Section des affaires sociales
En matière de services de santé et de services sociaux, d'éducation et de sécurité routière
Référence neutre : 2015 QCTAQ 03215
Dossier : SAS-Q-203677-1408
CHRISTINE CÔTÉ
c.
SOCIÉTÉ DE L'ASSURANCE AUTOMOBILE DU QUÉBEC
[1] La requérante conteste la décision rendue le 28 mai 2014 par la partie intimée, la Société de l'assurance automobile du Québec.
[2] Par cette décision, la partie intimée exige de la requérante qu’elle fournisse un rapport médical et qu’elle se soumette à une évaluation complète auprès d’un centre reconnu par l’Association des centres de réadaptation en dépendance du Québec (ci-après ACRDQ), si elle désire obtenir un nouveau permis de conduire.
[3] Cette décision prévoit également que si la partie intimée autorise la délivrance d’un nouveau permis, la requérante devrait conduire un véhicule muni d’un dispositif détecteur d’alcool pendant un an.
[4] Le Tribunal est également saisi de la recevabilité du recours de la requérante considérant le délai écoulé lors de son dépôt au Secrétariat du Tribunal administratif du Québec, le 27 août 2014.
[5] À l’audience le 16 décembre 2014, la requérante est présente et représentée par Me Valérie Lauzier. La partie intimée est représentée par Me François Desroches Lapointe.
Le contexte
[6] Selon la preuve au dossier, le permis de la requérante est suspendu pour une période de 90 jours par un agent de la paix au nom de la Société de l’assurance automobile du Québec conformément à l'article 202.4 du Code de la sécurité routière [1] , et ce, après avoir été arrêtée le 5 avril 2013 alors qu’elle conduisait un véhicule routier et que son taux d’alcoolémie excédait 80 mg par 100 ml de sang.
[7]
Le 8 juillet 2013, la requérante est déclarée coupable d’une infraction
à l’article
[8]
Conformément aux dispositions de l’article
[9] Le 15 juillet 2013, la partie intimée informe la requérante que pour être admissible à l’obtention d’un nouveau permis le 8 juillet 2014, elle doit se soumettre à une évaluation sommaire [2] .
[10]
Le
8 février 2014, le droit de la requérante d’obtenir un permis est suspendu pour
trois mois par la partie intimée
[3]
considérant le nombre de points d’inaptitude cumulés à son dossier de conducteur
[4]
,
le tout à la suite de la déclaration de culpabilité, le 14 janvier 2014, à une
infraction à l’article
[11] Quelques mois plus tard, la requérante s’inscrit donc auprès de l’ACRDQ et se soumet à cette évaluation sommaire le 21 mai 2014.
[12] Le rapport d’évaluation de Madame Sylvie Gélinas du 21 mai 2014, transmis à la partie intimée, est non favorable et recommande de soumettre la requérante à une évaluation complète afin de s’assurer que ses habitudes de consommation d’alcool ne sont plus incompatibles avec la conduite sécuritaire d’un véhicule routier.
[13] Par sa décision du 28 mai 2014, la partie intimée exige de la requérante qu’elle se soumette à une évaluation complète auprès d’un centre reconnu par l’ACRDQ, si elle désire obtenir un nouveau permis de conduire.
[14] Le 27 août 2014, par l’intermédiaire de sa procureure, la requérante conteste la décision de la partie intimée devant le Tribunal administratif du Québec comme suit :
«Hors-délai: La requérante n’a jamais reçu copie de la décision rendue le 28 mai 2014. En effet, elle a reçu uniquement le rapport d’évaluation sommaire du centre de réadaptation en dépendance et a dû recontacter la SAAQ afin qu’une copie de la décision lui soit acheminée en août dernier. Le 18 juillet dernier, la procureure soussignée a demandé à la société de lui acheminer une copie de la décision et ce n’est que le 21 août dernier, suite à une deuxième demande en ce sens, qu’une copie du rapport d’évaluation a été communiqué sans être accompagné de la décision. Ce n’est donc que vers le 20 août dernier environ que la requérante a pris connaissance pour la première fois de la décision et été en mesure de faire l’appel au Tribunal administratif.
La requérante soumet que la décision est mal fondée puisque l’avis de la personne autorisée, madame Sylvie Gélinas, ne repose sur aucun élément objectif et ne permet pas d’établir de façon probable et raisonnable un risque de récidive.» [5]
(Transcription conforme)
Ordonnance
[15] En début d’audience, l’ordonnance de non-divulgation, non-publication et non-diffusion émise dans le présent dossier le 10 octobre 2014 en vertu de l’article 131 de la Loi sur la justice administrative [6] à l’égard des renseignements et documents contenus à la pièce I-1 est réitérée. La pièce I-1, «Documents relatifs à l’évaluation sommaire-ACRDQ de la requérante», est déposée au dossier.
Témoignage de la requérante
[16] La requérante témoigne d’abord sur les circonstances entourant la réception de la décision et le dépôt de sa contestation.
[17] Elle a reçu copie du rapport d’évaluation sommaire à la fin juin 2014. Elle voulait contester la recommandation non favorable car elle croyait que son évaluation s’était bien déroulée.
[18] Elle communique avec le bureau d’aide juridique en ce sens, et elle signe le 20 juin 2014 une autorisation leur permettant d’avoir accès à son dossier auprès de la Société de l’assurance automobile.
[19] Elle est informée qu’elle ne peut contester l’évaluation mais bien la décision de la partie intimée. Or, elle ne l’avait pas encore reçue.
[20] Le 18 juillet 2014, la procureure de la requérante s’adresse à la partie intimée afin de recevoir copie de la décision faisant suite à la recommandation non favorable de l’évaluatrice.
[21] Le 19 août 2014, la copie de la décision est transmise à la procureure de la requérante. La requérante prend alors connaissance de la décision et son recours est logé le 27 août 2014.
[22] Le témoignage de la requérante se poursuit ensuite sur sa situation personnelle.
[23] Elle étudie pour devenir infirmière auxiliaire. Elle travaille également à temps partiel comme caissière dans un dépanneur.
[24] Elle vit en appartement avec son copain. Ils partagent les frais.
[25] Avant l’infraction du 5 avril 2013, elle n’avait jamais eu de problème relié à l’alcool. Elle consomme d’ailleurs rarement.
[26] Suite à l’événement du 5 avril 2013, elle a réalisé l’impact de ses gestes, la responsabilité qui incombe à la personne qui conduit une automobile et les conséquences découlant d’une telle infraction.
[27] Elle se rappelle de la journée de l’évaluation sommaire en mai 2014.
[28] La requérante soumet qu’elle n’a pas vu son permis suspendu auparavant pour une autre raison que l’événement d’avril 2013. Elle soumet qu’elle aurait dû répondre autrement à la question posée à ce sujet lors de l’entrevue structurée (section 5). Tout ce qui apparaît à son dossier de conduite est en lien avec le même événement.
[29] La requérante indique qu’avant les événements d’avril 2013, elle ne connaissait pas grand-chose aux impacts et aux peines découlant des infractions relatives à l’alcool au volant. Elle est maintenant d’avis que la loi n’est pas assez stricte et sévère.
[30] En référant à deux questions du test BADDS [7] , elle soumet que la réponse à la première question correspond à sa position alors que ce n’est pas le cas à la seconde question.
[31] La requérante indique une mauvaise compréhension de cette dernière question notamment parce qu’elle est formulée par la négative.
[32] Certaines questions lui ont semblé ambigües. Elle se demandait si la question lui était posée ou encore si c’était une affirmation qu’elle faisait. Elle a demandé des informations à l’évaluatrice mais elle se dit qu’elle n’a peut-être pas bien compris. Elle aurait peut-être dû poser plus de questions.
[33] Elle explique avoir eu des difficultés d’apprentissage durant toute sa scolarité, et que diverses mesures ont dû être prises pour lui venir en aide. Divers documents émanant de l’école A et du Centre d’éducation des adultes A, dont un rapport d’analyse et un plan d’intervention, sont déposés en liasse [8] .
[34] La requérante explique également avoir reçu un diagnostic d’un trouble du déficit de l’attention (TDA) alors qu’elle était en troisième année du primaire. En secondaire V, un diagnostic de dyslexie de l’écriture est également émis.
[35] Finalement, elle explique que le lendemain de l’événement, elle avait effectivement oublié une partie de la soirée précédente. Elle précise qu’il ne s’agit pas d’une habitude pas plus que de conduire après avoir trop bu.
[36] La requérante ne témoigne pas sur les lieux habituels de consommation, le tout suite à une intervention du procureur de la partie intimée. Le Tribunal est informé d’une admission de la Société de l’assurance automobile du Québec à l’effet que le facteur J ne constitue pas en l’espèce un facteur de risque.
Témoignage de monsieur M.G.
[37] Il est le conjoint de la requérante avec laquelle il vit depuis décembre 2013.
[38] Le témoin rapporte le mode de vie de la requérante, à savoir ses études et le travail. Il n’y a pas beaucoup d’occasions dans son horaire pour prendre de l’alcool.
[39] Il décrit leur couple comme tranquille. Outre le travail et les études, ils sortent parfois bien que rarement au restaurant. Ils sont plus souvent à la maison dans leur temps libre.
Témoignage de Madame Sylvie Gélinas
[40] La partie intimée fait entendre madame Sylvie Gélinas, évaluatrice auprès de l’ACRDQ.
[41] L’évaluatrice précise être intervenante en dépendance au Centre A depuis plus de huit ans. Elle est également une personne autorisée par l’ACRDQ depuis janvier 2013, ayant obtenu son accréditation au terme d’une formation théorique et l’étude de cas fictifs. Elle rapporte également la mise à jour en avril de chaque année. Elle compte 297 évaluations à son actif depuis son accréditation.
[42] Elle explique ensuite le processus d’évaluation et les différentes étapes normalement suivies pour ces évaluations. Elle confirme qu’elles ont été respectées pour la requérante. Elle fait également référence à l’entrevue structurée ainsi qu’au protocole d’évaluation administré par le biais de questionnaires informatisés.
[43] L’évaluation avec la requérante s’est bien déroulée. Elle réfère à ses notes de la pièce I-1, soulignant que la requérante pose plusieurs questions lorsqu’elle complète les questionnaires afin de s’assurer de bien en comprendre le sens [9] . Elle ne peut toutefois préciser sur quelles questions portent les interrogations de la requérante.
[44] L’évaluatrice rappelle que le protocole est le même pour chaque conducteur rencontré dans le cadre de l’évaluation sommaire. Son rôle est d’expliquer les consignes, s’assurer que les questions sont bien comprises, et ce, afin que les données ainsi collectées soient fiables.
[45] L’évaluatrice mentionne que sa recommandation non favorable demeure valable malgré l’admission de la partie intimée à l’égard du facteur J. En effet, trois facteurs de risque mènent à une telle recommandation. Dans le cas de la requérante, les facteurs B, H et I se sont révélés significatifs.
[46] Elle identifie les questions du MAST en lien avec la cotation du facteur B. Elle précise que ces questions incluent l’infraction ayant mené à la révocation du permis de la requérante.
[47] Elle réfère ensuite à la suspension du permis liée aux quatre points d’inaptitude de la requérante pour expliquer la cotation du facteur H. Amenée à apporter des précisions sur la formulation de la section 5 du formulaire de l’entrevue structurée, l’évaluatrice mentionne qu’elle doit se référer au dossier de conduite. Elle doit considérer la suspension survenue «auparavant» ou «pour d‘autres raisons».
[48] Dans le présent dossier, la requérante a une autre sanction à son dossier en lien avec les points d’inaptitude. Elle doit en tenir compte même si toutes les inscriptions à son dossier de conduite réfèrent à l’événement du 5 avril 2013.
[49] Quant au facteur I, l’évaluatrice explique que la requérante a coté à la sous-échelle LA du test BADDS qui évalue les attitudes de la conductrice envers la conduite automobile et l’alcool.
[50] Elle réfère le Tribunal aux trois questions expliquant le résultat à cette sous-échelle. Elle précise aussi que la cotation à une seule sous-échelle emporte la cotation du facteur I. C’est le cas de la requérante.
[51] En contre-interrogatoire, l’évaluatrice mentionne qu’elle suggère à la personne éva-luée de relire la question, lorsqu’elle constate une incohérence dans les réponses de celle-ci. Son intervention a lieu au moment de la passation du test et non à la fin de ce dernier.
[52] Questionnée plus spécifiquement sur les deux questions identifiées par la requéran-te, l’évaluatrice reconnaît la difficulté de la question en forme négative. Elle ne voit toutefois pas d’incohérence entre les réponses données par la requérante à ces deux questions.
[53] L’évaluatrice termine son témoignage en précisant qu’elle ignorait les diagnostics de TDA et de dyslexie mentionnés par la requérante lors de l’audience.
Représentations de la partie requérante
[54] Concernant la question du «hors délai», la procureure de la requérante soumet que sa cliente ne pouvait contester une décision dont elle n’avait pas reçu copie. Ce n’est qu’après des démarches auprès de la partie intimée notamment une lettre adressée le 18 juillet 2014, que la décision lui est transmise le ou vers le 19 août 2014. Quelques jours plus tard, la contestation est logée auprès du Tribunal.
[55] La procureure de la requérante soumet que la décision du 28 mai 2014 n’aurait pas dû être rendue par la partie intimée. Elle estime en effet que les facteurs H et I n’auraient pas dû être retenus comme risque de récidive dans le dossier de la requérante.
[56] En lien avec le facteur H, elle plaide tout d’abord que les termes utilisés aux questionnaires de l’entrevue structurée réfèrent à une suspension du permis survenue «auparavant pour d’autres raisons».
[57] Elle prétend que cette question réfère à une situation autre que l’événement de l’arrestation ayant mené à la révocation du permis de la requérante en juillet 2013.
[58] Or, en l’espèce, les indications à son dossier de conduite sont en lien avec un seul événement, soit celui du 5 avril 2013.
[59] De plus, elle soumet que la suspension en lien avec les points d’inaptitude survient «postérieurement», soit en février 2014.
[60] Quant au facteur I, la procureure de la requérante plaide que celle-ci n’a pas bien compris la question 16. La réponse à cette réponse donnée par la requérante est contraire à son opinion et est d’ailleurs incohérente avec les réponses données aux autres questions.
[61] Elle dépose de la jurisprudence au soutien de ses représentations [10] et demande au Tribunal d’accueillir le recours de la requérante, estimant que l’évaluation sommaire était favorable à cette dernière.
Représentations de la partie intimée
[62] De son côté, le procureur de la partie intimée soumet que la décision du 21 mai 2014 est bien fondée.
[63] Concernant la question du délai, il prend note des démarches effectuées par la requérante pour obtenir copie de la décision. Il soumet que la requérante s’est présentée à l’aide juridique le 20 juin 2014 et a donné mandat pour contester la décision. Il considère que la requérante a été diligente.
[64] La procureure de l’intimée rappelle ensuite les dispositions du Code de la sécurité routière applicable en l’espèce.
[65] Il souligne qu’il faut distinguer les objectifs des évaluations sommaire et complète, la première visant le dépistage de risques de récidive alors que la seconde vise à vérifier si ce risque est suffisamment contrôlé.
[66] En l’espèce, l’évaluation sommaire a permis de déceler quatre facteurs de risque dont trois demeurent après l’admission de la partie intimée concernant l’un d’eux. La recommandation non favorable découle de ces trois facteurs de risque soit : B, H et I.
[67] Il soumet que pour réussir son recours, la requérante doit démontrer qu’il y a eu erreur dans la collecte d’informations et que la correction de cette ou de ces erreurs permettrait une recommandation favorable.
[68] Il plaide que le Tribunal n’a pas compétence sur le protocole, l’ACRDQ étant l’expert désigné par le législateur.
[69] Il répond ensuite aux arguments soulevés par la procureure de la requérante concernant le facteur H. Référant à la section 5 de l’entrevue structurée relative à la suspension de permis, il soumet d’abord que «auparavant» réfère à «avant l’évaluation» à laquelle se soumet la requérante.
[70] De plus, il souligne qu’il y a deux suspensions distinctes dans le dossier de conduite de la requérante, soit celle administrative de 90 jours qui suit l’arrestation de la requérante et celle liée aux points d’inaptitude en lien avec le permis probatoire et la tolérance zéro alcool.
[71] Concernant le facteur I, le procureur de la partie intimée souligne la jurisprudence du Tribunal administratif du Québec qui privilégie la réponse spontanée et contemporaine donnée lors de l’évaluation. Il reconnaît toutefois que parfois, des corrections peuvent être apportées.
[72] Il soumet qu’en l’espèce, les motifs allégués par la requérante sont ses diagnostics médicaux ainsi que les questions difficiles et ambigües.
[73] Il rappelle que les diagnostics n’avaient pas été mentionnés à l’évaluatrice. Par ailleurs, l’évaluatrice est consciente des difficultés liées à certaines questions. Elle a été disponible pour la requérante tout au long de l’évaluation et ne rapporte aucune difficulté particulière.
[74] Le procureur de la partie intimée souligne que la requérante a déclaré avoir apprécié la simplicité des explications apportées [11] .
[75] Il soumet donc qu’il n’y a pas eu en l’espèce une mauvaise compréhension par la requérante.
[76] Le procureur de la partie intimée dépose de la jurisprudence à l’appui de ses prétentions et demande le rejet du recours de la requérante [12] .
Analyse et discussions
Recevabilité du recours
[77] Disposant de la question préliminaire relative à la recevabilité du recours, le Tribunal est d’avis que la requérante a fait preuve de diligence dans le présent dossier. Dès la réception du rapport d'évaluation sommaire, la requérante communique avec le bureau d'aide juridique. Elle n'est pas d’accord et désire contester.
[78] Elle est rencontrée le 20 juin 2014 mais à cette date, selon son témoignage, elle n'a toujours pas reçu la décision rendue par la partie intimée le 28 mai 2014.
[79] Il appert que ce n’est que le 20 ou le 21 août 2014 que la requérante prend connaissance de la décision, laquelle a été transmise à sa procureure après des démarches de sa part.
[80] Le Tribunal estime que le recours de la requérante logé le 27 août 2014 est recevable puisque logé dans les délais prévus par la loi.
Le litige
[81] Aux fins de l’analyse du recours dont est saisi le Tribunal, il est utile de référer aux dispositions du Code de la sécurité routière pertinentes au dossier de la requérante.
[82]
Suite
à une déclaration de culpabilité concernant l’infraction commise en vertu de
l’article
[83]
À
la suite de la révocation de son permis, la requérante peut demander l’émission
d’un nouveau permis, lequel ne pourra être délivré qu’à l’expiration d’un délai
d’une année après la date de ladite révocation
[13]
,
et ce, tel que le stipule l’article
« 76. Sous réserve de l'article 76.1.1, aucun permis ne peut être délivré à une personne dont le permis a été révoqué ou dont le droit d'en obtenir un a été suspendu à la suite d'une déclaration de culpabilité pour une infraction au Code criminel (L.R.C. 1985, c. C-46), visée à l'article 180 du présent code, avant l'expiration d'une période d'une, de trois ou de cinq années consécutive à la date de la révocation ou de la suspension selon que, au cours des 10 années précédant cette révocation ou cette suspension, elle s'est vu imposer aucune, une seule ou plus d'une révocation ou suspension en vertu de cet article.
Si la déclaration de
culpabilité est suivie d'une ordonnance d'interdiction de conduire prononcée en
vertu des paragraphes 1, 2 et 3.1 à 3.4 de l'article
76.1.1. Dès l'expiration de l'ordonnance d'interdiction de conduire visée au deuxième alinéa de l'article 76 ou, à moins d'une ordonnance contraire, dès l'expiration de la période minimale d'interdiction absolue visée au Code criminel, la personne dont l'infraction donnant lieu à la révocation ou à la suspension est reliée à l'alcool, à une alcoolémie élevée ou au refus de fournir un échantillon d'haleine peut être autorisée, moyennant l'obtention d'un permis restreint, à conduire un véhicule routier mais uniquement si le véhicule est muni d'un antidémarreur éthylométrique agréé par la Société.
[84] De plus, pour obtenir ce nouveau permis, la requérante doit notamment remplir les conditions prévues à l’article 76.1.2 du même Code :
« 76.1.2. Lorsque l'infraction donnant lieu à la révocation ou à la suspension est reliée à l'alcool et que la personne n'est pas visée à l'article 76.1.4, elle doit, pour obtenir un nouveau permis, établir que son rapport à l'alcool ou aux drogues ne compromet pas la conduite sécuritaire d'un véhicule routier de la classe de permis demandée.
La personne doit satisfaire à l'exigence prévue au premier alinéa:
1° au moyen d'une évaluation sommaire , si, au cours des 10 années précédant la révocation ou la suspension, elle ne s'est vu imposer ni révocation ni suspension pour une infraction consistant à refuser de fournir un échantillon d'haleine ou pour une infraction reliée à l'alcool;
2° […]
La personne qui échoue l'évaluation sommaire doit satisfaire à l'exigence prévue au premier alinéa au moyen d'une évaluation complète.
La personne qui réussit l'évaluation sommaire doit, après avoir payé à la Société les droits afférents, suivre avec succès un programme d'éducation reconnu par le ministre des Transports et destiné à sensibiliser les conducteurs aux problèmes de la consommation d'alcool ou de drogue.»
(Notre emphase)
[85] Ainsi, si la requérante réussit à établir que son rapport à l’alcool ou aux drogues ne compromet pas la conduite sécuritaire d’un véhicule routier, la loi prévoit que la partie intimée pourra lui délivrer un nouveau permis en contrepartie du respect de conditions complémentaires, telle que suivre avec succès un programme d’éducation reconnu.
[86]
Toutefois,
si la partie intimée est d’avis que la requérante a failli à cette
démonstration, elle pourra refuser de délivrer le permis. Cependant, pour ce
faire, la partie intimée doit respecter les exigences de l’article
« 81. La Société peut refuser de délivrer un permis, d'en changer la classe ou de lui en ajouter une autre, si la personne qui en fait la demande:
1° […]
2° […]
3° selon un rapport d'examen ou d'évaluation visé aux articles 64, 73, 76.1.2, 76.1.4 ou 76.1.4.1 ou un rapport visé à l'article 603, est atteinte d'une maladie, d'une déficience ou se trouve dans une situation non visées dans les normes concernant la santé établies par règlement mais qui , d'après l'avis d'un professionnel de la santé ou d'un autre professionnel que la Société peut désigner nommément ou d'une personne autorisée par un centre de réadaptation pour personnes alcooliques et autres personnes toxicomanes, sont incompatibles avec la conduite d'un véhicule routier correspondant au permis de la classe demandée;
[…]»
(Notre emphase)
[87] En l’espèce, la partie intimée a refusé de délivrer un nouveau permis à la requérante par sa décision du 28 mai 2014.
[88]
Cette
décision refusant la délivrance d’un nouveau permis est contestée par la
requérante auprès du Tribunal administratif du Québec, tel qu’il est permis de
faire en vertu des dispositions de l’article
« 560. Peut être contestée devant le Tribunal administratif du Québec:
1° une décision prise par la Société en vertu des paragraphes 1°, 2° et 3° de l'article 81 , des paragraphes 1° et 2° de l'article 82, du paragraphe 2° de l'article 83, des paragraphes 1°, 2° et 3° de l'article 190 ou de l'article 191 ou une décision de la Société refusant de réviser une telle décision ou la maintenant;
[…]»
(Notre emphase)
[89]
La
compétence du Tribunal en cette matière est également prévue à l’article
[90] Qu’en est-il en l’espèce?
[91]
Tout
d’abord, le Tribunal estime important de préciser qu’il n’a pas compétence pour
remettre en question le protocole, le législateur ayant confié cette
responsabilité à l’ACRDQ, et ce, tel que le prévoit l’article
« 76.1.9. Les évaluations visées aux articles 64, 76.1.2, 76.1.4 et 76.1.4.1 relèvent des centres de réadaptation pour personnes alcooliques et autres personnes toxicomanes et des centres hospitaliers offrant un service de réadaptation pour de telles personnes. Elles sont faites par des personnes autorisées par ces centres et suivant les règles établies par entente entre la Société et ces centres et entre la Société et l'Association des centres de réadaptation en dépendance du Québec.»
[92] Cependant, la partie intimée fonde sa décision de refus de délivrer un nouveau permis à la requérante sur l’avis de la personne autorisée par l’ACRDQ, en l’espèce, Madame Sylvie Gélinas. Cet avis est un élément essentiel à la prise de décision par la partie intimée et est donc soumis à la compétence du Tribunal.
[93] En l’espèce, selon l’avis de la personne autorisée, la requérante se trouve dans une situation incompatible avec la conduite d’un véhicule routier en raison de son rapport à l’alcool du fait qu’elle cumule trop de facteurs de risque de récidive.
[94] À l’audience, l’évaluatrice a réitéré cet avis, lequel n’est pas affecté par l’admission de la partie intimée concernant le facteur J, puisque trois facteurs de risque révélés par l’évaluation sommaire demeurent présents et que selon le protocole, ce constat mène à une recommandation non favorable. Ces facteurs de risque sont :
· les problèmes liés à l’alcool (facteur B)
· les infractions au Code de la sécurité routière (facteur H)
· les risques liés aux attitudes, intentions, comportement et cognition (facteur I)
[95] La prétention de la requérante est à l’effet qu’elle n’est pas à risque de récidive et que la recommandation de la personne autorisée aurait dû être favorable.
[96] En effet, la requérante soumet qu’elle a mal compris la question 16 du test BADDS et que sa réponse ne correspond en rien à son opinion. Elle souligne que la réponse à cette question est incohérente avec ses autres réponses notamment celles données aux questions 13 et 20.
[97] La requérante a mentionné avoir trouvé cette question difficile à comprendre considérant sa formulation à la forme négative. Elle reconnaît avoir posé certaines questions à l’évaluatrice présente lors de la passation des tests mais elle constate que sa compréhension est demeurée défaillante [14] .
[98] La requérante a également indiqué avoir des problèmes d’apprentissage depuis son jeune âge. Un plan d’encadrement a été mis en œuvre pour l’aider. Elle a également reçu des diagnostics de TDA et de dyslexie de l’écriture.
[99] Tout d’abord, la soussignée partage l’opinion selon laquelle il faut privilégier les réponses données spontanément lors de l’entrevue.
[100] Toutefois, lorsque la preuve démontre de façon prépondérante des difficultés éprouvées au niveau de la compréhension de questions et qu’au surplus, un certain manque de cohérence est apparent dans les réponses, le Tribunal doit intervenir.
[101] Il ne s’agit pas de remettre en cause la validité du protocole ou encore le contenu et la pertinence des questions des divers tests mais bien de s’assurer que les données obtenues sont fiables.
[102] En effet, l’avis de la personne autorisée sur lequel s’appuie la partie intimée pour refuser de délivrer un nouveau permis à la requérante, découle des données obtenues lors de l’évaluation sommaire.
[103] Si la collecte de données sur laquelle s’appuie la recommandation de l’évaluatrice est viciée, le Tribunal doit vérifier s’il s’agit d’une erreur déterminante. Tel est le cas en l’espèce.
[104] Tout d’abord, de l’avis du Tribunal, le témoignage de la requérante est crédible. En effet, le caractère erroné de la réponse à la question 16 s’induit aisément des réponses données par la requérante notamment aux questions visées à la sous-échelle LA et parti-culièrement aux questions 13 et 20. La comparaison permet de conclure à une inco-hérence qui s’explique par le fait d’une mauvaise compréhension du sens de la question.
[105] De plus, la preuve documentaire soumise à l’audience souligne des lacunes dans la capacité de raisonnement et d’abstraction de la requérante et des difficultés en lecture et en écriture. Cette preuve appuie le témoignage de la requérante et rend tout à fait plausible son incompréhension du sens à donner à une question, dont le niveau de difficulté lié à la forme négative, est d’ailleurs reconnu par l’évaluatrice.
[106] Le Tribunal a été en mesure de constater lors de l’audience que cette question, telle que formulée, posait encore des difficultés à la requérante.
[107] Cette erreur doit donc être corrigée.
[108] Il importe ici de mentionner que la requérante a coté au facteur I en raison de son résultat à la sous-échelle LA (du test BADDS) évaluant les attitudes laxistes envers la conduite avec alcool [15] . Son résultat lors de l’évaluation sommaire correspond à un risque faible mais demeure suffisant pour mener à la cotation de cette sous-échelle ainsi qu’au facteur I.
[109] En corrigeant la réponse de la requérante à la question 16 dans le même sens que sa réponse à la question 13, le résultat obtenu à l’échelle LA constitue un risque très faible selon la grille de cotation [16] .
[110] L’impact est significatif car non seulement la sous-échelle LA indique alors un «score» de 0 mais le facteur I ne peut être retenu comme facteur de risque de récidive.
[111] Selon le témoignage de l’évaluatrice et tel qu’il appert à son rapport du 21 mai 2014, sa recommandation non favorable s’appuie, comme le prescrit le protocole, sur la présence d’au moins trois facteurs de risque révélés par l’évaluation sommaire.
[112] Ainsi, comme le facteur I ne peut être retenu comme un facteur de risque de récidive, le Tribunal en arrive à la conclusion que la requérante a établi que son rapport à l’alcool ou aux drogues ne compromet pas la conduite sécuritaire d’un véhicule routier et n’a donc pas échoué l’évaluation sommaire.
[113]
Considérant ce
qui précède, le Tribunal estime que la partie intimée était mal fondée de
refuser, sur l’avis de la personne autorisée, de délivrer un permis à la
requérante le 28 mai 2014 en vertu de l’article
[114] La requérante a également contesté la décision de la partie intimée estimant que le facteur H n’aurait pas dû être retenu comme facteur de risque lors de l’évaluation sommaire, et ce, pour deux motifs exposés préalablement.
[115] Il n’est toutefois pas nécessaire de disposer de cet argument vu la conclusion à laquelle arrive le Tribunal au paragraphe précédent.
PAR CES MOTIFS , le Tribunal :
DÉCLARE recevable le recours de la requérante logé le 27 août 2014;
ACCUEILLE le recours de la requérante;
INFIRME la décision de la partie intimée du 28 mai 2014 refusant de délivrer un permis à la requérante;
RÉITÈRE l’ordonnance de non-divulgation, non-publication et non-diffusion des renseignements et documents contenus à la pièce I-1, telle qu’émise le 10 octobre 2014.
Brousseau, Langelier, Bussière & Ass.
Me Valérie Lauzier
Procureure de la partie requérante
Dussault Mayrand
Me François Desroches Lapointe
Procureur de la partie intimée
[1] RLRQ, chapitre C-24.2
[2] Page 3 du dossier
[3]
Article
[4] Permis probatoire, 4 points d’inaptitude
[5] Page 13 du dossier
[6] RLRQ, chapitre J-3
[7] Questions clairement identifiées lors du témoignage
[8] En liasse, pièce R-1.
[9] Pièce I-1, page 3
[10]
L.S. c. SAAQ,
[11] Page 55 de la pièce I-1
[12]
C.C. c. SAAQ
[13]
Notons que la requérante aurait pu être autorisée à conduire un véhicule muni
d’un antidémarreur éthylométrique, avec un permis restreint, sous réserve de
l’application de l’article
[14] Les notes évolutives à la pièce I-1 rapportent que la requérante a posé beaucoup de questions lorsqu’elle a complété les questionnaires afin de s’assurer de bien comprendre le sens.
[15] La requérante ne cote pas aux quatre autres sous-échelles ni au RIASI R
[16] Page 50 de la pièce I-1