Teamsters Québec, section locale 1999 et Aliments Excel, s.e.c., Groupe Exceldor (Denise Bélizaire) |
2015 QCTA 304 |
CANADA PROVINCE DE QUEBEC DISTRICT DE QUÉBEC |
ARBITRE DE GRIEFS (Code du travail du Québec) |
N o de dépôt : 2015-2722
Teamsters Québec, local 1999,
9393 rue Édison, bureau 100,
Anjou, Qc.
H1J 1T4
ci-après appelée : le Syndicat
et
Les Aliments Excel, S.E.C.
Groupe Exceldor,
1081 rue Parent,
St-Bruno de Montarville,
Qc, J3V 6L7
ci-après appelée : l’Employeur
Grief #79401 de Mme. Denise Bélizaire - Congédiement
N/D P-2015-639
DÉCISION ARBITRALE
——————————————————————————————
Me. Côme Poulin,
Avocat-Arbitre
Représentants des parties
—————————————————
Représentant de l’employeur : Me. Jean Houle,
Mme. Caroline Lebeau, CRH
M. Christian Paquin, superviseur à
la production
Représentant du syndicat : Me. Daniel Tremblay,
Mme. Denise Bélizaire,
Mme. Janine Bélizaire, sœur de la
travailleuse et traductrice
M. Gilbert Michetti, permanent syndical
M. Isidor Bafundisa, délégué syndical
Dès le début de l’audition, les parties font les admissions d’usage quant à la nomination et à la juridiction du soussigné pour entendre et décider du grief dont il est saisi sous réserve d’une objection patronale quant à la prescription du grief. Les parties conviennent de procéder sur le mérite du grief et comprennent que le soussigné ne rendra une décision sur l’objection préliminaire que s’il en vient à la conclusion que le grief doit être accueilli .
Le soussigné est saisi d’un grief portant la date du 9 juillet 2014 contestant un congédiement du 14 avril 2014 imposé à la travailleuse Denise Bélizaire par une lettre de l’employeur qui se lit comme suit :
« St-Bruno de Montarville, le 14 avril 2014
Denise Bélizaire […] Montréal-Nord, Québec […]
Objet : Fin d’emploi- Interdiction de travailler au Canada
Madame Bélizaire,
La présente est pour vous informer que nous devons procéder à votre fin d’emploi en date d’aujourd’hui étant donné le fait que vous n’êtes plus autorisée à travailler au Canada. En effet, après vérification auprès d’immigration Canada, nous avons appris que votre permis de travail était expiré depuis le 4 janvier dernier.
Depuis décembre dernier, nous avions communiqué avec vous à plusieurs reprises pour vous informer que votre permis de travail venait à échéance sous peu et que vous deviez faire des démarches auprès d’immigration Canada pour le renouveler. Vous nous aviez fait parvenir un document en date du 12 janvier 2014 mentionnant que vous l’aviez payé. Toutefois, le 1 ier avril dernier, nous avons dû communiquer avec Immigration Canada pour connaitre le statut de votre dossier puisque vous n’aviez toujours pas fourni une copie de votre permis de travail. C’est à ce moment que nous avons appris qu’Immigration Canada avait reçu votre demande de renouvellement seulement le 12 mars 2014.
Vous recevrez dans les prochains jours tous les documents reliés à votre fin d’emploi et ce, à la dernière adresse officielle que nous possédons dans votre dossier.
Si vous désirez récupérer certains effets personnels dans votre casier, nous vous invitons à le faire dans un délai de 48 heures suivant la réception de ce document. De plus, vous devez nous remettre la clé ainsi que votre carte de poinçon sans quoi, nous vous chargerons le prix des articles manquants sur votre dernière paye tel que discuté lors de votre entrée en poste.
Caroline Lebeau Conseillère principale, Ressources humaines
c.c. Dossier de l’employé Service de la paye Syndicat |
Voici donc un court historique de ce qui s’est passé.
Mi-décembre 2013 : Christian Paquin, superviseur, à la demande des ressources humaines, avise la travailleuse que son permis de travail expire le 4 janvier 2014, il lui dit que l’employeur désire avoir une copie de son nouveau permis immédiatement. La travailleuse lui répond : Je l’ai et je vais l’apporter prochainement.
4 janvier 2014 : Expiration du permis tel que l’on peut voir à la pièce S-7.
13 janvier 2014 : La COMMISSION CITOYENNETÉ ET IMMIGRATION CANADA
( ci-après CIC) reçoit la demande de nouveau permis que la travailleuse lui a transmise.
24 février 2014 : tel qu’il appert de la pièce S-6, une lettre émanant de CIC, cette dernière informe la travailleuse que sa demande reçue le 13 janvier 2014 est irrecevable parce que incomplète et parce que le montant des frais payés est insuffisant et qu’elle lui retourne le tout pour qu’elle recommence. Notons que la demande de renouvellement de permis, aurait, selon la pièce S-4, vraisemblablement été postée le 6 janvier 2014, soit après que la travailleuse ait payé ce qu’elle croyait être les droits exigibles de 150,00$ auprès de la banque Toronto Dominion, le 6 janvier 2014. (pièce E-2)
Mi-mars 2014 : à la demande des ressources humaines, M. Paquin relance la travailleuse qui ne comprend pas le sens du terme échu. Elle demande donc à sa sœur de venir procéder à la traduction en créole. M. Paquin explique la nécessité du permis parce que l’autre est échu depuis le 4 janvier, la travailleuse lui dit qu’elle aura le permis le lundi suivant.
Le 1 ier avril 2014 : la travailleuse apporte les documents produit sous E-2 à savoir une information servant à identifier la travailleuse et un reçu de la banque TD, attestant que Mme. a déposé 150,$ à l’acquis de CIC. Notons au passage que les droits requis n’étaient non pas de 150,00$ mais de 155,00$.
Les gens des ressources humaines ne peuvent considérer E-2 comme un permis et à raison. Stéphanie des RH tente donc de rejoindre CIC qui refuse de lui donner des informations puisque ces dossiers sont traités en toute confidentialité, ce qui est correct. Stéphanie organise donc une rencontre dans son bureau où sont présents la travailleuse, sa sœur qui possède mieux la langue française qu’elle, Christian Paquin, le superviseur et Stéphanie. Sur un téléphone main-libre, on appelle CIC qui dit que la demande faite par la travailleuse a été reçue chez-eux le 12 mars 2014 et qu’aucun permis n’a encore été émis à la date de l’appel.
Stéphanie avise alors la travailleuse qu’elle ne peut plus travailler et qu’elle doit quitter immédiatement, ce qu’elle refuse de faire. Puis, elle finit par comprendre que le permis est une nécessité et qu’elle ne peut plus travailler.
Notons que le nouveau permis ne sera émis que le 26 mai 2014.
On le verra plus tard, les tribunaux sont extrêmement sévères à l’endroit des étrangers qui viennent travailler ici sans permis de travail. On va même jusqu’à considérer qu’ils ne peuvent pas acquérir le statut de salarié ni de travailleur, de sorte qu’ils ne peuvent pas être couverts par la CSST.
Lorsqu’entendu dans sa propre cause, la travailleuse nous dira que M. Paquin ne l’a pas vu que deux fois, il lui a fait plusieurs rappels. En décembre 2013, il lui a demandé son nouveau permis et il est revenu à la charge le lendemain et ensuite presque à tous les jours. Elle nous dit qu’à cette époque, elle avait déjà fait sa demande pour un nouveau permis, ce que la preuve documentaire contredit.
La pièce E-2, elle l’a remise à M. Paquin mais ne se souvient pas quand. C’était son reçu de la poste. On l’a vu précédemment, E-2 est une attestation de la Banque TD du paiement de la somme de 150,00$ le 6 janvier et l’autre document est un reçu de caisse d’un établissement de Place Bourassa à Montréal où la travailleuse a vraisemblablement posté sa demande.
Lors de son témoignage, la travailleuse nous parle de la pièce S-4 dont un reçu de caisse du 5 janvier 2014, de Poste Canada de Place Bourassa à Montréal du 5 janvier 2014. Elle dit avoir remis ce document à M. Paquin mais ne se souvient pas davantage de la date. .S-4 va évidemment avec S-5 et la demande de modification des conditions de séjour au Canada auxquels sont joints les documents produits sous E-2 et à la page 5 de 5, on voit que la signature a été apposée le 7 mars 2014. Il s’agit donc de la pièce S-5 qui n’a pas celle qui a été envoyée en janvier mais en mars après le rejet de la première demande qui a été jugée irrecevable parce qu’incomplète.
Sous S-6, on a la réponse de CIC du 24 février 2014 dans laquelle on retourne à la travailleuse sa première demande parce qu’elle n’a pas rempli les questions aux pages 2 et 4 et parce qu’elle a joint 150,00$ de droits alors que le montant exigé était de 155,00$.
La travailleuse reconnait sous S-7 que son permis de travail a expiré le 4 janvier 2014 et reconnait que sa demande de renouvellement était postérieure au 4 janvier.
Dans le cadre de la preuve
syndicale, nous avons également entendu M. Isidore Bafundisa, délégué syndical
principal. À la demande de Me Tremblay, il a fait certaines vérifications
auprès de CIC pour apprendre que lorsqu’une personne fait une demande pour un
nouveau permis de travail avant la date d’expiration de son permis antérieur,
elle bénéficie du statut de résident temporaire et peut continuer de travailler
selon les mêmes termes et conditions de son permis antérieur. Ainsi, si la
travailleuse avait déposé sa demande de renouvellement de permis le ou avant le
4 janvier 2014, elle aurait bénéficié du statut de résident temporaire et
aurait pu continuer de travailler en toute légalité. Comme elle ne l’a pas
fait, elle est devenue une travailleuse illégale, ce qui l’exposait elle-même
et l’employeur a des pénalités pouvant atteindre jusqu’à 50 000,$ et deux
ans d’emprisonnement ou les deux à la fois, en vertu des articles
Le statut de résident temporaire
émane principalement de l’article
« L’étranger peut demander le renouvellement de son permis de travail si : a) d’une part, il en fait la demande avant l’expiration de son permis de travail; b) d’autre part, il s’est conformé aux conditions qui lui sont imposées à son entrée au Canada.» |
Comme on peut le constater, il faut, pour que le statut de résident temporaire soit attribué à un immigrant, que sa demande de renouvellement soit déposée avant l’expiration du permis antérieur, ce que la travailleuse n’a pas fait.
POSITION PATRONALE
Le procureur patronal nous réfère d’abord à la pièce S-8, qu’a produit le délégué syndical Bafundisa et précise que c’est exactement ce que prévoit le règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés mais qu’il faut que la demande de permis soit faite avant l’expiration du permis précédent. Si une telle demande est faite avant l’expiration, on l’a mentionné plus tôt, la travailleuse aurait pu continuer à travailler en toute légalité. Au surplus, la demande faite par la travailleuse en janvier 2014 était incomplète et a été considérée comme irrecevable par CIC.
La travailleuse savait que son permis expirait le 4 janvier 2014 car l’employeur, par M. Paquin lui avait rappelé. C’était sa responsabilité de maintenir son permis de travail actif, ce qu’elle n’a pas fait malgré le fait que l’employeur lui en a fait le rappel.
En déposant sa première demande de renouvellement après le 4 janvier 2014, la travailleuse venait de se fermer la porte elle-même à tout travail légal au Canada tant qu’elle n’aurait pas obtenu son nouveau permis qui n’a été émis qu’à la fin de mai 2014.
Le 24 février 2014, CIC avise la travailleuse que sa demande est irrecevable et il faudra deux autres semaines avant qu’une nouvelle demande soit déposée.
À la fin de mars, la travailleuse remet la pièce E-2 à l’employeur, soit un accusé réception et une attestation de paiement, elle ne remet pas la pièce S-5 dans laquelle l’employeur aurait su que sa demande de renouvellement avait été produite hors délai et qu’elle n’avait plus le droit de travailler. Lorsque le 31 mars ou le 1 ier avril, l’employeur a découvert le pot aux roses, il a immédiatement fait ce qu’il avait à faire, il a congédié la travailleuse qui était en illégalité comme travailleuse chez-lui.
La travailleuse n’a fait preuve d’aucune diligence et elle a été l’artisan de son propre malheur, elle a mis son emploi en jeu et l’a perdu.
Ce n’est qu’en tout début d’avril que l’employeur a connu l’entièreté de la situation et qu’il a pu agir en connaissance de cause.
C’est la travailleuse qui s’est elle-même disqualifiée de son emploi.
Il n’a pas le choix d’appliquer la convention et la loi et les règlements.
À compter du moment où elle n’a plus de permis, la travailleuse perd son statut face à l’immigration et ne peut pas travailler légalement et contraindre l’employeur à l’illégalité.
Le procureur nous réfère ensuite à certains articles précis de la loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et à certains articles également du règlement dont les articles 196, 200 et 201 qui s’appliquent exactement au cas que nous avons ici.
Il nous rappelle que les dispositions de la loi sont claires et ne souffrent pas d’interprétation, bien qu’elles soient très contraignantes.Il souligne que la loi n’a aucune ouverture à la pitié ou à la charité ou à des raisons humanitaires comme c’est le cas dans la loi sur les réfugiés.
La travailleuse n’a qu’elle-même à blâmer et il conclut au rejet du grief. Il souligne en fin d’argumentation que le grief a été soumis trois mois environ après la date de congédiement, ce qui est beaucoup plus long que le délai prévu à la convention collective pour formuler un grief.
POSITION SYNDICALE
.Pour le procureur syndical, le soussigné doit analyser les faits et le droit en ayant bien en tête les difficultés de la travailleuse à communiquer et à comprendre la langue française.
Il souligne que la travailleuse a même beaucoup de difficultés à comprendre sa propre situation.
Il souligne que la travailleuse a fait une demande probablement dans les délais, nous rappelant que le 4 janvier était un samedi, le 5 un dimanche et le 6, un lundi, que le permis expirait un samedi. Malheureusement, la demande était irrégulière et elle a été retournée.
Vu les circonstances, il dit reconsidérer la demande comme elle a été formulée avant l’expiration du permis même si ce nouveau permis a été émis que le 26 mai 2014.
Le procureur nous dit que je dois considérer le cas particulier de la travailleuse et faire droit au grief.
RÉPLIQUE PATRONALE
Pour le procureur, on ne peut prétendre que la demande était produite dans les délais alors qu’elle n’a été reçue par CIC que le 13 janvier 2014. La travailleuse a été tardive et a perdu son statut de travailleuse autorisée au Canada.
ANALYSE ET DÉCISION
La loi sur l’immigration et la
protection des réfugiés tout comme le règlement adoptée sur son empire sont
d’ordre public et tout contrat allant à leur rencontre est nul de nullité
absolue. Une personne étrangère qui ne détient pas de permis de travail au
Canada n’a pas le droit de travailler au Canada. J’attire votre attention à cet
effet sur une décision du juge Claude René Dumais dans une affaire de Saravia
Vs. 101 482 Canada Inc. (
J U D G M E N T Petitioner requests frorn the present Court acceptance of a motion to dismiss Respondent's principal action, for reasons, of being " frivolous or clearly unfounded, on a ground other than those provided in article 165", as set in article 75.1 of the Quebec Code of civil procedure.
Petitioner has examined Respondent under oath on discovery, and found that said Respondent was not even a landed immigrant in Canada. Therefore, it is urged upon this Court that section 18(1) of the Immigration Regulations, 1978, applies here, since Respondent is asking in his principal action for damages based on a wrongful dismissal. Said section reads as follows:
18 (1 " Subject to subsection 19 (1 ), no person, other than a Canadian citizen or permanent resident, shall engage or continue in employment in Canada without a valid and subsisting employment authorization."
If Petitioner is right in
his contention that a contract of employment with an illegal immigrant to
Canada is illegal , then section
On the other hand, said examination also shows that, at least for a while, the employer was aware of Respondent's situation, and tried to help him, by a letter, with the Immigration Department (p. 23 of transcript) , before his dismissal
(…)
More recently, the Honourable Louis Doiron, J.C.S., found illegal and null a contract of employment contravening the decree under the Loi sur les relations de travail dans l'industrie de la construction, stating with both doctrinal and jurisprudential arguments:
" La sanction s'attachant à la violation d'une loi d'ordre public est la nullité absolue."
Office de l a construction du Québec vs Corporation municipale de Paspébiac, 1980, C.S., 70 (p. 73).
This Court cannot find otherwise: the Immigration Act is a statute of public order, and a contract, knowingly or not, made in breach of one or many of its sections will be void and null. Such is the sanction clearly written in sections 13 and 14 of our Civil Code.
(…)
In the case of the present petition, an examination on discovery of Respondent has proven that said Respondent did wilfully enter into a contract of employment with Petitioner, while knowing that he could not do so as an illegal resident of Canada, without a permit to work.
It then becomes clear
that any action relating to this illegal contract of employment would be, in
the words of sec.
The petition is therefore maintained, and Plaintiff's here the Respondent, action is dismissed.
The whole with costs. |
Le commissaire André Bussières de
la CRT nous parle dans le même sens dans une affaire de Abdelhamid Seddikj Vs.
Les produits de viande cachère Ltée. (
Voici comment il s’exprime dans sa décision :
« I - LES PROCÉDURES :
[1] Il s’agit de deux plaintes soumises le 23
octobre 2000, l’une en vertu des articles 122.2 et
(…)
II - LA PREUVE :
[4] L’intimée exploite une boucherie et emploie à cette fin une vingtaine de personnes. Le plaignant est entré à son service le 5 janvier 1996. Celui-ci n’est pas citoyen canadien et n’a pas le statut d’immigrant reçu. Le 25 mai 2000, il est victime d’un accident de travail et présente une demande d’indemnisation à la CSST. En juin, la personne qui traite son dossier d’indemnisation lui demande de fournir une copie de son permis de travail. Il se rend alors compte que celui qu’il détient est expiré depuis le 2 octobre 1999 et qu’il a omis d’en demander le renouvellement. Suivant son témoignage, c’est au cours du mois de juin qu’il entreprend des démarches en vue d’obtenir le renouvellement de son permis. Le 25 septembre, la CSST refuse sa demande d’indemnisation pour le motif suivant :
«Afin de bénéficier de la protection accordée par la loi, vous devez être considéré comme un travailleur au sens de la loi.
Considérant que votre permis de travail était expiré depuis le 2 octobre 1999.
Considérant que votre accident de travail est survenu le 25 mai 2000.
Considérant que le nouveau permis de travail n’est valide qu’à compter du 30 août, nous ne pouvons donc vous considérer comme «travailleur» au sens de la loi, au moment de l’événement.»
[5] Le 29 novembre 2000, à l’étape de la révision administrative, la CSST rend la décision suivante (E-4) :
«Objet : Décision rendue à la suite d’une révision administrative
Le 20 octobre 2000, le travailleur demande la révision d’une décision rendue le 25 septembre 2000. Cette décision est à l’effet de refuser sa réclamation à titre de lésion professionnelle.
Le 25 mai 2000, le travailleur, qui est boucher, fait une chute sur le plancher avec un morceau de viande. Le travailleur consulte le lendemain de l’événement, et un diagnostic de dorso-lombalgie est posé. Le 31 mai 2000, le Dr Leibovici pose un diagnostic d’entorse dorsale.
Le travailleur, M. Abdelhamid Seddiki, n’ayant pas le statut d’immigrant reçu, la CSST lui demande de produire son permis de travail et le travailleur se rend alors compte que ce permis est échu depuis huit mois. Dans sa demande de révision datée du 20 octobre 2000, le travailleur fait valoir qu’une simple négligence ne devrait pas lui faire perdre ses droits, puisque depuis ce temps, il a obtenu un autre permis de travail.
La révision administrative retient les notes au dossier du 18 septembre 2000, qui confirment que selon Immigration Canada, le travailleur n’avait plus de permis de travail au moment de l’accident et que ce dernier est toujours en retard de plusieurs mois lorsque vient le temps de renouveler son permis de travail.
L’analyse des faits permet de retenir que le travailleur ne possédait pas de permis de travail valide depuis huit mois au moment de la survenance de l’accident de travail.
La révision administrative estime illégal un contrat de travail conclu entre des parties qui n’ont pas la capacité légale de contracter, tel un immigrant sans permis de travail.
Ainsi la réclamation soumise doit être rejetée parce que le contrat de travail qui lie les parties est dans son ensemble, nul et sans effet. Ainsi tout ce qui en découle, y compris un accident qui survient dans le cours de ce travail, ne peut donner ouverture à un recours en vertu de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (LATMP).
On ne peut par ailleurs, retenir l’argument d’un oubli passager, puisque les renseignements fournis par Immigration Canada confirment le contraire.
La révision administrative conclut que M. Abdelhamid Seddiki n’est pas un travailleur au sens de la loi, au moment de l’accident du 25 mai 2000, et qu’il ne peut bénéficier des indemnités prévues à la loi.
Si vous êtes en désaccord avec cette décision, vous pouvez la contester devant la Commission des lésions professionnelles dans les 45 jours suivant la réception de la présente lettre. Les adresses des bureaux régionaux de la Commission des lésions professionnelles sont inscrites à l’endos du formulaire de contestation ci-joint.»
(…)
III - LES MOTIFS ET LE DISPOSITIF :
[9] L’intimée a raison de prétendre que, pour la période du 2 octobre 1999 au 30 août 2000, et ce, même si le plaignant a dans les faits travaillé jusqu’au 25 mai, il n’y avait entre les parties aucun contrat de travail valide, en conséquence de quoi le plaignant, à la date de son congédiement, ne pouvait se prévaloir du recours prévu à l’article 124 de la loi, n’ayant pas le minimum de trois (3) ans de service continu requis.
[10] En effet, suivant une jurisprudence constante 1 , celui qui n’est ni citoyen canadien ni résidant permanent et n’a pas un permis de travail valide ne peut conclure un contrat de travail ou même «conserver un emploi» et, par voie de conséquence, «n’a pas droit à un salaire» , ce qui a pour effet de l’exclure de la définition de salarié prévue à la loi.
POUR CE MOTIF, LE COMMISSAIRE DU TRAVAIL :
DONNE ACTE au désistement de la plainte soumise en vertu des articles 122.2 et 123 de la loi (cas : CM-1009-7765).
REJETTE la plainte soumise en vertu de l’article 124 de la loi (Cas : CM-1009-7697).» |
En plus, le fait d’obtenir son
permis par la suite ne change rien à la situation. C’est au moment du congédiement qu’il faut se placer. On regarde à cet effet certains extraits d’une décision
du juge administratif André Bussières rendue le 15 août 2013 dans une affaire
de Élisabeth Reyes Avila et Aliments Alaska Inc. (
« [3] Lors de cette audience, la plaignante annonce d’entrée de jeu qu’elle se désiste de sa plainte soumise en vertu des articles 122 et 123 de la Loi. Pour sa part, l’intimée soulève comme moyens d’irrecevabilité que la plaignante n’était pas une salariée au sens de la Loi, parce qu’elle n’était ni citoyenne canadienne, ni résidente permanente, et n’avait aucun permis de travail valide, ce pourquoi, du reste, on a mis fin à son emploi, et qu’elle ne justifiait pas de deux années de service continu dans l’entreprise, la période au cours de laquelle elle y a travaillé par l’intermédiaire d’agences de placement ne devant pas être prise en considération, selon l’intimée toujours.
(…)
[5] La plaignante fait ses débuts dans l’entreprise le 8 mai 2009. Jusqu’au début du mois de février 2011, elle y travaille, de façon continue et exclusive, par l’intermédiaire de deux agences de placement auxquelles l’intimée a recours successivement. Le rôle de ces agences est limité au recrutement de salariés et au versement de leurs salaires. À tous égards, ceux-ci relèvent de représentants de l’intimée.
(…)
[9] Quelques jours après avoir reçu copie de cette décision de la CSST, alors que la plaignante a entrepris des démarches informelles en vue d’obtenir un autre emploi dans l’entreprise, l’intimée met fin à son emploi, au motif que son permis de travail est expiré.
(…)
[11] Prenant appui
sur la décision rendue dans l’affaire
Seddiki
c.
Glatt’s Kosher
Meat Products Ltd
,
[10] En effet, suivant une jurisprudence constante, celui qui n’est ni citoyen canadien ni résidant permanent et n’a pas un permis de travail valide ne peut conclure un contrat de travail ou même « conserver un emploi » et, par voie de conséquence, « n’a pas droit à un salaire », ce qui a pour effet de l’exclure de la définition de salarié prévue à la loi.
(…)
[15] Or, il tombe sous le sens que la Commission ne saurait ordonner à un employeur de contrevenir aux lois et règlements sur l’immigration en l’obligeant à reprendre à son service une personne qui n’est pas légalement autorisée à travailler au Canada. Et le fait que la plaignante ait obtenu un nouveau permis de travail depuis ne change rien à la donne. En effet, c’est au moment du congédiement qu’il faut se placer pour apprécier la cause mise de l’avant par l’intimée.
[16] Dans le contexte du recours exercé par la plaignante, le premier moyen d’irrecevabilité soulevé par l’intimée doit donc être accueilli. En cas contraire, il aurait de toute façon fallu conclure que l’intimée avait une cause juste et suffisante de congédiement. Vu cette conclusion, il n’est pas nécessaire de disposer du deuxième moyen d’irrecevabilité de l’intimée.
EN CONSÉQUENCE, la Commission des relations du travail DONNE acte au désistement de la plainte soumise en vertu des articles 122 et 123 de la Loi;
REJETTE la plainte soumise en vertu de l’article 124 de la Loi.» |
Enfin, précisons qu’une personne
qui ne possède pas de permis de travail n’a pas le droit d’occuper un emploi
durant la période où elle ne détient pas de permis. Conséquemment, cette
personne ne peut prétendre être un salarié au sens du Code du travail. C’est le
fait d’être un salarié qui donne droit d’occuper et de conserver un emploi et
qui donne ouverture à un recours pour recouvrer un emploi perdu. C’est ce qui
ressort d’une décision de l’arbitre Lise Tousignant dans une affaire de SCEP
section locale 224 et Prétium Inc. (
« ANALYSE ET DÉCISION
Il importe de
reproduire l'article
« 18. (1) Sous réserve des paragraphes 19.(1) à (2.2), il est interdit à quiconque, à l'exception d'un citoyen canadien ou d'un résident permanent, de prendre ou de conserver un emploi au Canada sans une autorisation d'emploi en cours de validité.
(2) Une personne titulaire d'une autorisation d'emploi en cours de validité ne peut conserver un emploi au Canada que si elle respecte toutes les conditions du permis. »
Des autorités déposées, il ressort que cette disposition fut déjà étudiée dans le contexte d'une action en dommages-intérêts intentée suite à un congédiement injustifié. 2 Dans cette affaire, l'honorable Claude René Dumais écrit :
« Of course, it is accepted by this Court that the Immigration Act, 1976 is of "public order", and cannot be modified by a contract between private parties, nor can it be overlooked by the Court.
[…]
More recently, the Honourable Louis Doiron J.C.S., found illegal and null a contract of employment contravening the decree under the Loi sur les relations du travail dans l'industrie de la construction, stating with both doctrinal and jurisprudential arguments :
« La sanction s'attachant à la violation d'une loi d'ordre public est la nullité absolue. »
This Court cannot find otherwise : the Immigration Act, 1976 is a statute of public order, and a contract, knowingly or not, made in breach of one or many of its sections will be void and null. Such is the sanction clearly written in section 13 and 14 of our Civil Code. »
Ces articles 13 et 14 sont maintenant les articles 8 et 9 et ce dernier mentionne que, dans l'exercice des droits civils, il ne peut être dérogé aux règles qui intéressent l'ordre public.
Cette notion d'ordre public a fait l'objet d'une étude très intéressante par l'honorable Louis Doiron dans l'affaire OFFICE DE LA CONSTRUCTION DU QUÉBEC 3 dont voici un extrait :
« Ce qu'il faut entendre par l'ordre public a été très bien exprimé par Jean-Louis Baudouin :
... La conception législative de l'ordre public comprend toutes les lois qui portent sur l'organisation de l'État, les lois administratives, les lois d'organisation et corporations professionnelles, les lois pénales, les lois du travail et aussi les lois créant des droits extrapatrimoniaux, notamment celles concernant le statut familial. »
La sanction s'attachant à la violation d'une loi d'ordre public est la nullité absolue. Sur ce point, Jean-Louis Baudouin s'exprime ainsi :
« ... Au contraire, la seconde, qui cherche à protéger l'intérêt public, doit être prononcée d'office par le juge, même si aucun des contractants ne l'a soulevée. Le juge est en effet gardien de la conformité du contrat à l'ordre et à l'intérêt public en général. La jurisprudence a eu maintes et maintes fois l'occasion de sanctionner cette règle. »
Trudel s'exprime dans le même sens :
« L'ordre public, terme générique de notre organisation politique, sociale, religieuse, judiciaire, ne tolère pas qu'on lui porte atteinte par des conventions privées. Les lois y pourvoient en édictant maintes prohibitions en ce but ; elles n'épuisent pas le sujet. La cause qui serait contraire à l'ordre public est juridiquement inexistante ; la société ne se combat pas elle-même. »
La Loi sur l'immigration étant d'ordre public, l'article 18.(1) du règlement étant clair, on y dit bien "de prendre ou de conserver un emploi", nous n'avons d'autre choix, vu la preuve, de nous rendre à l'évidence que monsieur n'avait pas le droit, à toute période pertinente visée par les litiges, d'occuper un emploi. Ce droit lui était nié par la loi laquelle est d'ordre public. Comme il n'avait pas ce droit, il est difficile pour lui de prétendre être un salarié visé par le Code du travail.
C'est le fait d'être en droit d'occuper ou de conserver un emploi qui donne ouverture à un recours pour recouvrer un emploi. À partir du moment où ce droit de départ n'existe pas, il est pour le moins difficile d'avoir le droit de le réclamer.
Nous sommes conscientes des implications pour monsieur mais la loi étant d'ordre public, nous ne pouvons passer outre. Concernant certains aspects relatifs aux Chartes, nous référons in extenso les parties à la décision de l'Honorable Claude René Dumais.
Pour ces motifs , l'objection à la recevabilité des griefs est accueillie, les griefs déclarés irrecevables et en conséquence rejetés.» |
On voit donc que les tribunaux sont très sévères à l’endroit d’une personne qui n’a pas le statut de travailleur autorisé à travailler au Canada.
La travailleuse s’est elle-même placée dans une situation d’illégalité en faisant preuve de négligence et elle a entrainé avec elle l’employeur dans cet état d’illégalité, notamment en ne lui produisant pas les documents qu’elle avait reçu de CIC, dont la pièce S-6, le rejet de sa demande initiale, maintenant l’ambiguïté jusqu’à ce qu’elle soit confronté à un appel conférence avec CIC en présence de l’employeur qui a alors appris quelle était sa situation réelle et qui n’avait plus d’autre choix que de la congédier.
Ces agissements, ces cachotteries ont en plus coupé le lien de confiance avec l’employeur.
Vu toutes ces circonstances de cette affaire, je ne saurais me permettre d’intervenir pour modifier la décision de l’employeur qui doit, lui-aussi, se conformer à des dispositions législatives et règlementaires claires nettes et précises.
En conséquence, le grief est rejeté.
Québec, le 16 mars 2015
Côme Poulin,
Avocat-Arbitre