Jaber c. Décarie

2015 QCCQ 1656

JF 1083

 
 COUR DU QUÉBEC

« Division des petites créances »

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

TERREBONNE

LOCALITÉ DE

SAINT-JÉRÔME

« Chambre civile »

N° :

700-32-027610-128

 

 

 

DATE :

22 JANVIER 2015

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE :

L’HONORABLE

LYNE FOUCAULT, j.C.Q.

______________________________________________________________________

 

 

SAIMY JABER

et

NATASHA PILON

Partie demanderesse

c.

JEAN-MARC DÉCARIE

et

CHANTALE BOUCHARD

Partie défenderesse

 

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

DEMANDE ET CONTESTATION :

[1]            Le 30 novembre 2012, la partie demanderesse réclame de la partie défenderesse la somme de 7 000 $ pour des travaux afin d’installer une margelle de fenêtre au sous-sol, réparer fenêtres, plafond et plancher du sous-sol d’une propriété acquise de la partie défenderesse. La partie demanderesse invoque qu’il s’agit de vices cachés et qu’elle a dû effectuer les travaux en urgence.

[2]            La partie défenderesse oppose qu’il ne s’agit pas d’un vice caché et qu’il n’a pas été possible pour eux de faire les vérifications des problèmes allégués puisque les travaux étaient pleinement entamés lors de la dénonciation qui leur a été faite de la situation dont se plaint la partie demanderesse.

QUESTION EN LITIGE :

La partie demanderesse a-t-elle fait la preuve de vices cachés affectant la propriété de la partie acquise de la partie défenderesse ?

Les faits :

[3]            La partie demanderesse a pris possession de la propriété acquise de la partie défenderesse en avril 2012. Elle rapporte qu’elle a alors constaté la présence de calcaire au bas du mur de briques du sous-sol, elle témoigne qu’elle a elle-même fait l’inspection préachat puisque possédant une formation pertinente, mais admet ne pas avoir déplacé les meubles et effets à cette occasion, ayant toutefois vérifié les taux d’humidité qui se sont avérés normaux.

[4]            La partie demanderesse rapporte que c’est en enlevant le plancher flottant qu’elle a constaté un problème qui s’est avéré résulter d’une infiltration d’eau suivant un rapport d’inspection effectué par la suite, en raison d’anomalies aux fenêtres du sous-sol. Elle témoigne avoir poursuivi les travaux de réfection sans délai et avoir avisé l’autre partie suivant une lettre qui est exhibée.

[5]            La partie défenderesse oppose que la maison a été visitée par la partie défenderesse et que le calcaire qui a été constaté sur les briques du mur du sous-sol étaient bien visible et nullement caché par du mobilier tel qu’en fait foi les photographies qui sont exhibées. Bien que le sous-sol était un peu humide comme tout sous-sol, elle ne s’est jamais inquiétée de cette situation. L’absence de margelles aux fenêtres du sous-sol datait de 2002 au moment de l’acquisition de la propriété et était apparente. Elle ignore tout problème découlant de ce fait. Elle ajoute que lorsque lui a été dénoncée la situation, les travaux étaient grandement entamés et qu’elle a été incapable de constater l’état des lieux qui lui est reproché.

ANALYSE ET CONCLUSION :

  La partie demanderesse invoque les dispositions de l'article 1726 du Code civil du Québec concernant la garantie de qualité.  Cet article se lit comme suit:

Le vendeur est tenu de garantir à l'acheteur que le bien et ses accessoires sont, lors de la vente, exempts de vices cachés qui le rendent impropre à l'usage auquel on le destine ou qui diminuent tellement son utilité que l'acheteur ne l'aurait pas acheté, ou n'aurait pas donné si haut prix, s'il les avait connus.

Il n'est, cependant, pas tenu de garantir le vice caché connu de l'acheteur ni le vice apparent; est apparent le vice qui peut être constaté par un acheteur prudent et diligent sans avoir besoin de recourir à un expert.»

          La détermination d'un vice caché obéit généralement à quatre critères essentiels que le Tribunal résume comme suit:

1)         Le vice doit être grave:

Toute défectuosité d'un bien au moment de la vente n'est pas automatiquement un vice caché au sens de la loi.  Le vice doit atteindre une certaine gravité.  Il doit rendre le bien impropre à l'usage auquel on le destine ou en diminuer son utilité de façon importante que l'acheteur ne l'aurait pas acheté à ce prix.

2)         Le vice doit être inconnu de l'acheteur:

Si le vice a été dénoncé par le vendeur, il n'est plus caché .

3)         Le vice doit être caché :

Le vice ne doit pas être découvert par un acheteur prudent et diligent sans nécessiter de recourir à une expertise.  Il ne doit donc y avoir aucun indice perceptible lors de l'achat.

4)         Le vice doit être antérieur à la vente:

Le vendeur n'est tenu de garantir que l'état du bien au moment de la vente. 

[6]            À la lumière de la preuve soumise, le Tribunal est d’opinion que le vice dont de plaint la partie demanderesse présentait des indices apparents qui n’auraient pas dû échapper à un acheteur prudent et diligent d’une maison de plusieurs années d’âge. D’ailleurs, la partie demanderesse qui a prétendu à une formation en inspection en bâtiment ou à une formation de cette nature, avait toutes les raisons de voir ces traces de calcaire facilement visibles suivant un examen consciencieux. De même en est-il de l’absence de margelles. Le Tribunal considère que le vice présentait des signes de sa possible existence et n’était pas caché au sens de la loi.

[7]            Au surplus, le Tribunal est d’opinion que la partie demanderesse a failli à démontrer que la partie défenderesse connaissait l’existence de ce vice reproché. En effet, ceux-ci ont habité la maison sans problème et sans s’inquiéter de cette absence de margelles et de la présence de traces de calcaire au sous-sol qu’ils n’ont jamais fait investiguer puisqu’ils n’en subissaient aucun problème. D’ailleurs, il est fort à parier que n’eut été que la partie demanderesse a entrepris de rénover le sous-sol qu’elle n’aurait pas constaté elle non plus ce problème d’infiltration.

En effet, l’article 1728 du Code civil du Québec requiert une preuve de connaissance de la part des vendeurs. Cet article se lit comme suit:

1728. Si le vendeur connaissait le vice caché ou ne pouvait l'ignorer, il est tenu, outre la restitution du prix, de tous les dommages-intérêts soufferts par l'acheteur.

[8]            Enfin, le Tribunal est d’opinion que la partie demanderesse n’a pas démontré cette urgence à faire les travaux effectués au point de priver la partie défenderesse de faire un constat avant travaux de ce  vice qui lui est ainsi reproché. Cette exigence d’une dénonciation préalable est une condition à l’exercice du présent recours.

[9]            Sur cette question de la dénonciation et des conditions pour ce faire, le Tribunal réfère à l’affaire Claude Joyal c. CNH Canada et AXA Assurances [1] , , dans laquelle la Cour d’appel se prononce en ces termes :

La dénonciation : conditions et finalités

Dans sa thèse devenue un traité, La garantie de qualité du vendeur en droit québécois, 2e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 2008, Me Jeffrey Edwards - aujourd’hui, juge à la Cour du Québec - fait remonter au droit romain la nécessité pour l’acheteur de se manifester dans un court délai après la découverte d’un vice, cette exigence visant à contrer l’instabilité contractuelle Inspiré de cette approche, notre droit civil exigeait, avant 1994, que l’acheteur intente son action avec diligence raisonnable après la découverte d’un vice (art. 1530 C.c.B.-C.). Lors de la réforme du Code civil , cette exigence a toutefois été abandonnée au profit de celle de la dénonciation écrite, le législateur ayant voulu déjudiciariser, dans la mesure du possible, les rapports entre l’acheteur et le vendeur d’un bien affecté d’un vice.

La dénonciation, aussi appelée préavis, avis et parfois mise en demeure, est donc une nouvelle condition de garantie légale contre les vices. Cette exigence, prévue au Code civil du Québec , s’applique autant en cas de vice de titre que de vice de qualité.

Les articles 1738 et 1739 C .c.Q. stipulent que cette dénonciation doit être écrite et que, dans le cas d’un vice de titre, elle doit préciser la nature du droit ou de la prétention du tiers, alors que dans le cas d’un vice de qualité, elle doit décrire le vice. Cette condition de forme ne semble cependant pas impérative, la jurisprudence ayant parfois validé une dénonciation uniquement verbale.

Cette dénonciation doit aussi être donnée dans un délai raisonnable de la connaissance du vice allégué, sauf si le vendeur connaissait ou ne pouvait ignorer le vice (art. 1738 C .c.Q ., 2e al. et art. 1739 C .c.Q ., 2e al.), sous réserve toutefois du délai de prescription. L’ancien droit admettait également que lorsque le vendeur connaissait le vice ou ne pouvait l’ignorer, il ne pouvait bénéficier de l’écoulement du délai raisonnable.

La finalité de la dénonciation est ainsi décrite par le professeur Jobin :

167 - Préavis. Droit du vendeur de remédier à son défaut -

[…]

La raison d’être de ce préavis est de permettre au vendeur de vérifier s’il s’agit bien d’un vice couvert par la garantie, de constater les dommages causés le cas échéant et, s’il y a lieu, d’effectuer la réparation ou le remplacement du bien à un coût inférieur à celui d’un tiers engagé par l’acheteur.

[…]

La jurisprudence et la doctrine reconnaissent généralement que la dénonciation est une condition de fond à l’exercice du droit à la garantie. À cet égard, dans Immeubles de l'Estuaire phase III inc. c. Syndicat des copropr. de l'Estuaire Condo phase III, la Cour, sous la plume de la juge Bich, s’exprime ainsi :

Une comparaison avec l'article 1739 C.c.Q. confirme cette interprétation. L'article 1738 C.c.Q. établit en effet pour le régime de la garantie du droit de propriété (articles 1723 à 1725 C.c.Q.) une exigence analogue à celle qu'édicte l'article 1739 C.c.Q. en matière de dénonciation du vice caché et elle devrait recevoir une interprétation semblable, qui ne soit ni plus ni moins sévère.

L'article 1739 énonce que :

1739. L'acheteur qui constate que le bien est atteint d'un vice doit, par écrit, le dénoncer au vendeur dans un délai raisonnable depuis sa découverte. Ce délai commence à courir, lorsque le vice apparaît graduellement, du jour où l'acheteur a pu en soupçonner la gravité et l'étendue.

Le vendeur ne peut se prévaloir d'une dénonciation tardive de l'acheteur s'il connaissait ou ne pouvait ignorer le vice.

Selon cette disposition, le défaut de préavis est généralement considéré comme fatal au recours de l'acheteur, même dans le cas où le vendeur connaissait ou était présumé connaître le vice. Pierre-Gabriel Jobin, dans son ouvrage sur la vente, écrit que :

Bien que le vendeur qui connaissait le vice ou ne pouvait pas l'ignorer ne puisse se plaindre d'avoir reçu un avis tardif, il a quand même droit de recevoir un avis écrit de l'existence du vice avant que l'acheteur n'intente des procédures contre lui; seule est supprimée, à l'égard d'un tel vendeur, l'obligation de l'aviser dans un délai raisonnable. Le but de ce préavis, on l'a vu, est de permettre au vendeur de réparer le vice et, le cas échéant, de vérifier si le vice est grave et s'il est attribuable à une mauvaise utilisation par l'acheteur; cet objectif est tout aussi pertinent pour le vendeur professionnel que pour celui qui ne l'est pas.

L'auteur indique dans ce passage que l'acheteur doit donner ce préavis avant d'intenter les procédures mais, vu le but du préavis, tel qu'expliqué plus haut (voir supra, paragr. [152]), il faut comprendre que l'acheteur doit donner ce préavis avant même de procéder aux réparations : on ne peut pas, autrement, parler de dénonciation.

La comparaison des articles 1738 et 1739 C.c.Q. mène donc à la conclusion que le vendeur a le droit de recevoir une dénonciation écrite du problème, même s'il connaît ou est présumé connaître ce dernier.

En d’autres mots, la dénonciation constitue une condition de mise en œuvre de la garantie, hormis en certaines circonstances, notamment en cas d’urgence, de négation de responsabilité du vendeur au fait du vice, ou encore de renonciation, expresse ou implicite, à la dénonciation.

[10]         En conclusion, le Tribunal conclut que la partie demanderesse n’a pas démontré l’existence d’un vice caché et n’a pas rencontré les exigences préalables à l’exercice de son recours. Il lui appartenait de faire la preuve de ses prétentions, tel que l’exige l’article 2803 du Code civil du Québec qui se lit comme suit :

2803.  Celui qui veut faire valoir un droit doit prouver les faits qui soutiennent sa prétention.

Celui qui prétend qu'un droit est nul, a été modifié ou est éteint doit prouver les faits sur lesquels sa prétention est fondée.

PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[11]         REJETTE la demande;

[12]         SANS FRAIS .

 

 

__________________________________

LYNE FOUCAULT, j.C.Q.

 

 

 

Date d’audience :

13 NOVEMBRE 2014

 



[1] 2014, QCCA, 588