COMMISSION DES RELATIONS DU TRAVAIL |
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(Division des relations du travail) |
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Dossier : |
255083 |
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Cas : |
CM-2014-5134 |
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Référence : |
2015 QCCRT 0142 |
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Montréal, le |
11 mars 2015 |
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DEVANT LE COMMISSAIRE : |
Pierre Cloutier, juge administratif |
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Suzanne Caron
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Plaignante |
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c. |
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Aryzta
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Intimée |
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DÉCISION |
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[1]
Le 27 août 2014, Suzanne Caron (la
plaignante
) dépose une plainte en vertu de l’article
[2] La plainte est contestée par Aryzta qui soutient lui avoir imposé ces sanctions pour un autre motif que ses activités syndicales, soit parce qu’elle a falsifié des rapports de vérification de détecteur de métal en n’y inscrivant pas l’heure à laquelle elle a réellement effectué des tests, mais celle à laquelle elle aurait dû les faire. Cette faute, selon Arytza, constitue un manquement grave aux règles de sécurité, a rompu son lien de confiance envers la plaignante et justifie son congédiement.
[3] La plaignante admet avoir commis une faute, mais soutient que le congédiement est une sanction tellement disproportionnée qu’il faut conclure que Arytza s’en sert comme prétexte pour se départir de ses services.
[4] La plaignante a-t-elle été congédiée pour une autre cause juste et suffisante, soit pour une cause étrangère à ses activités syndicales?
[5] Aryzta produit de la pâte à pain surgelée qu’elle vend à des chaînes d’alimentation et à Subway, un client important. Elle exploite une usine située à Saint - Hubert, au Québec, depuis 2009. Cette usine, qui existe cependant depuis 1982, a auparavant appartenu à General Mills et à Pillsbury. C’est là que travaillait la plaignante.
[6] La fabrication de la pâte à pain est soumise à des normes strictes dont celles prévues par la Loi sur la sécurité des aliments (la LSA ). En plus des normes édictées par cette loi, Aryzta s’est engagée à respecter celles prévues au programme Hasard Analysis Critical Control Point , connu sous l’acronyme « HACCP ». Les normes de ce programme ont été élaborées par une équipe multidisciplinaire composée de sept cadres de Aryzta. Elles visent à assurer la qualité et la sécurité de son produit. L’équipe de Arytza a identifié les risques et déterminé des points critiques ( critical control point ) où il y a un danger pour la sécurité du produit. Les procédures prévues au programme HACCP visent à réduire ou à éliminer tout risque.
[7] En plus des normes de la LSA et du programme HACCP, en juillet 2014, Aryzta s’est engagée à respecter celles établies par le British Retail Consortium ( BRC ). Cette organisation a défini des exigences pour les fabricants de denrées alimentaires, en matière d’audit et de certification, afin de leur permettre d’être certifiés conformément à la norme mondiale de sécurité. À la suite de cet engagement, Aryzta a entrepris d’implanter progressivement les règles de ce programme.
[8] Le respect de toutes ces règles ou normes est important parce qu’il constitue un sceau de qualité. Un manquement peut entraîner la perte de certification BRC ou d’un client, d’affirmer Sophie Piquette, directrice assurance qualité. Il en va de la pérennité de l’entreprise, ajoute-t-elle.
[9] D’ailleurs, un des clients, Subway, effectue un audit par année à l’usine de Saint-Hubert afin de s’assurer du respect des normes de production. De plus, les inspecteurs de l’Agence canadienne des aliments peuvent se présenter à l’usine à l’improviste pour effectuer une inspection.
[10] Les employés de Arytza sont informés de l’importance du respect des règles ou normes adoptées. Le Guide des bonnes pratiques de fabrication , dont la plaignante a reçu copie, mentionne que tous les documents doivent être complétés au moment de l’observation et que les heures ne doivent pas être inscrites à l’avance. Il précise que tout employé qui violera ces règles sera passible d’une sanction disciplinaire pouvant aller jusqu’au congédiement.
[11] Les auteurs du programme HACCP ont déterminé deux risques ou dangers dans le processus de production de la pâte à pain et établi des mesures de contrôle. L’un de ces risques est la contamination par le métal. La procédure mise sur pied pour détecter le métal est la suivante.
[12] Il y a quatre lignes de production à l’usine de Saint-Hubert, deux pour les produits Subway, une chacune pour les petits et les gros pains. À la fin de chaque ligne, juste avant l’emballage de la pâte, se trouve un détecteur de métal. On est à la toute fin du processus de production, à un point appelé point de contrôle critique.
[13] À cette étape, le HACCP prévoit le mécanisme de contrôle suivant. Au début de chaque quart de travail, puis à chaque heure et à la fin de chaque quart ou lors d’un changement de produit, le chef d’équipe de l’emballage passe, l’un après l’autre, trois bâtons métalliques ( les bâtons ) sous le détecteur de métal de chaque ligne pour s’assurer de son bon fonctionnement. Ce test est effectué huit fois par quart de travail, sur chaque ligne de production. Le chef d’équipe complète un formulaire, appelé rapport de vérification de détecteur de métal ( les rapports ), par ligne de production et par quart. Chaque appareil est calibré pour détecter les métaux ferreux, non-ferreux et l’acier inoxydable. La grosseur du métal détecté varie de 1,5 à 3 mm, selon le produit. Cette procédure prend une à deux minutes par ligne.
[14] Après chaque test, le chef d’équipe inscrit, sur les rapports, l’heure à laquelle il a fait le test, indique si les bâtons ont été détectés ou non et met ses initiales. Ces rapports sont vérifiés par le superviseur, à la fin de chaque quart, qui les signe. Selon la procédure, le superviseur doit s’assurer que l’ensemble des données pertinentes y ont été inscrites. Si un point soulève une interrogation, il doit faire une enquête et prendre les mesures correctives nécessaires. Les rapports sont ensuite acheminés au laboratoire du Service de contrôle de la qualité.
[15] Toujours d’après la procédure, lorsque le chef d’équipe constate qu’un bâton n’est pas détecté ou rejeté, il doit arrêter la production au niveau des mixeurs, aviser le superviseur immédiatement et le Service de contrôle de la qualité, si possible, mettre en retenue tous les produits fabriqués depuis la dernière fabrication correcte, appeler le mécanicien pour qu’il pose un diagnostic et repartir l’emballage seulement si les trois bâtons sont détectés.
[16] À l’étape suivante, le Service de contrôle de la qualité décide, après examen de la situation, si le produit peut être repassé au détecteur de métal et être libéré ou s’il doit être détruit.
[17] La plaignante a travaillé pour les différents employeurs qui ont exploité l’usine de Saint-Hubert depuis mai 1992. Au moment de son congédiement, elle travaillait donc pour Aryzta. Elle occupait un poste d’aide générale, mais il lui arrivait de remplacer un des chefs d’équipe de l’une des lignes de production. Son horaire de travail était de 6 h 30 à 14 h 30.
[18] À l’époque de son congédiement, elle était impliquée dans les activités du syndicat depuis 17 ans et était présidente depuis 5 ans. Elle siégeait aux comités des relations du travail et de santé et de la sécurité au travail. Elle était présidente du comité de griefs, ce qui l’amenait à faire des enquêtes et à rencontrer les représentants de l’employeur pour discuter des griefs. C’est à elle que les salariés s’adressaient lorsqu’il y avait un problème dans l’usine.
[19] L’année 2014, aux dires de la plaignante, fut une année difficile, notamment à cause de la renégociation de la convention collective à laquelle elle a participé. Les salariés ont voté pour la grève, même s’ils ne l’ont pas faite. Les parties n’en sont arrivées à une entente qu’à la suite de l’intervention d’un médiateur. La plaignante admet cependant qu’au terme du processus de négociation, le syndicat était satisfait des gains obtenus.
[20] Selon la plaignante, après la signature de la convention collective, le 26 mai 2014, la relation entre les parties se détériore. Elle dépose plusieurs griefs à la suite desquels elle négocie des ententes avec la nouvelle directrice des ressources humaines, Sally Dextrase. Cette dernière est entrée en fonction le 22 avril 2014. Elle a été recrutée à l’externe. Elle n’a participé qu’à la dernière séance de conciliation.
[21] La plaignante soutient que, peu après son entrée en fonction, madame Dextrase lui mentionne que là où elle travaillait avant, « elle a fait sortir le président du syndicat et le reste a suivi ».
[22] Madame Dextrase nie ces propos. Elle n’a jamais travaillé en milieu syndiqué, dit-elle. Elle dépose une ordonnance du Conseil canadien des relations industrielles, datée du 6 mars 2013, révoquant l’accréditation que détenait un syndicat pour représenter les salariés d’une unité de négociation, chez Cofely, où elle travaillait avant d’être embauchée par Aryzta. Cette ordonnance a été rendue avant qu’elle se joigne à Cofely.
[23] Du reste, madame Dextrase soutient que la relation entre les représentants de Arytza et du syndicat était bonne, ce qu’affirme aussi Marc Paradis, chef du Service de l’expédition et de la réception.
[24] Au cours de la semaine du 28 juillet 2014, la plaignante est chef d’équipe à l’emballage, en remplacement de la titulaire du poste. Au début de son quart de travail, le 30 juillet, trois lignes sont en production. À 7 h 38, elle passe les bâtons sous le détecteur de la première ligne, puis elle fait de même pour les deux autres. Elle refait le même exercice à 8 h 35. Chaque fois, elle complète les rapports.
[25] Vers 9 h, elle quitte son poste de travail pour assister à deux formations. Par la suite, comme des salariés se sont plaints que l’une des formations est donnée par des chefs de secteur, ceux-ci sont des salariés syndiqués qui occupent temporairement un poste de supervision, elle se rend au bureau de madame Dextrase pour lui en parler.
[26] La plaignante dit que, lors de cette rencontre, elle fait part à madame Dextrase des plaintes des salariés au sujet de la formation. Puis, elles discutent du cas d’un salarié, Éric Napier, qui avait un problème d’absentéisme. Elle soutient qu’au cours de leur conversation madame Dextrase lui mentionne qu’il y a trop de griefs. Il y en avait 25 en suspens à ce moment-là. Madame Dextrase nie ce témoignage.
[27] Vers midi, la plaignante quitte le bureau de madame Dextrase et retourne à son poste de travail. En prenant connaissance des rapports de détection, elle constate que quelqu’un a tiré un trait à l’heure où les tests de détecteur de métal auraient dû être passés, soit vers 9 h 30, alors qu’elle était en formation. Mais, dit-elle, comme elle avait fait les tests vers 9 h, avant de quitter son poste pour les formations, elle inscrit le résultat des tests mais avec les heures suivantes : 9 h 35 pour une ligne, 9 h 40 pour l’autre et 9 h 44 pour la dernière. Ces heures ne correspondent pas à celles où elle a réellement fait les tests.
[28] Pour les tests qui devaient être faits vers 10 h 30, 11 h 30 et 12 h 30, ce sont d’autres salariés qui ont passé les bâtons, vu que la plaignante était au bureau de madame Dextrase. Les tests de 10 h 30 et de 11 h 30 ont été faits par Denise Blais. Elle a inscrit 10 h 45 et 11 h 21, soit chaque fois la même heure sur les trois rapports. Le test de 12 h 30 a été fait par Diane Deniger. Elle a inscrit 12 h 23 sur un rapport et 12 h 24 sur les deux autres. Par la suite, la plaignante étant de retour à son poste, c’est elle qui a effectué les tests.
[29] Comme le programme HACCP le prévoit, à la fin de la journée les trois rapports ont été vérifiés et signés par le superviseur et ils ont été transmis au laboratoire.
[30] Le vendredi 1 er août 2014, en après-midi, le contremaître de soir cherche en vain du personnel pour faire des heures supplémentaires, le lendemain, parce qu’un ou deux salariés ont avisé qu’ils ne rentreraient pas au travail.
[31] Le 4 août, la plaignante poursuit le remplacement de la chef d’équipe à l’emballage. À la pause du matin, elle voit Marc Paradis et lui souligne que s’ils n’ont pas trouvé de salariés pour faire des heures supplémentaires, le samedi, c’est qu’ils s’y sont pris trop tard pour le demander aux personnes présentes.
[32] La plaignante soutient qu’à cette occasion monsieur Paradis lui dit que s’il avait eu à voter pour une présidente de syndicat, il n’aurait pas voté pour elle parce qu’elle connaît trop la « gammick ». Monsieur Paradis nie ce témoignage.
[33] Il faut remonter au 31 juillet 2014 pour comprendre ce qui a amené Arytza à prendre des mesures contre la plaignante. Ce jour-là, un employé du laboratoire apporte, à madame Piquette, les rapports de vérification du 30 juillet parce qu’ils ne sont pas conformes. De préciser madame Piquette, il y avait un trait et un point d’interrogation qui devaient être expliqués au cas où il y aurait un audit et « pour libérer les produits ».
[34] Madame Piquette fait d’abord elle-même une petite enquête. Elle voit madame Blais et d’autres personnes qui lui « rapportent des choses ». Un employé lui dit que la plaignante n’était pas à son poste à 9 h 35 et que quelqu’un a mis un trait pour qu’elle n’inscrive pas de temps. Elle n’interroge pas le superviseur qui a vérifié et signé les rapports.
[35] Puis, elle va voir monsieur Paradis pour qu’il fasse enquête parce que les rapports montrent une perte de contrôle du procédé, même s’il n’y avait pas de risque parce que les détecteurs de métal avaient fonctionné, selon ce qu’on lui avait dit. De plus, le fait d’inscrire une fausse information « met en doute ce qui s’est réellement passé sur le plancher de production ».
[36] Le matin, le 1 er août 2014, monsieur Paradis interpelle la plaignante au passage, lui montre les rapports du 30 juillet et lui demande pour quelle raison il y a un trait, même s’il sait que ce n’est pas elle qui l’a fait. Elle lui répond qu’elle a effectué les tests avant d’aller en formation et qu’elle a oublié d’inscrire l’heure. Monsieur Paradis trouve cela bizarre, compte tenu de ce que madame Piquette lui a rapporté. Quoi qu’il en soit, comme il y a une contradiction, parce que l’heure inscrite ne correspond pas à celle où les tests ont été faits, il parle de la situation à madame Dextrase. Tous les deux conviennent qu’il y a matière à enquête.
[37] Le 4 août, monsieur Paradis, madame Dextrase, Lynda Halfyard, directrice nationale des ressources humaines, et l’avocat de Arytza tiennent une conférence téléphonique pour discuter du cas de la plaignante. Ils décident de la suspendre avec salaire pour enquête.
[38] Toujours le 4 août, mais en milieu d’après-midi, la plaignante est convoquée au bureau de monsieur Paradis, qui agit aussi à ce moment-là à titre de directeur de l’usine, vu l’absence de ce dernier pour vacances. Elle ignore pour quelle raison on veut la rencontrer. Madame Dextrase est présente à la rencontre ainsi que Nancy Brochu, vice-présidente du syndicat. Monsieur Paradis lui lit la lettre suivante :
Madame Caron,
Vous faites présentement l’objet d’une enquête de nature disciplinaire.
Dans ce contexte, nous vous informons que vous êtes par les présentes suspendus avec solde pour la durée de l’enquête, laquelle ne devrait pas durer plus de deux semaines.
Vous ne devez pas vous présenter sur les lieux du travail durant votre suspension.
Eu égard à vos fonctions syndicales, nous traiterons avec d’autres membres de l’exécutif en votre absence ou, selon le choix du syndicat, nous suspendrons le suivi des dossiers en cours.
Nous vous demandons de ne pas communiquer avec vos collègues de travail concernant l’enquête en cours.
Veuillez agréer, Madame, l’expression de nos sentiments distingués.
Marc Paradis
Chef de service, Réception et expédition
(reproduit tel quel)
[39] Cette lettre a été rédigée par l’avocat de Arytza. Monsieur Paradis, qui la lit, ne précise pas à la plaignante sur quoi portera l’enquête.
[40] Dans le cadre de l’enquête, madame Dextrase est chargée de rencontrer les témoins. Elle en voit neuf. De son côté, monsieur Paradis visionne l’enregistrement vidéo du 30 juillet. Il se demande si l’incident de ce jour-là est isolé et décide de faire le même exercice pour les deux mois précédents, en s’attardant aux jours où la plaignante était chef d’équipe à l’emballage.
[41] Cette démarche lui permet de constater que, le 16 juin, entre 13 h 56 et 14 h 02, elle était à l’étage où sont situés les bureaux de Arytza. Or, il faut, ce dont la plaignante convient, environ quatre minutes pour, du poste de travail de cette dernière, aller à l’étage des bureaux et en revenir. Sur les trois rapports qu’elle a complétés ce jour-là, on peut lire qu’elle a passé les bâtons à 14 h, 14 h 03 et 14 h 15.
[42] La même situation se produit le 28 juillet. La bande vidéo montre qu’elle était à l’étage des bureaux de 10 h 47 à 10 h 50. Les rapports indiquent qu’elle aurait fait les tests à 10 h 50, 10 h 51 et 10 h 52.
[43] Il faut noter que l’heure de la bande vidéo est une 1 m. 30 sec. en avance de celle de l’usine.
[44] Fort de ces renseignements, monsieur Paradis, mesdames Dextrase et Halfyard et l’avocat de Arytza tiennent une conférence téléphonique le 7 août, en avant-midi. Ils concluent qu’il y a possiblement matière à congédiement mais qu’il faut rencontrer la plaignante pour qu’elle donne sa version des faits. Cette rencontre a lieu l’après-midi même. Les mêmes personnes qui étaient présentes à la rencontre du lundi y participent.
[45] Selon la plaignante, monsieur Paradis lui demande d’abord si elle a suivi la formation sur les détecteurs de métal. Elle lui répond qu’elle en a suivi une sur les « rejets » de détecteur de métal. Puis, il lui « montre les feuilles » et lui dit qu’elle a falsifié les rapports des 16 juin, 28 et 30 juillet. Elle admet que l’heure inscrite n’est pas la bonne et lui dit qu’elle a passé les bâtons avant d’aller à la formation.
[46] Après, monsieur Paradis lui pose une question plus précise au sujet du 16 juin et lui mentionne que, selon lui, aux heures qu’elle a inscrites, il croit qu’elle n’était pas à son poste de travail mais avec le directeur de production Sylvain Daraiche. Elle lui répond que, si c’est le cas, son superviseur était au courant qu’elle était en « meeting ». Il lui dit de s’en informer auprès de ce dernier. Il lui demande de revenir le lendemain, à 14 h.
[47] La plaignante soutient, au sujet des heures inscrites sur les rapports, qu’elle n’avait pas à être à la minute près, que ça pouvait jouer un peu. Elle n’était d’ailleurs pas la seule à agir comme elle l’a fait.
[48] Au sujet de cette rencontre, monsieur Paradis raconte qu’il demande à la plaignante pour quelle raison les heures inscrites sur les rapports ne coïncident pas. Elle n’a pas de réponse, ne sait pas pourquoi. Puis, il lui demande s’il lui arrive d’inscrire des heures sommaires. Elle nie avoir inscrit des heures sans avoir fait les tests.
[49] En contre-interrogatoire, monsieur Paradis dit qu’il ne se souvient pas s’il a montré les rapports à la plaignante et affirme qu’il ne lui a pas donné de dates. Lorsqu’il est réinterrogé et que la liste des questions qui avaient été préparées par l’avocat de Arytza pour l’occasion lui est exhibée, il affirme qu’il a suivi ce questionnaire et qu’il a probablement montré à la plaignante les autres rapports que ceux du 30 juillet, mais il ne peut le dire avec certitude. Puis, contre-interrogé à nouveau, il soutient qu’il a montré tous les rapports à la plaignante et qu’il lui a donné les dates. Il convient que la rencontre a été assez rapide, une quinzaine de minutes.
[50] Madame Dextrase corrobore le témoignage de monsieur Paradis au sujet des réponses de la plaignante. Elle mentionne cependant que ce dernier lui a demandé pour quelle raison elle a inscrit des heures précises 9 h 35, 9 h 40 et 9 h 44 sur les rapports du 30 juillet. La rencontre n’a duré qu’une dizaine de minutes, selon elle.
[51] Au terme de cette rencontre, pour monsieur Paradis et madame Dextrase, les explications données par la plaignante ne modifient pas la décision de la congédier.
[52] Les mêmes personnes sont présentes à la rencontre du 8 août. Monsieur Paradis lit la lettre suivante :
Madame,
Une enquête a démontré que vous avez falsifié des rapports de vérification d’un détecteur de métal.
En effet, les 28 juillet à 10h50, 10h51 et 10h52, le 30 juillet, à 9h35, 9h40 et 9h44 et le 16 juin 2014 à 14h00, vous avez faussement attesté avoir effectué la vérification d’un détecteur de métal. Nous nous réservons le droit d’invoquer d’autres incidents si nous en découvrons ultérieurement.
Eu égard notamment à l’importance du contrôle de la qualité et de la sécurité de nos produits dans notre industrie et au sein de notre entreprise, il s’agit d’une violation très grave de vos obligations qui emporte la rupture du lien de confiance.
Vous êtes donc congédiée par les présentes, avec effet immédiat.
Marc Paradis
Chef, Service de la réception
et de l’expédition
(reproduit tel quel)
[53] Selon monsieur Paradis, après qu’il eût lu la lettre, la plaignante est ébranlée. Madame Brochu déclare : « Vous congédiez la présidente du syndicat pour cela. » La plaignante réplique c’est Suzanne Caron qu’ils congédient. Madame Dextrase corrobore le témoignage de monsieur Paradis au sujet de la réplique de la plaignante.
[54] Selon la plaignante, après lecture de la lettre de congédiement, madame Brochu s’exclame : « Ça ne se peut pas, il y eu des cas pires que ça. »
[55] La plaignante cite le cas de G. L. qui a été suspendu 10 jours, en novembre 2013, pour « manquement grave aux procédures et manque d’honnêteté ». G. L. avait pris la température de la pâte à pain directement dans une cuve, plutôt que de prendre un échantillon. Il avait vraisemblablement échappé son thermomètre, puisqu’il a été retrouvé par un autre employé, à la sortie de la diviseuse de pâte.
[56] Malgré cela, il avait faussement inscrit une température sur le formulaire prescrit. Pour expliquer la perte de son thermomètre, il avait menti, disant qu’il l’avait brisé et jeté à la poubelle, laquelle avait aussi été jetée et, par conséquent, impossible à retracer. À cause de cet incident, madame Piquette avait dû retenir 133 caisses de produits correspondant à la pâte dans laquelle le thermomètre avait été retrouvé. Cette dernière croit d’ailleurs avoir jeté ces caisses.
[57] La plaignante a, par la suite, obtenu que cette suspension soit réduite à deux jours. La prise des huit autres jours étant suspendue sous réserve d’une bonne conduite pour une période d’un an.
[58] Au sujet de ce cas, madame Dextrase soutient que l’incident impliquant G.L. est différent de celui de la plaignante parce qu’il ne s’est pas produit à un point de contrôle critique.
[59] Il y a aussi le cas de C. R. qui a été suspendue une journée parce qu’elle a choisi de ne pas suivre la procédure du détecteur de métal. L’avis de suspension décrit ainsi son manquement :
Le 15 octobre 2014, vous aviez effectué vos tests comme d’habitude, mais l’un des bâtons pendant vos tests n’a pas détecté à 14h46 et de nouveau à 17h55. Dans les deux cas, vous avez choisi de passer le bâton à trois reprises, puis appelé votre supérieur, Steve Czitkovics, superviseur de la production. M. Czitkovics vous a dit de continuer la production et vous avez fait tel que demandé.
Le 17 octobre 2014, … vous avez admis ne pas suivre les procédures prévues pour le détecteur de métal. Votre raison pour ne pas arrêter la production, mettre le produit en retenue et appeler un électromécanicien est que vous pensiez que passer les trois bâtons avec un résultat positif était suffisant…
… Les tests de détection de métal sont considérés comme des points de contrôle critiques (PCC) dans notre plan HACCP pour la boulangerie. Un point de contrôle critique est le point où l’échec de la procédure de fonctionnement pourrait causer des dommages à des clients et à l’entreprise, ou même la perte de l’entreprise elle-même. Il est un point, une étape ou procédure à laquelle des contrôles peuvent être mis en place pour éviter, éliminer ou réduire à un niveau acceptable (critique) les dangers pour la sécurité alimentaire. En choisissant de ne pas suivre les procédures établies, vous mettez notre produit et installation à risque.
En raison de la gravité de la situation, nous vous imposons une suspension d’une (1) journée sans solde …
(reproduit tel quel, soulignement ajouté)
[60] C’est madame Dextrase qui a recommandé qu’une journée de suspension soit imposée à cette salariée, après avoir discuté du cas avec l’avocat de Arytza. Même si le manquement de C.R. s’est produit au même point de contrôle critique que celui de la plaignante, elle soutient qu’à la différence de cette dernière, C. R. n’a pas falsifié de document et a admis sa faute sur-le-champ.
[61] Dans un dernier cas, à la fin octobre 2014, Arytza a imposé une suspension de sept jours à un salarié, B. D., qui avait falsifié un document. Selon l’avis disciplinaire, ce salarié avait copié d’anciennes mesures sur un document en n’en changeant que quelques-unes afin d’éviter de créer un modèle. Selon madame Dextrase, même s’il s’agit d’un cas de falsification de document, la faute de B. D. ne concernait pas un point de contrôle critique.
[62] Madame Dextrase ne se rappelle pas si C. R. et B. D. ont été suspendus pour enquête avant qu’une sanction leur soit imposée. Elle croit que non dans le cas de C. R. Elle n’en est pas certaine dans celui de B. D., mais croit que oui. La lettre lui annonçant sa suspension fait cependant mention d’une enquête.
[63] Il faut aussi noter qu’au cours de son emploi, la plaignante a subi une sanction en juin 2003, la seule à son dossier. L’avis mentionne qu’alors qu’elle était chef d’équipe à l’emballage, il manquait une donnée sur un rapport de vérification de détecteur de métal, il y avait une erreur sur un autre et elle n’avait pas fait une vérification de détecteur sur la ligne Subway, à l’heure où elle aurait dû la faire.
[64] Au sujet de cet avis disciplinaire, madame Dextrase affirme que les normes étaient différentes lorsque Général Mills exploitait l’entreprise.
[65] Arytza admet que la présomption s’applique, mais fait valoir que le seul fait qu’il y ait eu activités syndicales n’est pas déterminant.
[66] Quant au fond, elle soutient avoir démontré que la plaignante a commis une faute. D’abord parce qu’elle l’admet, puis parce que la preuve documentaire le démontre. En effet, le 30 juillet 2014, la plaignante était en formation au moment où elle a inscrit avoir fait les tests de détecteur de métal.
[67] De plus, selon Arytza, non seulement la plaignante admet-elle avoir commis une faute, mais elle reconnaît que cette faute mérite une sanction.
[68] La manœuvre de passer les bâtons témoins est l’ultime mesure, la dernière barrière qui permet de dire aux clients que le produit est sécuritaire. Ce n’est pas une procédure insignifiante. Il faut donc qu’elle ait confiance aux employés qui font ce travail. Dans l’industrie alimentaire, le non-respect d’une procédure de cette nature constitue un manquement grave qui justifie un congédiement.
[69] Pour la plaignante, il y a une telle disproportion entre sa faute et la sanction qui lui a été imposée qu’il faut conclure que Arytza s’est servi d’un prétexte pour la congédier.
[70] Parmi les indices qui permettent de conclure que Arytza use d’un prétexte, il y a les sanctions moindres imposées à des salariés qui ont eux aussi manqué aux règles, dont C. R.
[71] Il y a aussi le fait que d’autres employés, dont madame Blais, n’ont pas non plus inscrit l’heure exacte à laquelle ils ont effectué les tests de détecteur de métal et n’ont pas reçu de sanction disciplinaire.
[72] Il y a encore le caractère précipité de l’enquête qui n’avait pour but que d’essayer de trouver d’autres causes de reproches à son endroit.
[73]
Tous les éléments permettant l’établissement de la présomption prévue à l’article
[74]
Ce que signifie l’expression «
autre cause juste et suffisante
» a été précisé par la Cour suprême dans les arrêts
Lafrance
c.
Commercial Photo Service inc.
,
La notion de « cause juste et suffisante » a donné lieu à une controverse dans la jurisprudence. Cette controverse portait sur l'appréciation par la juridiction du travail de la cause juste et suffisante dont la preuve est requise de l'employeur pour renverser la présomption de l'article
L'arrêt Commercial Photo de la Cour suprême a tranché la controverse : le rôle de l'instance du travail consiste à « déterminer » si l'autre cause invoquée par l'employeur est une cause sérieuse par opposition à un prétexte, et si elle constitue la cause véritable du congédiement ». Elle n'a pas à se prononcer sur la rigueur de la sanction imposée par l'employeur eu égard à la faut de l'employé. Une fois convaincue de l'existence d'un tel « motif réel et sérieux » justifiant la mesure prise par l'employeur, l'instance du travail doit considérer sa compétence épuisée, s'abstenir de substituer son appréciation à celle de l'employeur sur l'opportunité de la mesure et donc rejeter la plainte du salarié. Réitérant la même position dans l'arrêt Hilton Québec , la Cour suprême refusait cette fois de casser le jugement attaqué parce que ce dernier en était venu de toute façon à la conclusion que la cause invoquée par l'employeur n'était ni une cause sérieuse ni la véritable cause du congédiement, mais qu'elle s'avérait plutôt un prétexte saisi par l'employeur.
Tenant compte de ces deux arrêts de la Cour suprême, il demeure possible et légitime pour la Commission des relations du travail de soupeser tous les aspects qui peuvent permettre, précisément, de déterminer si le motif allégué par l'employeur est la véritable cause de la mesure contestée et non un prétexte. Parmi les facteurs susceptibles de révéler une opération de camouflage, on pourrait compter la discrimination injuste, la négligence dans l'examen des faits et même la sévérité excessive. Le tout n'est pas, en effet, pour l'employeur de prouver, par exemple, qu'il y a eu faute de la part du salarié; encore faut-il qu'il soit établi que c'est cette faute qui a été la cause de la sanction. Il est donc erroné de prétendre que le débat doive s'arrêter dès que la preuve est faite que le salarié a commis quelque bévue. Même en présence d'une faute réelle et sérieuse de la part du salarié, la plainte de ce dernier sera accueillie s'il apparaît néanmoins que cette faute n'est pas la véritable cause du congédiement, dont le motif véritable a plutôt été l'exercice d'un droit résultant du Code du travail par le salarié.
(Le droit du travail du Québec , Éditions Yvon Blais, 6 e édition, p. 322-323).
(références omises)
[75] Bien que Arytza ne l’exploite que depuis 2009, la plaignante travaille pour l’entreprise depuis mai 1992. Elle n’a qu’une seule tache à son dossier, un avis disciplinaire de juin 2003.
[76] Depuis 17 ans, elle est impliquée dans les activités de son syndicat. Elle est présidente du comité de direction depuis 5 ans, présidente du comité de grief, membre de plusieurs autres comités : relations du travail, santé et sécurité au travail et négociation. C’est à elle que les salariés s’adressent lorsqu’ils ont un problème au travail. Elle est ce qu’on appelle l’âme dirigeante du syndicat.
[77] Le 30 juillet 2014, son quart de travail débute à 6 h 30. Elle remplace la chef d’équipe à l’emballage. Aux heures prévues, soit vers 7 h 30 et 8 h 30, elle effectue les tests de détecteur de métal. Elle quitte son poste de travail, vers 9 h, pour assister à deux formations. Après, elle va voir madame Dextrase pour discuter de dossiers en lien avec le travail.
[78] Lorsqu’elle revient à son poste, elle constate que quelqu’un a fait un trait et mis un point d’interrogation, sur chacun des rapports, à la ligne correspondant à l’heure où les tests devaient être faits, soit vers 9 h 30. Selon son témoignage non contredit, elle avait cependant fait les tests, vers 9 h, avant d’aller en formation. Ce n’est toutefois pas cette heure qu’elle inscrit sur les rapports, par-dessus le trait et le point d’interrogation, mais l’heure à laquelle les tests auraient dû être faits. Ces rapports, qui sont signés par le superviseur, ne soulèvent aucune interrogation chez lui. Ils sont transmis au laboratoire. Cependant, le trait et le point d’interrogation interpellent les employés de ce service, d’où la démarche qui suit.
[79] L’anomalie est portée à l’attention de madame Piquette qui soutient que la situation doit être expliquée au cas où il y aurait un audit et pour libérer les produits. Après avoir fait une petite enquête, qui lui révèle que la plaignante n’était pas à son poste à 9 h 35, madame Piquette voit monsieur Paradis.
[80] Le 1 er août 2014, ce dernier interpelle la plaignante au passage au sujet des rapports du 30 juillet. Elle lui répond qu’elle a fait les tests avant d’aller en formation et qu’elle a oublié d’inscrire l’heure. Elle admet donc implicitement que l’heure qui apparaît sur les rapports n’est pas celle où elle a fait les tests. De plus, monsieur Paradis sait qu’elle n’était pas à son poste à 9 h 35. Il pouvait rester en suspens la question de savoir si elle avait effectivement fait les tests avant d’aller à ses formations, comme elle le prétendait.
[81] Or, à la suite de son entretien avec la plaignante, monsieur Paradis et madame Dextrase conviennent qu’il y a matière à enquête parce qu’il y a contradiction entre l’heure inscrite sur les rapports et l’heure à laquelle les tests ont été faits.
[82] De la conférence téléphonique qui a lieu le matin du 4 août ressort la décision de suspendre la plaignante pour enquête. Cette dernière en est informée l’après-midi, mais on ne lui dit pas sur quoi portera l’enquête. La preuve ne le révèle pas davantage. En effet, madame Dextrase rencontre 9 témoins. La Commission ignore pour quelle raison elle a interrogé ces témoins et quel en a été le résultat. Il faut croire que cette partie de l’enquête n’a rien donné. Le superviseur n’a toutefois pas été rencontré, Arytza ignorant, même à l’audience, qui avait signé les rapports du 30 juillet.
[83] Quant à monsieur Paradis, même en supposant qu’à la suite de son entretien du 1 er août au matin avec la plaignante, il restait en suspens la question de savoir si elle avait véritablement fait les tests avant de se rendre à ses formations, il demeure que l’enregistrement de la caméra vidéo située à l’étage des bureaux n’était d’aucune utilité à cette fin.
[84] Le seul intérêt de cet examen était vraisemblablement de chercher si la même situation s’était déjà produite. Il a révélé une discordance entre les heures inscrites sur les rapports des 16 juin et 28 juillet et l’heure où la bande vidéo montre que la plaignante était à l’étage des bureaux. Cette différence est toutefois peu significative. D’une part, l’heure de la bande vidéo est 1 min. 30 sec. en avance sur l’heure de l’usine. En plus, il faudrait que ce soit l’heure de l’usine que les chefs d’équipe se devaient d’inscrire sur les rapports, ce sur quoi la preuve est muette.
[85] D’autre part, le témoignage de la plaignante est que l’heure n’avait pas à être à la minute près. Ce témoignage, qui n’est pas contredit, est corroboré par les heures inscrites par les salariés qui ont fait les tests, le 30 juillet, en son absence. Madame Blais a indiqué la même heure, 10 h 45, pour les trois tests qu’elle a effectués vers cette heure, et 11 h 21 pour ceux de l’heure suivante. Après elle, madame Deniger a marqué deux fois 12 h 24 et une fois 12 h 23. Ces personnes n’ont pas été rencontrées et aucun reproche ne leur a été fait à ce sujet. Pourtant, toujours selon le témoignage non contredit de la plaignante, il faut une ou deux minutes par ligne de production pour passer les trois bâtons.
[86] Donc, en ce qui concerne les 16 juin et 28 juillet, si les heures marquées par la plaignante sont inexactes, elles ne le sont guère plus que celles inscrites, le 30 juillet, par mesdames Blais et Deniger. Et, il n’y a pas de preuve que la plaignante n’a pas effectué les tests, ces jours-là.
[87] Suit cette enquête, la rencontre du 7 août dont le but est d’obtenir la version des faits de la plaignante même si, de dire madame Dextrase, les informations qu’ils avaient étaient suffisantes pour la congédier.
[88] Aucun rapport n’est remis à la plaignante à cette occasion et le témoignage de monsieur Paradis n’est guère éclairant, pour ne pas dire est peu crédible, au sujet des documents qu’il lui a montrés. Il découle cependant du témoignage de la plaignante et de celui de madame Dextrase que, ce qui intéresse monsieur Paradis qui mène l’entrevue, ce sont les raisons pour lesquelles elle a inscrit des heures inexactes sur les rapports du 30 juillet.
[89] Quoi qu’il en soit, on ne peut tirer que les deux conclusions suivantes de cette rencontre. Les heures inscrites sur les rapports des 16 juin et 28 juillet ne sont peut-être pas tout à fait exactes et celles du 30 juillet ne le sont pas.
[90] Dans ces circonstances, faut-il comprendre, puisque c’est ce que Arytza soutient, qu’il s’agit d’une faute si grave qui ne pouvait qu’entraîner le congédiement d’une salariée ayant plus de 30 ans de loyaux services. La Commission ne le croit pas. Il y a une telle disproportion entre la faute et la sanction, doublé du traitement particulier dont a été l’objet la plaignante, qui porte à croire que Arytza s’en est servi comme prétexte pour se débarrasser d’elle.
[91] Il ne fait aucun doute que le respect des règles établies pour la production de denrées alimentaires est important et que le manquement à certaines peut constituer une faute grave. Mais, encore faut-il que la preuve permette de constater une logique, une rigueur dans la démarche de l’employeur et aussi une certaine uniformité ou égalité dans le traitement des salariés qui enfreignent les règles, ce qui ne se retrouve pas en l’espèce.
[92] Le programme HACCP prévoit un mécanisme de contrôle qui consiste à effectuer des tests de détection de métal, à chaque heure, à la toute fin de chaque ligne de production. Ce sont des tests importants puisqu’ils sont effectués à l’un, voire au dernier, des deux seuls points de contrôle critiques déterminés par Arytza.
[93] Alors que la plaignante est en formation, le 30 juillet, personne ne la remplace pour effectuer les tests de 9 h 30, alors que ces tests sont si importants. Cette situation atténue en quelque sorte l’importance que Arytza donne à ces tests et à la gravité rattachée au non-respect de la règle ou norme adoptée.
[94] Le caractère relatif de la gravité du manquement est aussi démontré par le fait que la production concomitante à l’heure où les tests auraient dû être faits n’a pas été retenue.
[95] Il est encore démontré par les sanctions imposées à d’autres salariés qui ont commis des manquements aux règles de production. Le salarié G. L. s’est vu imposer une suspension de 10 jours, dont 8 ont été laissés en suspens, alors qu’il a falsifié un rapport et doublement menti. Même si Arytza soutient que le manquement était moins grave parce qu’il ne s’est pas produit à un point de contrôle critique, il demeure que 133 caisses de produit ont été retenus à la suite de ce manquement et peut-être jetés. Aucun produit n’a même été retenu dans le cas de la plaignante.
[96] Un autre salarié, B. D., a été suspendu sept jours même s’il a falsifié un document, bien que ça n’était pas à un point critique de contrôle.
[97] Finalement, C. R. a été suspendue une journée parce qu’elle a choisi de ne pas suivre la procédure de détecteur de métal. L’avis de suspension montre qu’à deux reprises sur le même quart de travail l’un des bâtons n’a pas été détecté et que la production n’a pas été arrêtée. Même si cette salariée a admis ne pas suivre la procédure, Arytza ne l’a pas suspendue pour enquête.
[98] Aux dires de madame Dextrase, ce qui atténue la faute de C. R. est qu’elle n’a pas falsifié de document et qu’elle a admis sa faute. Or, la plaignante a elle aussi admis sa faute à la première occasion, mais elle a été congédiée. Dans le contexte, cette sanction apparaît à ce point disproportionnée que tout porte à croire que Arytza s’est servi d’un prétexte pour la congédier.
EN CONSÉQUENCE, la Commission des relations du travail
ACCUEILLE la plainte;
ANNULE le congédiement imposé à Suzanne Caron ;
ORDONNE à Arytza de réintégrer Suzanne Caron dans son emploi avec tous ses droits et privilèges dans les huit (8) jours de la signification de la présente décision;
ORDONNE à Arytza de verser à Suzanne Caron , à titre d’indemnité, dans les huit (8) jours de la signification de la présente décision, l’équivalent du salaire et des autres avantages dont l’a privée le congédiement.
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__________________________________ Pierre Cloutier |
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M e Pascale Racicot |
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POUDRIER BRADET AVOCATS, S.E.N.C. |
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Représentante de la plaignante |
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M e François Longpré |
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BORDEN LADNER GERVAIS S.E.N.C.R.L., S.R.L. / LLP |
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Représentant de l'intimée |
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Date de la dernière audience : Date de la mise en délibéré : |
19 décembre 2014 12 janvier 2015 |
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