Lefebvre c. Therrien |
2015 QCCS 1437 |
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JH5181
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
TERREBONNE |
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N° : |
700-17-006803-109 |
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DATE : |
9 avril 2015 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE : |
L’HONORABLE |
CAROLE HALLÉE, J.C.S. |
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ODETTE LEFEBVRE |
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Demanderesse |
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c. |
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MICHEL THERRIEN |
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Défendeur |
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JUGEMENT |
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[1] Au terme d’une relation de 32 ans de vie commune, la demanderesse réclame au défendeur une indemnité de 250 000 $ sur la base d’un enrichissement injustifié [1] .
[2] Après une courte période de fréquentation, les parties débutent leur vie commune au cours de l’année 1977. Madame a alors 35 ans et Monsieur, 19 ans.
[3] Madame a 3 enfants issus d’un premier mariage, Normand, Stéphane et Lucie. Au moment de leur rencontre, ses enfants ont 15, 13 et 8 ans.
[4] Monsieur emménage chez Madame avec ses 3 enfants dans un logement de 4½ pièces.
[5] Madame obtient son jugement de divorce en 1978 [2] . À l’exception de quelques meubles, Madame ne recevra ni pension alimentaire ni argent résultant du partage du régime matrimonial.
[6] Après 8 mois de vie commune, Monsieur achète un terrain et une maison mobile [3] afin de s’y installer avec Madame et les 3 enfants.
[7] Le […] 1980, Madame donne naissance à Mélanie. Peu de temps après, Monsieur avise Madame que Normand et Stéphane devront aller vivre chez leur grand-père maternel, n’ayant pas ou peu de contact avec leur père. Ils ont à ce moment 18 et 16 ans.
[8] Ce différend entraîne une première rupture du couple. Après quelques semaines et sans le sou, Madame retourne chez Monsieur. Normand et Stéphane ne reviendront plus vivre avec leur mère.
[9] Les parties habitent la maison mobile jusqu’en 1992, date où Monsieur achète un terrain à Saint-Colomban [4] et une maison préfabriquée, « de type Bonneville » que les parties habiteront de 1993 à 2004. Il y construira également un garage pour l’entretien de camions.
[10] En 2004, Monsieur vend cette propriété [5] et acquiert un terrain à Boileau [6] pour y construire une résidence au bord du lac.
[11] Les parties y emménagent et Madame quitte définitivement Monsieur au mois de mars 2009. Madame est alors âgée de 67 ans et Monsieur 51 ans.
[12] Monsieur demeure toujours dans la résidence à Boileau.
[13] Les parties sont peu scolarisées, Madame ayant quitté l’école à l’âge de 16 et Monsieur à 14 ans.
[14] Au début de leur fréquentation, Madame est prestataire d’aide sociale et occupe sporadiquement un emploi de serveuse dans un restaurant. De son côté, Monsieur travaille dans un garage depuis environ cinq ans.
[15] Jusqu’en 1982, Monsieur apprend le métier de mécanicien au garage de son père et restaure des véhicules usagés.
[16] En 1983 - 1984, il explore le domaine du transport forestier et achète un camion.
[17] Dès septembre 1985, il se lance définitivement dans le transport de marchandises.
[18] Au fil des ans, il exploitera 2 entreprises, une à son nom personnel et une autre qu’il incorpore en 1989, au nom de Transport Corbeau inc. [7] .
[19] Dès 1989, il achète d’autres camions pour atteindre, au meilleur de son entreprise, 7 camions et une trentaine de remorques.
[20] Ses camions roulent 7 jours/24 heures, avec l’aide d’une équipe de chauffeurs.
[21] De 1988 à 1993, Monsieur est sur la route et souvent absent du domicile sur semaine. Il revient les week-ends et s’occupe de l’entretien de ses camions.
[22] Il demeure dans le domaine du camionnage jusqu’en 2000, date où il vend l’entreprise.
[23] Madame témoigne qu’en plus de voir de façon exclusive aux besoins de la famille, elle consacre le reste de son temps aux entreprises de Monsieur.
[24] Dès le début des années 80 jusqu’à la fin des activités commerciales de Transport Corbeau en 2000, Madame affirme avoir agi à titre de préposée à la tenue de livre, commis et secrétaire.
[25] Elle s’occupe de tous les dépôts des entreprises, répond à certains appels et aide Monsieur à laver les camions à son retour les week-ends. À la demande de Monsieur et en son absence, elle se rend dans divers commerces pour obtenir des pièces de camions ou autres.
[26] Madame ajoute avoir procédé, à plusieurs reprises, au déneigement de la propriété à Saint-Colomban puisque le garage, abritant les camions, était situé dans la cour arrière de la résidence familiale.
[27] Lorsque Monsieur était à l’extérieur au Québec ou en Ontario, il appelait Madame et lui demandait de déneiger la cour puisqu’un ou plusieurs camions devaient retourner dans le garage.
[28] Madame ajoute s’être considérablement impliquée dans l’aménagement des résidences des parties, en ce qu’elle a peinturé, posé de la laine minérale, aidé au revêtement extérieur, fait le ménage pendant la construction (transporter les débris à l’extérieur de façon quotidienne) sans compter le nettoyage complet avant d’emménager dans les résidences de Saint-Colomban et du lac Boileau.
[29] Madame affirme que durant toute cette période, à l’exception d’une seule année, elle n’a reçu aucune rémunération de quelque nature que ce soit ni aucune part, action ou intérêt dans les entreprises de Monsieur.
[30] Madame précise avoir été malade et hospitalisée en 1996. Elle a dû suspendre ses activités auprès de l’entreprise de Monsieur. Ce dernier a alors embauché une employée pendant sa période de maladie, soit environ 8 mois.
[31] Madame témoigne avoir ouvert, pour la première fois de sa vie, un compte bancaire à l’âge de 65 ans, alors qu’elle devenait admissible à sa pension de vieillesse.
[32] Elle soutient que Monsieur s’est enrichi à ses dépens et que par son apport exceptionnel, elle lui a permis d’économiser en salaire de secrétaire, frais de déneigement ou autres.
[33] De son côté, Monsieur soutient que lorsqu’il a rencontré Madame, elle était prestataire d’aide sociale avec 3 enfants à sa charge.
[34] Bien qu’il reconnaisse que Madame s’est occupée des tâches domestiques et ménagères et qu’elle a effectué la tenue de livre, il refuse d’y voir un enrichissement puisque Madame ne s’est pas appauvrie.
[35] Monsieur témoigne avoir assumé toutes les dépenses du couple pendant les 32 ans de vie commune. Il ajoute que puisque Madame était bénéficiaire de l’aide sociale au moment de la rencontrer, elle le serait probablement encore aujourd’hui.
[36] Il témoigne que les travaux domestiques et d’entretien ménager ont été partagés entre eux.
[37] Il reconnaît avoir retenu, à compter de 1986, les services de Madame au sein de son entreprise de camionnage pour s’occuper de la tenue de livre générale.
[38] Il affirme que l’expansion de son entreprise n’est que le fruit de son travail acharné, de sa motivation et que le travail de Madame, bien qu’utile dans l’entreprise, n’était pas indispensable, ni primordial.
[39] Il soutient que le rôle principal de Madame se limitait à transcrire les dépenses de la compagnie dans le journal général. Il ajoute que contrairement aux prétentions de Madame, cette dernière a été rémunérée pour les périodes comprises entre 1986 et 1993 [8] . À l’appui de ses prétentions, il produit les déclarations d’impôt de Madame.
Période |
Revenus d’emploi |
Revenus d’entreprise |
Assurance-emploi |
Total |
1986 |
600 $ |
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600 $ |
1987 |
7 950 $ |
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7 950 $ |
1988 |
1 448 $ |
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|
1 448 $ |
1989 |
180 $ |
600 $ |
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780 $ |
1990 |
6 448 $ |
9 300 $ |
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15 748 $ |
1991 |
3 000 $ |
6 000 $ |
4 651 $ |
13 651 $ |
1992 |
6 412 $ |
6 000 $ |
6 603 $ |
19 015 $ |
1993 |
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6 000 $ |
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6 000 $ |
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65 192 $ |
[40] En 2000, Monsieur vend les actifs de sa compagnie et exploite l’entreprise à des fins de placements financiers en prévision de sa retraite.
[41] Il travaille occasionnellement comme mécanicien et fait de l’excavation.
[42] Lorsque Madame quitte Monsieur en mars 2009, ce dernier lui laisse un véhicule automobile de marque Hyundai, année 2000, quelques meubles et un montant de 2 000 $.
[43] Monsieur soutient que Madame n’a jamais abandonné aucune carrière ou travail qui lui aurait permis d’améliorer sa capacité de gagner sa vie. Bien au contraire, ajoute-t-il, c’est uniquement grâce à lui qu’elle a acquis des actifs, dont un fonds de pension dont elle profite actuellement, référant ainsi à la Régie des rentes du Québec qu’elle perçoit depuis quelques années, au montant de 77 $ par mois.
[44] En conclusion, il soutient que grâce à lui Madame s’est enrichie depuis la cohabitation. Elle a épargné pendant plus de 32 ans tous les frais inhérents à un bail d’habitation et toutes les dépenses reliées à l’éducation de ses enfants, nés d’une union précédente. Il ajoute que Madame n’a jamais contribué financièrement à quoi que ce soit.
[45]
Les
articles
[46] Il découle de ces dispositions 6 critères que les tribunaux analysent pour déterminer s’il y a enrichissement injustifié :
1. un enrichissement;
2. un appauvrissement;
3. une corrélation entre l’enrichissement et l’appauvrissement;
4. l’absence de justification à l’enrichissement;
5. l’absence de fraude à la loi;
6. l’absence d’autres recours. [9]
[47] Il n’y a pas de débat en l’espèce quant aux cinquième et sixième conditions.
[48] La jurisprudence reconnaît que la théorie de l’enrichissement injustifié doit être appliquée avec souplesse aux affaires relevant du droit de la famille [10] .
[49] L’analyse de l’enrichissement injustifié et de ses conditions commande une interprétation globale, large et libérale [11] .
[50] Il ne s’agit donc pas d’un exercice de juricomptabilité. Il faut adopter dans l’analyse des éléments factuels et juridiques, une souplesse particulière à la nature des rapports entre conjoints de fait [12] .
[51] Deux présomptions peuvent découler d’une union de fait de longue durée, à savoir :
1. la corrélation entre l’enrichissement et l’appauvrissement;
2. l’absence de motif à l’enrichissement [13] .
[52] Cette présomption ne peut être renversée que s’il y a une preuve contraire forte [14] .
[53] Ainsi, il revient au conjoint poursuivi d’établir que l’appauvrissement du conjoint demandeur n’a aucun rapport avec son propre enrichissement et qu’il existe un motif juridique à celui-ci.
[54] C’est ainsi que Monsieur a tenté de renverser ces présomptions en faisant état des avantages qu’il a procurés à Madame.
[55] Dans un jugement récent, la Cour d’appel précisait que les avantages reçus par le conjoint demandeur doivent être appréciés au stade de la détermination de l’indemnité, reprenant ainsi les enseignements de la Cour suprême :
« [45] (…) Or, de l'avis de la Cour suprême dans un arrêt rendu en 2011 dans un contexte de common law [15] , la question de savoir si l'appauvrissement est contrebalancé par les avantages conférés au conjoint demandeur par le conjoint poursuivi doit être traitée au stade de la détermination de la réparation à accorder . C'est uniquement si ces avantages offrent une preuve pertinente de l'existence d'un motif juridique à l'enrichissement et à l'appauvrissement qu'ils peuvent être pris en compte à un stade antérieur de l'analyse :
[109] Comme je l'ai déjà dit, je suis d’avis que les avantages réciproques peuvent être pris en considération à l’étape de l’analyse du motif juridique, mais seulement dans la mesure où ils offrent une preuve pertinente de l’existence d’un tel motif. Autrement, il faut en tenir compte à l’étape de la défense ou de la réparation . […]
[114] Comme je l’ai déjà dit, le motif juridique est la troisième des trois parties de l’analyse de l’enrichissement injustifié. Comme l’a dit la juge McLachlin à la p. 90 de l’arrêt Peter, « [c]’est à cette étape que le tribunal doit vérifier si l’enrichissement et le désavantage, moralement neutres en soi, sont “injustes” ». L’analyse du motif juridique vise à indiquer si le défendeur est justifié de conserver l’enrichissement, et non pas à en déterminer la valeur ou à déterminer s’il convient d’opérer compensation après examen des avantages réciproques : Wilson, par. 30. […]
[115] Le fait que les parties se soient mutuellement conféré des avantages peut constituer une preuve pertinente de leurs attentes raisonnables, ce qui peut devenir pertinent au moment où le défendeur essaie de prouver que ces attentes appuient l’existence d’un motif juridique que l’on ne retrouve dans aucune des catégories établies. Cependant, comme l’analyse du motif juridique cherche à déterminer si l’enrichissement était équitable et non à en mesurer l’ampleur, les avantages réciproques ne devraient être pris en considération à cette étape que pour cette fin précise.
(3) Résumé
[116] Je conclus que les avantages réciproques peuvent être examinés à l’étape de l’analyse du motif juridique, mais seulement dans la mesure où ils fournissent une preuve pertinente relativement aux attentes raisonnables des parties. Sinon, ils doivent être pris en considération au stade de la défense ou à celui de la réparation . […] » [16]
(Le Tribunal souligne)
[56] Appliquant ces principes à la présente affaire, le Tribunal procèdera à l’analyse des critères.
[57] Le tableau ci-après démontre les actifs des parties au début et à la fin de la vie commune. Madame termine une relation de 32 ans avec un actif d’environ 4 300 $ et Monsieur de près de 780 000 $.
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ACTIFS |
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Madame |
Monsieur |
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Début vie commune 1977 [17] |
1 300 $ (environ) |
28 000 $ |
4 à 5 voitures usagées sur lesquelles il travaille pour les revendre |
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Cessation vie commune 2009 |
4 295 $ |
37 170 $
169 114 $
208 743 $
202 000 $
70 000 $ 5 000 $ 6 000 $ 12 000 $ 66 100 $
250 $ 1 500 $ 777 877 $
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Caisse Desjardins de St-Jérôme Caisse Desjardins de Mont-Tremblant Banque Nationale du Canada Immeuble à Boileau
Deux excavatrices Petit camion (pick-up) Véhicule SAAB Meubles meublants Biens identifiés (la SAAQ [18] Bateau Coffret de sûreté
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[58] La preuve révèle que tous les immeubles acquis par Monsieur ont été payés sans l’obtention de prêt.
[59] Monsieur achète le premier terrain en 1978 au coût de 1 000 $ et paie la maison mobile entre 15 000 $ et 20 000 $.
[60] En 1992, il acquiert, en argent comptant, un terrain à Saint-Colomban pour 12 000 $ [19] .
[61] Il témoigne avoir également payé en espèces la maison préfabriquée au coût d’environ 32 000 $ à 35 000 $.
[62] Au préalable, il construit sur ce terrain un garage pour l’entretien de ses camions, qu’il déclare avoir payé 30 000 $ lors de son témoignage à la Cour. Or, dans son interrogatoire hors cour tenu le 18 août 2010, il affirmait plutôt avoir déboursé 45 000 $ [20] .
[63] La résidence étant une maison préfabriquée, il contracte et s’occupe lui-même du solage et de la finition pour un coût supplémentaire de 30 000 $.
[64] Cette résidence et le terrain seront vendus en juin 2004 pour la somme de 178 000 $ [21] .
[65] En février 2004, Monsieur achète un terrain au coût de 7 000 $ afin d’y construire une résidence au bord du lac à Boileau.
[66] Les parties admettent qu’au moment de la cessation de la vie commune, l’immeuble de Boileau avait une valeur de 202 000 $.
[67] Actuellement, ladite résidence est à vendre à 389 000 $. Le prix ayant été révisé récemment à la baisse à 350 000$.
[68] Tous les immeubles ont toujours été enregistrés uniquement au nom de Monsieur. Madame n’a touché aucune somme d’argent lors de l’aliénation des propriétés.
[69] Madame s’est appauvrie par son apport et les services rendus sans contrepartie.
[70] La Cour d’appel réfère à un concept d’appauvrissement négatif en ces termes :
« (…)
[4] En l'espèce, l'enrichissement de l'appelant réside principalement dans le fait qu'il a bénéficié des services d'entretien de la ferme et des animaux par l'intimée, et ce, sans lui verser de salaire. Un tel enrichissement, qualifié de négatif puisqu'il résulte d'une « dépense évitée par le fait de l'apport », est reconnu lorsqu'il s'agit de trancher un litige entourant l'octroi d'une compensation pour enrichissement injustifié [22] .
[5] Pour ce qui est de l'appauvrissement de l'intimée, il faut considérer les innombrables heures passées à travailler à la ferme. Notre Cour, dans l'arrêt M.B. c. L.L. [23] , s'exprime ainsi à ce sujet :
L'appauvrissement de l'intimée est à la hauteur de ces nombreuses heures non rémunérées consacrées à la gestion des travaux commandés par l'appelant et difficilement quantifiables .
[6] En ce sens, l'appauvrissement peut ici être qualifié de négatif puisqu'il « consiste en un manque à gagner » pour l'intimée [24] (…) » [25] .
(Le Tribunal souligne)
[71] Bien que Monsieur ait tenté de minimiser le travail accompli par Madame, il a, sur le bout des lèvres, admis en partie son apport lors du contre-interrogatoire.
[72] Monsieur reconnaît qu’elle s’est entièrement consacrée à la famille, aux tâches domestiques et ménagères particulièrement lorsqu’il a démarré son entreprise de camionnage et qu’il était absent sur semaine.
[73] Il témoigne aujourd’hui que Madame aurait pu travailler. Madame soutient au contraire que Monsieur préférait la savoir à la maison puisqu’il comptait sur elle tant pour les besoins de la famille, Mélanie avait alors 6 ans, que pour les imprévus liés à son commerce.
[74] De plus, la preuve a démontré que Madame s’occupait du déneigement à Saint-Colomban à l’époque où Monsieur était propriétaire de plusieurs camions. En effet, lorsqu’il devait s’absenter du lundi au vendredi, il appelait régulièrement Madame afin qu’elle déneige la cour pour que les camions puissent avoir accès au garage.
[75] Monsieur reconnaît n’avoir jamais eu besoin de signer de contrat de déneigement.
[76] Madame a peinturé, posé de la laine minérale sur l’immeuble à Boileau et fait quotidiennement le ménage pendant la construction.
[77] Monsieur témoignera « je n’ai jamais dit qu’elle n’avait pas donné un coup de pinceau et ramassé des bouts de planches ».
[78] Pour l’essentiel, Madame a effectué la tenue de livre des deux entreprises de Monsieur soit Michel Therrien personnellement et Transport Corbeau et ce, de 1985 à 2000.
[79] Pourtant, tout en minimisant les tâches effectuées par Madame, Monsieur soutient pourtant l’avoir rémunérée, et ce, pour la période de 1986 à 1993 totalisant, en excluant l’assurance-emploi, 54 138 $.
[80] À cet égard, la preuve est contradictoire. Madame soutient qu’à l’exception d’une seule année, elle n’a touché aucun revenu et n’avait aucun compte de banque.
[81] D’ailleurs, Monsieur a témoigné à l’effet qu’il était le seul titulaire du compte de banque et que Madame avait l’autorisation de déposer dans le compte, mais pas de retirer, ce qui est admis par Madame.
[82] Monsieur reconnaît dans son témoignage et dans son interrogatoire hors cour [26] que les salaires et les revenus d’entreprise versés à Madame étaient des dépenses créées pour sauver de l’impôt . Il soutient que lorsque les déclarations fiscales de Madame indiquent des revenus d’entreprise, il lui versait ces sommes en argent comptant.
[83] Les revenus d’entreprise apparaissant aux déclarations d’impôt de Madame totalisent 27 900 $.
[84] Madame assure n’avoir jamais touché d’argent à l’exception d’une seule année.
[85] Quant au salaire versé à Madame, à la lecture de l’interrogatoire hors cour, Monsieur explique tant bien que mal que Madame endossait le chèque, qu’il le contresignait, qu’il passait à la banque et l’encaissait pour le remettre à Madame.
[86] Le Tribunal reproduit ici l’explication de Monsieur quant à la rémunération de Madame, dans son interrogatoire hors cour, pour démontrer l’invraisemblance de son explication.
Le Tribunal souligne
[87] Or, si l’objectif de créer la rémunération de Madame tant en salaire qu’en revenu d’entreprise était de réduire les impôts, il est invraisemblable que tout cet argent, par chèque ou comptant, ait été remis à Madame.
[88] Si tel était le cas, pourquoi Madame n’a-t-elle pas ouvert de compte de banque, alors qu’elle était rémunérée depuis 1986? Pourquoi les chèques libellés au nom de Madame avaient-ils besoin d’être contresignés par Monsieur afin qu’il les encaisse à la banque pour remettre l’argent à Madame, alors qu’il reconnaît que Madame s’est toujours occupée des dépôts pour son entreprise. Pourquoi Monsieur réendossait-il même les chèques d’assurance-chômage émis au nom de Madame? [27]
[89] Le Tribunal estime plutôt que Monsieur a créé un stratagème. Il bénéficiait de la déduction fiscale et encaissait les sommes. Il s’agit simplement d’un fractionnement de revenus. Ce que la preuve révèle, c’est que Madame n’a jamais reçu cet argent.
[90] Il ne fait aucun doute dans l’esprit du Tribunal que Monsieur contresignait lesdits chèques pour conserver l’argent.
[91] Ce sont les comptables de Monsieur qui ont toujours préparé les déclarations fiscales de Madame. Cette dernière avait peu d’instruction et avait une confiance aveugle en Monsieur. Elle exécutait ce qu’il lui demandait. D’ailleurs, c’est au moment de la production des déclarations d’impôt par Monsieur que Madame a appris avoir fait des déclarations de revenus.
[92] La version de Monsieur ne tient pas la route. D’ailleurs, son témoignage est peu crédible à plusieurs égards.
[93] D’abord, il soutient lors de l’audience que Madame préparait elle-même ses chèques de paie alors que dans l’interrogatoire hors cour [28] , il déclare qu’il libellait lui-même lesdits chèques.
[94] De plus, Monsieur a menti quant aux coûts de la construction du garage qu’il estime à 30 000 $ à la Cour, alors qu’il déclarait 45 000 $ dans son interrogatoire hors cour [29] .
[95] Enfin, toujours dans cet interrogatoire hors cour, il affirme n’avoir jamais détenu de coffret de sûreté. Pourtant, devant la soussignée, il reconnaît posséder un coffret de sûreté depuis 1978, lequel pouvait contenir de l’argent canadien et américain variant de 2 000 $ à 5 000 $ [30] .
[96] Monsieur a une fixation sur l’argent et sur l’impôt. Il a même reconnu à la Cour avoir déduit à titre de dépenses dans ses déclarations fiscales, non seulement la construction du garage de Saint-Colomban, mais également le coût de la maison préfabriquée.
[97] Madame a travaillé pour l’entreprise de camionnage de Monsieur pendant quinze ans, sans rémunération, à l’exception d’une seule année.
[98] Il ressort de la preuve que Madame a assumé l’essentiel, sinon la totalité, des corvées domestiques tout en étant responsable de l’entretien et de l’éducation des enfants. En l’absence de Monsieur sur semaine, elle voyait seule à l’organisation des besoins familiaux et à l’entretien de la résidence. Elle a joué un rôle important auprès de Monsieur et de son entreprise.
[99] Il est évident que l’entretien de l’entreprise familiale a aidé à préserver tant les biens de Monsieur qu’à lui épargner d’importantes sommes qu’il a pu utiliser pour payer les immeubles comptant.
[100] Sans le soutien, l’aide et la présence de Madame, Monsieur n’aurait pas réussi dans son entreprise de camionnage comme il l’a fait.
[101] Cette constatation est suffisante pour conclure que Madame a subi un appauvrissement correspondant à l’enrichissement de Monsieur.
[102] D’ailleurs, la seule année où Madame n’a pas travaillé pour Monsieur consiste en une période de huit mois en 1996. Pendant cette période, Monsieur a dû engager une employée. Aucune preuve n’a été apportée relativement au salaire de cette personne. Dès que Madame s’est rétablie, l’employée fut renvoyée et Madame a repris le collier jusqu’en 2000, date de la vente de l’entreprise.
[103] Il est indéniable que Monsieur a accompli davantage que Madame dans son entreprise de camionnage ainsi que pour l’aménagement de la maison préfabriquée et la construction de l’immeuble à Boileau. Cependant, l’apport de Madame est non négligeable et doit être reconnu.
[104] La présomption voulant que l’enrichissement de l’un donne lieu à l’appauvrissement de l’autre n’a pas été renversée. Monsieur a tenté de démontrer que Madame ne s’était pas appauvrie et que si elle l’était, il n’y avait aucun rapport avec son propre enrichissement.
[105] Avec égards, le Tribunal n’est pas de cet avis.
[106] Monsieur soutient qu’il a toujours payé toutes les dépenses à la résidence et que Madame n’y a contribué d’aucune façon.
[107] Or, la preuve a démontré comment Monsieur calcule chaque sou et chaque dollar. Il est fort étonnant qu’il ait rémunéré Madame de son plein gré 1986 à 1993 et que cette dernière ait pu conserver son argent pour elle-même alors qu’elle n’avait aucun compte de banque. Il est vrai qu’il a toujours payé toutes les dépenses de toutes les résidences puisque Madame n’avait aucune source de revenus pour ce faire.
[108] Cependant, c’est avec le salaire créé et non versé à Madame que Monsieur a payé les dépenses quotidiennes, du moins en partie.
[109] Le Tribunal réitère que le salaire qui n’a jamais été versé à Madame a bénéficié à Monsieur tant par la déduction fiscale que par l’appropriation de fonds qu’il a conservés.
[110] Monsieur soutient également avoir contribué aux besoins des enfants de Madame.
[111] À cet égard, le Tribunal rappelle qu’après à peine 2 ans de vie commune, Monsieur a requis de Madame que 2 de ses 3 enfants quittent le domicile alors qu’ils étaient âgés de 18 et 16 ans. Il ne restait que Mélanie, l’enfant du couple, et Lucie laquelle a quitté par la suite pour ses études.
[112] Monsieur se refuse à accorder quelque crédit que ce soit à Madame et soutient que lorsqu’il l’a rencontrée, elle était sur l’aide sociale et n’eut été de lui, elle serait encore aujourd’hui en logement et bénéficiaire d’aide sociale.
[113] Le Tribunal ne partage pas l’opinion de Monsieur et conclut que Madame a été en tout point une conjointe, une mère de famille, une employée exemplaire pendant 32 ans.
[114] Il existe une présomption voulant qu’il y ait absence de justification dans le cadre des relations entre conjoints de fait [31] .
[115] Il n’existe aucune obligation générale de travailler pour son conjoint. L’obligation de bénévolat n’existe pas [32] .
[116] Enfin, il n’existe rien dans la loi qui permette à Monsieur de conserver l’avantage injuste qu’il a reçu [33] .
[117] En 2013, la Cour d’appel, sous la plume du juge Bouchard, a rendu un jugement en matière d’enrichissement injustifié, lequel énonce qu’il est possible d’appliquer en droit québécois la méthode de la valeur accumulée importée de la Common Law lorsqu’elle est utilisée pour établir la contribution proportionnelle du conjoint demandeur à la richesse globale accumulée grâce aux efforts conjugués des deux conjoints. Il s’exprime comme suit :
« (…)
[55] Depuis l'arrêt rendu par la Cour suprême en 2011 dans Kerr c. Baranow [34] , on peut affirmer qu'en common law, dans un cas d'union de fait de longue durée de type traditionnel, la méthode dite de la valeur accumulée pour calculer la réparation à accorder au conjoint demandeur est celle qui doit être privilégiée, en particulier, lorsqu'une partie conserve une part disproportionnée de la richesse familiale lors de la rupture [35] . Cette méthode, qui consiste à évaluer la réparation pécuniaire en déterminant la contribution proportionnelle du conjoint demandeur à l'accumulation de la richesse est, de l'avis de la Cour suprême, celle qui reflète le mieux la réalité des parties [36] :
[80] […] Comme je l’ai déjà dit, tous les enrichissements injustifiés entre conjoints non mariés ne se rangent pas aisément dans la catégorie de la « rémunération des services rendus » ou dans celle relative à « une partie d’un bien déterminé ». Dans les cas où la meilleure façon de qualifier l’enrichissement injustifié est de le considérer comme une rétention injuste d’une part disproportionnée des biens accumulés dans le cadre de ce que la juge McLachlin a appelé, dans Peter (p. 1001), une « coentreprise familiale » à laquelle les deux conjoints ont contribué, la réparation pécuniaire devrait refléter ce fait.
[81] Dans de tels cas, le fondement de l’enrichissement injustifié est la rétention d’une part excessivement disproportionnée de la richesse par une partie quand les deux parties ont participé à une coentreprise familiale et qu’il existe un lien évident entre les contributions du demandeur et l’accumulation de la richesse. Indépendamment du titulaire du titre de propriété sur certains biens déterminés, on peut considérer que les parties, dans de telles circonstances, [traduction] « créent la richesse dans le cadre d’une entreprise commune qui les aidera à maintenir leur relation, leur bien-être et leur vie de famille » (McCamus, p. 366). La richesse créée durant la période de cohabitation sera considérée comme étant le fruit de leur relation conjugale et financière, sans nécessairement que les deux parties y aient contribué en parts égales. Comme les conjoints sont des partenaires conjugaux et financiers, il n’est nul besoin d’un « duel de quantum meruit ». Dans de tels cas, l’allégation d’enrichissement injustifié naît de ce que la partie qui quitte avec une part disproportionnée de la richesse prive le demandeur d’une part raisonnable de la richesse accumulée pendant la relation grâce à leurs efforts conjoints. Il faudrait évaluer la réparation pécuniaire en déterminant la contribution proportionnée du demandeur à l’accumulation de la richesse.
[85] […] Suivant les règles, de la common law relatives à l’enrichissement injustifié, la cohabitation, en soi, ne confère pas à une personne le droit à une part des biens de l’autre personne ou à toute autre forme de réparation. Toutefois, lorsqu’une certaine richesse a été accumulée grâce à un effort conjoint, comme en témoigne la nature de la relation des parties et leurs rapports réciproques, le droit de l’enrichissement injustifié devrait refléter cette réalité.
[56] Toujours selon la Cour suprême, pour appliquer la méthode de la valeur accumulée, il faut également que les parties aient été engagées dans une coentreprise familiale, un concept qui trouvera application si le conjoint demandeur prouve :
1) que les parties ont collaboré à la réalisation d'objectifs communs importants, [37]
2) un niveau élevé d'intégration des finances des parties, [38]
3) que les parties avaient l'intention de partager la richesse qu'elles ont créée ensemble, [39]
4) qu'une partie s'est fiée à l'autre, à son détriment, pour le bien-être de la famille, [40]
[58] La Cour d'appel, il est vrai, en deux occasions, a mis en garde les tribunaux québécois d'importer trop facilement dans notre droit des concepts de common law étrangers au Code civil . On trouve une première mise en garde de ce type dans les propos tenus par le juge Dalphond, en 2003, dans M.B. c. L.L. où ce dernier écrit [41] :
[31] Devant
le silence du législateur et en l'absence de tout contrat, certains ont
souhaité que les tribunaux se montent plus audacieux, voire même remplissent le
vide législatif et contractuel qui est le lot de plusieurs unions de fait.
Considérant les commentaires de la Cour suprême sur l'importance de respecter
la liberté de choix des couples qui ont décidé de ne pas se marier ou de ne pas
se doter d'un contrat régissant les aspects économiques de leur vie commune,
énoncés dans l'arrêt Nouvelle-Écosse (Procureur général) c. Walsh,
[59] Plus récemment, en 2010, c'est au tour de la juge Thibault, dans Barrette c. Falardeau [42] , de servir le même type d'avertissement :
43 Sans
que cela soit déterminant pour le pourvoi, il y a lieu de faire une remarque au
sujet de la méthode retenue par le juge de première instance pour le calcul de
la contribution de l'intimée. Cette méthode est celle de la « valeur
accumulée » utilisée dans les autres provinces canadiennes. Cette méthode
est utilisée pour déterminer la contribution d'une partie à un bien, dans le
but d'attribuer ou de reconnaître à la partie appauvrie un droit de propriété
dans le bien en cause. Il s'agit du mécanisme d'évaluation propre à la fiducie
par interprétation. Ainsi, au lieu de verser une indemnité comme le prévoit le Code
civil du Québec, la partie qui a contribué à l'enrichissement de l'autre reçoit
en compensation, le cas échéant, un droit de propriété dans un bien. La fiducie
par interprétation n'est pas un concept reconnu par notre droit civil.
L'emprunt d'une méthode propre à ce concept de common law n'aurait pas dû être
utilisé. Les articles
[60]
Je suis entièrement d'accord avec
mes collègues pour dire que le concept de fiducie par interprétation propre à
la common law est étranger au droit civil et ne peut être appliqué aux
conjoints de fait du Québec. Il en va autrement toutefois avec la méthode de la
valeur accumulée lorsqu'elle est utilisée, non pas pour attribuer un droit dans
un bien en particulier, mais pour établir la contribution proportionnelle du
conjoint demandeur à la richesse globale accumulée grâce aux efforts conjugués
des deux conjoints. Il n'y a rien d'incompatible dans ce genre de situation
avec les principes de l'enrichissement injustifié en droit civil qui exigent
une « simple corrélation entre l'appauvrissement et l'enrichissement
»,
« affranchie de calculs faits au dollar près » et de « la tenue
de comptes précis et mesquins »
[43]
.
Au contraire,
l'arrêt Kerr c. Baranow
s'inscrit parfaitement bien dans
la lignée des arrêts Lacroix c. Valois et Peter c. Beblow.
Il vient préciser
que, pour les cas clairs d'enrichissement injustifié, c'est-à-dire lorsqu'une
partie conserve une part disproportionnée des biens provenant d'une
coentreprise familiale, et qu'une réparation pécuniaire doit être accordée, il
faut calculer cette réparation en fonction de la part de ces biens qui est
proportionnelle aux contributions du conjoint demandeur
[44]
. Ceci est en tout
point conforme aux prescriptions de l'article
(Le Tribunal souligne)
[118] Ainsi, le Tribunal appliquera la méthode de la valeur accumulée en analysant les conditions de la coentreprise familiale.
[119] Ce critère est rencontré. Madame a participé à la coentreprise par ses apports à la famille, à l’entreprise de Monsieur et au projet commun de la famille dans la construction des résidences.
[120] Comme le rappelle la Cour suprême [46] :
« [91] (…) On peut aussi affirmer que les parties mettent leurs ressources en commun quand un conjoint s’acquitte de la totalité, ou de la plus grande partie, des travaux domestiques, libérant l’autre de ces responsabilités et lui permettant de se consacrer à ses activités rémunérées à l’extérieur (…) »
[121] Tous les biens de la famille étaient achetés par le biais de l’entreprise. Madame s’occupait de la tenue de livre et des dépôts. La gestion de l’entreprise et l’argent de la famille étaient interreliés.
[122] Bien que Madame ne contribuait pas financièrement à la famille et qu’elle était financièrement dépendante de Monsieur, il y avait une mise en commun des ressources.
[123] D’ailleurs, si le Tribunal retient la version de Monsieur, il a créé des dépenses d’entreprise pour bénéficier de déductions fiscales en créant un salaire ou des revenus d’entreprise au nom de sa conjointe, lesquels bénéfices étaient en retour utilisés pour les besoins de la famille.
[124] Il appert de tous les témoignages que leur projet était de finir leurs vieux jours ensemble à Boileau, au bord du lac.
[125] L’intention de Monsieur était de partager ses ressources avec Madame au moment de leur retraite.
[126] Une relation de trente-deux ans représente une stabilité, une reconnaissance auprès d’autrui et la durée de cette cohabitation a démontré sans l’ombre d’un doute une intention de profiter ensemble de la richesse dans le futur.
[127] Madame s’est fiée sans doute à la réussite et à la stabilité de la relation pour assurer la sécurité économique de la famille à son propre détriment. Elle se retrouve aujourd’hui pratiquement dans le même état qu’en 1977 après avoir pourtant consacré trente-deux ans de travail et d’efforts pour la famille et pour l’entreprise de Monsieur.
[128] Fort des principes de l’arrêt Kerr [47] de la Cour suprême, le calcul d’une indemnité pécuniaire s’inscrit dans le cadre d’un processus souple. Les règles applicables n’entraînent cependant pas « une présomption de partage égal, comme c’est le cas de nombreux textes législatifs relatifs aux régimes matrimoniaux » [48] .
[129] Madame réclame 250 000 $ à titre d’enrichissement injustifié. Les actifs de Monsieur sont 181 fois supérieurs à ceux de Madame. Elle revendique ainsi 32% des avoirs de Monsieur.
[130] Madame a consacré 32 ans au bien-être de la famille, y incluant de multiples tâches au bénéfice de l’entreprise de Monsieur.
[131] En additionnant les revenus d’emploi, d’entreprise et d’assurance-emploi dont Monsieur soutient que Madame a touchés entre 1986 et 1993, le Tribunal calcule que Madame aurait bénéficié de 65 192 $ échelonné sur une période de 8 ans. D’une part, Madame n’a pas reçu ces sommes et d’autre part, elle a vu aux besoins de la famille et continué de travailler aux entreprises de Monsieur jusqu’en 2000, soit un minimum de 15 ans.
[132] Madame se retrouve aujourd’hui avec un actif d’un peu plus de 4 000 $ alors qu’elle a consacré 32 ans de sa vie à la famille et à l’entreprise de Monsieur. Le Tribunal réitère que Madame a fait économiser beaucoup d’argent à Monsieur et que sans son apport, ce dernier ne détiendrait pas autant d’actifs qu’ajourd’hui puisque, la richesse accumulée pendant plus de 30 ans de vie commune, lui seul en bénéficie.
[133] Le Tribunal estime qu’une indemnité de 175 000 $, représentant un revenu annuel de 10 000 $ pour 15 années de travail à l’entreprise de Monsieur, soit de 1986 à 2000, en plus de tous les autres apports en service sur une période de 32 ans, est juste et raisonnable.
[134] Ce montant représente un peu plus de 20% de la fortune de Monsieur, ce qui dans l’esprit du Tribunal constitue un seuil minimum considérant l’ampleur de l’appport de Madame.
[135] Puisque si, tel qu’il l’indique, Monsieur avait véritablement payé un salaire à Madame, cette dernière aurait possiblement quelques économies. Le salaire qu’elle n’a pas touché, a bénéficié aux actifs que possède Monsieur aujourd’hui. De plus, si Madame avait été copropriétaire des immeubles achetés pendant la vie commune, ou à tout le moins copropriétaire de l’immeuble du lac Boileau, acquis en 2004, elle recevrait à la vente de la résidence du lac Boileau entre 150 000 $ à 175 000 $.
[136] En conséquence, le Tribunal accorde à Madame une indemnité de 175 000 $ à titre d’enrichissement injustifié.
[137] POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[138] ACCUEILLE en partie la Requête introductive d’instance amendée;
[139] ORDONNE au défendeur de payer à la demanderesse la somme de 175 000 $, avec intérêt au taux légal et l’indemnité additionnelle prévue par la loi, calculée à compter de la mise en demeure, soit le 23 novembre 2009;
[140] LE TOUT avec dépens.
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__________________________________ CAROLE HALLÉE, J.C.S. |
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M e Éric Filfe |
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FILFE FILION AVOCATS |
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Procureurs de la demanderesse |
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M e Daniel St-Pierre |
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ST-PIERRE MAILLETTE |
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Procureurs du défendeur |
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Dates d’audience : |
2, 3, 4, 5 et 6 mars 2015 |
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[1] Par amendement à l’audience.
[2] Cour supérieure - District de Terrebonne : 700-12-002746-782.
[3] Pièce P-11.
[4] Pièce P-1.
[5] Pièce P-2.
[6] Pièce P-3.
[7] Pièce P-4.
[8] Pièce P-17.
[9]
Cie Immobilière Viger ltée c. L. Giguère inc.
,
[10]
Kerr c. Baranow
,
[11]
Lacroix c. Valois
,
[12]
Lacroix c. Valois
,
[13]
Peter c. Beblow
,
[14]
Droit de la famille 132495,
[15]
Kerr
c.
Baranow
,
[16]
Droit de la famille 132495,
[17] Pièce P-14.
[18] Pièce P-20.
[19] Pièce P-1.
[20] Interrogatoire tenu le 18 août 2010, p.17.
[21] Pièce P-2.
[22] Violaine Belzile, « Recours entre conjoints de fait : enrichissement injustifié et action de in rem verso », dans Service de la formation continue, Barreau du Québec, Développements récents sur l'union de fait , vol. 140, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2000, 125, 147.
[23] [2003] R.D.F. 539, paragr. 43 (C.A.).
[24] Violaine Belzile, « Recours entre conjoints de fait : enrichissement injustifié et action de in rem verso », 147.
[25]
Benzina c. Le
,
[26] Interrogatoire tenu le 18 août 2010, p. 88 et suivantes.
[27] Interrogatoire tenu le 18 août 2010, p. 107.
[28] Interrogatoire tenu 18 août 2010, p. 98.
[29] Interrogatoire tenu le 18 août 2010, p. 17.
[30] Interrogatoire tenu le 18 août 2010, p. 112.
[31]
B. (M.) c. L. (I.)
,
[32]
Peter c. Beblow
,
[33]
Kerr c. Baranow
,
[34] Id. .
[35] id. , paragr. 80 à 100.
[36] Id. , paragr. 80, 81 et 85.
[37] Id. , paragr. 90-91.
[38] Id. , paragr. 92-93.
[39] Id. , paragr. 94-97.
[40]
Id.
, paragr. 98-99. À noter que ce concept de coentreprise familiale
a été appliqué par la Cour supérieure (
[41] M.B. c. L.L ., 2003 R.D.F. 539,P. 37 (CA).
[42]
[43]
Lacroix c. Valois
,
[44] Violaine Belzile, i bid. , p. 96 et 97.
[45] Je ne peux m'empêcher de noter que la doctrine fait même remonter l'origine et l'évolution du concept de l'enrichissement injustifié à des précédents tirés de la jurisprudence d'equity anglaise. Voir : Maurice Tancelin, Des obligations en droit mixte du Québec , 7 e éd., Montréal, Wilson et Lafleur, 2009, p. 379, n o 539.
[46]
Kerr c. Baranow
,
[47]
Kerr c. Baranow
,
[48] Id. , paragr. 62.