Québec (Ministère de l'Emploi et de la Solidarité sociale) et Houssani

2015 QCCFP 9

COMMISSION DE LA FONCTION PUBLIQUE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

DOSSIER N°:

1301283

 

DATE :

7 avril 2015

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DEVANT LA COMMISSAIRE :

M e Sonia Wagner

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abderrahmane houssani

 

REQUÉRANT-appelant

Et

 

Ministère de l’emploi et de la solidarité sociale

 

INTIMÉ-intimé

 

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DÉCISION

REQUÊTE EN RÉVISION

(Article 123 , Loi sur la fonction publique , RLRQ, c. F-3.1.1)

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REQUÊTE

[1]            Monsieur Abderrahmane Houssani demande la révision de la décision de la Commission [1] de rejeter son appel contestant le refus du ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale [2] (ci-après le « MESS ») d’admettre sa candidature lors de la constitution de la réserve de candidatures à la promotion, agente ou agent d’aide socio-économique, classe principale, spécialiste en pilotage volet emploi et volet solidarité sociale [3] .

[2]            Le refus du MESS d’admettre la candidature de M. Houssani repose sur le fait qu’il n’avait ni son domicile, ni son port d’attache dans la zone géographique mentionnée dans l’appel de candidatures, soit les régions administratives de la Capitale-Nationale et de la Chaudière-Appalaches.

[3]            En appel, M. Houssani s’appuie principalement sur l’article 10 du Règlement sur la tenue de concours [4] et sur le Programme d’accès à l’égalité de la fonction publique pour les membres des communautés culturelles 1990-1994 (ci-après le « Programme d’accès à l’égalité »). Il prétend qu’étant membre d’une communauté culturelle, on ne peut refuser son admission à la réserve de candidatures à la promotion au motif qu’il n’a ni son domicile, ni son port d’attache dans la zone géographique prescrite aux conditions d’admission. Il renvoie la Commission à la décision Maccabée [5] au soutien de ses prétentions.

[4]            La Commission rejette l’appel de M. Houssani. Dans sa décision, la commissaire Louise Caron reprend les critères à considérer pour imposer une restriction d’appartenance à une zone géographique. De façon sommaire, la mobilité des bassins de main-d’œuvre, l’attraction d’un nombre suffisant de personnes admissibles et les caractéristiques de l’emploi à pourvoir doivent justifier la décision de limiter l’admissibilité des candidats à l’appartenance à cette seule zone. Dans sa décision, la commissaire Caron constate que les critères prescrits ont été correctement appliqués et que la limite de l’appartenance à la zone géographique que constituent les régions administratives de la Capitale-Nationale et de la Chaudière-Appalaches n’est pas arbitraire, déraisonnable, discriminatoire ou abusive.

[5]            La commissaire Caron conclut également que le Programme d’accès à l’égalité ne peut s’appliquer dans le cadre de la constitution d’une réserve de candidatures à la promotion. Elle est par ailleurs d’avis que la décision Maccabée n’est d’aucune utilité en l’espèce.

Argumentation de M. Houssani

[6]            Dans sa requête en révision, le requérant soulève que la commissaire Caron a favorisé la position du MESS en affirmant que M. Houssani confond les notions de dotation et de recrutement, et en ne reconnaissant pas l’utilité de la décision Maccabée .

[7]            M. Houssani demande en outre que soit donnée plus d’importance au Règlement concernant le processus de qualification et les personnes qualifiées publié à titre de projet dans la Gazette officielle du Québec du 12 mars 2014, et dont l’article 13 prévoit :

13. Malgré les articles 10 et 11, et dans les circonstances prévues par un programme d’accès à l’égalité ou par un plan d’embauche pour les personnes handicapées, l’admission d’une personne visée par ce programme ou par ce plan ne peut être limitée en raison de son appartenance à une autre zone géographique, à une autre entité administrative ou à un autre regroupement d’entités administratives que celui énoncé aux conditions d’admission. [6]

Argumentation du MESS

[8]            En réponse à cette requête, le MESS cite un extrait d’une décision de la Commission [7] , qui explique la notion de vice de fond ou de procédure de nature à invalider une décision, pour appuyer sa conclusion voulant que les éléments mentionnés par M. Houssani dans sa requête soient loin de constituer un vice de fond.

[9]            Selon le MESS, la requête de M. Houssani aurait l’apparence d’un appel déguisé : il plaide les mêmes arguments que ceux analysés dans la décision contestée en recherchant une conclusion différente en s’adressant à un autre décideur.

[10]         En ce qui concerne la demande de M. Houssani de donner plus d’importance à l’article 13 du Règlement concernant le processus de qualification et les personnes qualifiées , le MESS est d’avis qu’elle ne tient pas la route parce qu’à ce jour ce règlement n’est pas en vigueur et, par conséquent, ne peut lui être opposable.

Réplique de M. Houssani

[11]         M. Houssani réplique que la décision de la Commission est entachée d’un vice de fond de nature à l’invalider. Selon M. Houssani, l’erreur manifeste se situe dans le refus de la commissaire Caron de prendre en considération les conclusions et les commentaires de la Commission dans la décision Maccabée .

[12]         M. Houssani reproche également à la commissaire Caron d’avoir écarté sans justification l’application du Programme d’accès à l’égalité malgré le fait que ce programme s’applique lors des concours de recrutement et lors de la constitution des réserves de candidatures, ce qui peut inclure une réserve de candidatures à la promotion selon M. Houssani.

CRITÈRES D’INTERVENTION EN RÉVISION

[13]         L’article 123 de la Loi sur la fonction publique [8] (ci-après la « Loi ») permet à la Commission de réviser une décision qu’elle a rendue. Cet article se lit comme suit :

123. Une décision de la Commission doit être rendue par écrit et motivée. Elle fait partie des archives de la Commission.

La Commission peut, sur demande, réviser ou révoquer toute décision qu'elle a rendue :

1° lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;

2° lorsqu'une partie n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;

3° lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.

Dans le cas visé au paragraphe 3° du deuxième alinéa, la décision ne peut être révisée ou révoquée par le membre qui l'a rendue.

[14]         Quant au pouvoir d’un tribunal de réviser ses propres décisions, les tribunaux supérieurs ont établi qu’il ne s’agissait pas d’un droit d’appel, ni d’une invitation à substituer son opinion ou son appréciation de la preuve à celle du premier décideur, ni d’une occasion pour une partie d’ajouter de nouveaux arguments [9] .

[15]         Le pouvoir de révision interne est un pouvoir de redressement ou de réparation de certaines irrégularités ou d’erreurs commises à l’égard d’une première décision afin qu’elle soit conforme à la loi.

[16]         L’erreur identifiée dans la première décision doit être suffisamment fondamentale et sérieuse pour invalider cette décision. « [I]l y a une erreur manifeste et déterminante lorsqu’une conclusion n’est pas supportée par la preuve et repose plutôt sur des hypothèses, lorsqu’elle s’appuie sur de fausses prémisses, fait une appréciation manifestement erronée de la preuve ou adopte une méthode qui crée une injustice certaine [10]  » indiquait la Cour supérieure dans une décision de 2012 sur le pouvoir de révision de la Commission des lésions professionnelles à l’égard de ses propres décisions.

[17]         La Commission a souligné à quelques reprises que le vice de fond, assimilé à l’erreur de droit ou de fait, doit être déterminant et présenter des caractéristiques de gravité et d’évidence [11] .

[18]         C’est en appliquant ces critères d’intervention que la Commission en révision analyse les arguments soulevés par M. Houssani et par le MESS.


ANALYSE ET MOTIFS

[19]         Outre le fait qu’il ne soit pas en accord avec la décision de la commissaire Caron, M. Houssani n’identifie aucune erreur pour en justifier la révision.

[20]         Dans sa requête, M. Houssani prétend que la commissaire Caron a favorisé la position du MESS en affirmant, dans sa décision, que M. Houssani confond les notions de dotation et de recrutement et en ne reconnaissant pas l’utilité de la décision Maccabée .

[21]         Or, la commissaire Caron n’a pas favorisé l’employeur : elle lui a donné raison au terme d’une analyse exhaustive de la procédure utilisée lors de la constitution de la réserve de candidatures à la promotion, au regard des règles de droit applicables.

[22]         Si la commissaire Caron a distingué les divers modes de dotation, particulièrement le recrutement et la promotion, c’est pour faciliter la compréhension des règles applicables. En effet, le Programme d’accès à l’égalité, sur lequel M. Houssani appuie ses prétentions, s’applique uniquement dans le cadre d’un concours de recrutement ou lors de la constitution d’une réserve de candidatures à cette seule fin, l’objectif du programme étant « [d’]augmenter le taux d’embauche par recrutement des membres des communautés culturelles dans l’effectif régulier de la fonction publique [12]  ».

[23]         Or, dans le présent dossier, il s’agit de la constitution d’une réserve de candidatures à la promotion. Le Programme d’accès à l’égalité n’est donc pas applicable, d’où l’importance de différencier les modes de dotation.

[24]         Quant à la décision Maccabée , c’est avec raison que la commissaire Caron n’y a vu aucune utilité puisqu’elle concerne plutôt le Programme d’accès à l’égalité de la fonction publique pour les femmes , bien qu’on y cite à titre d’exemple l’article 8 des Lignes directrices pour l’implantation et la mise en œuvre du Programme d’accès à l’égalité de la fonction publique pour les membres des communautés culturelles 1990-1994. Or, les propos de la Commission à cet égard n’apportent aucun éclairage additionnel pertinent pour le présent dossier.

[25]         Finalement, dans sa requête en révision et sa réplique, M. Houssani demande l’application de l’article 13 du Règlement concernant le processus de qualification et les personnes qualifiées publié à titre de projet dans la Gazette officielle du Québec du 12 mars 2014. Cependant, deux motifs y font obstacle : d’abord, ce règlement n’est toujours pas en vigueur. En conséquence, il ne peut pas s’appliquer à la réserve de candidatures à laquelle M. Houssani n’a pas été admis; au surplus, il s’agit d’un nouvel argument dont la Commission en révision ne saurait tenir compte.

[26]         POUR CES MOTIFS , la Commission en révision rejette la requête en révision de M. Abderrahmane Houssani.

 

 

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Sonia Wagner, avocate

Commissaire

 

M. Abderrahmane Houssani

REQUÉRANT - appelant non représenté

 

M e Mélissa Houle

Procureure pour le ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale

INTIMÉ -Intimé

 

Requête prise en délibéré : 26 mars 2015

 



[1]     Houssani c. Ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale , 2014 QCCFP 28 .

[2]     Ce ministère est désigné dorénavant le ministère du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale, et ce, depuis le 27 février 2015 (décret n° 143-2015).

[3]     Réserve n° 214R-7006076.

[4]     RLRQ, c. F-3.1.1, r. 6.

[5]     Maccabée c. Ministère de la Sécurité publique , 2006 CanLII 60351 (QC CFP).

[6]     Le premier alinéa de l’article 10 de ce projet de règlement prévoit : «  10. Lors de la tenue d’un processus de qualification en vue de la promotion, l’admission peut être limitée aux personnes appartenant à la zone géographique pour laquelle ce processus est tenu. »

[7]     Ministère des Ressources naturelles du Québec c. Boutin , 2013 QCCFP 16 .

[8]     RLRQ, c. F-3.1.1.

[9]     Tribunal administratif du Québec c. Godin [2003] R.J.Q. 2490 (C.A.), par. 136; Bourassa c. Commission des lésions professionnelles [2003] R.J.Q. 2411 (C.A.), par. 22.

[10]    Rona inc . c. Commission des lésions professionnelles , 2012 QCCS 3949 , par. 94.

[11]    Voir notamment Ministère des Transports c. Bérubé , 2011 QCCFP 13 , par. 20; Centre de services partagés du Québec c. Dussault , 2012 QCCFP 48 , par. 27.

[12]   Programme d’accès à l’égalité de la fonction publique pour les membres des communautés culturelles 1990-1994 , page 10.