RÉGIE DES ALCOOLS, DES COURSES ET DES JEUX

 

 

 

NUMÉRO DU DOSSIER

:

40-2034767-001

[ACCES]

 

DATE DE L’AUDIENCE

:

2015-03-03 à Montréal

 

RÉGISSEURE

:

M me Jocelyne Caron

 

TITULAIRE

:

Groupe Toqué inc.

 

RESPONSABLE

:

M me Christine Lamarche

 

NOM DE L’ÉTABLISSEMENT

:

Restaurant Toqué

 

ADRESSE

:

900, place Jean-Paul-Riopelle

Montréal (Québec) H2Z 2B2

 

PERMIS EN VIGUEUR

:

Restaurant pour vendre

1 er étage  (167 personnes)

N o 9585068

 

NATURE DE LA DÉCISION

:

Contrôle de l’exploitation

 

DATE DE LA DÉCISION

:

2015-03-09

 

NUMÉRO DE LA DÉCISION

:

40-0006651

 

 

 

 

DÉCISION

 

[1]                Par avis du 15 avril 2014 et avis de report des 12 août et 11 novembre 2014, la Régie des alcools, des courses et des jeux (la Régie) convoquait la titulaire afin d’enquêter sur des allégations de faits portées à sa connaissance et déterminer si la titulaire a manqué à ses obligations légales et, le cas échéant, sanctionner tel manquement.


LES FAITS

[2]                Les allégations de faits se résument ainsi à l’avis de convocation :

[Transcription conforme]

 

Tolérer des boissons alcooliques acquises non conformément au permis :

 

Le 1 er octobre 2013, les policiers ont saisi, dans votre établissement, le(s) contenant(s) de boisson(s) alcoolique(s) suivant(s) (Document 1) :

 

- 1 bouteille(s) de vin de 500 millilitre(s) de marque La Marquise d'Orpailleur, 15% alc./vol. (item 3)

 

Le timbre de droit de la Société des alcools du Québec n'était pas apposé sur ce(s) contenant(s).

 

Ce(s) contenant(s) a (ont) été trouvé(s) dans le cellier.

 

Total en litres du (des) contenant(s) : 0,5 litre(s)

 

Tolérer des boissons alcooliques acquises non conformément au permis :

 

Le 1 er octobre 2013, les policiers ont saisi, dans votre établissement, le(s) contenant(s) de boisson(s) alcoolique(s) suivant(s) (Document 1) :

 

- 1 bouteille(s) de spiritueux de 350 millilitre(s) de marque Vulnéraire, 50% alc./vol. (item 1)

 

De plus, le rapport de la S.A.Q. (P-63630) de cette  boisson alcoolique mentionne ce qui suit : Selon l’examen de l’étiquette et du contenant, ce produit n'est pas commercialisé par la S.A.Q. et n'est pas fabriqué, embouteillé ou livré conformément à un permis délivré en vertu de la Loi sur la Société des alcools du Québec .

 

Ce(s) contenant(s) a (ont) été trouvé(s) dans le cellier.

 

Total en litres du (des) contenant(s) : 0,35 litre(s)

 

AUTRES INFORMATIONS PERTINENTES :

 

Groupe Toqué inc. a exploité l’établissement situé au 3842, rue Saint-Denis à Montréal, du 28 juillet 1993 au 7 janvier 2004.

 

Suite à un changement permanent d'endroit d’exploitation, Groupe Toqué inc. est autorisée à exploiter le présent établissement, situé au 900, place Jean - Paul Riopelle à Montréal, depuis le 8 janvier 2004.

 

Le 8 avril 2014, la Régie a fait parvenir à Groupe Toqué inc. un avis au titulaire pour avoir toléré 1 boisson alcoolique contenant des insectes.

 

La date d'anniversaire du(des) permis est le 3 avril.


L’AUDIENCE

 

[3]                L’audience s’est tenue, le 3 mars 2015, au Palais de justice de Montréal, en présence de M e Marc Nepveu, représentant la Direction du contentieux de la Régie, et de M e Sophie Dormeau, représentant la titulaire, ainsi que de M me  Christine Lamarche, copropriétaire de l’établissement et responsable du permis d’alcool auprès de la Régie.

 

Preuve de la Direction du contentieux

[4]                M e Nepveu présente la preuve documentaire contenue au dossier (document 1).

[5]                Le 1 er octobre 2013, vers 13 h 40, les policiers ont saisi, dans le cellier de l’établissement, une bouteille de vin de 500 millilitres de marque La Marquise d'Orpailleur sur laquelle le timbre de droit de la Société des alcools du Québec (SAQ) n’était pas apposé.

[6]                Les policiers ont également saisi une bouteille de spiritueux de 350 millilitres de marque Vulnéraire n’ayant pas le timbre de droit.  Le rapport d’expertise de la SAQ (P-65630) indique que ce produit n’est pas commercialisé par la SAQ et n’est pas fabriqué, embouteillé ou livré conformément à un permis délivré en vertu de la Loi sur la Société des alcools du Québec [1] .

 

Preuve de la titulaire

Témoignage de M. Marc-Antoine Dionne

[7]                M. Dionne est coordonnateur de cuisine depuis quatre ans pour l’établissement.  Il est diplômé de l’Institut du tourisme et de l’hôtellerie du Québec.  Il possède une expérience de dix ans en restauration.

[8]                Il est responsable de l’inventaire et des commandes pour la nourriture ainsi que le matériel et assure la gestion de la cuisine.

[9]                Les achats de boissons alcooliques sont faits par un sommelier et entreposés dans le cellier.  Les cuisiniers utilisent surtout du vin rouge et du vin blanc.

[10]            Il était présent le 1 er octobre 2013, jour de la saisie policière.

[11]            Le sommelier lui avait confié le mandat de retirer l’alcool qui n’avait pas sa place en cuisine, car il soupçonnait un cuisinier de consommer de l’alcool sur les lieux.

[12]            Le lundi 30 septembre 2013, il a profité de la fermeture du restaurant pour inspecter la cuisine.  Il a retiré de la cuisine de 5 à 7 bouteilles d’alcool, incluant les deux bouteilles saisies le lendemain.  Il les a mises dans une caisse de lait qu’il a identifiée avec un ruban adhésif et sur laquelle il a indiqué « Ne pas toucher » bien en vue.

[13]            Il a mis cette caisse dans le cellier pour la montrer au sommelier le lendemain, soit le 1 er octobre 2013, car le sommelier ne travaille pas le lundi et il arrive au restaurant vers 14 h - 14 h 30 le mardi.  Le cuisinier a été congédié.

[14]            Le cellier est dans des espaces verrouillés, celui-ci est accessible seulement au sommelier, au maître d’hôtel et au responsable du bar.  Les cuisiniers doivent passer par ces intermédiaires pour obtenir de l’alcool pour leurs recettes.

[15]            Un document intitulé « Guide des employés », dont la première rédaction remonte à 2011, a été complété en janvier 2015.  Il est interdit aux employés d’apporter de l’alcool.

[16]            Il ne connaît pas la liqueur de marque Vulnéraire et celle-ci n’est pas utilisée pour une recette.

 

Témoignage de M me Christine Lamarche

[17]            M me Lamarche est copropriétaire de l’établissement créé en 1993.  Elle s’occupe de la gestion et de la comptabilité.  Le restaurant emploie entre 50 et 60 personnes.

[18]            La cuisine « haut de gamme » et l’excellente réputation du restaurant lui ont valu plusieurs distinctions et reconnaissances, tant au niveau national qu’international.

[19]            Le sommelier est responsable des commandes à la SAQ et à l’agence d’importation de vins privés.

[20]            À la réception de la commande, un membre du personnel d’entretien désactive le système d’alarme sur le cellier.  Les vérifications des commandes sont faites par le sommelier et le barman.  L’inventaire est vérifié quotidiennement et il y a des vérifications mensuelles plus complètes.

[21]            L’établissement achète environ           bouteilles annuellement. M me Lamarche effectue les paiements et n’accepterait aucun paiement pour des achats non conformes au permis.

[22]            Elle était présente le 1 er octobre 2013 lors de la saisie, mais elle n’a pas accompagné les policiers habillés en civil.   Elle a été informée de la saisie à la fin de l’inspection.

[23]            Les bouteilles ont été saisies dans le cellier.  Elle a appris plus tard que celles-ci étaient dans une caisse de lait en bas des marches du cellier.

[24]            Elle précise que l’établissement refuse les cadeaux sous forme de boissons alcooliques ainsi que celles proposées par des représentants.  Elle sait que celles-ci ne peuvent être dans le restaurant.

[25]            Les employés sont informés que l’alcool non timbré est interdit.  Ils sont également informés de ne pas apporter d’alcool.

[26]            Elle ne connaît pas la marque Vulnéraire et ne savait pas que ce produit se trouvait là.

[27]            Malgré ses recherches, elle n’a pas trouvé de facture pour la bouteille de marque  La Marquise d'Orpailleur .  Elle sait qu’ils en ont déjà commandé.

 

Représentations de M e Marc Nepveu

[28]            M e Nepveu rappelle que l’absence de timbre de droit crée une présomption d’acquisition non conforme des bouteilles saisies à l’établissement le 1 er octobre 2013.

[29]            Il ajoute que le fait que la bouteille de marque Vulnéraire n’est pas commercialisée par la SAQ constitue un facteur aggravant.

[30]            Il précise que l’évaluation de la notion de tolérance inscrite à l’article 72.1 de la  Loi sur les permis d'alcool [2] (LPA) doit s’appuyer sur la définition du juge Jean-Louis Baudoin [3] , citée dans la décision Centre Cosomplex [4] , à savoir que le mot « tolérer » ne signifie pas simplement « autoriser », ou « permettre », mais aussi «  laisser se produire  », ce qui exclut toute intention coupable.

[31]            La titulaire doit avoir une gestion serrée.

[32]            Considérant qu’il y a eu manquement à l’article 72.1 de la LPA, le paragraphe 4 o du 2 e alinéa de l’article 86 de la même loi oblige le Tribunal de la Régie à suspendre le permis de la titulaire.

[33]            Compte tenu de la faible quantité saisie, M e Nepveu recommande une suspension d’un ou deux jours en prenant en compte le facteur aggravant.

 

Représentations de M e Sophie Dormeau

[34]            M e Dormeau note certaines contradictions et erreurs dans le rapport policier.  La première description des items saisis indique que la bouteille de marque La Marquise d'Orpailleur est intacte alors que la deuxième description, du même rapport, indique qu’elle est entamée.

[35]            Elle ajoute que l’établissement existe depuis 22 ans et que les normes de contrôle mises en place sont maximales.

[36]            Concernant la notion de tolérance, elle dépose de la jurisprudence.

[37]            M e Dormeau précise que le restaurant est fermé le lundi et que la saisie a eu lieu le mardi juste avant que le sommelier puisse regarder le contenu de la caisse de lait identifiée par M. Marc-Antoine Dionne.

[38]            De plus, tous les achats de boissons alcooliques de l’établissement sont conformes.

 

LE DROIT

[39]            Les dispositions légales qui s'appliquent dans le présent dossier sont les suivantes :

Loi sur les infractions en matière de boissons alcooliques [5] (LIMBA)

82.1. Sous réserve des droits qui lui sont conférés par la Loi sur la Société des alcools du Québec (chapitre S-13), à titre de titulaire de permis de production artisanale ou de producteur artisanal de bière, un titulaire de permis ne peut garder, posséder ou vendre dans son établissement:

[…]

 1° des boissons alcooliques autres que la bière, le cidre léger ou celles visées au deuxième alinéa qui n'ont pas été achetées directement de la Société;

[…]


84.  Il est défendu à un titulaire de permis de garder dans l'établissement où ce permis est exploité un contenant de boissons alcooliques autres que la bière et le cidre et sur lequel n'est pas apposé le timbre de la Société ou un contenant de boissons alcooliques fabriquées par un titulaire de permis de production artisanale sur lequel n'est pas apposé un autocollant numéroté de la Régie.

[…]

 

 

Loi sur les permis d'alcool [6] (LPA)

 

72.1.  Un titulaire de permis autorisant la vente ou le service de boissons alcooliques ne doit tolérer dans son établissement que la présence de boissons alcooliques acquises, conformément à son permis, de la Société ou d'un titulaire de permis de production artisanale, de brasseur, de distributeur de bière ou de fabricant de cidre, délivrés en vertu de la Loi sur la Société des alcools du Québec (chapitre S-13), ou d'un agent d'un tel titulaire de permis.

[…]

86.  […]

La Régie doit révoquer ou suspendre un permis si:

[…]

4°  le titulaire du permis a contrevenu à l'article 72.1;

[…]

La Régie, dans la détermination de la sanction administrative pour contravention à l'article 72.1, tient compte notamment des facteurs aggravants suivants:

 

a)   la quantité de boissons alcooliques ou d'appareils de loterie vidéo;

 

b)   le fait que les boissons alcooliques sont de mauvaise qualité ou impropres à la consommation;

 

c)   le fait que les boissons alcooliques sont fabriquées frauduleusement ou falsifiées;

 

d)   le fait que le titulaire du permis a contrevenu à l'article 72.1 dans les cinq dernières années;

 

e)   le fait que les boissons alcooliques ne sont pas commercialisées par la Société des alcools du Québec et qu'elles ne sont pas fabriquées, embouteillées ou livrées conformément à un permis délivré en vertu de la Loi sur la Société des alcools du Québec (chapitre S-13).

 

ANALYSE

 

[40]            Le Tribunal de la Régie doit déterminer si la titulaire a manqué à ses obligations légales et a contrevenu à l’article 72.1 de la LPA et, si tel est le cas, il doit suspendre le permis de la titulaire en vertu du paragraphe 4 o du 2 e alinéa de l’article 86 de la même loi.

[41]            Précisons dès le départ que, pour le Tribunal de la Régie, la titulaire est toujours responsable de ses employés.  Elle a l’obligation de connaître les lois et règlements reliés à son permis d’alcool et de former chaque membre de son personnel pour s’assurer que ces lois et règlements soient respectés en tout temps.

[42]            Dans un premier temps, il s’agit de déterminer si l’acquisition des produits saisis est conforme au permis de la titulaire.

[43]            L’absence de timbre de droit sur la bouteille de marque La Marquise d'Orpailleur crée une présomption d’acquisition non conforme.

[44]            Il en va de même de la saisie de la bouteille de spiritueux de marque Vulnéraire avec un facteur aggravant puisque le produit n’est pas commercialisé par la SAQ et n’est pas fabriqué, embouteillé ou livré conformément à un permis délivré en vertu de la Loi sur la Société des alcools du Québec [7] .

[45]            Il appartient à la titulaire de renverser la présomption d’acquisition non conforme.   La preuve documentaire et testimoniale n’a pas renversé cette présomption.

[46]            En effet, aucune facture n’a pu être retrouvée par M me Lamarche pour la bouteille de marque La Marquise d'Orpailleur et elle ne connaît pas la provenance de la bouteille de marque Vulnéraire .  Il en est de même pour M. Dionne.

[47]            La soussignée doit donc conclure que l’acquisition des deux bouteilles saisies est non conforme au permis.

[48]            Dès lors, il faut déterminer si la titulaire a toléré la présence, dans son établissement, de ces deux bouteilles de boissons alcooliques acquises non conformément à son permis.

[49]            Selon le témoignage de M. Dionne, dont la crédibilité n’est pas mise en doute, les deux bouteilles saisies faisaient partie d’un lot de 5 à 7 bouteilles, les autres ayant leur timbre de droit.  Il les avait lui-même sorties de la cuisine le lundi 30 septembre 2013.  Par la suite, il les avait mises dans une caisse de lait bien identifiée et scellée avec une inscription « Ne pas toucher » bien en vue dans le cellier verrouillé afin de les montrer au sommelier le lendemain à son arrivée, soit le mardi 1 er  octobre 2013 en après-midi.

[50]            Le sommelier avait mandaté M. Dionne pour sortir de la cuisine toutes les boissons alcooliques n’étant pas du vin, car il soupçonnait un cuisinier de boire durant son travail.

[51]            La caisse de lait bien identifiée par M. Dionne constituait une preuve importante à remettre au sommelier.

[52]            Ce dernier commence son travail le mardi vers 14 h - 14 h 30 et les policiers sont arrivés avant lui, soit vers 13 h 40.

[53]            La titulaire a-t-elle toléré la présence des boissons alcooliques saisies dans son établissement alors que son responsable des achats et des vérifications des boissons alcooliques, son sommelier, n’a pas eu le temps de prendre connaissance que celles-ci avaient été retirées par M. Dionne, à sa demande?

[54]            Les circonstances particulières de ce dossier font en sorte que la soussignée considère que la titulaire n’a pas toléré les deux bouteilles saisies puisque les policiers sont arrivés juste avant que le sommelier n’ait pris connaissance de leur présence, laquelle constituait la preuve nécessaire au congédiement du cuisinier, et que M. Dionne avait clairement identifié la caisse dans laquelle celles-ci se trouvaient.

[55]            C’est pourquoi le Tribunal de la Régie n’interviendra pas contre la titulaire.

 

PAR CES MOTIFS,

la Régie des alcools, des courses et des jeux :

 

N'INTERVIENT PAS                       contre la titulaire dans le présent dossier.

 

 

 

 

 

                                                           JOCELYNE CARON                                             

                                                           Régisseure

 



[1] RLRQ, chapitre S-13.

[2] RLRQ, chapitre P-9.1.

[3] 134677 Canada inc. (Reubens) c. Tribunal administratif du Québec et Régie des alcools, des courses et des jeux.  C.A. n o 500-09-014332-043, j. Jean-Louis Baudouin, 24 mars 2004.

[4] RACJ, décision du 4 septembre 2014, n o 40-0006313.

[5] RLRQ, chapitre I-8.1.

[6] RLRQ, chapitre P-9.1.

[7] RLRQ, chapitre S-13.