Thompson c. Désormeaux |
2015 QCCS 1165 |
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JR 1452
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
MONTRÉAL |
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N° : |
500-17-069896-127 |
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DATE : |
Le 26 mars 2015 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE : |
L’HONORABLE |
STEVE J. REIMNITZ, J.C.S. |
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Marilyne Thompson |
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Demanderesse |
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c. |
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Mary-Ann Désormeaux |
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et |
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Nicole Richer |
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et |
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Industrielle Alliance, assurance auto et habitation |
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Défenderesses |
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JUGEMENT |
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[1] La demanderesse poursuit les défenderesses pour une chute dans l’escalier menant à leur condominium. Les parties s’entendent sur l’incapacité permanente de la demanderesse, laquelle est établie à 7 %. La demanderesse soutient que les défenderesses sont entièrement responsables des blessures qu’elle a subies et leur réclame la somme de 365 000 $.
[2] Tony Robertelli, le conjoint de la demanderesse, présent le soir de l’accident, témoigne.
[3] La demanderesse et lui habitent au 1422 de la rue A, et les défenderesses au 1425, de la rue A à St-Hubert.
[4] Les défenderesses, la demanderesse et son conjoint sont amis depuis quelques années. Ils vont occasionnellement chez les défenderesses pour prendre un verre et très occasionnellement un repas.
[5] Ils se sont connus en 2009. À cette époque, la demanderesse et Tony Robertelli s’intéressaient aux fleurs des défenderesses devant leur condo. Avec le temps, une amitié s’est développée. Les visites chez les défenderesses se font plutôt l’été, mais l’hiver, bien que la fréquence soit moindre, la demanderesse et son conjoint les visitent environ aux deux semaines.
[6] Lors de la chute, les défenderesses étaient propriétaires d’un chien. Tel qu’il appert des photos ( P-1 a) et b) ), afin d’empêcher les chiens de quitter le patio situé devant leur condo, les défenderesses installent une planch e de bois appuyée sur l’escalier. Cette planche mesure 21 ″ X 41 ″ .
[7] Monsieur Robertelli dépose une série de photos sous ( P-1 a) ) où l’on voit l’escalier où la chute est survenue et le morceau de bois qui empêche le chien de quitter le patio.
[8] Le matin du 22 janvier 2011, monsieur Robertelli prend son petit déjeuner avec la demanderesse avant d’aller faire des courses. Ils sont invités en fin de journée chez les défenderesses. Ils s’y rendent vers 18 h 30. Ils ont déjà mangé, mais ils rencontrent leurs amies pour prendre un verre.
[9] La demanderesse marche devant monsieur Robertelli. En descendant l’escalier, il entend un bruit et voit sa conjointe allongée devant l’escalier près de la porte. Il attend qu’elle se relève, elle a mal. Elle finit par se relever et ils décident tout de même d’aller visiter leurs amies et prendre un verre avec elles. Au bout de 30 minutes, la douleur est tellement intense, que monsieur Robertelli décide de transporter sa conjointe à l’hôpital pour y recevoir les premiers soins.
[10] Il décide ensuite de retourner à la maison pour prendre des photos, lesquelles sont déposées sous ( P-1 ). Il identifie des photos où la planche de bois est différente, plus haute et avec des lignes blanches. Il n’y a aucune ligne sur la planche lorsque se produit l’accident.
[11] Contre-interrogé, monsieur Robertelli note que lui et sa conjointe se rendent assez souvent chez les défenderesses, surtout l’été. Ils s’assoient alors sur le patio, près de l’escalier où l’accident est survenu. À l’occasion, ils prennent un repas et font même de petits voyages avec elles, par exemple un voyage à Wakefield.
[12] Le témoin situe la planche sur la première marche. Il appose un signet pour démontrer où elle était située. Selon lui, la première marche à environ quatre pouces et la deuxième peut-être huit pouces.
[13] Il souligne que l’été, il déplace la planche à l’occasion ou il l’enjambe. Toutefois, en hiver, cette planche est absente.
[14] Il témoigne qu’il ne passe jamais du côté droit de l’escalier où il y a les fleurs.
[15] Après l’accident, la demanderesse et lui voient peu les défenderesses. Leur relation amicale se termine vers la mi-février, peu de temps après l’accident et après que la demanderesse ait rencontré un avocat.
[16] De son côté, madame Thompson reprend en grande partie le témoignage de son conjoint. Elle confirme la présence d’une planche de bois l’été, pour empêcher les chiens de quitter le patio. Elle soutient, comme son conjoint que l’hiver, les défenderesses n’installent pas cette planche.
[17] Elle raconte sa chute en indiquant qu’elle précède son conjoint et tombe en trébuchant sur la planche. Après sa chute, elle va tout de même prendre un verre au condo des défenderesses et constate que ces dernières semblent minimiser ses blessures. Elle avait des douleurs et après environ 30 minutes, elle décide d’aller à l’hôpital avec son conjoint.
[18] On lui exhibe les photos ( D-3 a), b) et c) ), elle mentionne que la planche sur cette photo n’est pas la même que celle qui y était lors de sa chute.
[19] Madame témoigne brièvement sur ses dommages et précise que son salaire à l’époque de l’accident était d’environ 29 000 $. Elle reçoit une assurance invalidité durant quelques mois, laquelle équivaut à moins de 50 % de son salaire. Elle est en arrêt de travail jusqu’en avril 2011 et elle perd environ trois mois de travail.
[20] En contre-interrogatoire, elle affirme qu’elle était un peu plus amie avec Marianne Désormeaux. Elles se voyaient souvent, jusqu’à cinq fois / semaine l’été et l’hiver. Elle confirme également que le groupe fait des sorties ensemble et certains voyages. Elle confirme qu’à la mi-février 2011, l’amitié cesse et elle ne revoit pas les défenderesses.
[21] Comme monsieur Robertelli, elle témoigne que l’hiver, le ou les chiens ( les défenderesses ont déjà eu deux chiens ) vont dehors, mais pas sur le patio arrière.
[22] Elle reconnaît avoir déjà enjambé la planche de bois, mais ne l’a jamais mesurée.
[23] La demanderesse revient en contre-preuve pour témoigner sur les conséquences de ses blessures. Elle déclare ne plus pouvoir frapper des balles de golf. Elle a dû faire de la physiothérapie. Avant, elle jouait aux quilles, ce qu’elle ne peut plus faire. Elle est également restreinte dans plusieurs activités et dans l’entretien de la maison. Elle ne peut plus ou du moins difficilement donner le bain à ses petits-enfants. Le contre-interrogatoire sur cette question a permis d’apprendre que dans son interrogatoire au préalable à la page 15, lorsqu’interrogée sur la question de ses activités, elle ne mentionne pas le golf, pas plus que les quilles.
[24] Madame Dubé demeure au 1429 Emery. Elle habite dans le condo au-dessus de celui des défenderesses. Elle habite cet endroit depuis mars 2009. Elle connaît la demanderesse qu’elle voyait chez les défenderesses presque tous les jours durant la période de mars 2009 jusqu’en 2011.
[25] L’été, les défenderesses s’assoient régulièrement sur le patio devant leur condo. Elle voyait souvent la demanderesse et son conjoint Tony Robertelli leur rendre visite. À partir de 2011, ils cessent les visites.
[26] Elle-même visite les défenderesses à l’occasion. Pour s’y rendre, elle descend son propre escalier et celui donnant accès à leur condo. Elle note qu’il y a une planche en bois en tout temps. Cette planche empêche les chiens des défenderesses de quitter le patio. Elle témoigne également que les marches sont éclairées. Elle déclare : « je vois comme en plein jour » . C’est clair, même le soir. Elle précise que la planche et l’escalier « c’était facile à voir » . Selon elle, c’est sur la dernière marche que la planche est appuyée.
[27] Elle ajoute qu’en descendant les marches, elle voit bien la planche de bois, qu’elle déplace vers la gauche pour avoir accès au patio et à la porte d’entrée. Elle réitère que cette planche est toujours en place que ce soit en été ou en hiver.
[28] Elle ne l’aurait pas enjambée puisque selon elle, elle serait tombée si elle l’avait fait.
[29] Elle situe la planche au bas de l’escalier, appuyée sur la rampe blanche, à droite lorsqu’on descend l’escalier.
[30] Elle réitère en contre-interrogatoire que la planche est toujours au même endroit. Elle la déplace pour entrer.
[31] Même si les chiens ne sont pas à l’extérieur, la planche est en place en tout temps, puisque les chiens demandent à sortir sur le patio en avant.
[32] Le témoin affirme que lors de l’accident, la planche n’est pas celle qui apparaît sur la photo ( P-1 a) ). La planche en place était celle qui apparaît sur les photos ( D-3 a) b) c) ). Elle fait cette distinction, car il n’y a pas d’écriture et elle n’est pas de même dimension. Celle de la photo ( D-3 d) ) semble plus haute, du moins d’après ce qu’elle peut voir sur les photos. De 2009 jusqu’à l’accident en 2011, elle a toujours vu la même planche que l’on aperçoit sur les photos ( D-3 ).
[33] Quant à la photo ( P-10 ) où l’on voit deux lignes blanches, elle témoigne n’avoir jamais vu une telle planche chez elle avant l’accident et suggère que cela a été fait après l’accident, mais elle ne peut être affirmative et dire qu’elle n’a jamais vu ces lignes blanches. La planche sur la photo ( P-10 ) est la même que celle que l’on aperçoit sur les photos ( D-3 ).
[34] Le crochet que l’on voit sur la photo ( D-3 d) ) sert pour la barrière blanche, mais ne sert pas à fixer la planche qui est en place lors de l’accident. Le crochet et la barrière blanche sont posés après l’accident.
[35] Madame Richer, co-défenderesse, demeure au condo du 1425 Emery. Elle connaît la demanderesse depuis mai 2009. Elle et son conjoint les visitaient régulièrement tant en hiver qu’en été. Madame Thompson était plus près de Marianne. Madame Richer confirme son témoignage à plusieurs égards, en l’occurrence les sorties de groupe, comme la location d’un chalet une fin de semaine dans le nord et des sorties au restaurant.
[36] En janvier 2011, les défenderesses possèdent un chien, l’autre étant décédé auparavant. Ce chien ( Yorkshire ) demande la porte qui donne sur le patio, pour faire ses besoins. Elles installent une planche de bois pour l’empêcher de sortir du patio. Cette planche d’une superficie de 21 ″ X 41 ″ fut trouvée par hasard lors des travaux de construction de l’immeuble. Elle déclare qu’elles sont toujours en possession de cette planche qui sert maintenant de tablette. Elle s’installe de la même façon et d’ailleurs, il n’y a qu’un endroit où l’installer de par la configuration des lieux. Elle affirme qu’elle ne peut la mettre dans l’escalier, car elle est trop petite et qu’elle risque de tomber.
[37] La barrière blanche que l’on voit sur la photo ( D-3 d) ) aurait été posée après l’accident, sans pouvoir préciser la date exacte.
[38] Madame Richer insiste que la planche était toujours en place été comme hiver, puisque le chien va faire ses besoins sur le patio avant et non sur le patio arrière, environ cinq fois par jour.
[39] En mai 2009, lorsque les défenderesses rencontrent la demanderesse et son conjoint pour la première fois, elles parlent des chiens et expliquent pourquoi cette planche est en place. Madame Richer leur recommande alors de déplacer la planche, ce qui n’est pas difficile et suggère de ne pas passer par-dessus.
[40] Elle précise qu’à partir de mai 2009, monsieur Robertelli enjambe souvent la planche. Quant à la demanderesse, parfois elle la déplace, parfois elle passe par-dessus. Madame Richer déclare avoir cessé de lui dire de ne pas passer par-dessus et ajoute « si tu veux prendre des chances prends-en » .
[41] Après une sortie, lorsque la demanderesse, son conjoint et les défenderesses rentrent au condo, madame Richer prend les devants, enlève la planche et personne ne l’enjambe.
[42] Quant à l’éclairage sur le patio, de l’aube au crépuscule un œil magique allume une lumière. Elle ne peut préciser l’intensité de l’ampoule ( 40 ou 60 W ), mais selon elle, l’éclairage est suffisant. Il y a également un lampadaire de l’autre côté de la rue devant le patio et les lumières du centre commercial.
[43] Au fil des ans, les défenderesses reçoivent chez elles de nombreuses personnes, que ce soit la demanderesse et son conjoint, ou d’autres amis qu’elle identifie.
[44] Quant aux évènements du 22 janvier 2011, elles attendent la visite de la demanderesse et son conjoint. À leur arrivée, monsieur Robertelli déclare que la demanderesse a accroché son talon de deux pouces dans la planche en tentant de l’enjamber. Plus tard, il répète la même chose devant la mère de madame Richer.
[45] Pour le reste, elle confirme ce que la demanderesse a dit à l’effet qu’elle prend un verre de vin et que peu de temps après, elle décide d’aller à l’hôpital avec monsieur Robertelli et revient ensuite au condo des défenderesses.
[46] Madame Richer indique qu’il n’y a toujours eu qu’une seule planche et que malgré ce qu’elle a déclaré dans son interrogatoire, elle maintient que c’était une erreur puisque lorsqu’elle compare les planches sur ( P-1 ) versus ( D-3 ), elle dit clairement qu’il ne s’agit pas de la même planche. Elle répète qu’il n’y avait pas d’écriture sur la planche, alors qu’il y a en a sur la planche que l’on présente à ( P-1 ) et qu’elle semble moins haute. Qui plus est, pour que la planche tienne en place, il faut l’appuyer sur la rampe blanche et elle ne peut être installée sur une des marches de l’escalier vu la longueur.
[47] Quant aux lignes apparaissant sur ( P-10 ), elle déclare que ces lignes ont été faites après l’accident, mais que peu après, elles se sont procuré la barrière blanche ( D-3-d) ) .
[48] Après l’accident, la demanderesse et son conjoint rendent à nouveau visite aux défenderesses. Elle souligne que de l’intérieur, elle peut très bien voir qu’ils enjambent la planche encore une fois.
[49] Quelques discussions sur une éventuelle poursuite s’ensuivent. Les courriels ( D-1 ) de même que ( P-8 ) et ( P-9 ) font état des discussions à ce sujet. Les défenderesses tentent d’aider leur amie. Les courriels parlent d’eux-mêmes.
[50] Madame Richer témoigne qu’elle, mais surtout madame Désormeaux font beaucoup de cadeaux à la demanderesse, en l’occurrence une épicerie chez Costco de 500 $ pour les aider vu qu’ils sont sans emploi à une certaine époque. Madame Désormeaux achète même les bagues de mariage pour le fils de la demanderesse au coût de 1 800 $. Elle décrit madame Désormeaux comme une personne généreuse. Le témoin admet qu’elle est beaucoup moins proche de la demanderesse et qu’elle ne l’aime pas vraiment.
[51] Madame Désormeaux confirme en grande partie le témoignage de la co-défenderesse madame Richer. Elle confirme notamment qu’il fut question de la planche de bois la toute première fois que la demanderesse se présente chez elles. Elle précise l’avoir trouvé et l’utilise pour empêcher les chiens de sortir ( en mai 2009, il y en a deux ). Cette planche est appuyée non pas sur une marche d’escalier, mais tout en bas, sur la rampe d’accès.
[52] Tout comme madame Richer, elle affirme que la planche que l’on voit sur ( P-1 ) n’est pas la planche qui avait été installée chez elle.
[53] Elle confirme également que la planche est à cet endroit toute l’année, puisque les chiens utilisent le patio avant et non arrière pour faire leurs besoins.
[54] Elle a déjà vu la demanderesse arriver par devant et emprunter l’escalier. Parfois , elle déplaçait la planche et parfois elle passait par-dessus, même si elle souffrait d’ostéoporose, ce qui devait représenter un plus grand degré de difficulté. Elle-même la poussait de côté et ne passait pas par dessus.
[55] L’éclairage est suffisant. Son témoignage est semblable à celui de mesdames Dubé et Richer à cet effet.
[56] Elle confirme le témoignage de monsieur Robertelli à l’effet que la demanderesse aurait accroché le talon de sa botte, ce qu’il réitère à deux reprises. Le récit du reste de la soirée est semblable à celui de sa conjointe, notamment sur le fait qu’après l’accident, la demanderesse et son conjoint reviennent et enjambent à nouveau la planche.
[57] C’est elle qui entretenait une meilleure relation avec la demanderesse et qui lui donnait des cadeaux. Elle nie avoir agi de la sorte dans le but d’acheter son affection. Elle voulait simplement l’aider et ne désirait rien en retour.
[58] Sur la question de la poursuite, elle était d’accord pour l’aider pour ne pas qu’elle subisse de perte de salaire. Tout comme madame Richer, lorsqu’elle a vu le montant réclamé dans les procédures, elle a considéré cette demande ridicule.
[59] En contre-preuve, monsieur Robertelli vient témoigner pour contredire le témoignage des défenderesses quant à sa déclaration à deux reprises à l’effet que la demanderesse aurait accroché le talon de sa botte sur la planche.
[60] Dans le cas d’une chute dans un escalier comme celui en cause, l’éclairage des est un élément important à considérer, notamment pour savoir si les lieux constituent un piège. Si l’éclairage est insuffisant, la victime ne peut voir ce qui est visible. Ici, la planche est visible, pour peu qu’on regarde l’endroit où l’on pose le pied, surtout dans un escalier.
[61] La preuve a établi que l’éclairage est suffisant pour permettre à ceux qui descendent l’escalier de voir ce qui est visible. Que ce soit par la présence de la lumière sur le patio ou du lampadaire dans la rue devant et/ou de la luminosité provenant du centre commercial devant l’immeuble des défenderesses. Le tribunal note le témoignage de madame Dubé qui confirme celui des défenderesses sur cette question.
[62] D’ailleurs, si l’éclairage avait été réellement considéré comme un problème, on l’aurait en toute probabilité allégué dans la requête introductive d’instance, on aurait pris des photos et tenté de faire une démonstration d’un éclairage insuffisant.
[63] S’il y a danger par la présence de la planche de bois, ce danger est visible. La demanderesse connaissait parfaitement bien les lieux pour s’y être rendue à de nombreuses reprises auparavant. En fait, plus que les lieux en général, elle connaissait très bien ce qu’elle allègue être le « danger », soit la présence de la planche de bois parfaitement visible. Ce qui peut représenter un danger, ce n’est pas tant la planche que la décision de l’enjamber.
[64] Depuis des années, de nombreuses personnes ont accès à cet escalier. Si on ne considère que les visites de la demanderesse et de son conjoint, à raison de quatre fois / semaine depuis 2009, on évalue à plus de 300 visites sans qu’aucun incident soit survenu. On peut au moins suggérer que c’est semblable pour les autres invités.
[65] Le fait qu’aucun accident n’a eu lieu à cet endroit en raison de la présence de la planche n’est pas en soi fatal à la réclamation présentée. Il s’agit cependant d’un élément que le tribunal peut considérer pour apprécier le caractère dangereux ou non de l’endroit. Cela permet de conclure que pour peu que l’on porte attention à sa démarche, il n’y a pas un danger inhérent qui n’est pas visible et qui comporte cette connotation de surprise comme nécessaire à l’établissement d’un piège.
[66] Depuis longtemps, les tribunaux reconnaissent que pour être qualifié de piège, l’état des lieux qui cause l’accident doit répondre aux critères développés dans Rubis c. Gray Rocks [1] . On peut résumer en indiquant que la situation qui cause l’accident doit avoir été intrinsèquement dangereuse. Le danger ne doit pas être apparent ou visible et l’anormalité de la situation doit provoquer un élément de surprise chez la victime.
[67] Appliqués au cas à l’étude, la demanderesse ne réussit pas à établir ces critères. Ce qui est dangereux en soi n’est pas la présence de la planche, mais la décision de la demanderesse de l’enjamber au lieu, comme elle l’a déjà fait, de la déplacer.
[68] La demanderesse invoque une différence entre la planche de ( P-1 ) qu’elle dépose et celle en défense ( D-1 ). La différence de hauteur n’est pas indiquée précisément, mais que ce soit la planche de ( P-1 ) ou celle de ( D-1 ), cela ne change rien au fait que dans les deux cas, il n’y a aucun piège, aucun danger intrinsèque, que la situation est totalement visible et que la demanderesse connaît les lieux tels qu’ils sont lors de l’accident.
[69] Même si on retient la version de la demanderesse, cela ne fait pas la démonstration que la planche en place lors de l’accident représentait un danger et qu’elle n’était pas visible pour une personne qui apporte une attention normale à sa démarche.
[70] La demanderesse fait grand état du fait que madame Richer aurait reconnu la planche à l’interrogatoire. Le tribunal ne considère pas que cette dernière veuille tromper quiconque. Elle admet avoir fait une erreur. Elle n’a pas été confrontée aux deux planches, tel qu’elle l’est au procès.
[71] De toute manière, tous s’entendent pour déclarer que lors des nombreuses visites avant l’accident, il y avait une planche souvent enjambée tant par monsieur Robertelli que par la demanderesse.
[72] Si on retient la prétention de la demanderesse à l’effet que c’est la planche qui apparaît sur les photos ( P-1 ) et suivantes, cette dernière était pleinement visible et si elle était moins haute, il était donc plus facile de l’enjamber.
[73] De la preuve faite, le tribunal retient la version de monsieur Robertelli immédiatement après l’incident, que la demanderesse a accroché son talon. Il s’agit là de la cause de la chute de la demanderesse.
[74] Que ce soit sur la planche qui apparaît à ( P-1 ) ou celle qui apparaît à ( D-1 ), la cause de l’accident est la même et est liée à un manque d’attention de la demanderesse.
[75] L’explication spontanée de Tony Robertelli à l’effet que la demanderesse a accroché le talon de deux pouces de sa botte est une explication probable de la chute. Cette déclaration spontanée faite immédiatement après l’accident a plus de crédibilité que son témoignage au procès vu qu’il est conscient des enjeux et de l’intérêt qu’il a ou du moins que sa conjointe a dans ce dossier.
[76] De plus, le tribunal n’accorde aucune crédibilité à son témoignage lorsqu’il situe la planche sur une des marches de l’escalier. Son témoignage est contraire à toute la preuve entendue. D’ailleurs, comment la planche aurait-elle pu tenir à cet endroit ? Comment les gens auraient-ils pu passer par-dessus alors qu’ils posent le pied non pas sur le patio, mais sur une marche ? Cette manœuvre plus périlleuse aurait été faite des centaines de fois par les gens ayant accès aux lieux, y compris la demanderesse qui admet l’avoir enjambée à l’occasion. Cette hypothèse soulevée n’est pas crédible et non vraisemblable. Monsieur Robertelli rend un témoignage d’intérêt, visant à favoriser la théorie de la cause de sa conjointe.
[77] De plus, les bottes que portait la demanderesse ne sont pas déposées en preuve ou du moins, une photo de ces bottes. Cela aurait permis de confirmer ou non si la demanderesse portait des talons au moment de l’accident.
[78] Cela aurait permis de qualifier avec plus de précision le comportement d’une personne qui décide d’enjamber une planche de bois située au bas d’un escalier avec des bottes à talon.
[79] Le tribunal retient que la demanderesse porte des bottes à talons d’environ deux pouces et que cela s’ajoute à l’établissement de la responsabilité de la demanderesse.
[80] Le tribunal précise également qu’il retient le témoignage du témoin indépendant, madame Dubé, qui confirme celui des défenderesses et contredit la demanderesse et monsieur Robertelli à l’effet que la planche est placée au même endroit tout au long de l’année. Le témoignage de madame Dubé est crédible. Elle n’a pas d’intérêt dans le dossier.
[81] Au procès, on fait état à quelques reprises du fait que la demanderesse est atteinte d’ostéoporose. Aucune preuve précise n’a été faite sur les conséquences de cet état, mais le tribunal comprend que cela peut, du moins partiellement, nuire à la demanderesse dans certaines circonstances. On l’a d’ailleurs avisée de ne pas enjamber la planche à cause de son état.
[82] Cela constitue un fait qui aurait dû inciter la demanderesse à être plus prudente. Comme toute personne, elle a l’obligation d’assurer sa propre sécurité. Elle aurait dû laisser son conjoint passer devant elle et lui laisser le soin d’enlever la planche. Ou, plus directement, elle aurait pu elle-même enlever la planche comme elle l’a déjà fait dans le passé. D’autant plus que cela est une opération simple et facile à faire, qui aurait écarté tout risque de chute.
[83] Un mot sur la rampe d’accès. Dans ce type de dossier, on allègue souvent le non-respect de normes règlementaires liées au Code national du bâtiment . Ici, rien de tel n’est allégué. On peut présumer que l’escalier est conforme au Code , notamment quant à la présence d’une rampe d’accès visible sur les photos déposées. La présence d’une telle rampe constitue pour peu qu’on prenne soin d’assurer sa sécurité, une mesure minimale de sécurité. La preuve en demande est quasi muette à ce sujet. La demanderesse ne témoigne pas avoir tenté d’enjamber en tenant la rampe, ce qui en toute probabilité l’aurait aidée.
[84] La demanderesse a le fardeau de démontrer que les défenderesses ont commis une faute. Les défenderesses, comme propriétaires des lieux, ne sont pas les assureurs des personnes qui ont accès à leur immeuble. Pour l’ensemble de ces circonstances, le tribunal conclut qu’il n’y avait aucun piège présent le soir de l’accident et que la cause de cette chute de la demanderesse est due à sa propre faute. Elle a accepté le risque de passer par-dessus la planche de bois, alors qu’une solution simple s’offrait à elle, soit de déplacer cette planche.
[85] On met en preuve que peu de temps après l’accident, des lignes blanches ont été apposées sur la planche et que peu de temps après, une clôture blanche en plastique a été installée. Le tribunal ne retient pas que ces faits constituent un aveu de responsabilité ou participent à établir une faute des défenderesses.
[86] Les courriels suite à l’accident font état de tentatives maladroites des défenderesses d’aider celle qui est encore leur amie à l’époque.
[87] Ces courriels ne font pas état d’une quelconque admission de responsabilité de la part des défenderesses. D’ailleurs, ce n’est pas ce qu’elles soutiennent. Même s’il est vrai qu’au départ, elles sont peinées pour la demanderesse et qu’elles veulent l’aider même financièrement et compenser sa perte de revenus, il y a rapidement changement de cap. Les parties cessent de se parler puisque les défenderesses trouvent que la poursuite de plus de 300 000 $ au départ est en quelque sorte tout à fait déraisonnable.
[88] Ces courriels font état du fait que les défenderesses ne savent pas trop quel assureur ( celui du syndicat de copropriété ou celui de l’habitation ) couvrira cet accident. Le tribunal retient de ces écrits et des gestes posés par les défenderesses qu’elles veulent au départ aider leur amie de l’époque.
[89] Le tribunal est d’accord avec ce qu’écrit le juge Emery dans Chamoun c. Sabbagha [2] :
« Par ailleurs, s’il fallait admettre en preuve, à titre d’aveu tacite de responsabilité, tous les gestes qu’un défendeur peut poser postérieurement à un accident, ceux-ci cesseraient alors de tenter d’améliorer les lieux de crainte qu’un tel geste puisse être assimilé à un aveu tacite de responsabilité. »
[90] Aussi, l’auteur Claude Marseille, dans son ouvrage La règle de la pertinence en droit de la preuve civile québécois [3] , traite de cette question des travaux ou réparations suite à un accident et conclut que cela est fait pour éviter de nouveaux accidents. Cela ne constitue pas en soi un aveu de responsabilité.
[91] Quant aux discussions de règlement et concernant la proposition d’offrir un montant d’argent pour compenser la perte de salaire, dans Kowal c. New York Railroad Co. [4] on considère qu’une telle offre peut avoir été faite par compassion ou sentiment d’humanité à l’égard de la victime qui ici est l’amie des défenderesses, ou d’une des défenderesses.
[92] REJETTE la requête introductive d’instance ;
[93] LE TOUT avec dépens.
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__________________________________ STEVE J. REIMNITZ, J.C.S. |
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Me François Audet |
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Audet F.G. & Associés |
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Pour la demanderesse |
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Me Nicholas Robichon |
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Donati Maisonneuve s.e.n.r.l. |
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Pour les défenderesses |
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Dates d’audience : |
Les 10 et 11 février 2015 |
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