Bois c. Cliffs Natural Resources

2015 QCCQ 1861

COUR DU QUÉBEC

« Division des petites créances »

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

MINGAN

LOCALITÉ DE

SEPT-ILES

« Chambre civile »

N° :

650-32-002767-148

 

DATE :

19 février 2015

 

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

FRANÇOIS BOISJOLI, J.C.Q.

 

 

 

SÉBASTIEN BOIS

 

Demandeur

c.

 

CLIFFS NATURAL RESSOURCES

 

Défenderesse

 

 

JUGEMENT

 

 

CONTEXTE

[1]            Le 1 er septembre 2013, un déversement important de mazout aux installations de la défenderesse a eu lieu qui a contaminé la baie de Sept-Iles. Le demandeur est locataire d’une maison située sur les rives de cette baie et il réclame à la défenderesse la somme de 275 $ pour avoir poursuivi une bernache contaminée qui se trouvait sur le terrain loué et, dans les jours suivants, avoir ramassé des oiseaux morts contaminés par le déversement de mazout.

[2]            Il réclame également une somme de 1 000 $ en dommages et intérêts pour perte de jouissance des lieux.

LES FAITS

[3]            Le 1 er septembre 2013, un déversement important de mazout a eu lieu dans la baie de Sept-Iles suite à un bris aux installations de la défenderesse. D’entrée de jeu, le représentant de la défenderesse admet la responsabilité de Cliffs Natural Ressources qui, d’ailleurs, a pris les mesures nécessaires pour contenir le déversement et décontaminer les lieux et la faune qui ont été affectés.

[4]            Elle a confié le mandat à la compagnie Simec qui est une entreprise spécialisée dans le service d’intervention en cas de déversement pétrolier dans les îles ou eaux navigables canadiennes.

[5]            Lors du déversement, le demandeur travaillait dans le Nord du Québec et il est revenu à son domicile situé à Sept-Iles le 8 septembre 2013.

[6]            Pour lui, qui n’est pas originaire de la région, vivre près de la baie de Sept-Iles est un privilège, il s’y sent bien et jouit de plusieurs activités que la baie lui procure, soit le kayak, la pêche et surtout la tranquillité et la beauté des lieux.

[7]            Il est donc très affecté lorsqu’il apprend le déversement de mazout qui a eu lieu dans la baie de Sept-Iles et, dès son retour, il se met à la recherche d’informations pour en déterminer l’ampleur.

[8]            Malgré les demandes répétées et les recherches effectuées, il n’est pas en mesure d’obtenir l’information exacte sur la quantité de mazout déversé, sur les travaux entrepris et les démarches effectuées pour protéger la faune et la flore.

[9]            Le 10 septembre 2013, il aperçoit une bernache enduite de mazout et il appelle immédiatement Urgence déversement à Ottawa et  parle avec un représentant de Simec qui lui mentionne qu’elle n’interviendra pas.

[10]         Finalement, en milieu d’avant-midi Simec envoie un sous-traitant, soit «Avis faune» pour récupérer la bernache contaminée.

[11]         Selon le demandeur, les préposés d’Avis faune sont arrivés avec des équipements non adéquats pour effectuer le travail et ils ont essayé pendant plusieurs heures d’attraper la bernache, mais sans succès. Un préposé d’Avis faune, avant de quitter, à laisser sa carte au demandeur pour l’informer s’il survenait d’autres problèmes.

[12]         Il a tenté d’attraper la bernache avec l’équipe d’Avis faune pendant 2 à 3 heures et même après leur départ, mais sans succès.

[13]         Les 2 jours suivants ainsi que le 22 septembre 2013, le demandeur s’est promené sur les berges de la baie de Sept-Iles à proximité du terrain qu’il loue pour ramasser les oiseaux morts contaminés par le mazout.

[14]         Il a tenté d’obtenir de l’information quant à l’ampleur du déversement et il obtenait des informations contradictoires quant à l’envergure de la catastrophe.

[15]         Pour lui, la baie de Sept-Iles ne serait plus la même et c’était devenu une marée noire. Il avait l’impression que la faune était menacée et sa santé. De plus, il entendait régulièrement les détonations pour éloigner les oiseaux des endroits affectés par le déversement. À la fin du nettoyage, soit au début du mois d’octobre 2013, il a décidé de quitter la région de Sept-Iles, puisque pour lui la baie ne serait plus la même.

[16]         Jacques Gélineau, représentant de la Société pour vaincre la pollution fondée en 1972, a témoigné également du manque de transparence de la défenderesse quant au déversement qui a eu lieu le 1 er septembre 2013.

[17]         Il prétend que la défenderesse a minimisé le déversement et que lors d’une promenade en bateau à environ 8 kilomètres des lieux du déversement, il a remarqué du bitume sur les îles de Sept-Iles. Bien que la défenderesse ait reconnu que 5 000 litres se sont déversés, la quantité de mazout déversé est beaucoup plus élevée selon son expérience et les observations qu’il a faites.

[18]          Pour sa part, la défenderesse prétend qu’elle a pris toutes les mesures nécessaires afin de contrer les effets néfastes du déversement.

[19]         La preuve démontre qu’elle a conclu une entente avec la Société d’intervention maritime Est du Canada ltée (Simec), afin que cette dernière soit responsable de toutes les interventions dans le cas d’un déversement d’hydrocarbure.

[20]         D’ailleurs, suite au déversement du 1 er septembre 2013, c’est Simec qui est intervenue à la demande de la défenderesse pour gérer et superviser toutes les activités d’intervention.

[21]         Dans le cadre de cette intervention et afin d’effaroucher les oiseaux des zones souillées, capturer les oiseaux touchés par les hydrocarbures et récupérer les carcasses, Simec a retenu les services de la Fondation Les oiseleurs du Québec inc. (Les oiseleurs).

[22]         En vertu de cette entente, Les oiseleurs étaient responsables des tâches suivantes :

1)     Assurer le suivi terrain de tous les avis reçus qui requièrent une visite terrain;

2)     Assurer la capture des individus souillés morts ou vivants en suivant les recommandations d’entreposage et étiquetage émises par Focus Wildlife;

3)     Comptabiliser les données de capture;

4)     Acheminer quotidiennement les données d’inventaire et les données de capture à Simec;

5)     Acheminer à Focus Wildlife les oiseaux capturés morts ou vivants.

[23]         Par ailleurs, la défenderesse soumet que les intervenants responsables de la capture et de l’effarouchement des oiseaux détenaient les permis nécessaires, et ce, conformément avec le Règlement sur les oiseaux migrateurs.

ANALYSE

[24]         C’est le demandeur qui a le fardeau d’établir le bien-fondé de sa réclamation, et ce, par prépondérance de preuve. En effet, l’article 2803 du Code civil du Québec indique ce qui suit :

2803. Celui qui veut faire valoir un droit doit prouver les faits qui soutiennent sa prétention.

Celui qui prétend qu'un droit est nul, a été modifié ou est éteint doit prouver les faits sur lesquels sa prétention est fondée.

[25]         Dans un premier temps, le demandeur réclame de la défenderesse la somme de 275 $ pour avoir effectué 11 heures de travail à 25 $/heure afin de tenter d’attraper une bernache enduite de mazout et récupérer sur une période de 3 jours les oiseaux morts.

[26]         Le demandeur a agi de bonne foi et comme un amant de la nature lorsqu’il a tenté de capturer une bernache souillée et qu’il a récupéré des oiseaux morts suite au déversement d’hydrocarbure dont la défenderesse est responsable.

[27]         Cependant, il ne peut, par la suite, réclamer du salaire à la défenderesse pour une intervention volontaire, sans qu’il y ait eu quelque entente que ce soit entre le demandeur et la défenderesse.

[28]         Il y a certains cas où une personne qui agit pour une autre personne sans qu’il soit son mandataire ou qu’il soit intervenu un contrat peut se faire indemniser des dépenses nécessaires et utiles qu’il a encourues. C’est la gestion d’affaires qui est prévue à l’article 1482 du Code civil du Québec qui se libelle comme suit :

1482. Il y a gestion d'affaires lorsqu'une personne, le gérant, de façon spontanée et sans y être obligée, entreprend volontairement et opportunément de gérer l'affaire d'une autre personne, le géré, hors la connaissance de celle-ci ou à sa connaissance si elle n'était pas elle-même en mesure de désigner un mandataire ou d'y pourvoir de toute autre manière.

[29]         Par ailleurs, l’article 1486 du Code civil du Québec prévoit ce qui suit :

1486. Le géré doit, lorsque les conditions de la gestion d'affaires sont réunies et même si le résultat recherché n'a pas été atteint, rembourser au gérant les dépenses nécessaires ou utiles faites par celui-ci et l'indemniser pour le préjudice qu'il a subi en raison de sa gestion et qui n'est pas dû à sa faute.

[30]         En l’espèce, les conditions d’une gestion d’affaires ne sont pas réunies.

[31]         En effet, la gestion d’affaires existe lorsque le géré (la défenderesse) ignore la situation et ne peut désigner un mandataire pour y pourvoir.

[32]         La preuve démontre que la défenderesse était bien au fait de la situation du déversement et de l’impact sur la faune et qu’elle a mandaté Simec pour gérer les conséquences de ce déversement qui, à son tour, a mandaté Les oiseleurs pour, entre autres, récupérer les oiseaux contaminés, morts ou vivants.

[33]         Même si le demandeur était d’avis que le service fourni par les oiseleurs était de piètre qualité et inadéquat, il ne pouvait de son propre chef s’improviser pour capturer des oiseaux et faire le travail à la place de l’organisme mandaté pour ce faire.

[34]         De plus, c’est en toute illégalité qu’il a tenté de capturer la bernache souillée et même de ramasser les oiseaux morts. En effet, il devait détenir un permis à cet effet, et ce, conformément au Règlement sur les oiseaux migrateurs C.R.C., ch. 1035.

[35]         À l’article 5 de ce règlement, il est indiqué :

5. Il est interdit de chasser un oiseau migrateur, à moins d’être titulaire d’un permis délivré à cette fin.

[36]         Par ailleurs, à l’article 2 il est prévu que dans ce règlement le mot «chasser» signifie :

«chasser» signifie pourchasser, poursuivre, harceler, traquer, suivre un oiseau migrateur ou être à son affût, ou tenter de capturer, d’abattre, de blesser ou de harceler un oiseau migrateur, que l’oiseau soit ou non capturé, abattu ou blessé;»

[37]         En raison de tout ce qui précède, le demandeur ne peut réclamer de salaire pour l’intervention qu’il a effectuée suite au déversement d’hydrocarbure responsabilité de la défenderesse.

[38]         Par ailleurs, le demandeur réclame la somme de 1 000 $ en dommages et intérêts.

[39]         Il prétend que le déversement lui a causé des dommages par la présence d’oiseaux morts en putréfaction et la perte de jouissance de la baie de Sept-Iles pour faire du kayak, de la pêche et jouir des lieux.

[40]         Il est maintenant bien reconnu qu’une personne propriétaire riverain ne peut exercer de recours en dommages et intérêts pour perte d’usage du cours d’eau qui aurait été pollué.

[41]         Dans l’affaire P.G. du Québec c. Noël Bélanger [1] , la Cour d’appel s’exprime ainsi :

À titre de propriétaire riverain d’un lac du domaine public, Bélanger avait le droit d’en jouir, d’y naviguer et de s’y baigner, tout comme  ses emplacitaires, et tous les autres riverains du même lac, pas plus qu’eux, pas moins qu’eux.

Or, l’existence d’un tel droit particulier, distinct, différent et indépendant de celui de tous ceux qui occupent des immeubles contigus au domaine public, paraît depuis longtemps avoir exigé par la doctrine et la jurisprudence comme condition d’un recours en indemnisation des dommages résultant de la diminution ou de la privation de la jouissance du domaine public du fait de l’autorité compétente, agissant légalement.

[42]          Dans l’affaire Claude Champs c. La Corporation municipale de Labelle et als [2] , la Cour supérieure sous la plume de Louis-Philippe Landry indique ce qui suit à la page 43 du jugement :

Il est bien reconnu en droit québécois que le riverain d’un cours d’eau faisant partie du domaine public ne peut, en aucune manière, exercer de recours quant à l’usage de ce cours d’eau par l’État ou d’autres personnes à moins qu’il s’agisse d’une activité qui constitue une nuisance l’affectant de manière particulière. Ainsi, un riverain d’un cours d’eau navigable et flottable ne peut exercer de recours parce que sa plage est polluée ou que la qualité détériorée du cours d’eau affecte la valeur de sa propriété.

[43]         Dans les circonstances, le propriétaire riverain ne peut réclamer des dommages et intérêts que s’il démontre avoir subi un préjudice distinct, particulier et indépendant des autres propriétaires riverains, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

[44]         Pour les mêmes raisons, le demandeur ne peut se voir octroyer des dommages et intérêts en vertu de l’article 976 du Code civil du Québec pour troubles de voisinage.

[45]         De plus, la preuve démontre que c’est la perte de jouissance de la baie de Sept-Iles qui est du domaine public qui fonde la demande en dommages et intérêts et non la perte de jouissance de l’immeuble dont il était locataire à l’époque.

 

            POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL  :

[46]         REJETTE la demande sans frais.

 

 

 

 

 

 

FRANÇOIS BOISJOLI, J.C.Q.

 



[1] P.G. du Québec c. Noël Bélanger [1975] C.A. 887 .

[2] Claude Champs c. La Corporation municipale de Labelle et als, C.S., 560-05-000105-884, 1 er août 1991, L.-P. Landry, p. 43.