Université Concordia et Syndicat des chargées et chargés de cours de l'éducation des adultes de l'Université Concordia (FNEEQ/CSN) (Corinna Langer) |
2015 QCTA 331 |
TRIBUNAL D’ARBITRAGE |
||||||
|
||||||
CANADA |
||||||
PROVINCE DE QUÉBEC |
||||||
No de dépôt : 2015-3441 |
||||||
Date : |
13 avril 2015 |
|||||
______________________________________________________________________ |
||||||
|
||||||
DEVANT L’ARBITRE : |
M e Jean-Pierre Lussier |
|||||
______________________________________________________________________ |
||||||
|
||||||
|
||||||
Université Concordia, |
||||||
« l’Université »
|
||||||
Et
|
||||||
Syndicat des chargé(e)s de cours de l’éducation des adultes de l’Université Concordia (FNEEQ/CSN), |
||||||
« le Syndicat » |
||||||
|
||||||
|
||||||
Grief numéro 28 de Corinna Langer Nature du litige : Réclamation d’un cours intensif d’anglais à la session d’automne 2012
|
|
|||||
|
||||||
|
|
|
||||
|
||||||
|
||||||
SENTENCE ARBITRALE |
||||||
______________________________________________________________________ |
||||||
|
||||||
[1] Le 4 décembre 2012, Corinna Langer déposait un grief pour contester la décision de l’Université de ne pas lui avoir attribué un cours intensif au programme d’anglais à la session d’automne 2012. Par son grief, outre que cette pratique cesse, elle réclame la rémunération et les autres bénéfices rattachés à un cours intensif au programme d’anglais et une pleine compensation pour ses autres dommages.
[2] L’Université a présenté une objection préliminaire alléguant prescription. À l’audience, j’ai décidé de la prendre sous réserve et d’en disposer en même temps que du fond.
[3] John Dickson est directeur adjoint au Centre de l’éducation permanente. Parmi ses responsabilités, il y a l’attribution des charges de travail au département d’anglais.
[4] Il explique qu’on affiche les charges de cours sur le site web avec un formulaire d’application qui doit être fourni avant une date limite, à savoir dix jours avant le début des cours. Lorsqu’on étudie les applications, on a une idée exacte du nombre de charges de cours à offrir en fonction des inscriptions des étudiants. On vérifie alors si on a suffisamment d’applications provenant de chargés de cours permanents pour combler les postes. On a aussi une idée du nombre de charges de cours à être comblées par des chargés de cours en probation. Et alors, en compagnie de Brenda Grant, Monsieur Dickson procède à faire l’exercice d’attribuer les charges.
[5] Monsieur Dickson ajoute qu’il y a huit niveaux de cours dans le programme d’anglais langue seconde. Pour chaque charge de cours, indépendamment du niveau, deux enseignants sont affectés, habituellement un pour 160 heures, et l’autre pour 100 heures. De façon générale, les enseignants possédant plus d’ancienneté se voient attribuer les charges de 160 heures et les moins anciens, celles de 100 heures. En outre, certaines charges de 100 heures ne sont pas attribuées parce qu’elles sont réservées pour les chargés de cours en probation. Les probationnaires, poursuit-il, doivent compléter avec succès trois sessions à des niveaux différents. Habituellement, ils débutent à un niveau intermédiaire faible, puis à un niveau élevé ou faible selon le cas. Cette pratique, dit-il, a été instaurée en 1999 sur la recommandation d’un conseiller pédagogique. Cet écrit (pièce S-4) se lisait ainsi :
‘’ Through my years of experience as a teacher consultant, I have come to realize that new teachers benefit greatly from teaching in elementary, intermediate, and advanced levels in the program to experience the range of activities, the rhythm of progression, and the demands of students across the programm. This broad understanding helps make better teachers and better partners.
A further benefit of introducing low, mid, and high levels within the probationary cycle is that new teachers have the opportunity to observe experienced teachers at work, can attend workshops, and can ask questions and receive support from the consultant while doing so.
Therefore, I strongly recommend that when assigning levels to teachers, priority be given to placing teachers on probation in a level appropriate to the completion of their training, whether it be beginners/elementary, intermediate, or advanced. The entire program - both teachers and students - will benefit.
I would be pleased to discuss my recommendation with you at any time. ”
[6] Bref, poursuit le témoin, après réservation des charges de 100 heures pour des chargés de cours en probation, on affecte les charges aux permanents par ordre d’ancienneté en fonction du nombre d’heures et du niveau souhaités, tel que mentionné à leur formulaire d’application.
[7] Après l’exercice d’attribution complété par Monsieur Dickson et Madame Grant, on en présente le résultat au ‘’Personnel Committee’’ . Ce comité regroupe cinq personnes. Outre John Dickson et Brenda Grant, on y retrouve trois autres membres, tous délégués par le Syndicat. Le comité est chargé de vérifier si l’affectation correspond aux exigences de la convention collective. Le comité examine l’ensemble des formulaires d’application, la liste des cours à offrir et les deux noms d’enseignants retenus pour chacun des cours de chaque niveau. Dans le cas de Madame Langer, en novembre 2012, il y a eu une discussion pour savoir si on lui offrait ou non une charge de cours. Son formulaire d’application indiquait qu’elle souhaitait enseigner 100 heures, avec quatre choix de préférence pour les niveaux, à savoir, dans l’ordre : ‘’Elementary 1’’, ‘’Beginners 2’’, ‘’Beginners 1’’ et ‘’Elementary 2’’ . À la section correspondant à l’enseignement en compagnie d’un membre de l’exécutif syndical, Madame Langer avait répondu ne pas vouloir être jumelée avec un officier syndical. Sa réponse était : ‘’No’’ . Par contre, à la question ‘’If yes, with whom do you wish to teach’’ , le nom de Mary Lee Wholey apparaissait.
[8] Finalement, le comité a attribué à Madame Langer le niveau ‘’Beginners 2’’ , pour 100 heures. Et elle était jumelée à Mary Lee Wholey qui avait été assignée pour 160 heures.
[9] Monsieur Dickson explique que pour son premier choix de niveau ( ‘’Elementary 1’’ ), les deux charges de 100 heures étaient réservées à des chargés de cours en probation. Pour son troisième choix ( ‘’Beginners 1 ’’), aucun cours n’était offert. Et pour son quatrième et dernier choix indiqué sur son formulaire ( ‘’Elementary 2 ’’), les quatre charges de 100 heures avaient aussi été réservées pour des chargés de cours en probation. Il ne restait donc que son deuxième choix de niveau disponible et la charge jumelée à celle de Mary Lee Wholey. Le comité a donc choisi de lui offrir cette charge, même s’il n’était pas clair, selon son formulaire d’application, si Madame Langer acceptait de travailler avec Mary Lee Wholey.
[10] Après l’attribution, on en avise les chargés de cours. Si l’un ou plusieurs refusent, ou si de nouveaux groupes-cours s’ajoutent à la dernière minute, il y a une réaffectation, mais celle-ci se fait seulement pour hausser le nombre d’heures assignées et non pour le choix de niveau.
[11] Brenda Grant détient, depuis février 2012, le poste de ‘’Administrator Curriculum Development ’’ et elle a pris part au comité du personnel à l’automne 2012. Elle corrobore le témoignage de John Dickson sur la méthode d’attribution des charges de cours.
[12] Au sujet des sections réservées pour les chargés de cours en probation, elle évoque une pratique existante depuis 1999, époque où elle-même était présidente du Syndicat et avait reçu une copie écrite de la recommandation du conseiller pédagogique.
[13] Madame Grant explique aussi que les membres du ‘’Personnel Committee ’’ désignés par le Syndicat reçoivent les formulaires d’application avant la réunion du comité. Elle se souvient que l’une d’elles, Carol Hawthorne, avait communiqué avec Madame Langer, parce que, sur son formulaire, cette dernière n’avait pas offert de choix pour les niveaux intermédiaires ou avancés. Pour les niveaux ‘’Elementary’’ 1 et 2, les charges de cours de 100 heures avaient toutes été réservées pour des chargés de cours en probation.
[14] Après que Madame Langer eut refusé la charge de cours qu’on lui avait offerte, elle a écrit au comité du personnel. Son courriel (pièce U-2) se lisait ainsi :
‘’ Dear Personnel Committee,
I am writing to you out of a grave concern that I was treated unfairly during the course assignment process for this current fall term, 2012.
I asked for a one-hundred hour contract at levels B1, B2, E1, E2, and said I did NOT wish to teach with a union member. I was only offered a choice I did not ask for, i.e. to teach B2 WITH the union president. I was unable to accept the course offer for scheduling reasons, which is exactly why I had clearly stated on my preference sheet that I did not wish to teach with a union member.
The current list of teaching assignments indicates to me, that, based on my position on the seniority list and the number of course sections at the levels I requested, I should have been offered one of my level choices, specifically E1 or E2, and had my preference NOT to teach with a union member respected. I believe this situation has resulted in a loss of income and in a loss of seniority points for me.
In order to clarify and rectify the situation, I would appreciate a response from you as soon as possible.
I look forward to hearing from you soon.
Best regards.
Corinna Langer ’’
[15] Et le comité lui a répondu par le courriel suivant (pièce U-3):
‘’Montreal 15 November 2012
Dear Corinna,
A previous version of this message was inadvertently sent out without Brenda Grant as a signatory.
The Personnel Committee has met to consider your query. By way of response, we have reviewed the assignment and conclude that the Fall 2012 English department course assignment was made in accordance with the Collective Agreement. The assignment respected seniority and the choices of level you indicated on your preference form. The afternoon assignment in E1 and E2 were reserved for instructors on their first probation, in conformity with the Collective Agreement and longstanding practice in the English department.
We note that you only asked for four levels and this was confirmed in correspondence with a member of the Personnel Committee on September 4, 2012. As a result, as an alternative to offering you no hours, you were offered Beginners 2 with a Union officer as a partner. We recognize that you declined because of scheduling issues.
With respect to level choices, as a general rule, we would strongly advise you (and all instructors) to indicate as many levels as possible on your preference form in order to ensure that you receive a teaching assignment. It commonly occurs that instructors are not offered a level from among their first four choices, even in cases of instructors with considerable seniority.
We trust that this addresses your concerns.
Sincerely,
The Personnel Committee
Carol Hawthorne
Perry Shearwood
Della Yaxley
John Dickson
Brenda Grant ’’
[16] Mary Lee Wholey est enseignante et présidente du Syndicat. Elle témoigne à l’effet que vers la fin octobre 2012, elle a reçu un courriel émanant d’une enseignante insatisfaite du niveau qui lui avait été attribué par le comité du personnel. Lors d’une rencontre subséquente du comité des relations de travail (« CRT »), Madame Wholey a demandé s’il y avait eu des problèmes lors de l’assignation des tâches et on lui a répondu que la convention collective avait été respectée.
[17] Le problème, poursuit le témoin, concernait les enseignants en probation. Ce qui n’était pas clair, c’était s’il fallait leur réserver des assignations avant ou après avoir attribué aux plus anciens le nombre d’heures et le niveau souhaités. Il y a eu, au début novembre, une assemblée générale du Syndicat au cours de laquelle plusieurs enseignants ont exprimé leur insatisfaction avec la méthode d’assignation et notamment avec le fait qu’un d’entre eux (Madame Langer) n’avait reçu aucune assignation. Madame Wholey a alors dit qu’elle examinerait l’assignation en utilisant la liste d’ancienneté et les formulaires que les enseignants avaient complétés.
[18] Par la suite, elle a fait l’exercice, d’une part en réservant des assignations pour les probationnaires et, d’autre part, sans faire ces réservations. Elle ajoute qu’ayant elle-même fait partie du ‘’Personnel Committee ’’ pendant huit ans - en plus d’y avoir à l’occasion remplacé des membres absents -, elle était au courant du protocole à propos des probationnaires. Elle a donc procédé en considérant d’abord la liste d’ancienneté. Et, selon le scénario où aucune réservation de tâches n’aurait été faite pour les enseignants en probation, Corinna Langer aurait obtenu son premier choix. Selon le second scénario, si on avait effectué les réservations de tâches pour les enseignants en probation avant d’avoir affecté les enseignants réguliers, Madame Langer aurait obtenu son quatrième choix, une tâche en Elementary 2 (celle qui avait été réservée à un enseignant en probation).
[19] Deux griefs ont été déposés par la suite. L’un, au nom de Madame Langer et l’autre, par le Syndicat. En contre-interrogatoire, Madame Wholey répond que dans son exercice d’assignation, quatre enseignants en probation auraient été assignés dans le groupe Advance 1 , quatre autres dans Intermediate 2 , un dans Intermediate 1 et un autre dans Elementary 2.
[20] Corinna Langer , la plaignante, est enseignante. Quand elle a rempli son formulaire, elle a indiqué sa disponibilité pour 100 heures, mais elle refusait d’être jumelée à un officier syndical, car il était accepté, au département, que le jumelage impliquait la disponibilité pour remplacer l’officier syndical durant ses absences pour activités syndicales. À cause de ses tâches d’enseignement ailleurs et dans d’autres départements, Madame Langer ne pouvait enseigner plus que les 100 heures qu’elle postulait. À la ligne suivante du formulaire informatisé, le nom de Mary Lee Wholey apparaissait déjà. Madame Langer a tenté, sans succès, d’enlever le nom. Mais sa réponse négative à la question précédente (« Acceptez-vous d’enseigner avec un officier syndical ») lui semblait suffisamment explicite pour que cela ne cause pas problème.
[21] Le 13 septembre 2012, à son retour à la maison, Madame Langer avait deux messages téléphoniques; l’un provenait de Carol Hawthorne, membre du Personnel Committee , qui lui offrait le niveau Beginners 2 en compagnie de Madame Wholey. L’autre provenait de cette dernière qui la prévenait qu’elle s’absenterait pour au moins 35 heures et aurait besoin de se faire remplacer.
[22] Le même jour, Madame Langer a donc envoyé un courriel à Madame Grant à l’effet qu’elle ne pouvait accepter l’assignation offerte. Déçue, elle accepta cependant par la suite de se rendre disponible pour des remplacements et elle en a obtenu pour environ 21 heures durant le trimestre. Par ailleurs, elle a discuté avec des collègues, à la mi-octobre, à propos de l’assignation. Plusieurs étaient mécontents, parce qu’on leur avait attribué leur dernier ou avant-dernier choix et ils voulaient organiser une rencontre qui a éventuellement eu lieu le 17 ou 18 octobre. Lors de cette rencontre, le mécontentement provenait du fait qu’on leur avait expliqué leur assignation par le fait que le niveau qu’ils avaient préféré avait été réservé à des enseignants en probation. Après cette rencontre, une lettre a été envoyée au Syndicat et il y eut une assemblée syndicale convoquée pour le 8 novembre. Madame Langer n’y a pas assisté, mais elle a réalisé que son cas était différent des autres, en ce que pour elle, qui n’avait obtenu aucune assignation, son revenu salarial et son ancienneté en étaient affectés. Après avoir contacté Madame Grant et compris que son seul recours était un grief, elle a vu Madame Wholey le 20 novembre et il fut décidé qu’un grief serait déposé en son nom.
[23] Réentendu à l’occasion de la preuve patronale, John Dickson mentionne qu’à la vue du formulaire de Madame Langer - outre le fait que le nom de Mary Lee Wholey y apparaissait même si la plaignante refusait de travailler avec un officier syndical -, il a été frappé par deux autres choses: Madame Langer n’avait donné de préférences que pour deux niveaux ( Beginners et Elementary ), alors que les enseignants sont formés pour les tâches des quatre niveaux. Également, elle n’avait fourni aucune explication supplémentaire dans l’espace réservé à cette fin, au bas du formulaire. Si, dit-il, il avait reçu une communication de sa part, on aurait pu faire quelque chose, parce qu’il y a eu deux contrats de tutorat accordés au niveau Beginners 1 , ce qui aurait permis que Madame Wholey soit remplacée par un des deux titulaires de cette assignation, plutôt que par Madame Langer.
[24] Monsieur Dickson ajoute que ce trimestre était exceptionnel, car c’était la première fois qu’il fallait réserver dix assignations à des probationnaires. Il devenait évident que les enseignants réguliers, de ce fait, n’allaient pas être satisfaits de leur assignation. En revanche, tous les enseignants réguliers se sont vu offrir le nombre d’heures qu’ils avaient privilégié sur leur formulaire d’application.
[25] Commentant l’exercice effectué par Madame Wholey, il mentionne que le Personnel Committee a toujours procédé de la même façon, en considérant d’abord l’ancienneté, le nombre d’heures souhaité et enfin, le niveau souhaité. Quant aux enseignants en probation, ils sont suivis par un enseignant (non un cadre) détenant un contrat de consultant à cet effet. C’est cet enseignant qui fait rapport et suggère le niveau où les enseignants en probation doivent être assignés.
[26] Le Syndicat allègue que les assignations sont faites par le comité du personnel, un comité paritaire, mais ne provenant pas d’une instance syndicale. L’assignation doit respecter les règles énoncées à 14.06 de la convention collective, à savoir l’ancienneté, le nombre d’heures et le niveau souhaités. Nulle part la convention collective ne stipule qu’on peut bloquer des assignations en faveur de chargés de cours en probation. De plus, le témoignage de Madame Wholey démontre que, même en bloquant des assignations pour des probationnaires, il aurait été possible d’attribuer à la plaignante un de ses choix.
[27] L’Université plaide qu’il n’y a eu aucune violation de la convention collective. On a accordé à la plaignante une assignation et d’autre part, le grief de cette dernière est prescrit. Pour ce qui est de la prescription, la convention collective prévoit un délai de prescription de 60 jours de la connaissance du fait pour déposer un grief. En l’espèce, la plaignante connaissait les faits à l’origine de son grief dès le 13 septembre 2012 et le grief est daté du 4 décembre 2012. Sur le fond, outre le fait que la plaignante a reçu une assignation, l’Université ajoute que la méthode d’attribution respectait la convention collective et elle soutient qu’on peut opposer une fin de non-recevoir au Syndicat bien au courant d’une pratique appliquée de façon consciente et constante depuis plusieurs années.
[28] Les faits du litige sont simples. On a attribué une assignation de cours à Madame Langer en septembre 2012, assignation qu’elle a refusée parce qu’elle ne correspondait pas aux préférences qu’elle avait exprimées. Ses préférences n’ont pas pu être respectées parce que le comité du personnel avait réservé certaines assignations à des chargés de cours en probation.
[29] Avant de se pencher sur le fond du litige, il importe de débattre de l’objection de prescription. Une telle objection est de nature juridictionnelle. Si elle est accueillie, il n’y a évidemment pas matière à discuter du fond.
[30] La clause pertinente en matière de prescription est 8.05. Elle se lit ainsi:
« ARTICLE 8 PROCÉDURE DE RÈGLEMENT DE GRIEFS ET ARBITRAGE
(…)
8.05 Les parties conviennent de se conformer à la procédure suivante pour tenter de régler les griefs :
Le grief est déposé par écrit à la direction du Centre avec copie à la personne responsable du département et copie au service des ressources humaines (unité des relations avec le personnel et relations de travail) dans les soixante (60) jours de la connaissance du fait sans dépasser six (6) mois de l’occurrence du fait.
Dans les vingt et un (21) jours suivant la réception du grief, une réponse écrite est rendue avec copie au Syndicat. »
[31] Le délai de prescription est donc de 60 jours de la connaissance du fait, sans dépasser six mois de son occurrence. Or, la preuve démontre que Madame Langer a su le 13 septembre 2012 qu’on lui avait octroyé une assignation ne correspondant pas à ses choix, assignation qu’elle a refusée en envoyant un courriel à Madame Grant. L’affichage de l’exercice d’attribution a été complété le 17 septembre 2012, de sorte qu’aussi bien elle-même que le Syndicat savaient, au plus tard à cette date, qu’on avait octroyé des assignations correspondant aux préférences exprimées par elle à des chargés de cours en probation plutôt qu’à elle.
[32] En somme, dès le 17 septembre 2012 au plus tard, les faits à l’origine du grief étaient connus. Pour respecter les exigences de 8.05, il fallait donc déposer le grief le ou avant le 16 novembre 2012. Il ne le fut que le 4 décembre 2012. Il y avait donc prescription apparente.
[33] Je note que la convention collective ne contient pas de clause stipulant que les délais de prescription sont de rigueur. Est-ce à dire que ceux-ci ne sont exposés qu’à titre indicatif? Les parties se sont contentées d’affirmer qu’elles « conviennent de se conformer à la procédure… ». On s’est ensuite exprimé en utilisant l’indicatif (« le grief est déposé à la direction (…) dans les 60 jours de la connaissance du fait (…) » sans recourir au verbe « devoir » (« le grief doit être déposé … »). Si on avait recouru au verbe « devoir », il aurait été plus facile de conclure que les délais étaient obligatoires et pouvaient entrainer le rejet du grief.
[34] Avec la procureure de l’Université, je conviens que si ces délais n’emportent pas déchéance, on pourrait conclure que les parties ont parlé pour dire peu de choses. Je me dispense cependant de faire une analyse plus poussée, car même si j’arrivais à la conclusion que les délais de prescription sont indicatifs et non impératifs, je crois néanmoins que le grief devrait être rejeté en fonction de la théorie de l’estoppel ou de la fin de non-recevoir. Je m’explique.
[35] La preuve est claire à l’effet que, depuis 1999, une pratique existe suite à la recommandation d’un conseiller pédagogique. Cette pratique est à l’effet de réserver des assignations à des chargés de cours en probation en fonction du niveau nécessaire à la complétion de leur probation. Aussi bien Monsieur Dickson que Mesdames Grant et Wholey étaient conscients de cette pratique appliquée de façon constante et consciente par le comité du personnel.
[36] À l’automne 2012, le comité du personnel a donc procédé comme on le faisait à chaque session depuis au moins une douzaine d’années. Le problème concernant Madame Langer s’est produit, parce que c’était la première fois qu’un aussi grand nombre d’assignations avaient été réservées pour des chargés de cours en probation. Mais personne n’a nié que la pratique de réserver des assignations aux probationnaires existait depuis 1999.
[37] Or, de deux choses l’une : ou bien cette pratique était compatible avec la méthode d’assignation prévue à la convention collective, ou bien elle ne l’était pas. Mais, quelle que soit l’alternative retenue, l’Université était fondée à invoquer qu’on devait rejeter le grief. Si la méthode d’assignation était compatible avec la clause 14.06, le grief est mal fondé. Si la méthode résultant d’une pratique constante et consciente ne respectait pas intégralement la clause 14.06, l’Université était fondée à prétendre que cette pratique passée avait généré, chez elle, une croyance raisonnable qu’elle respectait l’interprétation que les parties se faisaient de la convention collective.
[38] À ce sujet, je partage entièrement les vues exprimées par ma collègue, M e Nathalie Faucher, dans une décision récente [1] . Elle s’exprimait ainsi :
[87] Il est reconnu que la partie qui, de son propre fait, par sa conduite, ses paroles et même son silence induit l’autre partie à croire qu’une disposition de la convention collective ne sera pas appliquée ou le sera d’une façon spécifique et qui, ultérieurement, réclame une tout autre application causant ainsi un préjudice à la partie qui s’est fiée aux représentations initiales, pourra se voir opposer une défense d’estoppel. L’auteure Louise Verschenden ( sic ) a écrit à ce sujet ce qui suit :
‘’L’une ou l’autre des parties peut, par son comportement ou sa tolérance, inciter l’autre à croire qu’elle n’exigerait pas l’application stricte des termes de la convention collective amenant ainsi l’autre partie à modifier sa position juridique de telle sorte qu’une application stricte des termes de la convention se ferait au préjudice de cette dernière. Ce principe protège la partie qui s’est fiée de bonne foi aux représentations de l’autre d’en subir par la suite une iniquité’’
(…)
[94] La pratique comme quoi les parties ne suivaient pas les exigences de la clause 5.03 dans les cas de prolongation de périodes probatoires a donc été établie. Il est manifeste que pendant toutes ces années, l’employeur n’a pas suivi les prescriptions pourtant limpides de la convention collective.
(…)
[97] Ces faits témoignent que le syndicat avait ainsi acquiescé à la procédure adoptée par l’employeur et renoncé à exiger l’application de la clause 5.03 lors de la prolongation d’une période de probation. L’employeur était donc en droit de croire que le syndicat avait, par son silence et son comportement, renoncé à l’application de cette clause.
[98] Exiger soudainement le respect de cette procédure entraîne un préjudice certain pour l’employeur qui de bonne foi a agi comme il l’a toujours fait dans des circonstances similaires. (…).
(Référence de note de bas de page et note de bas de page retirées du texte)
[39] Comme l’écrivait ma collègue, même si le Syndicat avait raison en plaidant que la méthode d’attribution ne respectait pas la convention collective, il n’en demeure pas moins que l’Université pouvait de bonne foi tenir pour acquis que réserver des assignations aux probationnaires avant de procéder à l’attribution des assignations aux enseignants réguliers était une procédure acceptée et agréée par le Syndicat. Il serait donc inéquitable d’accueillir un grief contestant une attribution conforme à cette procédure appliquée uniformément et consciemment par le comité du personnel depuis 1999.
PAR CES MOTIFS , l’arbitre :
[40] REJETTE le grief numéro 28 de Corinna Langer.
Jean-Pierre Lussier, arbitre
Avocat et membre du Barreau du Québec
Pour le Syndicat : |
M . Yanick Charbonneau
|
Pour l’Employeur : |
M e Virginie Vigeant |
Dates d’audience : |
18 novembre 2014, 2 décembre 2014
|
Réception des notes syndicales : Réception des notes patronales : Réception d’une réplique syndicale : |
20 janvier 2015 26 février 2015 25 mars 2015 |
Date de la décision : |
13 avril 2015 |
[1]
Syndicat des paramédics et du préhospitalier de la Montérégie
(CSN) -et- Coopérative des techniciens ambulanciers de la Montérégie (grief
Dominik Thibeault)
, décision de M
e
Nathalie Faucher du 14
décembre 2011, rapportée à