Lafleur et Commission scolaire des Navigateurs |
2015 QCCLP 1540 |
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COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES |
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Lévis |
16 mars 2015 |
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Région : |
Chaudière-Appalaches |
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Dossier CSST : |
141398636 |
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Commissaire : |
Robert Deraiche, juge administratif |
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Membres : |
Claude Jacques, associations d’employeurs |
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André Chamberland, associations syndicales |
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Partie requérante |
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et |
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Commission scolaire des Navigateurs |
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Partie intéressée |
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[1] Le 26 février 2014, madame Émilie Lafleur (la travailleuse) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle elle conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 18 février 2014 à la suite d'une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme celle qu'elle a initialement rendue le 3 décembre 2013 et déclare que la travailleuse n’est pas éligible au retrait préventif prévu à la Loi sur la santé et la sécurité du travail [1] (la LSST) pour la période du 9 au 20 octobre 2013.
[3] Aucune audience ne s’est tenue, les parties ayant soumis leur argumentation par écrit. Le dossier fut mis en délibéré le 13 février 2015.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] La travailleuse demande à la Commission des lésions professionnelles de reconnaître qu’elle avait droit de se retirer de son milieu de travail du 9 au 20 octobre 2013, car il y avait un danger pour elle et/ou l'enfant à naître.
LES FAITS
[5] Le tribunal a pris connaissance de preuve factuelle au dossier administratif ainsi que celle invoquée dans les argumentations écrites des parties. Les éléments suivants sont retenus.
[6] La travailleuse est une enseignante chez l’employeur. Puisqu’elle est enceinte, elle est réaffectée à un poste ne comportant pas de danger pour elle et/ou l’enfant à naître. Le 12 septembre 2013, la CSST rend une décision indiquant que la travailleuse est réaffectée et cette décision n’a pas été contestée.
[7] Le 8 octobre 2013, la travailleuse est avisée qu’un cas de méningite est diagnostiqué parmi ses élèves.
[8] Le même jour, la docteure Verret, médecin traitant, signe un certificat de retrait préventif, puisque le cas de méningite représente un danger pour la travailleuse ayant une condition d’immunosuppression, en ces termes :
Cas rapporté de méningite dans le milieu de travail. Avis donné le 8/10/13 contamination par sécrétions respiratoires possible. Dans contexte de grossesse où une méningite peut-être plus sévère en raison de l’immunosuppression, le retrait est conseillé à la travailleuse du 8/10 au 21/10 pour réintroduire le travail si pas de nouveaux cas reprendre dans cette période. [ sic ]
[9] Toujours le même jour, l'employeur avise la CSST qu’un élève a présenté une méningite le 4 octobre 2013, qu’il a été retiré de l’école les 7 et 8 octobre suivants et qu’il sera de retour le 9 octobre 2013.
[10] Le 11 octobre 2013, la CSST informe l’employeur que la travailleuse ne pourra recevoir l'indemnité de remplacement du revenu pour sa période d’absence puisque le médecin-conseil considère que la méningite virale ne constitue pas un danger pour la travailleuse enceinte.
[11] Il appert du dossier administratif que c’est l’infirmière du Département de santé communautaire du Centre de santé et de services sociaux de Montmagny qui répond au questionnement de la CSST et de la travailleuse. Selon les commentaires recueillis auprès de celle-ci, aucun certificat modifié ni étude du poste de travail ne sera émis puisque la méningite n’est pas retenue comme un danger pouvant nuire la santé de la travailleuse et/ou celle de l’enfant à naître.
L’ARGUMENTATION DES PARTIES
[12] La travailleuse soumet les arguments suivants :
La présente fait suite à la correspondance du 14 janvier dernier de Me Lecours. À cet effet, nous vous soumettons notre argumentation dans le dossier mentionné en titre.
Madame Émile Lafleur, la travailleuse, est enseignante au primaire à la Commission scolaire des Navigateurs. Le 8 octobre 2013, madame Lafleur est avisée qu’il y a un cas de méningite dans sa classe. Comme elle est enceinte, elle consulte son médecin, Docteure Nadine Verret, afin de vérifier si cela peut être problématique pour elle ou son enfant à naître. Le 13 octobre 2013, Docteure Verret signe un certificat visant le retrait préventif et l’affectation de la travailleuse enceinte ou qui allaite. Le retrait préventif est justifié par le risque de contamination et la condition de la travailleuse. En effet, celle-ci étant immunosupprimée, si elle contracte la méningite, la maladie sera plus sévère, ce qui constituerait un risque pour elle et l’enfant à naître. Ainsi, la travailleuse est retirée de son milieu de travail du 8 au 20 octobre 2013.
Le 3 décembre 2013, la travailleuse est avisée qu’elle n’est pas admissible au retrait préventif puisque les conditions de travail ne comportent pas de danger pour elle ou l’enfant à naître. Plus précisément, le médecin désigné par le directeur de la santé publique ne considère pas que le cas de méningite dans la classe de la travailleuse constitue un risque. Malgré la contestation de la travailleuse, la Direction de la révision administrative confirme, le 18 février 2014, la décision rendue le 3 décembre 2013, ce qui fait donc en sorte que le 26 février 2014, le représentant de la travailleuse conteste cette décision.
Dans la situation qui nous occupe, le différend réside dans le fait qu’il y a une divergence d’opinion entre le médecin traitant et le médecin désigné par le directeur de la santé publique. Ainsi, il s’agit de déterminer l’opinion de quel médecin prévaut en pareille situation.
La Commission des lésions professionnelles s’est déjà penchée sur la question. En effet, dans Rima Baroudi et Commission scolaire Riverside , la commissaire Godin s’exprime ainsi :
« Par ailleurs, l’article
Ainsi, et de façon générale, l’opinion du médecin traitant prévaut sur celle du médecin consulté à moins qu’une preuve contraire ne démontre l’inexistence du danger. Une telle preuve ne fut pas faite. »
La commissaire Couture dans Marie Josée Dumont et Commission scolaire Riverside confirme la position adoptée par la Commission des lésions professionnelles dans la décision susmentionnée.
« La Commission des lésions
professionnelles estime en effet, tout comme l’avait décidé la commissaire
Godin dans une cause similaire, que bien que la consultation du médecin du CLSC
soit obligatoire, en vertu de l’article
La soussignée estime que c’est au médecin de la travailleuse d’attester des dangers et de justifier si le retrait doit ou non s’imposer. En cas de désaccord entre ces opinions, la soussignée estime que l’opinion de ce médecin doit prévaloir sur celle du médecin consulté, sauf dans les cas où la preuve démontrerait l’inexistence des dangers attestés. Ce qui n’est pas le cas en l’espèce. »
De même, dans Shannon Collins et C.S. Naw Frontiers , le commissaire Robichaud abonde également dans le sens do ces collègues :
« Nous sommes ici en présence d’un désaccord entre les conclusions du médecin traitant et celles du médecin désigné par le Département de la santé publique. Dans un tel cas, le tribunal a décidé, à quelques reprises dans les dernières années, que l’opinion du médecin qui émet le certificat devait prévaloir sur celle du médecin désigné par la Direction de la santé publique (DSP) à moins que la preuve ne démontre l’inexistence des dangers attestés pour l’enfant à naître ou pour la mère elle-même. »
Dans les faits, le médecin traitant considérait que la travailleuse devait bénéficier d’un retrait préventif puisque la méningite consistait un danger pour elle ou l’enfant à naître. Toutefois, le médecin désigné par la direction de la santé publique ne partageait pas le même avis que le médecin de la travailleuse. Il considérait plutôt que la méningite ne pouvait justifier un retrait préventif.
En regard de la jurisprudence citée, c’est l’opinion du médecin de la travailleuse qui doit prévaloir sur celui du médecin désigné par le directeur de la santé publique. Dès lors, la travailleuse aurait droit au retrait préventif pour la période du 8 au 20 octobre 2013.
Pour conclure, nous vous demandons donc, Madame la juge administratif, Monsieur le juge administratif :
D’accueillir la contestation de la travailleuse Émilie Lafleur du 26 février 2014;
D’infirmer la décision rendue le 18 février 2014;
De déclarer que madame Émilie Lafleur, la travailleuse, avait droit au retrait préventif de la femme enceinte du 8 au 20 octobre 2013;
De déclarer que la travailleuse avait, dès lors, droit aux prestations et avantages liés à un tel retrait. [ sic ]
[…]
[13] Quant à l’employeur, il soumet ce qui suit :
[…]
Argumentation
Ø La force probante du certificat de retrait préventif émis par le médecin traitant
Dans son argumentation datée du 6 février 2015, la travailleuse prétend que l’opinion du médecin traitant de la travailleuse doit prévaloir sur celle du médecin désigné par le Département de santé communautaire. Or, nos prétentions sont à l’effet contraire.
D’une part, un courant jurisprudentiel nettement majoritaire et dont les décisions sont plus récentes prévoit que le Département de santé communautaire doit confirmer les dangers énoncés sur le certificat de retrait préventif émis par le médecin traitant afin qu’un tel certificat soit valide :
« Les récentes décisions de la Commission des lésions professionnelles adhèrent majoritairement au courant jurisprudentiel qui veut que le certificat médical soit valide dès son émission par le médecin qui a charge, en autant que la consultation au Département de santé publique confirme l’existence de dangers qui y sont énoncés 1 »
D’autre part, lorsque les avis du médecin traitant et du médecin désigné par le Département de santé communautaire sont divergents, la travailleuse ne peut invoquer la force probante de son certificat médical et doit démontrer, par prépondérance de preuve, l’existence du danger pour elle-même ou pour l’enfant à naître.
Dans l’affaire Tremblay et Complexe hospitalier de la Sagamie 2 , le commissaire Claude Bérubé traite de l’état de la jurisprudence quant à la valeur probante du certificat émis par le médecin ayant charge. Nous soulignons le passage suivant de cette décision :
« [38] Qu’en est-il de la valeur probante du certificat émis par le médecin ayant charge de la travailleuse?
[39] Dans l’évaluation de la situation, dans la décision précitée, la commissaire Nadeau résume comme suit la question :
« La travailleuse fait valoir que son certificat constitue une preuve prima facie que le danger existe et qu’il ne peut être écarté à moins d’une preuve plus probante. Elle dépose à ce sujet la décision rendue dans Bélisle et Les Ambulances Laurentides Inc. Dans cette affaire, le commissaire fait cette affirmation en référant à la décision rendue dans Centre de protection et de réadaptation de la Côte-Nord et Letarte . Cependant dans l’affaire Letarte , le directeur régional de la santé publique concluait comme le médecin traitant à la présence de dangers, ce qui n’est pas le cas dans le présent dossier ni d’ailleurs dans l’affaire Bélisle .
La jurisprudence reconnaît que le certificat acquiert une force probante quant à l’existence de dangers lorsque l’avis du directeur de la santé publique constate l’existence de tels dangers . Dans Trudel et C.H. Affilié universitaire du Québec , la Commission des lésions professionnelles énonce ainsi le principe :
[16]
La Commission des lésions professionnelles considère qu’en cas de divergence
entre l’avis du médecin traitant et l’avis du Département de santé
communautaire, il est difficile de conclure à la force probante du certificat
de retrait préventif quant à l’existence de dangers pour la travailleuse
enceinte, condition qui donne ouverture à l’exercice du droit au retrait
préventif
. En effet, selon la décision citée par le procureur de la travailleuse,
soit
Cité de la Santé
et
Jocelyne Houde
« Lorsque ces avis sont divergents, il faut alors décider selon la prépondérance de preuve et tenir compte des circonstances et du rôle de chacun des médecins impliqués. Le rôle du médecin du DSC est de s’assurer de l’existence des dangers invoqués dans le milieu de travail: le médecin traitant doit tenir compte non seulement des conditions de travail et des dangers qui y sont reliés pour le rapport à l’état de grossesse de la travailleuse mais il doit tenir compte des conditions particulières de la travailleuse en regard des dangers reliés aux conditions de travail, conditions particulières qui devraient d’ailleurs apparaître é la section D-1 du certificat. » (sic.) »
Dans le dossier qui nous occupe, le médecin désigné par le directeur de la santé publique conclut à l’absence de dangers. La travailleuse ne peut donc pas invoquer la force probante de son certificat. » (sic) »
[NOS SOULIGNEMENTS]
Dans l’affaire Dort et S.TM. 3 , la commissaire Manon Gauthier s’est également prononcée sur la valeur probante du certificat émis par le médecin qui a charge lorsque le Département de santé publique n’est pas du même avis :
« [60] Une première question se pose au présent dossier, Le Certificat remis par la travailleuse à l’employeur est-il valide?
[61] En effet, le médecin ayant émis le Certificat ne mentionne pas qu’il ait consulté la Direction de la santé publique ni qu’il ait reçu les résultats du rapport de consultation, parce qu’il y a eu cependant une demande de consultation et un rapport. Le médecin désigné n’en fait pas mention non plus.
[62] Toujours dans l’affaire Verner , la Commission des lésions professionnelles s’exprime ainsi :
[20] Selon une certaine jurisprudence, le certificat n’est valide qu’à compter de la consultation auprès du département de santé publique et on ne saurait donner un effet rétroactif à la conformité du certificat. D’autres décisions concluent plutôt que le certificat peut être valide dès son émission par le médecin traitant de la travailleuse dans certaines circonstances.
[63] Le tribunal adhère au courant jurisprudentiel qui veut que le Certificat soit valide dès son émission par le médecin traitant, en autant que la consultation au Département de santé publique confirme l’existence des dangers énoncés par le médecin traitant de la travailleuse .
[64] De plus, le Certificat doit être remis à l’employeur afin que celui-ci puisse réagir en réaffectant la travailleuse à un poste ne comportant pas les dangers énoncés au certificat. À ce moment, la travailleuse ne doit pas être inapte à tout travail en raison de conditions personnelles.
[65] Or, dans le cas présent, le médecin désigné par la Direction de la santé publique ne recommande pas de retrait préventif pour allaitement .
[66] Dans l’affaire Trudel et C. H, affilié universitaire de Québec , la Commission des lésions professionnelles a indiqué, comme la Commission d’Appel en matière de lésions professionnelles avant elle, qu’en cas de divergence d’opinions entre le médecin traitant et le médecin responsable du Département de santé publique sur l’existence ou non des dangers énumérés au Certificat, il y a lieu d’examiner la question sous l’angle de la prépondérance de la preuve plutôt que d’accorder tout son caractère probant au Certificat . Il ne constitue pas une preuve prima facie de l’existence de dangers pour l’enfant allaité. »
[NOS SOULIGNEMENTS]
Dans le présent dossier, le médecin désigné par le Département de santé communautaire n’est pas du même avis que le médecin traitant de la travailleuse, puisqu’il a déclaré que la méningite ne constitue pas un danger pour la travailleuse ou l’enfant à naître.
Compte tenu de ce qui précède, la
travailleuse ne pouvait invoquer la force probante du certificat de retrait
préventif émis par Dre Verret, médecin traitant de la travailleuse. Elle devait
plutôt démontrer, sous l’angle de la prépondérance de la preuve, l’existence
d’un danger pour la travailleuse ou l’enfant à naître tel que le prévoit l’article
Ø Absence de preuve d’un danger
Les notions de « danger » et de « risque » ont mainte fois fait l’objet d’analyse dans la jurisprudence. Nous soulignons qu’un « danger » fait appel à une menace réelle alors qu’un « risque » réfère à un évènement dont la survenance, bien qu’elle soit possible, est incertaine 4 .
Dans argumentation de la travailleuse l’existence d’un danger n’est aucunement démontrée, celle-ci s’étant limitée à prétendre à la force probante du certificat de retrait préventif émis par le médecin traitant de la travailleuse.
Par conséquent, nous soumettons respectueusement que la contestation de la travailleuse est non fondée, cette dernière étant inadmissible au retrait préventif selon le Département de santé communautaire et n’ayant aucunement démontré l’existence d’un danger réel pour elle-même ou l’enfant à naître relatif au cas de méningite dans son milieu de travail. [ sic ]
[…]
[notes omises]
L’AVIS DES MEMBRES
[14] Les membres issus des associations syndicales et d’employeurs, après avoir été consultés sur les questions en litige, sont d'avis de rejeter la requête de la travailleuse selon les motifs exposés ci - après.
[15] D’une part, ils sont d’opinion qu’il doit y avoir la présence d’un danger réel présentant une probabilité de concrétisation non négligeable, comme l'a retenu la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire Centre hospitalier de St. Mary et Iracani [2] .
[16] D’autre part, ils considèrent que la preuve ne démontre pas la présence d’un tel danger. Ainsi, la présence d’une maladie contagieuse ne constitue pas nécessairement un danger pour la travailleuse et/ou pour l'enfant à naître lorsque la preuve n’est pas faite.
[17] Ainsi, selon les commentaires du médecin traitant de la travailleuse, celle-ci présenterait une condition d’immunosuppression. Or, cette condition est personnelle et c’est la seule raison justifiant son retrait préventif. Il en serait de même si la travailleuse n’était pas enceinte.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[18] Après examen et avoir reçu l'avis des membres, la Commission des lésions professionnelles rend la décision suivante.
[19] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si la méningite virale constitue un danger pour la travailleuse et/ou l'enfant à naître.
[20] Les articles pertinents de la LSST se lisent comme suit :
40. Une travailleuse enceinte qui fournit à l'employeur un certificat attestant que les conditions de son travail comportent des dangers physiques pour l'enfant à naître ou, à cause de son état de grossesse, pour elle-même, peut demander d'être affectée à des tâches ne comportant pas de tels dangers et qu'elle est raisonnablement en mesure d'accomplir.
La forme et la teneur de ce certificat sont déterminées par règlement et l'article 33 s'applique à sa délivrance.
__________
1979, c. 63, a. 40.
41. Si l'affectation demandée n'est pas effectuée immédiatement, la travailleuse peut cesser de travailler jusqu'à ce que l'affectation soit faite ou jusqu'à la date de son accouchement.
On entend par « accouchement », la fin d'une grossesse par la mise au monde d'un enfant viable ou non, naturellement ou par provocation médicale légale.
__________
1979, c. 63, a. 41.
[21] Dans un jugement [3] de la Cour suprême du Canada, cette dernière a énoncé de nouveau les principes généraux que sous-entendent ces articles :
[…]
[27] Sur ce vaste filet protecteur, le
législateur a en outre ajouté des mesures de sauvegarde pour répondre
spécifiquement aux préoccupations des femmes enceintes en ce qui a trait à la
santé et la sécurité. Ces mesures comprennent notamment le droit des femmes
enceintes d’être affectées à d’autres tâches ou, si une telle affectation n’est
pas possible, le droit de cesser immédiatement de travailler afin de protéger
leur santé ou celle de leur enfant à naître et de toucher une indemnité de
revenu pendant leur absence du travail (Serge Lafontaine, « Le retrait
préventif de la travailleuse enceinte ou qui allaite : qui décide quoi? », dans
Développements récents en droit du travail (1991), 133, p. 135; Cliche,
Lafontaine et Mailhot, p. 237-238). Ces droits ont été conçus pour permettre
aux travailleuses enceintes de continuer à travailler ou, si aucun autre lieu
de travail sécuritaire n’est disponible, d’empêcher qu’elles soient pénalisées
sur le plan pécuniaire (Katherine Lippel, « Preventive Reassignment of Pregnant
or Breast-Feeding Workers : The Québec Model »
[TRADUCTION] . . . le droit à la réaffectation préventive vise à protéger les emplois des femmes en réduisant la probabilité qu’elles soient congédiées pendant leur grossesse et en assurant le maintien des avantages liés à un emploi . . .
[28] Les efforts en vue d’empêcher
l’exclusion discriminatoire des femmes du milieu du travail en raison de leur
grossesse ont amené les mesures de protection de la santé et de la sécurité des
femmes enceintes (voir Karen Messing et autres, « Equality and Difference in
the Workplace : Physical Job Demands, Occupational Illnesses, and Sex
Differences » (2000), 12 NWSA Journal 21, p. 36; voir également Gilles Trudeau,
"
Aspects constitutionnels du
travail salarié
"
, dans Katherine
Lippel et Guylaine Vallée, dir., Rapports individuels et collectifs du travail
(feuilles mobiles), 1/1, p. 1/14 et 1/15). Pour contrer les hypothèses
discriminatoires qui avaient attribué aux femmes enceintes une incapacité de
travailler, le régime protège non seulement leur droit de travailler, mais
aussi leur droit de travailler dans un milieu sécuritaire, en présumant
qu’elles sont disponibles pour travailler tout autant que le sont les
travailleuses non enceintes (
Commission des écoles catholiques de Québec c.
Gobeil
,
[29] Le retrait préventif s’applique dans le contexte du régime plus large de santé et de sécurité établi par la Loi qui donne aux travailleuses la sécurité de refuser un travail dangereux. En assurant la sécurité financière et la sécurité d’emploi à une travailleuse dont le lieu de travail est dorénavant dangereux en raison de sa grossesse, la Loi évite à la travailleuse enceinte d’avoir à choisir entre son emploi (et son revenu) d’une part, et sa santé et celle de son enfant à naître, d’autre part, [ TRADUCTION ] « un choix manifestement difficile, voire impossible » ( Plante et Malenfant , p. 968). En outre, à l’instar de tout autre travailleur qui refuse d’exécuter un travail dangereux, elle est réputée, suivant la Loi, être encore « au travail » pendant son retrait préventif.
[30] La Loi protège donc les femmes enceintes de deux façons importantes : elle protège leur santé en remplaçant des tâches dangereuses par des tâches sécuritaires, et elle protège leur emploi en leur assurant la sécurité financière et la sécurité d’emploi.
[…]
[22] Ainsi, l’application de ces articles de la LSST nécessite la détermination de ce qui, dans le lieu de travail, devient dorénavant dangereux, en raison de la grossesse de la travailleuse.
[23] À ce sujet, la Commission des lésions professionnelles a rendu une décision en 2007 en soumettant un cas type à l'appréciation de trois juges administratifs puisque la jurisprudence du tribunal était divisée sur l’interprétation à donner à la notion de « danger ». Il a été décidé des principes suivants.
Affaire Centre hospitalier de St. Mary et Iracani [4]
[24] Dans la LSST, le législateur utilise les termes « risques » et « danger » dans différentes dispositions [5] .
[25] Ainsi, le législateur a utilisé ces deux termes, mais n’en a pas défini le sens. Une règle interprétative exige que l’on retienne le sens usuel des mots. Le tribunal a donc retenu les interprétations suivantes de la notion de « danger » et de « risque » :
[57] La Commission des lésions professionnelle s retient que la notion de « danger » fait appel à une menace réelle alors que la notion de « risque » réfère à un événement dont la survenance, bien qu’elle soit possible, est incertaine.
[…]
[87] Le tribunal en vient également à la conclusion
qu’il ne faut pas interpréter l’article
[…]
[91] Cela étant, la question à laquelle le présent tribunal doit maintenant répondre est de savoir à partir de quel moment les « risques » présents dans un milieu de travail deviennent un « danger » pour la travailleuse ou pour l’enfant à naître.
[92] La Commission des lésions professionnelles conclut
que pour constituer un «danger», les risques doivent être réels. Un risque
virtuel, une crainte ou une inquiétude n’est pas suffisant pour conclure à un «
danger ».La preuve doit démontrer que le risque est réel, que malgré tous les
efforts faits pour le contrôler ou l’éliminer, il demeure présent et peut
entraîner des conséquences néfastes pour la travailleuse enceinte ou pour
l’enfant à naître. Enfin, pour qu’il constitue un « danger physique » au sens
de l’article
[26] Dans le dossier à l’étude, la travailleuse avait le fardeau de présenter une preuve prépondérante qu’il existait un « danger », au sens de la jurisprudence, dans la réaffectation proposée par l'employeur et de la nouvelle situation qui s'est présentée. À ce sujet, le tribunal conclut qu’il n’y avait pas présence d’un danger pour la travailleuse et/ou pour l’enfant à naître, et ce, pour les motifs suivants.
[27] Premièrement, puisque les parties ont opté pour la production d’une argumentation écrite, ce qui laisse présumer qu’elles sont satisfaites de la qualité de la preuve au dossier administratif, le tribunal doit prendre pour avérer tous les renseignements y apparaissant. À ce sujet, le tribunal prend en considération les éléments suivants :
· La travailleuse est une enseignante enceinte qui est réaffectée à une tâche où elle est en contact avec des élèves;
· Dans son groupe d’élèves, un cas de méningite virale est diagnostiqué. L’ information sur le type de méningite provient d’une note de l’agente d’indemnisation qui mentionne ce qui suit, le 11 octobre 2013 :
[…]
E est avisé que la T ne peut recevoir d’IRR pour la période demandé du retrait de son médecin traitant étant donné que le médecin conseil de considère pas que la méningite virale est un danger pour la T enceinte [ sic ]
[notre soulignement]
· La travailleuse présente une condition d’immunosuppression. C’est ce qui est noté au certificat rempli par le médecin traitant qui écrit :
[…]
Dans contexte de grossesse où une méningite peut-être plus sévère en raison de l’immunosupression, le retrait est conseillé à la travailleuse [ sic ] […]
[28] Deuxièmement, à partir de ces éléments de preuve, la Commission des lésions professionnelles retient que la travailleuse est porteuse d’une condition d’immunosuppression et c'est pour cette raison que la méningite virale constitue un danger pour la travailleuse et/ou l’enfant à naître. Or, il s’agit d’une condition personnelle qui n’a aucun lien avec une situation dorénavant dangereuse dans le milieu de travail considérant la grossesse de la travailleuse. Ainsi, si cette maladie avait été présente alors que la travailleuse n’était pas enceinte, elle aurait dû également se retirer du milieu de travail puisque sa condition d’immunosuppression l’aurait mise en danger en contractant la méningite dont les conséquences auraient été plus importantes pour elle dû au fait que son organisme n’est pas protégé naturellement contre cette maladie.
[29] Troisièmement, la méningite est une maladie qui comprend deux sources, soit la bactérienne ou la virale, cette dernière étant la plus commune et la moins nocive. En tenant pour acquis que l’élève était atteint d’une méningite virale, celle-ci est tout de même contagieuse. Or, la preuve de la prévalence de la contagion de cette maladie sur un adulte n’est pas documentée au le dossier. Ainsi, un adulte est-il naturellement immunisé contre ce genre de maladie? Sinon, s’agit-il d’un « risque » ou d’un « danger » et quelles en sont les conséquences?
[30] Enfin, la question en litige n’est pas de savoir qui a la préséance entre les opinions des médecins en cause, mais plutôt de savoir s’il y a la présence d’un danger pour la travailleuse et/ou l’enfant à naître, lorsque tous les éléments sont pris en considération. Or, dans le cas présent, il s’avère que le danger de contagion pour la travailleuse existe et qu’il peut y avoir des conséquences plus importantes, mais en raison de la condition personnelle d’immunosuppression qu’elle présente.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la requête de madame Émilie Lafleur, la travailleuse;
CONFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 18 février 2014 à la suite d'une révision administrative;
DÉCLARE que la travailleuse n’est pas éligible au retrait préventif prévu à la Loi sur la santé et la sécurité du travail pour la période du 9 au 20 octobre 2013.
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Robert Deraiche |
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M e Maude Lamontagne |
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S.E.D.R. |
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Représentante de la partie requérante |
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M e Jean-François Lecours |
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BEAUVAIS, TRUCHON & ASSOCIÉS |
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Représentant de la partie intéressée |
[1] RLRQ, c. S-2.1.
[2]
C.L.P.
[3]
Dionne
c.
Commission scolaire des Patriotes
, décision rendue le 1
er
mai 2014 par la Cour
suprême du Canada,
[4] Précitée, note 2.
[5]
Article