décisions rendues par cette même instance traitant de différentes situations [5] ;

L’AVIS DES MEMBRES

[17]         Les membres issus des associations syndicales et d’employeurs, après avoir été consultés sur les questions en litige, sont d'avis de rejeter la requête de la travailleuse selon les motifs ci-après exposés.

[18]         D’une part, ils sont d’opinion qu’il doit y avoir la présence d’un danger réel présentant une probabilité de concrétisation qui est non négligeable, comme il a été retenu dans l’affaire Centre hospitalier de St. Mary et Iracani [6] précitée .

[19]         D’autre part, ils considèrent que la preuve ne démontre pas la présence d’un tel danger. Ainsi, des situations décrites par la travailleuse aucune n’a été qualifiée d’« agression physique ». De plus, les statistiques démontrent que la possibilité d’être agressé est minime lorsqu’un travailleur effectue l’emploi d’agent de probation.

[20]         Enfin, ils sont d’avis que les situations décrites par la travailleuse correspondent à la notion de « risque », ce qui n’a pas été reconnu comme situation pouvant entraîner une nouvelle réaffectation ou un retrait du milieu de travail, le cas échéant.

LES MOTIFS DE LA DÉCISION

[21]         Après examen et audition, et après avoir reçu l'avis des membres, la Commission des lésions professionnelles rend la décision suivante.

[22]         La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si la réaffectation de la travailleuse représente un danger pour elle-même et/ou l’enfant à naître.

[23]         Les articles pertinents de la Loi sur la santé et la sécurité du travail [7] (la LSST) se lisent comme suit :

40.  Une travailleuse enceinte qui fournit à l'employeur un certificat attestant que les conditions de son travail comportent des dangers physiques pour l'enfant à naître ou, à cause de son état de grossesse, pour elle-même, peut demander d'être affectée à des tâches ne comportant pas de tels dangers et qu'elle est raisonnablement en mesure d'accomplir.

 

La forme et la teneur de ce certificat sont déterminées par règlement et l'article 33 s'applique à sa délivrance.

__________

1979, c. 63, a. 40.

 

 

 

41.  Si l'affectation demandée n'est pas effectuée immédiatement, la travailleuse peut cesser de travailler jusqu'à ce que l'affectation soit faite ou jusqu'à la date de son accouchement.

 

On entend par « accouchement », la fin d'une grossesse par la mise au monde d'un enfant viable ou non, naturellement ou par provocation médicale légale.

__________

1979, c. 63, a. 41.

 

 

[24]         Dans un jugement récent, la Cour suprême du Canada a énoncé de nouveau les principes généraux que sous-entendent [8] ces articles :

[…]

 

[27]      Sur ce vaste filet protecteur, le législateur a en outre ajouté des mesures de sauvegarde pour répondre spécifiquement aux préoccupations des femmes enceintes en ce qui a trait à la santé et la sécurité. Ces mesures comprennent notamment le droit des femmes enceintes d’être affectées à d’autres tâches ou, si une telle affectation n’est pas possible, le droit de cesser immédiatement de travailler afin de protéger leur santé ou celle de leur enfant à naître et de toucher une indemnité de revenu pendant leur absence du travail (Serge Lafontaine, « Le retrait préventif de la travailleuse enceinte ou qui allaite : qui décide quoi? », dans Développements récents en droit du travail (1991) , 133, p. 135; Cliche, Lafontaine et Mailhot, p. 237-238). Ces droits ont été conçus pour permettre aux travailleuses enceintes de continuer à travailler ou, si aucun autre lieu de travail sécuritaire n’est disponible, d’empêcher qu’elles soient pénalisées sur le plan pécuniaire (Katherine Lippel, « Preventive Reassignment of Pregnant or Breast-Feeding Workers : The Québec Model » (1998), 8 New Solutions 267 , p. 267). Comme l’ont fait remarquer Robert Plante et Romaine Malenfant dans « Reproductive Health and Work : Different Experiences » (1998), 40 JOEM 964, p. 967 :

 

[ traduction ] . . . le droit à la réaffectation préventive vise à protéger les emplois des femmes en réduisant la probabilité qu’elles soient congédiées pendant leur grossesse et en assurant le maintien des avantages liés à un emploi . . .

 

[28]      Les efforts en vue d’empêcher l’exclusion discriminatoire des femmes du milieu du travail en raison de leur grossesse ont amené les mesures de protection de la santé et de la sécurité des femmes enceintes (voir Karen Messing et autres, « Equality and Difference in the Workplace : Physical Job Demands, Occupational Illnesses, and Sex Differences » (2000), 12 NWSA Journal 21, p. 36; voir également Gilles Trudeau, “Aspects constitutionnels du travail salarié”, dans Katherine Lippel et Guylaine Vallée, dir., Rapports individuels et collectifs du travail (feuilles mobiles), 1/1, p. 1/14 et 1/15). Pour contrer les hypothèses discriminatoires qui avaient attribué aux femmes enceintes une incapacité de travailler, le régime protège non seulement leur droit de travailler, mais aussi leur droit de travailler dans un milieu sécuritaire, en présumant qu’elles sont disponibles pour travailler tout autant que le sont les travailleuses non enceintes ( Commission des écoles catholiques de Québec c. Gobeil , [1999] R.J.Q. 1883 (C.A.), p. 1893, le juge Robert; voir aussi AT&T Corp. c. Hulteen , 129 S. Ct. 1962 (2009), p. 1978, le juge Ginsburg, dissident). Comme le signalent Plante et Malenfant, la réaffectation et le retrait préventif visent principalement [ traduction ] « à protéger la santé de la travailleuse enceinte et celle de son enfant à naître en éliminant les dangers sur le lieu de travail, lui permettant ainsi de continuer à travailler » (p. 965 (italiques ajoutés); voir également Lippel, p. 269-270). Si aucune autre affectation au lieu de travail n’est possible, elle a droit de cesser de travailler.

 

[29]      Le retrait préventif s’applique dans le contexte du régime plus large de santé et de sécurité établi par la Loi qui donne aux travailleuses la sécurité de refuser un travail dangereux. En assurant la sécurité financière et la sécurité d’emploi à une travailleuse dont le lieu de travail est dorénavant dangereux en raison de sa grossesse, la Loi évite à la travailleuse enceinte d’avoir à choisir entre son emploi (et son revenu) d’une part, et sa santé et celle de son enfant à naître, d’autre part, [ traduction ] « un choix manifestement difficile, voire impossible » (Plante et Malenfant, p. 968). En outre, à l’instar de tout autre travailleur qui refuse d’exécuter un travail dangereux, elle est réputée, suivant la Loi , être encore « au travail » pendant son retrait préventif.

 

[30]      La Loi protège donc les femmes enceintes de deux façons importantes : elle protège leur santé en remplaçant des tâches dangereuses par des tâches sécuritaires, et elle protège leur emploi en leur assurant la sécurité financière et la sécurité d’emploi.

 

[…]

 

[25]         Ainsi, l’application de ces articles comprend la détermination de la notion de ce qu’est un « travail dangereux ».

[26]         À ce sujet, la Commission des lésions professionnelles a rendu une décision en 2007 en soumettant un cas type à l'appréciation de trois juges administratifs puisque la jurisprudence du tribunal était divisée sur l’interprétation à donner à la notion de « danger ». Il a été décidé des principes suivants.

Affaire Centre hospitalier de St. Mary et Iracani [9]

[27]         Dans la LSST, le législateur utilise les termes « risques » et « danger » dans différentes dispositions. Ainsi, pour ne citer que quelques exemples :

Notion de risques

 

§ 2. —  Obligations générales

 

Obligations de l'employeur.

 

51.  L'employeur doit prendre les mesures nécessaires pour protéger la santé et assurer la sécurité et l'intégrité physique du travailleur. Il doit notamment:

 

[…]

 

5° utiliser les méthodes et techniques visant à identifier, contrôler et éliminer les risques pouvant affecter la santé et la sécurité du travailleur;

 

[…]

 

9° informer adéquatement le travailleur sur les risques reliés à son travail et lui assurer la formation, l'entraînement et la supervision appropriés afin de faire en sorte que le travailleur ait l'habileté et les connaissances requises pour accomplir de façon sécuritaire le travail qui lui est confié;

 […]

__________________

1979, c. 63, a. 51; 1992, c. 21, a. 303; 2001, c. 60, a. 167; 2005, c. 32, a. 308.

 

 

Fonctions.

 

78.  Les fonctions du comité de santé et de sécurité sont:

 

[…]

 

 6° de participer à l'identification et à l'évaluation des risques reliés aux postes de travail et au travail exécuté par les travailleurs de même qu'à l'identification des contaminants et des matières dangereuses présents dans les postes de travail aux fins de l'article 52;

 

[…]

_____________

1979, c. 63, a. 78; 1992, c. 21, a. 304; 2005, c. 32, a. 308.

 

 

Notion de danger

 

Objet de la loi.

 

2.  La présente loi a pour objet l'élimination à la source même des dangers pour la santé, la sécurité et l'intégrité physique des travailleurs.

______________

1979, c. 63, a. 2.

 

 

Refus d'exécuter un travail.

 

12.  Un travailleur a le droit de refuser d'exécuter un travail s'il a des motifs raisonnables de croire que l'exécution de ce travail l'expose à un danger pour sa santé, sa sécurité ou son intégrité physique ou peut avoir l'effet d'exposer une autre personne à un semblable danger .

______________

1979, c. 63, a. 12.

 

 

40.  Une travailleuse enceinte qui fournit à l'employeur un certificat attestant que les conditions de son travail comportent des dangers physiques pour l'enfant à naître ou, à cause de son état de grossesse, pour elle-même, peut demander d'être affectée à des tâches ne comportant pas de tels dangers et qu'elle est raisonnablement en mesure d'accomplir.

__________

1979, c. 63, a. 40.

 

[nos soulignements]

 

 

[28]         Ainsi, le législateur a utilisé ces deux termes, mais n’en a pas défini le sens. Une règle interprétative exige que l’on retienne le sens usuel des mots. Le tribunal a donc retenu les interprétations suivantes des notions de « danger » et de « risque » :

[…]

 

[57]      La Commission des lésions professionnelle s retient que la notion de « danger » fait appel à une menace réelle alors que la notion de « risque » réfère à un événement dont la survenance, bien qu’elle soit possible, est incertaine.

 

[…]

 

[87]      Le tribunal en vient également à la conclusion qu’il ne faut pas interpréter l’article 40 de la loi comme signifiant qu’aucun risque ne doit être présent. L’exigence d’une preuve de « risque zéro » viderait de son sens l’article 40. Le droit prévu à l’article 40 est celui de demander d’être affecté à des tâches ne comportant pas de « dangers » pour la travailleuse enceinte ou l’enfant à naître. Si l’on interprétait la notion de « danger »comme signifiant qu’aucun risque ne devrait être présent, il deviendrait impossible de réaffecter la travailleuse. Elle devrait tout simplement cesser de travailler pendant toute la durée de sa grossesse. Pourtant, le tribunal a depuis longtemps reconnu que « d’indemniser une travailleuse lorsqu’il y a absence de danger serait contraire au but du droit au retrait préventif ».

 

[…]

 

[91]      Cela étant, la question à laquelle le présent tribunal doit maintenant répondre est de savoir à partir de quel moment les « risques » présents dans un milieu de travail deviennent un « danger » pour la travailleuse ou pour l’enfant à naître.

 

[92]      La Commission des lésions professionnelles conclut que pour constituer un «danger», les risques doivent être réels. Un risque virtuel, une crainte ou une inquiétude n’est pas suffisant pour conclure à un « danger ».La preuve doit démontrer que le risque est réel, que malgré tous les efforts faits pour le contrôler ou l’éliminer, il demeure présent et peut entraîner des conséquences néfastes pour la travailleuse enceinte ou pour l’enfant à naître. Enfin, pour qu’il constitue un « danger physique » au sens de l’article 40 de la LSST, ce risque doit présenter une probabilité de concrétisation qui est non négligeable.

 

[…]

 

[29]         En regard du dossier soumis, la travailleuse avait le fardeau de présenter une preuve prépondérante qu’il existait un « danger », au sens de la jurisprudence, dans la réaffectation proposée par l'employeur. En ce qui concerne cette obligation, la preuve n’a pas été faite, et ce, pour les motifs suivants.

[30]         Premièrement, les prétentions de la travailleuse, appuyées d’exemples qu’elle a mis de l'avant, se basent sur la prémisse que des personnes agressives judiciarisées ont le potentiel de passer à l’acte. En effet, il est possible qu’un individu au comportement violent puisse récidiver. Par contre, il faut que cette possibilité soit suffisamment importante pour constituer un danger au sens de la jurisprudence. Le fait qu’une personne ait été condamnée pour un crime avec violence ne peut se qualifier de « danger », mais constitue une possibilité revêtant une incertitude de concrétisation d’un acte d’agression (un coup), soit un risque.

[31]         D’ailleurs, les statistiques déposées par l’employeur démontrent que la concrétisation du danger que constitue une agression physique est presque nulle en regard des agents de probation et encore moins pour une agente de probation enceinte. Il est évident que cette seule preuve ne permet pas de conclure à l’inexistence d’un danger, mais elle constitue un indice de la fréquence des agressions physiques dans le milieu de travail.

[32]         Enfin, le témoignage de la travailleuse démontre qu’elle n’a subi aucune agression physique durant toutes ses années d’expérience. Or, dans son travail habituel, la situation est telle qu’elle travaille avec une clientèle hétéroclite, soit des personnes dangereuses, agressives ou présentant des comportements délinquants, ainsi que d’autres individus se conformant aux obligations de leur probation. Dans la nouvelle réaffectation, la clientèle reconnue dangereuse et agressive lui a été retirée, ce qui diminue de beaucoup le risque de subir une agression physique.

[33]         Deuxièmement, l’employeur, en collaboration avec la travailleuse, a mis de l’avant des modalités de travail permettant d’éliminer le danger relié à une agression physique. Ainsi, comme il a été mentionné précédemment, il y a eu une épuration de la liste des clients de la travailleuse, soit des personnes présentant une dangerosité, une agressivité ou des problèmes de santé mentale, afin que ceux-ci soient écartés du travail habituel de la travailleuse.

[34]         De plus, lorsqu’il s’agit d’un nouveau client, l’évaluation de la dangerosité de ce dernier est effectuée par une collègue de travail.

[35]         Quant aux tâches effectuées en réaffectation, d’autres façons de faire ont été mises de l'avant, notamment le travail qui était exécuté par la travailleuse seule dans le bureau de probation avec un client, qu’il soit ou non reconnu agressif, fut aboli. À ce sujet, la travailleuse admet qu’il lui est arrivé, à quelques reprises, de reporter des rendez-vous puisqu’elle aurait été seule au moment de la rencontre.

[36]         De plus, lorsqu’elle est seule dans le bureau de probation, elle verrouille la porte d’entrée.

[37]         Troisièmement, le tribunal retient que l'employeur est à l’écoute des besoins de la travailleuse. Ainsi, le fait que cette dernière se sente inconfortable avec un client a mené l’employeur à le retirer de sa liste de clients. Il ne s’agissait pas d'une personne qualifiée de « dangereuse » ou d’« agressive ».

[38]         Quatrièmement, certaines situations font partie de l'exercice de sa fonction, où la travailleuse accepte le risque relié à une rencontre possible avec sa clientèle dangereuse. En effet, elle admet se présenter à l’appel du rôle des causes, exercice pouvant la mettre en contact direct avec cette clientèle. Or, la travailleuse mentionne que cette participation est de sa propre initiative, et ce, même si l'employeur lui a permis d’éviter d’effectuer cette tâche.

[39]         Enfin, le tribunal considère que le seul contact fortuit pouvant se produire lors des déplacements dans le bureau de probation ou dans le palais de justice, où la travailleuse effectue son travail, ne constitue pas un danger d’être agressée physiquement. En effet, aucune agression de ce type n’est survenue depuis que la travailleuse effectue cet emploi. Il serait improbable que celle-ci vienne en contact avec une personne qui voudrait l’agresser d’autant plus que ce type de clientèle a été éliminé de sa liste de clients, qu’elle n’en fait plus l’évaluation et qu’elle n’effectue plus de dénonciations pouvant les rendre agressifs.

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

REJETTE la requête de madame Manon Simard, la travailleuse;

CONFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 31 juillet 2014 à la suite d'une révision administrative;

DÉCLARE que l’affectation offerte à la travailleuse à compter du 10 juin 2014 respecte les recommandations apparaissant au certificat « Pour une maternité sans danger ».

 

__________________________________

 

Robert Deraiche

 

 

M e Isabelle Robitaille

MINISTÈRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE - SERV. JURIDIQUES

Représentante de la partie intéressée

 

 

M e Odile Tessier

VIGNEAULT THIBODEAU BERGERON

Représentante de la partie intervenante

 



[1]           RLRQ, c. A-3.001.

[2]           Centre hospitalier de St. Mary et Iracani, C.L.P. 214540-71-0308 , 6 juillet 2007, S. Di Pasquale, L. Landriault, G. Robichaud, paragraphe [85] et suivants.

[3]           Jetté et Louisiana-Pacific Canada div. Maniwaki, C.L.P. 310868-07, 4 décembre 2007, S. Lemire.

[4]           Précitée, note 2.

[5]           Simard et Ministère de la Sécurité publique, C.L.P. 309278-02-0702 , 4 octobre 2007, C.-A. Ducharme; St-Amant et Ministère de la Sécurité publique, 2011 QCCLP 799 ; Tadjer et Ministère de la Sécurité publique, 2014 QCCLP 769 ; CSSS Lucille-Teasdale et Leblanc, 2013 QCCLP 4667 ; Carrefour jeunesse-emploi de Laval et Roy, 2013 QCCLP 6941 .

[6]           Précitée, note 2, paragraphe [92].

[7]           RLRQ, c. S-2.1.

[8]           Dionne c. Commission scolaire des Patriotes , décision rendue le 1 er mai 2014 par la Cour suprême du Canada, 2014 CSC 33 , ainsi que Bell Canada c. Québec (Commission de la santé et de la sécurité du travail), [1988] 1 R.C.S.

[9]           Précitée, note 2.