Parmalat Canada et Teamsters Québec, section locale 1999 (Benoît Carrier)

2015 QCTA 194

TRIBUNAL D’ARBITRAGE

 

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

N° de dépôt :  2015-2268

 

Date : 23 février 2015

 

 

 

DEVANT L’ARBITRE :                             ALAIN CORRIVEAU, ll.b

 

COMPARUTION :                                      ME RICHARD GAUDREAULT

                                                                           (Caïn Lamarre Casgrain Wells)

                                                                          Procureur de la partie patronale

 

                                                                       ME PATRICE ST-ONGE

                                                                          (Teamsters Québec, local 1999)         

                                                                          Procureur de la partie syndicale

 

 

PARMALAT CANADA

            Ci-après appelé(e) «l’employeur»

 

-et-

 

TEAMSTERS QUÉBEC, LOCAL 1999

            Ci-après appelé(e) «le syndicat»

 

 

 

 

Grief :             72121 - mesure disciplinaire

 

Monsieur Benoît Carrier

 

 

 

SENTENCE ARBITRALE

 

 

 

[1]        Le 24 octobre 2013, le requérant dans la présente espèce, Monsieur Benoît Carrier, préposé aux commandes chez l’employeur depuis le 25 mars 2005, déposait un grief contestant une mesure disciplinaire qui lui a été imposée le 22 octobre 2013 c’est-à-dire une suspension d’un jour. Par son grief, il réclame l’annulation de cette mesure.  

 

[2]        Le grief est coté S-2 au dossier du tribunal d’arbitrage et il se lit ainsi :

 

          «Résumé du grief :

Article 11.04 - 11.03, suspension 1 jour (22 octobre 2013) conteste…

 

          Version des faits sans la présence d’un délégué syndical 7 octobre 2013.

 

          Réparation demandée :

Le remboursement des pertes encourues avec intérêts et indemnités additionnelles prévues à l’article 100.12 C) du Code du travail et de la présente convention collective. Retrait du dossier.

 

            …»

 

[3]        La lettre informant le plaignant de la mesure disciplinaire en question a été déposée sous la cote S-3 au dossier du tribunal d’arbitrage. Elle est datée du 15 octobre 2013, signée par M. George Corbin, superviseur expédition. Son contenu se lit ainsi qu’il suit :

 

          «Monsieur Carrier,

 

            La présente fait suite à l’événement survenu le samedi 5 octobre 2013 alors que vous restiez en surtemps de 6h00 à 12h00 pour préparer les commandes de cultures.

 

            Aux alentours de midi, le superviseur a vérifié le nombre de commandes de produits de cultures qu’il restait à faire pour le dimanche soir. À sa grande surprise, il n’y avait presque rien de fait alors il a vérifié, dans le système, l’heure à laquelle la dernière confirmation d’ordre de transfert avait été faite. C’est ainsi qu’il a constaté que la dernière confirmation avait été faite à 8h37 et que jusqu’à midi rien d’autre n’avait été fait.

 

            Vous avez donc été rencontré par le superviseur afin de savoir ce qui s’est produit de 8h37 jusqu’à midi. Vous avez alors mentionné avoir fait des commandes de fromages jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de place dans la section d’entreposage (staging area) puis vous avez pris votre pause de 8h37 jusqu’à 9h10, puis vous êtes ensuite resté dans la cafétéria à attendre que le superviseur vous appelle étant donné qu’il n’y avait plus de place dans la section d’entreposage (staging area). Toutefois, vous n’avez pas appelé le superviseur pour l’informer de la situation et vous n’avez donc pas travaillé durant une période de 3h30.

 

            Or, les renseignements dont nous disposons nous révèlent que vous n’avez donc pas travaillé durant une partie des heures de surtemps qui vous avait été accordé. Il s’agit là d’une faute grave qui contrevient à une de vos obligations d’employé. Par conséquent, vu la gravité de votre comportement, nous n’avons d’autre alternative que de vous suspendre, sans solde, pour une (1) journée soit le 22 octobre 2013. Vous reprendrez donc votre travail le 23 octobre 2013.

 

            Si vous croyez que ce problème s’avère de nature personnelle ou si vous croyez avoir besoin d’assistance pour vous aider à résoudre ce comportement, n’hésitez pas à consulter le service des ressources humaines ou le programme d’aide aux employés au    1-800-363-…. .

 

            Nous espérons que vous ayez compris qu’il n’en tient qu’à vous de faire les efforts requis pour corriger cette situation et nous vous en fournissons l’opportunité. Nous espérons que cette suspension vous permettra de réaliser l’importance de vos actes. Enfin, nous désirons vous aviser que si cette situation se répète dans le futur, nous procéderons à des mesures disciplinaires plus sévères pouvant mener au congédiement.

 

            …»

 

[4]        Le premier témoin entendu est M. Benoît Carrier, le plaignant, qui mentionne que le vendredi 4 octobre 2013, il a travaillé en temps supplémentaire c’est-à-dire de 22h00 à 6h00 du matin le samedi. Puis, on lui a demandé de poursuivre en temps supplémentaire jusqu’à midi. Ce matin-là, M. George Corbin l’a informé qu’à l’avenir, il n’aurait plus à rester en temps supplémentaire de 6h00 du matin à midi le samedi. Il lui a expliqué que des travailleurs étudiant finissaient normalement à 8h00 le matin et qu’on demanderait à l’un d’eux de poursuivre en temps supplémentaire jusqu’à midi le samedi. Ce jour-là, la dernière commande prise par le plaignant l’a été à 8h37. Par la suite, il a été en pause jusqu’à 9h10. Toutefois, il est demeuré à la cafétéria jusqu’à la fin de son quart à midi. C’est donc dire qu’il y a une période de 2h50 où il n’a rien fait. La lettre de mesure disciplinaire (S-3) indique que M. Carrier n’a pas travaillé durant une période de 3h30. Il s’agirait plutôt d’une période de 2h50.

 

[5]        Entre 9h10 et 12h00, le plaignant n’a pas contacté son supérieur même s’il était conscient qu’il restait des commandes à préparer. En rencontre disciplinaire, il a expliqué qu’il est resté à la caféréria parce qu’il n’y avait plus de place dans la section d’entreposage pour aller porter les commandes préparées. Quand on lui demande pourquoi il n’a pas contacté son supérieur pour l’informer de la situation, il mentionne qu’on ne le fait pas d’habitude et que lui non plus ne l’a pas contacté. Il attendait son appel. Le plaignant dit avoir parfaitement agi en restant dans la cafétéria, qu’il n’avait aucune obligation d’aviser son supérieur, qu’il n’y avait plus de place dans la section entreposage. Il indique que depuis cet incident, il y a eu une réunion où on a avisé les salariés qu’il fallait aviser le supérieur immédiat lorsqu’il n’y avait plus de place dans la section entreposage. Il faut savoir que M. Carrier est préposé aux commandes chez l’employeur depuis trois ans et qu’il y travaille depuis dix ans. Il explique également que le samedi matin, lorsqu’il travaille, de 6h00 à 12h00, il consacre son temps à la préparation de commandes spéciales. C’est la raison pour laquelle un employé doit rester, payé en temps supplémentaire. S’il n’y a pas de commandes spéciales à préparer, indique M. Carrier, il reste à la cafétéria et attend. Le plaignant mentionne qu’il y a toujours des commandes, c’est le superviseur qui les reçoit et celui-ci l’appelle par téléphone ou par intercom et il se rend tout de suite au bureau du superviseur, chercher la feuille de commande et en fait la préparation. Il scanne la feuille de commande et le produit et il demande au superviseur à quel endroit il doit mettre la palette une fois la commande complétée.

 

[6]        M. Carrier travaille souvent en temps supplémentaire le vendredi de 22h00 à 6h00 du matin le samedi à la préparation des commandes de cultures ou encore dans la section des produits laitiers. Il peut également préparer les commandes du dimanche. Dans la nuit du 4 au 5 octobre 2013, le superviseur lui a demandé de rester de 6h00 à 12h00, payé en temps supplémentaire. Lorsqu’on demande à M. Carrier si on lui a dit pour quelle raison, il répond que c’est automatique, on demande tout le temps à quelqu’un de rester pour la préparation des commandes spéciales. Le samedi matin de 6h00 à 8h00, M. Carrier a continué de préparer les commandes de cultures du dimanche en les plaçant dans la section d’entreposage où il y avait déjà beaucoup de palettes. Toutefois, il a commencé à y entreposer les commandes du dimanche qu’il préparait. Il indique qu’il y avait environ deux cent trente commandes pour une seule route et que cela a pris trois grosses palettes uniquement pour cette commande. Puis, à 8h37, il a complété la préparation d’une autre commande, des contenants de crème sûre pour un total de 192 unités. Une commande comme celle-là peut prendre environ 1h30 à compléter. Il a dû faire de la place dans la section d’entreposage pour y placer cette commande, mais, indique-t-il, par la suite, il n’y avait plus de place, plus d’espace pour y entreposer de nouvelle commande de telle sorte qu’il a agi comme d’habitude, s’est rendu à la cafétéria et a attendu qu’on l’appelle pour les commandes spéciales à préparer. Il indique que le samedi matin pour les commandes spéciales, le préposé attend d’être contacté. On pouvait s’il n’y avait pas de commandes spéciales, préparer les commandes pour le dimanche. S’il n’y avait plus d’espace, il se rendait à la cafétéria et attendait les appels du superviseur concernant les commandes spéciales.

 

[7]        Lorsqu’on demande au plaignant pourquoi il a déposé un grief, il indique que pendant une période d’un an son intégrité a été bafouée par une compagnie où il adore travailler. Il affirme ne pas avoir volé de temps, que le supérieur qui était en fonction ce samedi matin-là ne savait pas comment les choses se passaient et qu’il aurait pu lui dire de l’appeler s’il n’avait plus rien à faire pour quelque raison que ce soit. M. Carrier affirme qu’il n’a jamais contacté son superviseur lorsqu’il n’y avait plus d’espace dans la section d’entreposage. Il s’est toujours rendu à la cafétéria attendre qu’on le contacte pour la préparation de commandes spéciales.

 

[8]        M. Normand Roy est superviseur à l’expédition et il travaille sur un horaire de nuit, de 22h00 à 6h00 du dimanche au jeudi. Il a rencontré le plaignant le 7 octobre 2013 dans la nuit du lundi au mardi et il lui a demandé ce qui s’était passé le 5 octobre 2013 alors qu’il restait des commandes à préparer et que cela n’avait pas été fait. Il dépose la pièce E-1 à ce sujet, qui est un document utile à la préparation des commandes, un ordre de transfert. On y voit que la dernière commande préparée par le plaignant le 5 octobre l’a été à 8h37. Il a donc demandé à M. Carrier ce qui s’était passé entre 8h37 et midi ce jour-là. Celui-ci lui a dit que de 8h37 à 9h10, il avait été en pause et qu’ensuite, il était resté dans la cafétéria parce qu’il n’y avait plus d’espace dans la section entreposage où on place les commandes préparées. Il n’a pas appelé son superviseur et il se demandait pourquoi celui-ci ne l’avait pas appelé. M. Roy indique que si M. Carrier avait informé son superviseur qu’il n’y avait plus de place disponible dans la section d’entreposage, on aurait pu trouver un endroit où entreposer des commandes par exemple, dans une remorque réfrigérée. M. Carrier, indique le témoin, ne voyait pas pourquoi on le rencontrait, il ne voyait pas non plus de problème à l’effet qu’il n’ait pas avisé son superviseur qu’il manquait de place dans la section d’entreposage. Si le superviseur avait été avisé de la situation, on aurait pu également donner d’autres tâches à M. Carrier, comme finir la préparation des commandes de fromages, faire du ménage dans les zones, etc.

 

[9]        On demande à M. Roy quelle était la façon de procéder avant le 5 octobre 2013 lorsqu’il n’y avait plus d’espace disponible pour entreposer les commandes dans la section d’entreposage. Il indique à ce sujet que les employés contactaient le superviseur puisque cela arrive fréquemment qu’il n’y ait plus d’espace dans cette section et il y a deux endroits où on peut placer des commandes quand il n’y a plus de place dans la section d’entreposage. Les salariés contactent leur superviseur pour ce genre de situation ou pour toute autre situation que ce soit.

 

[10]     M. Roy mentionne qu’en général M. Carrier est un bon employé, mais qu’il n’a pas compris pourquoi il était resté à la cafétéria ce matin du 5 octobre 2013, puisque normalement, il contacte toujours son superviseur. M. Carrier lui a dit qu’il était capable de faire son travail, qu’il était un employé autonome ce à quoi M. Roy lui a rétorqué que ce n’était pas une raison pour ne pas avoir appelé son superviseur le 5 octobre 2013 lorsqu’il a constaté qu’il manquait d’espace dans la section d’entreposage.

 

[11]     En contre-interrogatoire, M. Roy mentionne qu’on garde un salarié le samedi matin pour répondre aux commandes de dernières minutes, ce qu’il est convenu d’appeler les commandes spéciales. Le plaignant est déjà resté à plusieurs reprises pour effectuer cette tâche le samedi matin. M. Roy ne sait pas si le 5 octobre au matin il y avait un chauffeur pour reculer près de l’entrepôt une remorque réfrigérée. Toutefois il indique que lorsqu’on a besoin de faire reculer une telle remorque, on le demande à un chauffeur volant qui peut s’en charger.

 

[12]     Par la suite, M. Roy indique que dans la section d’entreposage on peut placer environ une soixantaine de palettes, mais que pour le 5 octobre 2013 il n’a pas vérifié combien il y avait de palettes entreposées. Par ailleurs, s’il n’y a plus d’espace dans la section d’entreposage, on peut placer des palettes sur le quai de chargement où on peut mettre entre vingt et trente palettes selon les jours et les heures. Cependant, M. Roy ne sait pas s’il y avait de l’espace à cet endroit le 5 octobre 2013. Il précise également, toujours en contre-interrogatoire, que M. Carrier a déjà contacté ses superviseurs pour s’informer à quel endroit il pouvait placer des produits. M. Roy ne peut pas dire à quelle fréquence le plaignant a contacté ses superviseurs pour cela, mais il précise que lorsqu’il y a un problème M. Carrier contacte généralement son superviseur. Quand on demande à  M. Roy si après l’incident impliquant le plaignant on a apporté des précisions concernant le manque d’espace qui pouvait se produire le samedi, il indique que dans toutes les réunions hebdomadaires, on explique aux salariés qu’ils n’ont pas à décider par eux-mêmes que le travail est terminé, de toujours contacter leur superviseur pour les en aviser. Le témoin dépose la pièce S-4 au dossier du tribunal d’arbitrage qui est une évaluation intitulée «Revue de la contribution, du rendement et du développement (OPS)» document datant de septembre 2013 où on mentionne qu’au niveau de la sécurité M. Carrier a atteint ses objectifs, de même qu’au niveau de la qualité du travail, de l’efficacité du travail au niveau des coûts et de sa contribution à l’équipe au niveau de la communication, de la coopération et de la collaboration. En ce qui concerne sa fiabilité, les objectifs ont été dépassés. Le témoin précise toutefois qu’au niveau de cette évaluation, on a noté que M. Carrier a de la difficulté à parler avec les autres employés, qu’il y a eu quelques plaintes à son sujet, des conflits avec d’autres employés qui se plaignent de lui au niveau de son attitude et qu’il y a eu une pétition préparée par des salariés pour se plaindre de M. Carrier.

 

[13]     Le dernier témoin entendu M. George Corbin, superviseur à l’expédition. C’est lui qui a signé la lettre S-3 du 15 octobre 2013 avisant M. Carrier de sa suspension sans solde d’une journée.

 

[14]     Il était présent le 5 octobre 2013. Il dit que c’était sa première présence ou une de ses premières présences sur ce quart de travail. Il ne s’est pas informé de la façon de procéder le samedi matin. Il est arrivé au travail à 5h30 et M. Jacques Martin Isidoro, le superviseur de nuit, lui a fait rapport de la situation et de ce qu’il y avait à faire pour les salariés du quart suivant et il lui a dit de garder le plaignant jusqu’à midi. Il y avait également des étudiants qui travaillaient et qui terminaient leur quart de travail à 8h00. M. Corbin indique qu’il y avait une vingtaine de routes à terminer et il a pensé que M. Carrier, employé d’expérience, savait ce qu’il avait à faire. Vers 8h00, ce matin-là, M. Carrier s’est présenté à son bureau et il lui a expliqué que ce serait son dernier samedi de travailler jusqu’à midi qu’à l’avenir l’employeur avait décidé de confier ses tâches à un étudiant comme le lui permet la convention collective.

 

[15]     M. Corbin a travaillé jusqu’à midi, mais en quittant, il est allé vérifier ce qu’il restait à faire pour en informer le superviseur qui devait travailler sur le quart de nuit le dimanche. Il a alors constaté qu’il n’y avait pas eu beaucoup de commandes préparées. Il s’est informé auprès de ses collègues, M. Roy et M. Durand et il a vérifié les derniers bons de travail déposés au dossier du tribunal d’arbitrage sous les cotes E-1 et E-2. Il a également demandé à M. Roy de rencontrer M. Carrier pour savoir ce qui s’était passé le samedi matin. M. Roy lui a fait rapport de la rencontre qu’il avait eu avec M. Carrier qui avait décidé de ne pas faire les commandes le samedi matin parce qu’il n’y avait plus d’espace dans la section d’entreposage. Ce qui, de l’avis du témoin était inacceptable puisqu’il y a toujours de l’espace dans l’entrepôt, que c’est facile de ranger les palettes dans les allées qui ont douze pieds de large.

 

[16]     La faute du plaignant, précise M. Corbin, est d’avoir décidé par lui-même de ne plus continuer à travailler parce qu’il n’y avait plus d’espace dans la section d’entreposage. Il aurait dû communiquer avec lui et il aurait trouvé une solution. M. Corbin indique qu’il s’agit là d’une faute grave, qu’un salarié n’a pas à décider par lui-même d’arrêter de travailler. Il indique que l’employeur engage dans cette section entre soixante-dix et quatre-vingt personnes et que si tous décident, sans aviser leur superviseur d’arrêter de travailler, cela est inacceptable.

 

[17]     On a décidé d’imposer une suspension sans solde d’une journée à M. Carrier. M Corbin indique que cette décision n’avait pas pour but de punir le plaignant, mais de lui faire comprendre que son manquement était grave et qu’il ne fallait pas qu’il recommence. En ce qui concerne les remorques réfrigérées, le témoin précise que s’il n’y avait pas de chauffeur de la compagnie présent sur les lieux le matin du 5 octobre 2013, on aurait pu demander à un chauffeur d’une compagnie autre de reculer directement sa remorque au dock de chargement. Par ailleurs, M. Corbin précise que le samedi 5 octobre, il n’y avait pas de commande spéciale à préparer et qu’après 8h00, le plaignant était seul dans l’entrepôt. Il témoigne aussi à l’effet que cela a pu se produire que les préposés, quand il n’y avait plus de commande à préparer, s’en aillent à la cafétéria.

 

REPRÉSENTATIONS DE LA PARTIE PATRONALE

 

[18]     La procureur de la partie patronale plaide que le plaignant M. Carrier n’a jamais été accusé de vol de temps. La lettre qui lui a été remise par M Corbin est à l’effet qu’il a négligé d’informer son superviseur qu’il ne pouvait plus continuer à effectuer son travail le 5 octobre 2013. Il a donc été négligent et non coopératif particulièrement dans un contexte de temps supplémentaire et l’employeur a sanctionné une règle de gros bon sens c’est-à-dire qu’un salarié de son niveau aurait dû savoir qu’il devait informé son supérieur qu’il ne pouvait plus exécuter de commandes, faute de place pour les entreposer. L’objectif de l’employeur en le suspendant sans solde pour une journée était de lui faire comprendre cela et l’inciter à se corriger. La faute reprochée au plaignant est assimilable à de la négligence ou à un défaut, une absence de collaboration de sa part et le tribunal, dans l’analyse de la preuve, doit tenir compte de l’ancienneté de M. Carrier, de sa bonne foi, de son bon jugement et de son expérience faisant en sorte que l’employeur n’a pas à courir après lui pour faire effectuer ses tâches normales et qu’il lui revient la responsabilité de signaler un problème à son supérieur, problème qui l’empêche d’être productif. La preuve est claire, M. Roy a témoigné à l’effet que tous ont été avisé de l’importance de se rapporter à leur supérieur et le plaignant ne peut se cacher derrière aucune mauvaise pratique de l’employeur. M. Roy est un témoin crédible et il n’a aucun intérêt dans le présent litige. Par ailleurs, même si l’employeur n’avait jamais avisé ses salariés ou que cela n’était pas clair qu’il devait le faire, il faut quand même que le gros bon sens s’applique. L’employeur a le droit de sanctionner un employé qui ne fait rien. La faute est prouvée. Le plaignant a été négligent, il aurait dû parler à son supérieur de la situation et il ne l’a pas fait. Dans le cadre de son témoignage, le plaignant a fait un effort démesuré pour tenter de tout expliquer. Il a tenté au surplus, de mettre la faute sur son superviseur qui ne l’a pas appelé. Le tribunal doit retenir que ce n’est pas le superviseur qui est à blâmer, mais bien le plaignant alors qu’autant M. Roy, que M. Corbin ont été irréprochables et d’aucune façon M. Corbin n’était obligé de courir après M. Carrier pour le surveiller. Il faut savoir que le plaignant est un employé d’expérience qui peut travailler de façon autonome et responsable et qui doit quand il rencontre un problème en aviser son superviseur et dans la présente espèce, on manquait de place dans le secteur d’entreposage et il n’en a pas parlé alors que l’employé raisonnable aurait tout de suite informé son supérieur de la situation. Ce n’est pas logique d’agir comme il l’a fait et lorsqu’il a été rencontré le 7 octobre 2013, il n’a donné aucune explication sauf celle de dire qu’on ne l’avait pas appelé et se présenter comme étant une victime en disant qu’il n’est pas un voleur. La sanction qui lui a été imposée n’en était pas une pour le punir, mais l’amener à comprendre que pour l’employeur il a commis une faute grave. La mesure disciplinaire qui lui a été imposée est une mesure disciplinaire clémente dans les circonstances puisque les employés doivent avoir un minimum d’initiative et ne pas rester assis à la cafétéria sans se rapporter à leur supérieur. Même lors de l’audition de son grief, M. Carrier n’a pas reconnu ses torts. Dans les circonstances, le grief, termine le procureur de la partie patronale, devrait être rejeté.

 

REPRÉSENTATIONS DE LA PARTIE SYNDICALE

 

[19]     Selon le procureur de la partie syndicale, l’employeur plaide que les faits consignés à la lettre de suspension sans solde sont graves ce qui serait le cas s’il s’agissait d’un vol de temps, mais l’employeur plaide que le plaignant a plutôt été négligent en n’appelant pas son supérieur pour lui dire qu’il n’y avait plus de place dans la section entreposage et cela, de l’avis du syndicat, ne peut constituer une faute. L’employeur ne peut pas plaider que ses employés doivent savoir comment agir et procéder en toutes circonstances. En fait, il a eu un problème de communication sur le quart de travail du samedi matin où la façon de fonctionner n’est pas classique. Ainsi, nous sommes loin de la négligence. Le plaignant a témoigné à l’effet qu’il a toujours agi de la même façon lorsqu’il ne peut pas accomplir ses tâches ou qu’il n’y a pas de commande spéciale, il s’installe à la cafétéria à la connaissance des superviseurs et le tribunal n’a pas à se demander si c’était normal de laisser un salarié payé en temps supplémentaire à attendre des commandes spéciales à la cafétéria puisque c’était la façon de procéder chez l’employeur jusqu’en octobre 2013. Il faut savoir que M. Carrier est un bon employé, qu’il a une conduite irréprochable, qu’il est fiable et qu’il dépasse les attentes telle qu’en fait foi la pièce S-4 déposée au tribunal d’arbitrage qui est une évaluation datée du mois de septembre 2013. M. Carrier est un employé qui complète bien ses assignations de travail, qui est ponctuel même s’il n’est peut-être pas un employé modèle.

 

[20]     Le tribunal doit retenir que la façon de procéder le samedi matin avant le mois d’octobre 2013 est celle qui a été décrite par le plaignant. Il y avait un salarié qui demeurait au travail jusqu’à midi le samedi matin pour compléter les commandes spéciales et parfois, ce salarié prenait de l’avance sur les commandes du dimanche, mais le 5 octobre, il n’y avait pas de place pour entreposer ces commandes. Dans un monde idéal, plaide le procureur syndical, le salarié doit aviser son supérieur, lui dire qu’il n’y a plus de place où entreposer les commandes, mais ce n’est pas ce qui se faisait chez l’employeur avant le 5 octobre 2013. Par ailleurs, il n’y avait pas de chauffeur en devoir pour reculer une remorque réfrigérée. Il n’y a aucune preuve à l’effet que l’employeur a vérifié si effectivement, il y avait de l’espace pour entreposer des commandes le 5 octobre 2013 dans la section entreposage. Il n’y a aucune preuve qu’il y a eu de l’espace libéré ou qu’on pouvait libérer de l’espace. Aucune vérification n’a été faite par l’employeur à ce sujet.

 

[21]     Il y a peut-être eu faute de la part de M. Carrier, mais entre la négligence et la faute, il y a une distinction que le tribunal doit faire. Par ailleurs, la convention collective prévoit à la clause 11.01 que selon la gravité et la fréquence des offenses commises et en tenant compte des circonstances, les mesures disciplinaires telles l’avertissement écrit, la suspension et le congédiement peuvent être prises. Il faut tenir compte que jamais M. Carrier n’a fait l’objet de mesure disciplinaire, il n’a jamais reçu d’avis et dans les circonstances, l’avis écrit aurait été suffisant compte tenu que M. Carrier est un bon employé telle que le démontre la pièce S-4 déposée au dossier du tribunal d’arbitrage. Le procureur termine ses représentations en mentionnant que dans la présente espèce, l’employeur a sauté une étape, qu’il aurait dû remettre à M. Carrier un avertissement écrit qui aurait été approprié dans les circonstances.

 

DÉCISION

 

[22]     Le rôle du tribunal consiste en premier lieu à s’assurer que le geste reproché à M. Carrier constitue bel et bien un comportement fautif et aussi à vérifier si l’employeur peut sévir à l’égard d’un tel geste. Lorsqu’il conclut, après analyse de la preuve, qu’il y a eu faute, le tribunal doit ensuite qualifier le degré de gravité de celle-ci et pour faire une évaluation adéquate de l’acte fautif, le tribunal doit s’en reporter à toutes les circonstances de l’affaire telles que révélées par la preuve dont, dans la présente espèce, le fardeau reposait sur les épaules de l’employeur. Ainsi, il devait faire la démonstration par une preuve prépondérante de la faute reprochée à M. Carrier. Ce n’est que par la suite, cet élément prouvé, que le tribunal, s’il y a lieu, passe à la seconde étape c’est-à-dire celle de vérifier ou d’évaluer la proportionnalité entre la sanction imposée par l’employeur et l’acte fautif retenu et maintenant établi par la preuve. Dans l’exercice de son pouvoir, l’arbitre peut, au terme de cette démarche, infirmer, confirmer ou modifier la décision prise par l’employeur, en l’occurrence, d’imposer à M. Carrier une suspension sans solde d’une journée.

 

[23]     La preuve a clairement démontré, comme l’a d’ailleurs admis M. Carrier, que ce dernier n’a pas travaillé à compter de 8h37 jusqu’à la fin de son quart de travail à midi le 5 octobre 2013. Il n’est pas contesté qu’il n’y avait plus de place dans la section d’entreposage pour y placer les commandes de cultures qu’il devait préparer pendant son quart de travail. On plaide qu’il n’a pas travaillé de 9h10 à midi et qu’il a ainsi contrevenu à ses obligations en n’appelant pas le superviseur pour l’informer de la situation.

 

[24]     Il y a une ambiguïté selon la preuve. La lettre S-3 indique que le surtemps a été requis pour préparer des commandes de cultures le samedi matin alors qu’on soutient d’un autre côté que la présence d’un salarié le samedi matin est nécessaire pour compléter des commandes de dernière minute. Dans un cas, le travail est à faire, dans l’autre, on attend d’être appelé pour compléter des commandes de dernière minute. Dans un cas, il est normal d’attendre, dans l’autre, il est normal d’aviser qu’on ne peut pas compléter son travail pour un quelconque motif. Cette incompréhension ou cette ambiguïté ressort clairement de la preuve et elle est à la base de la mésentente et du témoignage du plaignant qui soutient avoir parfaitement agi le 5 octobre. Toutefois, un fait demeure, le plaignant Carrier a commis une faute.

 

[25]     Dans Canadian Labour Arbitration (Fourth Edition) , les auteurs Brown, Beatty et Deacon écrivent à ce sujet à la page 7-115 :

 

          « 7:3520 Insufficient and/or careless work

 

          Employees who are able, but for some reason unwilling, to meet the requirements of a job may be disciplined by their employers. Not doing enough, or performing badly, impose unjustifiable costs on the employer. …

 

          …»

 

[26]     Dans le volume des auteurs Bernier, Blanchet, Granosik et Séguin, intitulé Les mesures disciplinaires et non disciplinaires dans les rapports collectifs du travail , publié aux Éditions Yvon Blais, on peut lire au chapitre 4 concernant la


négligence, ce qui suit :

 

          « 4.001. En vertu de son contrat de travail, le salarié s’engage à exécuter le travail pour lequel il a été embauché. Deux grandes obligations découlent de ce contrat. D’une part, il a l’obligation d’accomplir ses fonctions avec toute l’attention qu’y apporterait une personne diligente et raisonnable; il s’agit de l’obligation de diligence. D’autre part, il a une obligation de loyauté. …

 

          …

 

          4.002. Les manquements reliés à la mauvaise exécution du travail touchent à l’obligation de diligence. En vertu de cette obligation, tout salarié a l’obligation de prendre les moyens raisonnables afin de s’acquitter de sa tâche, de l’accomplir selon les «règles de l’art». Selon certains auteurs, cette obligation est une obligation de moyens et non une obligation de résultat, c’est-à-dire que le salarié doit faire des efforts raisonnables pour bien effectuer son travail, mais il n’est pas tenu à l’impossible.

 

          … »

 

[27]     Ces principes, comme le procureur de la partie patronale l’a plaidé, s’appliquent. L’employeur ne reproche pas à M. Carrier d’avoir volé du temps en ne travaillant pas toutes les heures qu’il aurait dû le 5 octobre 2013 c’est-à-dire après sa pause jusqu’à la fin du quart qui s’est terminé à midi ce jour-là. Essentiellement, le reproche est à l’effet qu’il n’a pas pris la peine d’aviser son superviseur de la situation qui l’empêchait de poursuivre son travail. Il faut noter à ce sujet, que ce matin-là, c’est ce qui est écrit à la pièce S-3 et c’est ce qui a été dit par les témoins, M. Carrier devait rester en surtemps de 6h00 à 12h00 pour préparer les commandes de cultures et non être en disponibilité à la cafétéria, pour le cas où il aurait des commandes de dernière minute à compléter. Il y a donc eu négligence de la part de M. Carrier dans l’exécution de sa prestation de travail et l’employeur était justifié de le rappeler à l’ordre en lui imposant une mesure disciplinaire. Dans la convention collective, les parties ont prévu à l’article 11 certaines mesures disciplinaires devant s’appliquer. Ainsi, aux


paragraphes 11.01 et 11.02, on peut lire :

 

          «11.01 - Principes généraux

 

          Selon la gravité et la fréquence des offenses commises, et tenant compte des circonstances, les mesures disciplinaires suivantes peuvent être prises : l’avertissement écrit, la suspension et le congédiement.

 

          …

 

          11.02 - Progression des sanctions

 

          Sauf dans un cas de faute lourde, l’employeur ne peut congédier un salarié sans avoir suspendu préalablement.

 

          …»

 

[28]     Comme on le constate, les parties ont prévu, concernant l’imposition des mesures disciplinaires, une progression des sanctions allant de l’avertissement écrit au congédiement en passant par la suspension sans solde. Quoiqu’il en soit, comme les parties n’ont pas prévu de façon spécifique qu’une infraction particulière devait être associée à une sanction précise, mais plutôt convenu d’une variété de sanctions possibles, le soussigné conserve toute compétence pour infirmer, confirmer ou modifier la décision prise par l’employeur dans le cas de M. Carrier.

 

[29]     La preuve a également fait état que suite à l’incident du 5 octobre 2013, les superviseurs ont rappelé à tous qu’ils devaient leur rapporter toutes situations les empêchant d’exécuter leurs tâches normales pendant leur quart de travail. Dans la présente espèce, après avoir étudié les témoignages, pris connaissance des documents déposés, de même que de la jurisprudence et des arguments des procureurs et du fait également que le plaignant a un excellent dossier d’emploi tel que cela appert notamment de sa dernière évaluation (S-4) datée du mois de septembre 2013, j’en viens donc à la conclusion qu’il y a lieu de modifier la mesure disciplinaire qui lui a été imposée et de la remplacer par un avertissement écrit lequel, de l’avis du soussigné et avec respect pour l’opinion contraire, aura pour effet de sensibiliser M. Carrier à la situation et de l’inciter à corriger son comportement pour éviter que des situations telles que vécues le 5 octobre 2013 ne se reproduisent.

 

[30]     EN CONSÉQUENCE, le tribunal fait partiellement droit au grief en modifiant la mesure disciplinaire de suspension sans solde d’un jour qui a été imposée à M. Carrier et en la remplaçant par un avertissement écrit déposé à son dossier.

 

[31]     IL EST ORDONNÉ à l’employeur de rembourser à M. Carrier les sommes perdues avec les intérêts et indemnités additionnelles prévues au Code du travail tout en le rétablissant dans tous ses droits eu égard à l’application de la convention collective de travail.

 

 

 

 

 

 

 

 

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Alain Corriveau , président

 

 

 

AC/cl