Charest c. Médicina inc.

2015 QCCQ 1676

COUR DU QUÉBEC

« Division des petites créances »

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

QUÉBEC

LOCALITÉ DE

QUÉBEC

 

N° :

200-32-060172-136

 

DATE :

20 février 2015

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SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

ANDRÉ J. BROCHET, J.C.Q.

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D r  JÉRÔME CHAREST

[…] Québec (Québec)  […]

 

Demandeur

 

c.

 

MÉDICINA INC.

2500, Rue Beaurevoir, local 270

Québec (Québec)  G2C 0M4

 

Défenderesse

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JUGEMENT

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[1]            Le demandeur, monsieur Jérôme Charest, médecin de profession, réclame à la défenderesse, Médicina inc. (ci-après « Médicina »), la somme de 7 000 $. Il s’agit dans un premier temps d’une somme de 2 405 $ due en salaire impayé pour les 18.5 heures travaillées au taux horaire de 100 $ l’heure les 19, 20 et 22 août 2013 et 4 595 $ de préavis de départ que lui devrait la défenderesse, sa valeur totale calculée étant supérieure, mais réduite pour donner juridiction à la Division des petites créances. Ainsi, monsieur Charest réclame 7 000 $.

[2]            Non seulement Médicina conteste devoir quoi que ce soit à monsieur Charest, mais se porte demanderesse reconventionnelle pour 7 000 $, l’accusant d’avoir nui à la réputation de Médicina et généralement omis de respecter son obligation de non-concurrence prévue au contrat intervenu entre les parties.

[3]            Madame Anne Leclerc qui représente Médicina à l’audience, soumet avoir dû notamment encourir pour plus de 13 000 $ de frais d’avocat, un des éléments du quantum réclamé à monsieur Charest.

[4]            Voici les faits sur lesquels le Tribunal s’appuiera pour décider du présent litige.

[5]            C’est à compter de novembre 2011 que monsieur Charest pratique la médecine avec contrat de service qui intervient avec Médicina. Le 1 er novembre 2012, cette entente est renouvelée. Il est prévu que le taux horaire payable à monsieur Charest est de 130 $ pour un horaire de travail de vingt-sept heures par semaine. Le contrat spécifie des engagements de non-concurrence et non-sollicitation aux clauses 14 et 15, lesquelles se lisent ainsi :

14. Clause de non-concurrence

Tant que le Médecin rendra des services au Client en vertu de ce contrat ou de tout autre contrat de service écrit ou verbal ainsi que pendant une période de deux (2) ans après la fin de l’exécution des services du Médecin auprès du Client (la «  Période  »), le Médecin s’engage à ne pas , seul ou en collaboration avec toute autre personne, directement ou indirectement, pour son bénéfice ou celui d’un tiers, travailler au sein de, exploiter ou détenir quelque intérêt financier, dans une société, entité, compagnie, entreprise, corporation, personne morale ou association, à quelque titre que ce soit (employé, consultant, actionnaire, mandataire, associé, agent ou autre), qui exploite une clinique de médecine familiale non participante au régime de la RAMQ (clinique privée).

Cette interdiction de concurrence est limitée à la zone géographique déterminée à l’ Annexe 14 des présentes.

15. Clause de non-sollicitation

Tant que le Médecin rendra des services au Client en vertu de ce contrat ou de tout autre contrat de service écrit ou verbal ainsi que pendant la Période, le Médecin s’engage à ne pas , seul ou en collaboration avec toute autre personne, directement ou indirectement, pour son bénéfice ou celui d’un tiers :

i)       solliciter les patients ayant fait affaires avec le Client pour les inciter à cesser de faire affaires avec le Client ou nuire à leur relation; ou

ii)      solliciter les membres du personnel : médecins, infirmières, personnel de bureau et autres spécialistes qui travaillent pour le Client ou rendez des services au Client pour les employer, leur offrir un emploi ou les inciter à rompre leur relation avec le Client.

[6]            À l’égard de la résiliation du contrat, c’est l’article 18 qui s’applique et qui se lit ainsi :

18. Suspension ou résiliation du contrat

Le Client se réserve le droit de suspendre ou mettre fin au présent contrat en tout temps au moyen de l’envoi au Médecin d’un préavis de quinze (15) jours à cet effet ou sans préavis advenant la survenance de l’un ou l’autre des cas suivants :

i)       le Médecin ne respecte pas l’une ou l’autre de ses obligations aux termes du présent contrat et n’y remédie pas dans un délai de cinq (5) jours suivant la réception d’un avis du Client lui notifiant le défaut reproché;

ii)      le Médecin fait l’objet d’un litige disciplinaire avec le Collège des médecins suite à une plainte de patients ou autres;

iii)     le Médecin commet une faute ou fait preuve de négligence grossière à l’endroit d’un patient de la clinique;

iv)    le Médecin poste un geste, ou omet de poser un geste, qui porte atteinte à la réputation du Client ou qui constitue une faute causant préjudice au Client.

[7]            Enfin, l’article 19 prévoit que les dispositions de confidentialité, non-concurrence et non-sollicitation prévues aux article 14 et 15 ci-avant retranscrites, demeurent en vigueur, et ce, malgré la résiliation ou la terminaison du contrat d’emploi pour quelque motif que ce soit.

[8]            Au cours de l’année 2013, s’est développé un contentieux entre Médicina et monsieur Charest. Tel qu’il l’a exprimé à l’audience, il avait divers griefs à l’égard de l’administration de Médicina et de la façon dont il devait rendre ses services professionnels de médecin à la clientèle.

[9]            De son côté, Médicina avait aussi des reproches de diverses natures à formuler au D r  Charest, de sorte que le 22 août 2013 fut une journée où la situation a trouvé son aboutissement.

 

 

[10]         En effet, le climat d’emploi de monsieur Charest lui cause une insomnie qui l’empêche d’être en forme convenable pour prodiguer ses services professionnels le 23 août au matin. Il en prévient son adjointe sans autre communication. Dans l’après-midi de cette même journée du 23 août 2013, madame Anne Leclerc, la directrice générale lui écrit que son contrat prend fin cette journée même lui reprochant les événements des dernières semaines, son attitude et ses commentaires à l’égard de l’entreprise.

[11]         Cette lettre prévoit que monsieur Charest recevra sa rémunération, y inclus le préavis de deux semaines suivant ce que prévu au contrat intervenu. On l’informe que ses patients ont été déplacés et pris en charge par les autres médecins de la clinique.

[12]         Il appert que les parties ont échangé par écrit par la suite pour la remise de documents, ce à quoi s’est conformé D r  Charest et que Médicina a changé d’avis à l’égard de son obligation de payer le salaire dû à monsieur Charest, y inclus les deux semaines de préavis.

[13]         Monsieur Charest, lorsqu’il quitte Médicina, à la fin de septembre 2013, entreprend de fournir des services à une entreprise concurrente. Il a requis de Médicina qu’elle lui communique la liste de ses patients où il agit comme médecin de famille, ce qui fut fait partiellement vu que, suivant madame Leclerc, beaucoup des patients du D r  Charest ont, suite à son départ, changé leur médecin de famille pour celui qui était au service de Médicina.

[14]         Les parties n’ont pu régler le litige qui les concerne et qui a trait exclusivement au paiement du salaire et du préavis prévu au contrat de service ainsi qu’à l’application des clauses de non-concurrence et de non-sollicitation en l’espèce.

[15]         Voici comment le Tribunal décidera du présent dossier.

[16]         Il n’y aucun doute que monsieur Charest a droit à sa rémunération de 18.5 heures pour les journées du 19, 20 et 22 août 2013 totalisant 2 405 $. En effet, ces heures ont été travaillées et madame Leclerc reconnaît qu’il n’a pas été payé.

[17]         De plus, monsieur Charest a droit aux deux semaines de préavis prévues au contrat, et ce, pour les motifs suivants.

[18]         Soulignons dans un premier temps que contrairement à ce que madame Leclerc a prétendu à l’audience, les semaines de préavis doivent être monnayées sinon, elles n’ont aucun sens ni signification.

 

 

[19]         Ensuite, l’article 18 du contrat est clair. Médicina pouvait mettre fin au contrat sans préavis uniquement si monsieur Charest ne respectait pas une obligation après mise en demeure de cinq jours. Cette condition n’a pas été respectée par Médicina, de sorte que la résiliation du contrat par elle peut se faire uniquement qu’avec préavis. Ainsi, la réclamation de monsieur Charest, jusqu’à concurrence de 4 595 $, somme réduite et originellement de 7 020 $ est accueillie.

[20]         À l’égard de la demande reconventionnelle, soulignons d’abord que toute réclamation concernant la diffamation dont a pu être victime Médicina n’est pas de juridiction de la Cour du Québec, Division des petites créances, aux termes de l’article 954 du Code de procédure civile ( C.p.c. ). De plus, comme l’a souligné le Tribunal à l’audience, les frais d’avocat encourus par une partie préalablement ou en parallèle à des procédures devant la Division des petites créances, ne sont adjugés que lorsqu’il y a abus de procédures de l’une des parties contre qui ces honoraires extrajudiciaires sont réclamés ou soit poursuite vexatoire ou intention malicieuse, ce qui n’est pas le cas dans le présent dossier.

[21]         La preuve que monsieur Charest a causé des dommages directs à Médicina en apportant avec lui des documents confidentiels ou influencé un autre médecin à quitter la clinique est absente.

[22]         Rien non plus dans la preuve soumis par Médicina ne permet au Tribunal de conclure, de façon prépondérante, que les obligations de confidentialité et de non-sollicitation n’ont pas été respectées par monsieur Charest.

[23]         D’autre part, sur cette question de non-concurrence et non-sollicitation, voici les motifs sur lesquels s’appuie le Tribunal pour en disposer.

[24]         Telles qu’elles ont été écrites au contrat de services, les clauses 14 et 15 précitées sont tout à fait légales, étant précises, limitées et non abusives.

[25]         Le médecin qui s’engage auprès d’une clinique privée peut voir ses capacités de concurrence et sollicitation être restreintes à la fin d’un contrat où il a apposé sa signature. Le fait qu’il occupe la profession de médecin n’est, à notre sens, d’aucun secours pour faire déclarer ces restrictions nulles suivant les dispositions de l’article 1373 du C.c.Q. parce qu’allant à l’encontre de l’ordre public. S’il décide d’œuvrer dans un régime privé, il se soumet à la loi des parties avec lesquelles il contracte.

[26]         D’autre part, ce que le Code prévoit à l’article 2095 et qui s’applique au contrat d’emploi doit parallèlement recevoir application au contrat de services.

 

 

[27]         Cet article 2095 C.c.Q. se lit ainsi :

2095. L’employeur ne peut se prévaloir d’une stipulation de non-concurrence, s’il a résilié le contrat sans motif sérieux ou s’il a lui-même donné au salarié un tel motif de résiliation.

[28]         Aussi, le cocontractant qui constate l’autre partie en défaut de respecter ses obligations, peut toujours plaider l’exception d’inexécution prévue à l’article 1591 C.c.Q. qui se lit ainsi :

1591. Lorsque les obligations résultant d’un contrat synallagmatique sont exigibles et que l’une des parties n’exécute pas substantiellement la sienne ou n’offre pas de l’exécuter, l’autre partie peut, dans une mesure correspondante, refuser d’exécuter son obligation corrélative, à moins qu’il ne résulte de la loi, de la volonté des parties ou des usages qu’elle soit tenue d’exécuter la première.

[29]         Dans l’espèce, nous avons retenu le défaut de Médicina d’exécuter ses obligations au contrat de service. Il s’ensuit que monsieur Charest était relevé de ses obligations corrélatives.

[30]         Comme le Tribunal en vient à la conclusion que l’entente de service a été résiliée sans motif sérieux par Médicina, il s’ensuit que cette dernière ne peut bénéficier des dispositions de non-concurrence et non-sollicitation qui sont au contrat.

[31]         Par analogie au contrat d’emploi, l’absence de motif sérieux du client au contrat de service, soit Médicina, ne le prive pas de son droit à la résiliation (2125 C.c.Q. ), mais ce dernier toit toujours être exercé suivant les impératifs de la bonne foi (articles 6 et 7 C.c.Q. ) et sans abus.

[32]         S’il fallait permettre à Médicina de mettre fin sans motif au contrat de service avec monsieur Charest et la faire bénéficier des clauses restrictives, il y aurait, de l’avis du Tribunal, un abus de droit et c’est le motif pour lequel les restrictions du contrat sont inopposables à monsieur Charest.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL  :

CONDAMNE la défenderesse, Médicina inc., à payer au demandeur, monsieur Jérôme Charest la somme de 7 000 $ avec intérêt au taux légal et l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec depuis le 30 septembre 2013, date de la mise en demeure, avec frais limités à la somme de 167 $.

 

 

ANDRÉ J. BROCHET, J.C.Q.

 

Date d’audience :

13 janvier 2015