Milioto c. Produits chimiques Gilco inc.

2015 QCCS 1147

COUR SUPÉRIEURE

 

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

MONTRÉAL

 

 

 

N° :

500-17-067139-116

 

 

 

DATE :

Le 25 mars 2015

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

MARTIN CASTONGUAY, J.C.S.

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Gerlando Milioto

et

Denise Milioto

Demandeurs / Défendeurs reconventionnels

c.

Produits Chimiques Gilco inc.

Défenderesse / Demanderesse reconventionnelle

 

 

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JUGEMENT

______________________________________________________________________

[1]            Gerlando et Denise Milioto (ci-après désignés collectivement à l’occasion «Les Milioto») réclament de Produits Chimiques Gilco inc. (ci-après « Gilco ») la somme de 132 131,00 $, de même que la valeur de l’inventaire périmé, soit 11 817,00 $, le tout suite à la vente de leurs actions de Produits sanitaires Lion et Précision inc. (ci-après « Lion et Précision »), celle-ci intervenue le 1 er avril 2009 [1] .

[2]            Gilco, tout en admettant ne pas avoir payé la somme de 132 131,00 $ due le 1 er avril 2011, indique ne rien devoir aux Mioloto, puisque ceux-ci n’auraient pas respecté un des éléments essentiels du contrat intitulé «Closing Certificate» [2] , notamment la clause 4.1, laquelle réfère aux représentations des vendeurs contenues à l’offre d’achat [3] dont la suivante :

« 2.1     (a) The business of the Corporation has been and will be carried out in the ordinary and normal course up to the time of closing. The yearly sales shall be at 1 250 000,00 for the current year.

2.2        The covenants, representations and warranties of the Vendor contained herein and contained in any document or certificate given pursuant hereto shall survive the closing of the purchase and sale of the Purchased Shares herein provided for and, notwithstanding such closing, or any investigation made by or on behalf of the Purchaser, shall continue in full force and effect for the benefit of the Purchaser for a period of three (3) years following closing of the transaction provided for herein after which time the Vendor shall be released from all obligations and liabilities hereunder in respect of such representations and warranties except with respect to any claims made by the Purchaser in writing prior to the expiration of such period. »

[3]            En effet, les ventes de Précision, si elles étaient de 1 261 972,00 $ [4] pour l’année se terminant le 31 janvier 2008, se sont chiffrées à 1 030 208,00 $ [5] pour la période d’avril 2009 à la fin mars 2010 et n’ont cessé de décroître par la suite.

[4]            De fait, selon Gilco, les ventes de Lion ont tellement baissé, qu’elle s’est portée demanderesse reconventionnelle, pour une somme de 82 011 $.

[5]            Toutefois, en raison d’une décision du juge Nollet rendue le 12 mai 2014, Gilco fut déclarée forclose de présenter sa demande reconventionnelle, à moins d’une autorisation du Tribunal.

[6]            Les pièces à l’appui de la demande reconventionnelle furent déposées au dossier de la Cour le 5 janvier 2015, soit trois jours avant le début de l’audition.

[7]            Le matin de l’audition de la présente affaire, Gilco, qui était dans l’ignorance de la décision du juge Nollet, pour la bonne raison qu’elle n’était pas représentée, le 12 mai 2014, a présenté une requête verbale pour être autorisée à présenter sa demande reconventionnelle.

[8]            Cette demande, à l’issue d’une décision motivée par le Tribunal, fut refusée.

[9]            Cela résume la position des parties, comme les demandes de part et d’autre.

LES FAITS

[10]         Les Milioto exploitent à compter de 1981, une entreprise spécialisée dans la distribution de produits sanitaires.

[11]         En 1984, ils incorporent celle-ci et procèderont à une fusion vers 1990 - 1991 avec une autre compagnie pour ce qui devient alors Lion et Précision, Gerlando et Denise Milioto en sont les seuls actionnaires. Ils exploitent leur entreprise à partir de locaux situés à Pointe-Claire.

[12]         Lion et Précision connaissent depuis l’an 2000 des ventes se situant dans une fourchette entre 900 000 $ et 1 100 00 $.

[13]         Selon Gerlando, ces ventes culmineront en 2008 à 1 250 000 $.

[14]         De fait, pour la période du 1 er avril 2008 au 31 mars 2009, les ventes seront de 1 235 420 $ [6] , alors que les ventes pour l’année financière se terminant le 31 janvier 2008, se chiffrent à 1 261 972 $. Par ailleurs, les ventes pour l’année financière se terminant le 31 janvier 2007 totalisent 1 395 660 $ [7] .

[15]         Selon Gerlando, ce qui fait la force de son entreprise, est le fait que la livraison auprès de ses clients se fait dans les 24 heures d’un achat par ceux-ci.

[16]         De fait, Lion et Précision n’a qu’un seul camion de livraison, lequel est chargé le soir même pour les commandes reçues pendant la journée et les livraisons débutant dès le matin suivant.

[17]         Gerlando relate avoir manifesté à son entourage l’intention de vendre son entreprise dans le courant de l’année 2008.

[18]         De fait, la même journée, un vendredi de novembre ou décembre 2008, Gerlando rencontre deux acheteurs potentiels, soit la compagnie Royalnet, en matinée et Gilco, représentée par Michel Amar, en après-midi.

[19]         Les discussions avec Royalnet n’auront aucune suite. Par contre, celles avec Gilco seront menées rondement.

[20]         Gerlando avance avoir, selon son expression, ouvert ses livres à Gilco, affirmation non contredite par la preuve.

[21]         Dès le 19 décembre 2008, Gerlando et Denise Milioto, en leur qualité d’actionnaires de Lion et Précision, échangent avec Michel Amar une lettre portant sur leurs conditions de travail une fois que la vente d’actions aura été consommée.

[22]         Le 6 février 2009, intervient un Share Purchase Offer fixant le prix de vente des actions à 700 000 $. [8]

[23]         En fait, le vrai prix de vente tourne autour de 500 000 $, en raison d’un prêt de quelque 213 000 $ [9] de Lion et Précision en faveur des Milioto.

[24]         La vente des actions de Lion et Précision sera consommée le 1 er avril 2009 et constatée par un document intitulé « Closing Certificate » [10] il y est précisé les modalités de paiement.

[25]         Outre un paiement initial, le contrat faisait était d’une balance de prix de vente de 287 000 $, payable de la façon suivante :

« 1.3.3  From that balance of sale of 287,000$, an amount of ONE HUNDRED AND FIFTY THOUSAND DOLLARS (150,000$) plus interests, shall be paid exactly two years after Closing date;

1.3.4     The remaining amount on the balance of sale (ONE HUNDRED AND THIRTY-SEVEN THOUSAND DOLLARS (137,000$)), or any amount remaining on the balance of sale after adjustments mentioned in Article 5 herein, shall be paid by monthly instalments of SEVEN THOUSAND DOLLARS (7,000$) per month, starting on the first day of the seventh month following Closing date until fully paid with interests, but no later than exactly two years after Closing date when any and all amounts still due shall be paid; »

[26]         Le «  Closing Certificate », en son article 3.1 a) réfère et réitère les représentations contenues à l’Offre d’achat, notamment quant au chiffre d’affaires, lequel devait se maintenir à 1 250 000 $ pendant au moins trois années.

[27]         Cela étant et tel que prévu contractuellement, Gerlando et Denise Milioto ont consenti en octobre 2009 à des ajustements en faveur de Gilco, lesquels totalisent la somme de 84 869 $, d’où la présente réclamation, soit 150 000 $, moins 17 869 $ payés en trop sur les versements mensuels de 7 000 $ [11] .

[28]         Même si Gilco est devenue propriétaire des actions de Lion et Précision le 1 er avril 2009, les opérations de celle-ci se sont poursuivies à partir de leurs bureaux de Pointe-Claire, jusqu’à leur déménagement dans les locaux de Gilco à Laval à la fin août 2009.

[29]         Ainsi, du 1 er avril 2009 jusqu’à la fin août 2009, Lion et Précision a opéré son commerce comme elle l’avait toujours fait, les commandes étant livrées dès le lendemain de leur réception.

[30]         À compter de septembre, les opérations de Lion et Précision sont incorporées à celles de Gilco.

[31]         La façon de procéder de Gilco au chapitre des livraisons est différente de celle de Lion et Précision. De fait, à compter de septembre 2009, les livraisons se font dans un délai de 48 heures, puisque les commandes ne sont chargées dans les camions que le lendemain de leur réception.

[32]         Très tôt, alors que Gilco se plaint de la décroissance des ventes de Lion et Précision, Gerlando les informe des problèmes de livraison, puisque lui-même reçoit des plaintes de ses clients.

[33]         Gerlando rapporte également que certains de ses clients sont insatisfaits des produits fabriqués par Gilco, lesquels ont remplacé certains des produits vendus auparavant par Lion et Précision, lesquels provenaient de fournisseurs extérieurs.

[34]         De fait, un des attraits que présentait Lion et Précision pour Gilco, était son rôle de distributeur, permettant à cette dernière de vendre davantage des produits qu’elle fabriquait.

[35]         Cela étant, Michel Amar, même s’il concède que des produits fabriqués par Gilco étaient distribués par Lion et Précision, limite à quelque 30 000 $ les ventes totales qui auraient bénéficié à Gilco par l’intermédiaire de Lion et Précision.

[36]         Gerlando précise que pendant la transition, il devait s’occuper uniquement des ventes, mais qu’à l’occasion, il a effectué des livraisons pour combler aux lacunes de Gilco à ce niveau.

[37]         Les Milioto seront à l’emploi de Gilco du 1 er avril 2009 jusqu’au 31 décembre 2009.

[38]         Par la suite, dans le courant de 2010, ils reviendront travailler pour Gilco pendant quelques mois.

[39]         Michel Amar, actionnaire principal de Gilco avec son frère Jules, a témoigné qu’effectivement, Gerlando lui a soulevé la problématique des livraisons tardives.

[40]         D’ailleurs ce point a également été soulevé par Gerlando auprès de Nancy Therrien, alors directrice des opérations chez Gilco et en charge de l’intégration des opérations de Lion et Précision, au sein de Gilco.

[41]         Tant Michel Amar que Nancy Therrien se plaignent que les ventes de Lion et Précision n’ont cessé de décroître. De fait, Michel Amar reproche aux Milioto, avec beaucoup de vigueur, le fait qu’ils n’aient pas recruté de nouveaux clients pendant la période de transition.

[42]         De fait, les ventes pour les périodes d’avril à mars, pour les années 2008 à 2012 diminuent constamment.

2008 - 2009 : 1 235 420,00 $

2009 - 2010 : 1 030 208,00 $

2010 - 2011 :    862 018,00 $

2011 - 2012 :       826 084 $ [12]

[43]         Gerlando impute ces diminutions à divers facteurs, dont le principal a trait aux délais de livraisons, mais également aussi quant à la récession de 2008 et ainsi que l’insatisfaction de certains de ses clients quant aux produits fabriqués par Gilco.

[44]         Alors que les ventes diminuent, Gilco fait un suivi avec Gerlando, s’enquérant sans plus de la raison de cette diminution avec, toujours, les mêmes réponses de la part de Gerlando, et ce, jusqu’à son départ définitif à la fin 2010.

[45]         De fait, ce n’est qu’en mai 2011, après que Gerlando ait demandé le paiement du dernier versement, que Gilco fait état, formellement, dans une lettre de ses avocats [13] , de la diminution des ventes et qu’en conséquence, non seulement elle ne doit rien aux Milioto, mais également que ceux-ci sont redevables envers Gilco d’une somme de 78 007 $.

[46]         Le dernier paragraphe de cette lettre se lit comme suit :

« My client is ready to forget this amount you owe if you accept these final adjustments. If you decided to contest and challenge these adjustments in court, be advised that I have instructions from my client to claim the full amount that you owe plus any additional lost that my client may incur for further reductions in sales in this year ending in March 2012. »

[47]         Gilco soulève ne rien devoir aux Milioto en raison de la décroissance des ventes de Lion et Précision.

[48]         Les Milioto rétorquent que seule Gilco, de même que la récession mondiale, sont responsables de cette diminution et qu’en conséquence, Gilco doit leur payer ce qu’il leur doit.

Analyse

[49]         Dans un premier temps, il y a lieu de qualifier l’obligation à laquelle se sont astreints les Milioto. S’agit-il d’une obligation de résultat ou une obligation de garantie ?

[50]         Voici les définitions proposées par l’auteur Pierre-Gabriel Jobin [14] quant à ces obligations :

35 - Obligation de résultat - -L’obligation de résultat est celle pour la satisfaction de laquelle le débiteur est tenu de fournir au créancier un résultat précis et déterminé. Telles sont, par exemple, une obligation de ne pas faire telle ou telle chose, -l’obligation du transporteur à -l’égard des parties ou avaries des bagages ou marchandises transportés dans un contrat à titre onéreux et -l’obligation de -délivrance à la date convenue qui est généralement considérée comme une obligation de résultat pour le vendeur et le locateur notamment (…).

36 - Obligation de garantie - Enfin, l’obligation de garantie est celle dans laquelle le débiteur est tenu de fournir au créancier un résultat précis et déterminé, même dans -l’éventualité -d’une force majeure. On peut citer comme exemples -l’obligation de payer une somme -d’argent et celle de fournir un bien déterminé par son espèce seulement (car de tels biens ne périssent pas, pouvant toujours être remplacés par -d’autres semblables). (…)

[51]         La distinction est d’importance puisque l’intensité d’une obligation de garantie est beaucoup plus lourde que celle de résultat. Encore une fois, voici comment s’exprime l’auteur Jobin à ce sujet :

Au contraire, dans une obligation de résultat, la simple constatation de l’absence du résultat ou du préjudice subi suffit à faire présumer la responsabilité du débiteur, une fois le fait même de l’inexécution ou la survenance du dommage démontré par le créancier. Dès lors, le débiteur, pour dégager sa responsabilité, doit aller au-delà d’une preuve de simple absence de faute. Sur le plan de la preuve, l’absence de résultat fait donc présumer la responsabilité du débiteur et place sur ses épaules le fardeau de démontrer que l’inexécution provient d’une cause qui ne lui est pas imputable. Le débiteur n’a pas la possibilité de tenter de prouver absence de faute de sa part; il doit s’identifier par prépondérance de la preuve, une force majeure ou encore le fait de la victime, qui a empêché l’exécution de l ‘obligation . À défaut de décharger ce fardeau, le débiteur est tenu responsable de l’inexécution.

En présence enfin d’une obligation de garantie, la présomption de responsabilité est encore plus lourde. Le créancier, pour tenir le débiteur responsable, doit, comme pour l’obligation de résultat, prouver simplement l’absence de celui-ci. Cependant, à la différence d’une obligation de résultat, le débiteur d’une obligation de garantie ne peut se libérer qu’en démontrant que le fait de la victime a empêché l’exécution de l’obligation, dans les rares cas où il le peut dans les circonstances. La défense de force majeure est irrecevable, comme évidemment celle d’absence de faute. [15]

(Nos soulignés)

[52]         Par ailleurs, l’obligation de garantie étant beaucoup plus astreignante pour le débiteur, doit être très claire et l’absence de clarté peut affecter sa qualité :

[53]         Reprenons le texte des représentations :

2.1        (a) The business of the Corporation has been and will be carried out in the ordinary and normal course up to the time of closing. The yearly sales shall be at 1 250 000,00 for the current year.

2.2        The covenants, representations and warranties of the Vendor contained herein and contained in any document or certificate given pursuant hereto shall survive the closing of the purchase and sale of the Purchased Shares herein provided for and, notwithstanding such closing, or any investigation made by or on behalf of the Purchaser, shall continue in full force and effect for the benefit of the Purchaser for a period of three (3) years following closing of the transaction provided for herein after which time the Vendor shall be released from all obligations and liabilities hereunder in respect of such representations and warranties except with respect to any claims made by the Purchaser in writing prior to the expiration of such period.

[54]         La clause 2.1 est on ne peut plus claire, les ventes doivent se situer à 1 250 000 $ pour l’année courante, ce qui ne fut pas le cas en l’instance.

[55]         La clause 2.2 est beaucoup moins claire, puisqu’elle englobe toutes les garanties ou représentations sans précisions quant aux ventes annuelles, alors qu’il eut été fort simple de préciser le niveau de vente pour trois ans dans la clause 2.1.

[56]         Cette absence de clarté fait en sorte que si les Milioto étaient astreints à une obligation de garantie pour la première année, celle-ci devient une obligation de résultat pour les deux années subséquentes.

[57]         D’ailleurs, dans une affaire fort similaire de vente d’entreprise comportant une garantie de ventes subséquentes, le juge Laramée, de la Cour supérieure, qualifie cette obligation comme étant de résultat :

Qu’il n’ait pas atteint l’objectif parce qu’il ne faisait pas son travail ou tout simplement parce qu’il lui a été impossible de le faire n’est pas pertinent. L’obligation en est une de résultat. [16]

[58]         Cette distinction a de l’importance parce que si Gilco a droit à une diminution de son obligation quant à la « current year », les Milioto peuvent lui opposer pour les deux années subséquentes un moyen de défense, notamment en ce qui a trait aux méthodes de livraison de Gilco qui ont déplu à la clientèle de Lion et Précision.

[59]         Gilco, sur le sujet des livraisons, plaide que Gerlando n’a jamais désigné de clients précis s’étant plaints des délais de livraison.

[60]         Le Tribunal ne retient pas cet argument. Michel Amar et Nancy Therrien conviennent avoir reçu les plaintes de Gerlando à ce sujet. Ce qu’il décrivait était une situation généralisée et la seule solution qui s’imposait dans les circonstances était un changement généralisé des méthodes de livraison ce qui n’a pas été fait par Gilco.

[61]         Ainsi pour les deux années où l’obligation des Milioto face à Gilco en est une de garantie, les dispositions de l’article 1470 C.c.Q. doivent recevoir application. Il est ainsi libellé :

1470.  Toute personne peut se dégager de sa responsabilité pour le préjudice causé à autrui si elle prouve que le préjudice résulte d'une force majeure, à moins qu'elle ne se soit engagée à le réparer.

La force majeure est un événement imprévisible et irrésistible; y est assimilée la cause étrangère qui présente ces mêmes caractères.

[62]         Le fait du créancier, en l’occurrence Gilco, a été assimilé par les auteurs à une «cause étrangère». Voici comment s’exprime l’auteur Pierre-Gabriel Jobin à ce sujet :

922     -     Fait d’un tiers - Le Code , suivant en cela la jurisprudence, assimile à la force majeure l’acte d’un tiers qui empêche l’exécution, à condition bien entendu qu’il possède les mêmes caractères et qu’il ne s’agisse pas d‘un tiers dont par ailleurs le débiteur doit répondre (employé, sous-traitant) 60 . Cet acte peut cependant, dans certains cas, entraîner la responsabilité extracontractuelle du tiers vis-à-vis du créancier quand la conduite du tiers revêt un caractère fautif et a un lien de causalité avec la perte subie 61 .

923     -     Fait du créancier, Exonération complète - Le créancier qui, par son acte seul , rend l’exécution impossible, doit en supporter les conséquences et ne saurait se plaindre de la défaillance du débiteur. Un tel acte n’est en réalité pas toujours assimilable à une force majeure puisqu’il n’a pas nécessairement les caractéristiques d’imprévisibilité ou d’irrésistibilité 62 . Si cet acte est la seule cause du dommage, il y aura alors exonération totale de la responsabilité du débiteur 63 . Dans une telle situation, il est exact d’assimiler la faute du tiers à une force majeure. Mais il faut aussi envisager le cas, fréquent, où l’acte fautif de la victime a contribué à la violation du contrat [17] .

(Références omises)

[63]         L’application de ces principes à la présente affaire est d’autant plus pertinent en ce que la baisse drastique des ventes de la division Lion et Précision dans les deux années suivant la «current year» est une conséquence directe de la désaffectation de sa clientèle insatisfaite des méthodes de livraison qui lui ont été imposées par Gilco dès la première année.

[64]         Les Milioto avancent également que le Tribunal doit tenir compte de la récession globale ayant affecté l’économie du monde occidental à compter de 2008.

[65]         Le Tribunal ne peut retenir cet argument. La récession invoquée par les Milioto et qui est de connaissance judiciaire s’est manifestée à compter de 2008 et ceux-ci se sont engagés envers Gilco au printemps 2009 alors que les effets de cette récession étaient déjà bien connus.

[66]         Il a été prouvé à l’aide des états financiers de Lion et Précision pour l’année 2008 [18] que les profits sur les ventes se situaient dans une fourchette variant entre 31,7 % et 33,5 % la médiane étant 32,6 %.

[67]         Les ventes pour la «current year» se sont élevées à 1 030 208,00 $ alors qu’elles auraient dû être de 1 250 000,00 $, soit une diminution de 219 792,00 $ et le profit pour Gilco aurait été de 71 652,19 $.

[68]         Gilco aura donc droit à une diminution de son obligation envers les Milioto de 71 652,19 $.

[69]         Quant au «dead inventory» le Tribunal prend acte de l’offre de Gilco de le remettre aux Milioto tel que demandé à la requête introductive d’instance.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[70]         ACCUEILLE en partie la requête introductive d’instance de Gerlando Milioto et Denise Milioto;

[71]         CONDAMNE Produits Chimiques Gilco inc. à payer à Gerlando Milioto et Denise Milioto la somme de 60 478,81 $ avec intérêts au taux de 4 % depuis le 1 er avril 2011;

[72]         PREND ACTE de l’offre de Produits Chimiques Gilco inc. de remettre à Gerlando Milioto et Denise Milioto le «dead inventory» et ORDONNE la remise de tout tel inventaire dans les 30 jours du présent jugement;

[73]         LE TOUT avec dépens.

 

 

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MARTIN CASTONGUAY, J.C.S.

 

 

Me Donato Delle Donne

Procureur des demandeurs / défendeurs reconventionnels

 

Me Jean El Masri

El Masri Avocat inc.

Procureurs de la défenderesse / demanderesse reconventionnelle

 

Dates d’audience :

7 et 8 janvier 2015

 



[1] Pièce P.2.

[2] Pièce P-2.

[3] Pièce P-1.

[4] Pièce D-4.

[5] Pièce D-13.

[6] Pièce D-13.

[7] Pièce D-4.

[8] Pièce P-1.

[9] Pièce P-2.

[10] Pièce P-2.

[11] La lettre de Me Boulanger du 16 mai 2011, pièce D-15, fait référence à cet ajustement.

[12] Pièce D-13A.

[13] Pièce D-15.

[14] JOBIN , Pierre-Gabriel, Les obligations , 6 e édition, Les Éditions Yvon Blais, p.38, 39 et 40.

[15] Idem, p. 42 et 43.

[16] C.F.D. Gaz Naturel inc. c. Sylvain Lamy Promberie Chauffage Gaz Naturel inc , 505-05-004627-987 et 505-17-000429-987, 29 mars 2000, juge Laramée (C.S.).

[17] Note 14, p. 946 et 947.

[18] Pièce D-4.