Syndicat des salariés de Dubé et Loiselle (CSD) et Dubé et Loiselle inc. (Réjean Paquin) |
2015 QCTA 361 |
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TRIBUNAL D’ARBITRAGE |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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NO. DE DÉPÔT : 2015-4019
DATE : 5 mai 2015 ________________________________________________________________________
DEVANT L’ARBITRE : Me HUGUETTE APRIL ________________________________________________________________________
SYNDICAT DES SALARIÉS DE DUBÉ ET LOISELLE (C.S.D.) « le Syndicat » ET
DUBÉ ET LOISELLE INC. « l’Employeur » |
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GRIEF : congédiement de M. Réjean Paquin
NATURE DU LITIGE : Demande de récusation
CONVENTION COLLECTIVE 2009-2015 |
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DÉCISION SUR UNE DEMANDE DE RÉCUSATION
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CONTEXTE DE LA DEMANDE DE RÉCUSATION
[1]
La soussignée a reçu le mandat du ministère du
Travail à la suite d’une décision de la Commission des relations du travail du
25 avril 2014 rendue en vertu de l’article
[2] Lors de la première journée d’audience, le 26 septembre 2014, une requête pour précisions a été formulée par le Syndicat et une sentence interlocutoire a été rendue le 9 novembre, ordonnant à l’Employeur de fournir par écrit un certain nombre de précisions [1] .
[3] Six jours d’audience ont été prévus, dont la première devant avoir lieu le 16 janvier 2015.
[4] Le 19 décembre 2014, le procureur du Syndicat informe le procureur de l’Employeur qu’il appert que la preuve découlant de la filature et de la surveillance effectuée le 9 juin 2012 a été obtenue illégalement et annonce son intention de s’opposer à toute preuve découlant de la surveillance, laquelle est à l’origine du congédiement de M. Paquin.
[5] Il a été convenu entre les parties de débattre de cette question, à savoir de déterminer si la preuve découlant de la surveillance, de la filature et des observations effectuées auprès de M. Paquin, est admissible selon l’état du droit. Il a été convenu dans ce cadre de demander à l’arbitre une décision écrite en relation avec cette question.
[6]
Les dates du 6 et 12 février 2015 ont été réservées
pour l’administration de la preuve et la présentation des arguments concernant
ce moyen portant notamment sur l’article
[7] Avant le 6 février, une conférence téléphonique de gestion d’instance a eu lieu, les parties voulant s’assurer que la question serait prise en délibéré au moins à la fin de la deuxième journée prévue à cet effet. À la fin de la journée du 6 février, il a été convenu de débuter plus tôt le 12 février et d’écourter la période du lunch, et ce, toujours dans le but d’atteindre l’objectif visé.
[8] Comme prévu le 12 février, l’Employeur a commencé la journée en faisant témoigner Mme Caroline Leblanc, directrice du Service des ressources humaines et représentante de l’Employeur dans ce dossier. Lors du contre-interrogatoire, le procureur du Syndicat a demandé au témoin si elle avait pris des notes de ce qui lui a été rapporté par M. Théoret et M. Brunelle le 17 mai. Elle a répondu par l’affirmative. Le procureur a alors demandé la production de ces notes, et comme elle ne les avait pas avec elle à l’audience, il a demandé d’ajourner afin que ces notes soient produites.
[9] Le procureur de l’Employeur s’est opposé et après une brève argumentation assez vive, j’ai conclu que madame n’avait pas à produire ses notes manuscrites, décision qui n’a manifestement pas plu au Syndicat, lequel a demandé une pause. Au retour, il a été demandé que je rende une décision écrite motivée et ce faisant de mettre fin à la présente audience.
[10] Il a de plus requis pour ne pas dire sommer que j’ordonne à Mme Leblanc de conserver les notes du 17 mai concernant les échanges avec M. Théoret et M. Brunelle jusqu’à nouvel ordre, laissant entendre à mots à peine couverts qu’il entendait aller en révision judiciaire de la décision. Une telle ordonnance a été formulée verbalement à madame Leblanc sans ajouter dans le ton utilisé au climat déjà fort tendu. Le procureur de l’Employeur ne s’est pas opposé à cette demande.
[11] Le 13 février dans un courriel, le procureur du Syndicat demandait à la soussignée de se récuser. Copie de ce courriel a été envoyé au procureur de l’Employeur lequel dans l’heure suivante a contesté cette demande et a indiqué que sa cliente voulait connaître les motifs et entendait contester cette demande.
[12] Le 18 février, le procureur du Syndicat réitérait sa demande que je me récuse sur une base volontaire et indiquait que s’il fallait débattre de cette question, il proposait une date pour tenir une audience. Le même jour, le procureur de l’Employeur réitérait également la demande de sa cliente d’être entendue sur cette demande qu’elle estime non fondée.
[13]
Une date d’audience a été fixée
au 9 avril afin que les parties puissent exposer
leu
r
s preuve, représentations et autorités sur le sujet avant
de me prononcer sur cette requête.
[14] La présente décision ne portera que sur la demande de récusation.
LA PREUVE
[15] La preuve est essentiellement documentaire. Ont ainsi été déposés les documents suivants :
· Un courriel daté du 13 février (7 h 59) du procureur du Syndicat, envoyé à l’arbitre, copie au procureur de l’Employeur, dans lequel il lui demande de se récuser, et ce, après consultation de ses clients et pour éviter comme exigé le 12 février qu’elle rende une décision écrite et motivée sur le dépôt des notes personnelles de Mme Leblanc. Il mentionne que si nécessaire, il est prêt à étayer les détails et raisons justifiant cette demande (R-1);
· Un courriel daté du 13 février (8 h 57) du procureur de l’Employeur envoyé au procureur du Syndicat, avec copie à l’arbitre, l’informant que sa cliente conteste cette demande en ignorant même les motifs. Elle demande d’être entendue sur cette requête qui lui apparaît abusive dans les circonstances (R-2);
· La lettre du 18 février du procureur du Syndicat à l’arbitre réitérant la demande de récusation formulée le 13 février et proposant une date pour procéder à une audience pour débattre de cette demande (R-3);
· La lettre du 18 février du procureur de l’Employeur au procureur du Syndicat, copie à l’arbitre, dans laquelle il prend note que le Syndicat persiste à demander à l’arbitre de se récuser sur une base volontaire, ce qui lui apparaît hors norme et cause préjudice aux droits de sa cliente à une juste représentation. Il réitère la volonté de sa cliente d’être entendue relativement à cette demande de récusation qu’il estime non fondée et abusive (R-4);
· La lettre du 19 février de l’arbitre au procureur du Syndicat, copie au procureur de l’Employeur, accusant réception des courriels et correspondances et fixant une date d’audience au 9 avril. Il est également précisé dans cette lettre que la décision accueillant verbalement l’objection formulée par le procureur de l’Employeur sur le dépôt des notes de Mme Leblanc sera rendue avant cette date (R-5);
· Une requête introductive d’instance en révision judiciaire datée du 4 mars 2015 demandant d’annuler la décision rendue verbalement le 12 février par l’arbitre et de retourner le dossier au ministère du Travail pour qu’il soit ordonné de procéder à la nomination d’un nouvel arbitre (R-6);
· Un procès-verbal, daté du 10 mars, de signification de la requête en révision judiciaire à l’arbitre. (R-7);
· La sentence arbitrale interlocutoire sur le dépôt des notes personnelles datée du 14 mars 2015 (R-8);
· La requête d’instance amendée en révision judiciaire portant la date du 27 mars 2015 faisant suite à la sentence arbitrale interlocutoire du 14 mars 2015 dans laquelle est réitérée notamment la demande de retourner le dossier au ministère du Travail pour qu’il soit ordonné de procéder à la nomination d’un nouvel arbitre (R-9).
REPRÉSENTATIONS DU SYNDICAT
[16] La demande de récusation de l'arbitre formulée par le Syndicat est fondée sur la crainte raisonnable d’être entendu en toute impartialité à la suite d’un certain nombre d’événements survenus en cours d’audience alors que les parties avaient convenu de demander à l’arbitre une décision sur l’admissibilité, selon l’état du droit, d’une preuve obtenue lors d’une filature et surveillance de M. Paquin ayant mené à son congédiement au motif que les activités alors observées étaient incompatibles avec son état de santé déclaré et pour avoir induit en erreur le médecin expert de l’Employeur. Il s’agissait là d’une question capitale pour M. Paquin, car le congédiement devra être annulé si cette preuve est inadmissible.
[17] Pour décider de l’admissibilité d’une telle preuve, le décideur doit se demander si l’Employeur, au moment où il a pris sa décision de procéder à la filature, avait des motifs sérieux de le faire, si les éléments de preuve ont été obtenus en violation des droits fondamentaux du salarié et si oui, il doit se demander si l’admission des éléments de preuve déconsidérerait l’administration de la justice.
[18] En début d’audience, l’Employeur a déclaré vouloir administrer sa preuve en premier alléguant qu’il devait établir qu’il avait des motifs sérieux de procéder à une filature et surveillance alors que le Syndicat soutenait qu’il lui revenait d’établir en premier que cette filature état une atteinte à la vie privée de M. Paquin et par conséquent une violation de ses droits fondamentaux. Pour le Syndicat, il s’agit là d’un premier incident bien que le procureur reconnaisse qu’il a consenti à ce que l’Employeur administre sa preuve en premier.
[19] L’Employeur a alors annoncé vouloir commencer sa preuve en interrogeant en premier M. Paquin, et ce, alors qu’il revenait précisément à l’Employeur d’établir les motifs de la filature, ces motifs appartiennent à l’Employeur et non au salarié. Le Syndicat s’est opposé et l’arbitre a rejeté de façon laconique cette objection. Bien qu’il ne s’agisse pas d’un élément déterminant, il est au nombre des éléments qui contribuent à semer un doute d’être entendu en toute impartialité.
[20] Au début de la preuve patronale et de la discussion sur la pertinence de faire entendre M. Paquin, alors que l’Employeur doit établir les motifs de la filature, il y a eu une discussion animée, la situation était tendue. En plus de refuser l’objection du Syndicat à ce que M. Paquin soit appelé à témoigner en premier, l’arbitre a alors annoncé qu’elle n’avait pas l’intention de continuer longtemps dans une telle atmosphère signifiant par ces propos, avance le procureur du Syndicat, que l’arbitre voulait passer le plus rapidement possible sur cette preuve pour aller au fond du dossier.
[21] La décision de l’arbitre à l’égard de la demande de consulter les notes de Mme Leblanc en contre-interrogatoire est un élément important en regard de la crainte raisonnable de ne pas être entendu en toute impartialité. Le fait qu’un « helper » ait été offert ou non à M. Paquin est un élément de preuve crucial et dans un contexte où sur différents éléments, la preuve est contradictoire (lieu de la livraison, le véhicule utilisé, la marchandise à livrer, le superviseur sur place, M. Théoret ou M. Daigle, etc.), les notes personnelles de Mme Leblanc sont très importantes. Il souligne que l’objection à les produire est venue d’abord de Mme Leblanc, puis de son procureur, lequel a allégué le caractère personnel de ses notes et le fait qu’elle ne les consultait pas pendant son témoignage. Ses notes étaient d’autant plus importantes qu’il s’est passé trois ans depuis cet événement.
[22] Une discussion en a découlé, et ce, en présence de Mme Leblanc. L’arbitre a conclu que ces notes n’étaient pas pertinentes, et ce après avoir posé une question au témoin qui avait assisté à cette discussion, téléguidant ainsi la réponse.
[23] Il souligne de plus que le mandat à l’origine était pour une journée précise, et par la suite, il y a eu quatre tentatives de filature. De plus, M. Paquin a été observé dans le cadre de cette filature une journée de la semaine alors que le mandat était pour le weekend.
[24] Il mentionne que même la date du 17 mai devait être questionnée, la preuve étant contradictoire sur le lieu de livraison. Selon les témoins de l’Employeur, cette livraison devait se faire à Saint-Constant alors que M. Paquin la situe à Saint-Sauveur. L’Employeur a fait du « cherry picking » en produisant une facture datée du 17 mai, facture qu’il s’est empressé de produire afin de corroborer, du moins partiellement, le témoignage de MM. Théoret et Brunelle.
[25] Il souligne que le dépôt de la facture a été accepté alors que la demande du dépôt des notes personnelles de Mme Leblanc a été refusée, deux poids, deux mesures selon lui.
[26] Dans ce contexte, il lui apparaît que le refus de permettre le dépôt des notes personnelles de Mme Leblanc est une violation de la règle audi alteram partem . Il a demandé une décision écrite, car il est impossible que ces notes ne soient pas pertinentes.
[27] À l’annonce que le Syndicat se gouvernerait en conséquence à l’égard de la décision verbale rendue quant au dépôt des notes personnelles, il a perçu un certain dédain chez l’arbitre signifiant, pour reprendre ses propos « franchement aller une révision judiciaire pour une question de pertinence. »
[28] Une requête introductive d’instance en révision judiciaire de la décision verbale du 12 février a été rédigée rapidement et finalisée le 4 mars afin de respecter le délai raisonnable pour produire une telle requête en soulignant que cette requête pourrait être amendée, le Syndicat n’ayant pas reçu alors la sentence arbitrale écrite et motivée de l’arbitre. Cette requête a été signifiée à l’arbitre le 10 mars. Sa sentence arbitrale étant datée du 14 mars, le procureur du Syndicat avance que cette sentence a été écrite pour répondre en partie du moins à cette requête en révision judiciaire et réfère à titre d’exemple aux paragraphes 51 et 52 de cette requête.
[29] Il commente de plus cette sentence arbitrale pour conclure que l’arbitre dans cette décision donne du tonus à une décision verbale qui était en apparence faible, et ce, afin qu’elle puisse survivre ailleurs dans un autre forum.
[30] Ces différents éléments démontrent ou du moins donne une impression de fermeture à certaines questions qui doivent être débattues dans ce dossier en plus de sembler ne pas vouloir prendre en compte les droits reconnus à M. Paquin, selon la Charte. Il avance en outre qu’il se peut que l’arbitre soit indisposée par ce dossier. Ces éléments amènent le Syndicat et le plaignant à éprouver des craintes raisonnables de partialité.
[31]
Il rappelle de plus que selon la doctrine et la
jurisprudence, un arbitre doit non seulement être impartial, il doit également
le paraître. Il rappelle que selon le paragraphe 10 de l’article
[32] Il y a suffisamment d’éléments qui permettent, selon la preuve requise en cette matière, de soutenir une crainte raisonnable de partialité. Au soutien de cette allégation, il dépose un extrait de l’ouvrage Droit de l’arbitrage de grief ainsi que de la jurisprudence qu’il commente. La liste de ces décisions se retrouve à l’annexe A.
REPRÉSENTATIONS DE L’EMPLOYEUR
[33] D’entrée de jeu, le procureur de l’Employeur allègue que la requête en récusation est irrecevable. Le désaccord avec une décision d’un tribunal n’est pas un motif de récusation. Une révision judiciaire peut être demandée dans un tel cas et c’est d’ailleurs ce que le procureur du Syndicat a annoncé dès le 12 février.
[34] Il estime qu’une telle requête formulée parce qu’on est insatisfait d’une décision est contraire à une saine administration de la justice, à la sérénité des débats et à la célérité de la procédure d’arbitrage.
[35] De plus, il rappelle que la récusation de l’arbitre a été demandée dès le 13 février (R-1). Aussi, le Syndicat ne peut invoquer la sentence arbitrale écrite et motivée du 14 mars pour justifier sa demande de récusation. Il mentionne que tout en n’étant pas d’accord avec les commentaires et critiques faits par le procureur du Syndicat sur cette sentence arbitrale, il refuse de la commenter, une révision judiciaire étant demandée, il en sera débattu devant le forum approprié.
[36] Il note que dans la plaidoirie du procureur du Syndicat, il y a beaucoup de transformation ou de manipulation de la preuve. Il est ainsi erroné de soutenir que les parties ont reconnu que la question de la filature était capitale. L’Employeur n’a jamais fait une telle reconnaissance. Des dates ont été fixées dès l’automne pour procéder au fond, le médecin spécialiste était d’ailleurs convoqué pour l’audience prévue pour le 19 janvier et ce n’est que pour éviter de perdre ces dates que l’Employeur a accepté de procéder d’abord sur l’admissibilité de la preuve par filature, mais il n’a pas reconnu le caractère capital de cette preuve.
[37] À l’égard de la discussion sur l’administration de la preuve, il rappelle que le Syndicat a consenti à ce que l’Employeur commence en premier. L’arbitre n’a fait aucune intervention alors pourquoi, mentionner cet élément si ce n’est pour colorer le dossier.
[38] Quant au fait qu’il a assigné en premier M. Paquin, il souligne que c’était son droit. Il rappelle que l’arbitre l’a par ailleurs invité à cibler son interrogatoire. Il a interrogé de plus M. Paquin après avoir accepté, à la demande de l’arbitre, de remettre au Syndicat préalablement le mandat donné à l’agence de filature.
[39] Quant à l’allégation que l’Employeur a aiguillé les témoins Brunelle et Théoret en déposant une facture, il rappelle que ces deux témoins ont témoigné sans cette facture. C’est le procureur du Syndicat, en contre-interrogatoire, qui a demandé à M. Brunelle de produire, lors de la prochaine audience, la facture pour la livraison faite le 17 mai, pièce portant le numéro S-14 d’ailleurs.
[40] Il souligne également que les propos de l’arbitre rapportés par le procureur du Syndicat l’ont été tout à fait hors contexte. Il rappelle que l’arbitre a dit qu’elle n’avait pas l’intention de continuer longtemps dans une telle atmosphère après qu’il ait réagi à la suite d’un vif échange entre eux et qu’il a demandé au procureur du Syndicat d’être plus respectueux et a ajouté des propos de l’ordre de ce qui suit : « il pourrait lui aussi se conduire comme un coq et ils seraient alors comme deux coqs dans une cour de poules.»
[41] Il constate qu’il y a beaucoup de procès d’intention dans la plaidoirie du Syndicat et non des faits réels permettant de soutenir une crainte raisonnable de partialité. En somme, il n’y a aucun fondement juridique à sa demande de récusation.
[42] À cet égard, il rappelle, jurisprudence à l’appui, les règles et principes en matière de récusation, dont le fait que l’impartialité du décideur doit être présumée et que c’est à la partie qui plaide l’inhabilité qu’incombe le fardeau d’établir les circonstances qui commandent une récusation selon le test applicable selon les tribunaux afin de déterminer si oui ou non, il y a une crainte raisonnable de partialité du décideur. La liste de ces décisions se retrouve à l’annexe B.
MOTIFS ET DÉCISION
[43]
Le procureur du Syndicat demande la récusation de
l’arbitre alléguant le paragraphe 10 de l’article
« Un juge peut être récusé notamment :
(…)
10. S’il existe une crainte raisonnable que le juge puisse être partial. »
[44] Comme le soulignent les auteurs Morin et Blouin dans leur volume Droit à l’arbitrage de grief « l’arbitre de grief doit lui-même prendre position au sujet de sa propre récusation, c’est-à-dire décider s’il y a matière à se dessaisir de l’affaire [2] . »
[45] L’arbitre est alors en quelque sorte juge et partie puisqu’il doit décider d’allégations qui le visent directement. Comme le mentionne à juste titre la juge Bich alors qu’elle était arbitre dans l’affaire Alliance des Infirmières de Montréal [3] , cette situation est délicate. L’arbitre doit alors maintenir un certain détachement, faire preuve d’une grande prudence et d’un souci de préserver l’intégrité et l’image de ce processus juridictionnel qu’est l’arbitrage de grief.
[46] La Cour supérieure, sous la plume du juge Claude Dallaire, rappelle dans l’affaire Ville de Montréal que « le décideur qui fait l’objet d’une demande de récusation devrait résister à la tentation d'en décider de façon impulsive et devrait plutôt y apporter tout le soin nécessaire. La délicate décision qui en résulte doit être prise dans le respect de la règle audi alteram partem, au sens où une audition doit avoir lieu au préalable si les parties le requièrent. » [4] En l’espèce une telle demande a été formulée par l’Employeur et le Syndicat ne s’y est pas opposé.
[47] Dans les paragraphes qui suivent, je rappellerai dans un premier temps succinctement les règles devant guider le décideur en matière de récusation et d’impartialité pour, dans un second temps, les appliquer aux faits invoqués pour soutenir l’absence ou du moins l’apparence d’absence d’impartialité dans la présente affaire.
Les règles devant guider le décideur en matière de récusation
[48] La Cour d’appel, en 2011, dans l’affaire Syndicat des cols bleus regroupés de Montréal , rappelle en ces termes les règles applicables en matière de récusation :
« [32] Le Code de procédure civile prescrit qu'un juge puisse être récusé « s'il existe une crainte raisonnable [qu'il] puisse être partial » (art. 234 (10°) C.p.c.). Notons que cette disposition s’applique aux arbitres.
[33] D'entrée de jeu, je rappelle que l'impartialité d'un décideur constitue une qualité fondamentale et que cet élément-clé de processus judiciaire doit être présumé . En conséquence, c’est à la partie qui plaide l'inhabilité qu'incombe le fardeau d'établir les circonstances qui commandent une récusation :
« 59 Considérée sous cet éclairage, « [l]’impartialité est la qualité fondamentale des juges et l’attribut central de la fonction judiciaire » (Conseil canadien de la magistrature, Principes de déontologie judiciaire (1998), p. 30). Elle est la clé de notre processus judiciaire et son existence doit être présumée. Comme l’ont signalé les juges L’Heureux-Dubé et McLachlin (maintenant Juge en chef) dans l’arrêt S. (R.D.), précité, par. 32, cette présomption d’impartialité a une importance considérable, et le droit ne devrait pas imprudemment évoquer la possibilité de partialité du juge, dont l’autorité dépend de cette présomption . Par conséquent, bien que l’impartialité judiciaire soit une exigence stricte, c’est à la partie qui plaide l’inhabilité qu’incombe le fardeau d’établir que les circonstances permettent de conclure que le juge doit être récusé [5] . »
[34] La jurisprudence décrit le test applicable en matière de récusation pour cause de partialité de la façon suivante. Le décideur doit être en mesure de trancher le litige dont il est saisi en toute liberté d'esprit. Il doit être à l'abri de pressions extérieures et ne pas être influencé par ses intérêts personnels. Cet état d'impartialité doit certes satisfaire la conscience personnelle du décideur, mais il importe aussi que la situation paraisse impartiale aux yeux d'un observateur raisonnable et bien informé :
« […] la crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d’une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle-même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet. Selon les termes de la Cour d’appel, ce critère consiste à se demander « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique . Croirait-elle que, selon toute vraisemblance, M. Crowe, consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste? [6] »
[35] Il n'est pas inutile de mentionner que la requête en récusation ne doit pas être utilisée comme un moyen de choisir le décideur. Un tel procédé constitue non seulement un accroc aux règles applicables, mais, en plus, il est de nature à entraver la saine administration de la justice [7] . » ( Les soulignés sont les nôtres. )
[49] L’impartialité est la clé du processus judiciaire et, comme nous le rappellent les tribunaux supérieurs, son existence doit être présumée. C’est en conséquence à la partie qui plaide l’inhabilité qu’incombe le fardeau d’établir que les circonstances permettent de conclure que le décideur doit être récusé [8] .
[50] La règle d’impartialité implique non seulement qu’il y ait absence de partialité, mais aussi qu’il n’y ait pas apparence de partialité. Il ne faut pas seulement que justice soit rendue : il faut que l’on puisse raisonnablement croire qu’elle le sera [9] .
[51] Il ne suffit pas toutefois de souligner à juste titre l’arbitre Bich, d’affirmer le principe de l’impartialité et de l’apparence d’impartialité, il faut également se poser la question de savoir quelle est, concrètement, la norme à laquelle on mesure la partialité ou l’impartialité ou l’apparence d’impartialité ou de partialité. Quel est, en somme, le test à réaliser afin de déterminer si oui ou non il y a crainte raisonnable de partialité du décideur.
[52] Dans l’affaire Bande Indienne Wewaykum , la Cour suprême écrit :
« En droit canadien, une norme s’est maintenant imposée comme critère de récusation. Ce critère formulé par le juge de Grandpré dans Committee for Justice and Liberty c. Office national de l’énergie », précité, p. 394, est la crainte raisonnable de partialité :
… « la crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d’une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle-même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet. Selon les termes de la Cour d’appel, ce critère consiste à se demander “à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. Croirait-elle que, selon toute vraisemblance [le décideur], consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste?” [10] »
[53] Ce critère de la personne raisonnable répondant aux caractéristiques mentionnées dans cette citation ne doit pas être celui «d’une personne de nature scrupuleuse ou tatillonne» de préciser le juge de Grandpré, dans l’affaire Committee for Justice and Liberty . À cet égard, il écrit :
« Je ne vois pas de différence véritable entre les expressions que l’on retrouve en jurisprudence, qu’il s’agisse de « crainte raisonnable de partialité », de « soupçon raisonnable de partialité » ou de « réelle probabilité de partialité ». Toutefois les motifs de crainte doivent être sérieux et je suis complètement d’accord avec la Cour d’appel fédérale qui refuse d’admettre que le critère doit être celui d’une personne de nature scrupuleuse ou tatillonne. [11] »
[54] À titre d’exemple, alors qu’elle était saisie d’une requête en révision judiciaire d’une décision de l’arbitre Rondeau lequel a refusé de se récuser au motif qu’il aurait eu une brève conversation téléphonique avec le procureur du Syndicat relativement à la possibilité des dates d’audience, la juge Michèle Lacroix de la Cour supérieure conclut ainsi :
« À mon avis, une personne sensée, non tatillonne, qui n’est pas ni scrupuleuse, ni angoissée, ni naturellement inquiète non plus que facilement portée au blâme et bien informée parce qu’ayant étudié la question, à la fois, à fond et qu’une façon réaliste, c’est-à-dire dégagée de toute émotivité, ne peut craindre une conversation téléphonique pour vérifier les disponibilités d’un avocat pour fixer des dates d’audition [12] . »
[55] En regard de la preuve requise pour soutenir une allégation de partialité, les auteurs Morin et Blouin [13] proposent la démarche mise de l’avant par la Cour d’appel, [14] sous la plume du juge Delisle, laquelle se lit comme suit :
« Pour être cause de récusation, la crainte de partialité doit donc :
a) être raisonnable, en ce sens qu'il doit s'agir d'une crainte à la fois logique, c'est-à-dire qui s'infère de motifs sérieux, et objective, c'est-à-dire que partagerait la personne décrite à b) ci-dessous, placée dans les mêmes circonstances; il ne peut être question d'une crainte légère, frivole, ou isolée;
b) provenir d'une personne:
(1) sensée, non tatillonne, qui n'est ni scrupuleuse, ni angoissée, ni naturellement inquiète, non plus que facilement portée au blâme;
(2) bien informée, parce qu'ayant étudié la question, à la fois à fond et d'une façon réaliste, c'est-à-dire dégagée de toute émotivité; la demande de récusation ne peut être impulsive ou encore, un moyen de choisir la personne devant présider les débats, et
c) reposer sur des motifs sérieux; dans l'analyse de ce critère, il faut être plus exigeant selon qu’il y aura ou non enregistrement des débats et existence d’un droit d’appel. »
[56] Selon ces auteurs, « le critère de crainte raisonnable fait en quelque sorte référence à la probabilité que l’intéressé au grief bien informé du processus d’arbitrage et des us et coutumes en milieu arbitral puisse néanmoins raisonnablement croire que l’arbitre serait susceptible d’entretenir un préjugé quant au mérite du litige. » Ils ajoutent que la preuve qu’un préjugé peut exister doit néanmoins reposer sur des faits objectifs [15] .
[57] Les motifs susceptibles d’engendrer la partialité ou d’y laisser croire sont nombreux et variés comme le soulignent les auteurs Morin et Blouin [16] dont un mis de l’avant par le procureur du Syndicat à savoir le fait pour un arbitre d’avoir une idée préconçue sur le sort du litige ou sur un aspect de celui-ci ou d’en donner l’impression ou encore qui ne se montre pas ouvert à la persuasion.
[58] La déception d’une partie par rapport à une décision rendue par l’arbitre ne constitue pas toutefois un motif de récusation comme l’a rappelé le procureur de l’Employeur, conclusion à laquelle en sont arrivés notamment la Cour supérieure [17] , les arbitres Moro [18] , Provençal [19] et Laplante [20] .
[59] Par ailleurs, l’expression d’humeur ou de l’impatience d’un juge sera difficilement acceptée comme motif justifiant une crainte raisonnable de partialité. À cet égard, l’arbitre Bich cite quelques exemples tirés d’un article intitulé : La récusation d’un juge saisi d’un litige au civil [21] . Ainsi, la suggestion gratuite du juge qu’un avocat a posé un geste répréhensible, une mise en garde injustifiée quant aux allégations d’une éventuelle requête en récusation, une déclaration du juge qu’il ne croit pas l’avocat qui déclare être pris par surprise, voire même le fait de lui prêter des intentions non honorables n’ont pas été jugés suffisants par la Cour d’appel du Québec pour conclure à la partialité du juge en cause ni à une crainte raisonnable de partialité de sa part.
[60] En somme, la crainte raisonnable ou l’appréhension raisonnable de partialité est une question de preuve et de vraisemblance. Pour être accueillie, une demande de récusation doit être soutenue par des faits raisonnablement susceptibles d’entraîner chez une personne raisonnable telle que décrite par les tribunaux « une crainte raisonnable de partialité » ou « de soupçon raisonnable de partialité » ou « de réelle probabilité de partialité », ces différentes expressions n’étant pas véritablement différentes selon la Cour d’appel [22] .
[61] Qu’en est-il en l’espèce?
Les faits invoqués pour soutenir l’absence ou du moins l’apparence d’absence d’impartialité
[62] Le procureur du Syndicat a invoqué différents événements ou propos qui justifient, selon ses prétentions, sa demande de récusation de l’arbitre. Dans les paragraphes qui suivent, je les commenterai en ayant à l’esprit la question formulée par la Cour suprême à savoir : « À quelle conclusion arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur de façon réaliste et pratique? [23] »
[63] Je passe sous silence le premier élément mentionné à savoir la discussion sur la partie qui commencerait la preuve (par. 18), le procureur du Syndicat ayant reconnu qu’il avait accepté que l’Employeur débute la preuve.
[64] Le deuxième élément invoqué est le fait que malgré son objection, l’arbitre a accepté que le procureur de l’Employeur commence sa preuve en interrogeant M. Paquin en premier alors qu’il revenait à l’Employeur d’établir les motifs raisonnables de la filature (par. 19). Lors de l’audience du 6 février, le procureur a allégué que permettre l’interrogatoire de M. Paquin à ce moment-là irait à l’encontre des règles de justice naturelle.
[65] À l’égard de cet élément, il y a lieu de rappeler que M. Paquin a été interrogé après M. Théoret.
[66] M. Paquin au moment de son témoignage savait que selon la version de M. Théoret, il lui avait été demandé le 17 ou 18 mai 2012 de conduire un camion dix roues pour faire une livraison de deux palettes de frites à St-Constant, et toujours selon cette version, qu’un « helper » lui avait été offert. Il savait également que M. Théoret a informé Mme Leblanc qu’il ne comprenait pas qu’il refuse de conduire un camion alors qu’il pouvait conduire une moto le weekend et avait comme projet de le faire le weekend suivant.
[67] De plus, comme l’a rappelé le procureur de l’Employeur, il lui a été demandé avant de procéder à l’interrogatoire de M. Paquin de déposer le mandat de filature confié à une agence afin que le procureur du Syndicat et M. Paquin puissent en prendre connaissance.
[68] Dans son volume, La Preuve et la procédure en arbitrage de griefs, l’auteure Louise Verschelden, maintes fois citée par les procureurs représentant des employeurs ou des syndicats, écrit en 1994 :
« Quant à l’ordre de la preuve de présentation des témoins, aucune règle ni dans le Code du travail ni dans le Code de procédure civile ne le régit. L’agencement de la présentation des témoins revient aux procureurs.
Rien n’oblige une partie, par exemple, à faire entendre le témoin principal en premier. Des difficultés surviennent en arbitrage dans certains cas de congédiement. Le syndicat établit d’abord une preuve prima facie du congédiement. Ensuite le fardeau de la preuve se retrouve du côté de l’employeur qui doit prouver le caractère raisonnable de la sanction. Rien n’empêche l’employeur d’appeler comme premier témoin le plaignant et de tenter d’établir sa preuve à partir du témoignage de ce dernier. » (Nos soulignés, les références ont été omises.) [24]
[69] Dans une décision rendue en 2011, également souvent citée, l’arbitre Francine Lamy saisie d’un grief de congédiement pour cause de vol, mesure imposée à la suite notamment d’une surveillance, écrit à l’égard de la possibilité de faire témoigner le plaignant en premier :
« (...) Or, en matière civile, la règle générale est la contraignabilité des parties. Une partie peut être contrainte de témoigner dans le cadre de la preuve de son adversaire et il est reconnu depuis longtemps que l’employeur peut interroger le plaignant dans le cadre de sa preuve et en faire son premier témoin [25] . »
[70] Un bon nombre d’arbitres saisis également de griefs de congédiement parfois de nature criminelle abondent dans ce sens, et ce depuis plusieurs années comme en témoigne la liste non exhaustive des décisions indiquées à la note 26 de bas de page [26] .
[71] Il est difficile dans ce contexte, en prenant en compte la preuve et la jurisprudence, de se convaincre « qu’ une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur de façon réaliste et pratique » [27] ou encore « qu’une personne bien informée du processus d’arbitrage et des us et coutumes en milieu arbitral » [28] , puisse penser que la décision de l’arbitre de permettre à l’Employeur d’interroger M. Paquin au début de sa preuve était dénuée de tout fondement ou du moins au point de soulever une crainte raisonnable de partialité ou de démontrer une fermeture à la persuasion.
[72] Un troisième élément invoqué a trait aux propos que j’ai prononcés soulignant que je n’avais pas l’intention de continuer longtemps dans une telle atmosphère. Le procureur tire étonnamment de ces propos une volonté de l’arbitre de passer le plus rapidement sur cette preuve pour aller au fond (par. 20).
[73] Le procureur de l’Employeur a rappelé, à juste titre, le contexte en relatant sensiblement les propos qu’il a alors tenus avant mon intervention (par. 40). De plus, mes propos s’adressaient aux deux procureurs. Un arbitrage doit se dérouler dans un climat harmonieux et dans ce contexte, il y a lieu, pour tous les intervenants d’adopter une conduite empreinte de réserve et de respect, ce qui n’était pas le cas comme les gens présents à cette audience ont été en mesure de le constater. Il est déjà assez stressant et intimidant pour des témoins de témoigner, et ce, peu importe leur provenance sans en rajouter par des échanges acrimonieux.
[74] Je rappelle également qu’une conférence téléphonique de gestion d’audience avait eu lieu avant le 6 février alors que les parties voulaient s’assurer que la question de l’admissibilité de la preuve de filature serait prise en délibéré au moins à la fin de la journée du 12 février. À la fin de la première journée (le 6 février), le procureur du Syndicat a manifesté des inquiétudes à l’égard de l’atteinte de cet objectif. J’ai alors proposé de débuter l’audience du 12 février avant 9h30 voire même dès 8h30, ce qui n’a pas été possible avant 9h étant donné les contraintes de certains, et de convenir d’avance d’écourter la période de lunch, et ce, dans un souci de rallonger le temps disponible, si requis, pour l’atteinte de l’objectif fixé par les parties et non par l’arbitre. Dans ce contexte, il est difficile de concilier cette proposition de l’arbitre avec l’interprétation avancée par le procureur du Syndicat.
[75] Le quatrième élément est en relation avec ma décision verbale quant au dépôt des notes personnelles de Mme Leblanc. Le procureur du Syndicat a relaté différents éléments qui de son point de vue démontrent que la preuve est contradictoire et le procureur de l’Employeur a aussi livré sa lecture de la preuve. J’estime qu’il n’y a pas lieu de commenter cette preuve à ce moment-ci pas plus que c’était l’occasion de le faire dans la narration de la preuve faite dans la sentence arbitrale. Il s’agit essentiellement d’une narration le plus fidèle possible et non d’une analyse, laquelle est faite généralement sous la rubrique Analyse et décision.
[76] Le procureur du Syndicat a également longuement commenté la sentence arbitrale du 14 mars. Je n’ai pas l’intention de commenter ma décision verbale ou écrite, et ce, d’autant plus qu’une requête en révision judiciaire a été déposée. Je laisse le soin à la Cour supérieure de le faire. Je rappelle néanmoins que selon les auteurs Morin et Blouin et la jurisprudence, une demande de révision judiciaire n’est pas une cause de récusation, demande d’ailleurs qui a été faite dès le 13 février en l’espèce.
[77] Le procureur du Syndicat a suggéré que la sentence arbitrale a été rédigée pour répondre, du moins en partie, à la requête en révision judiciaire, cette sentence arbitrale étant datée du 14 mars soit après la réception à mon domicile, le 10 mars (procès verbal R-7) de cette requête. Il réfère également aux paragraphes 51 et 52 [29] de sa requête pour soutenir que ma sentence a été rédigée après réception de la requête en révision judiciaire, oubliant cependant que dans une lettre du 23 février, non déposée, mais adressée à l’arbitre, copie au procureur de l’Employeur, il avait déjà qualifié le ton que j’avais utilisé pour émettre l’ordonnance en écrivant « Cette timidité s’ajoute aux autres éléments qui amènent une personne bien informée à croire qu’une décision juste pourra être rendue. »
[78] Non seulement cette observation n’a aucune pertinence en regard des règles devant guider le décideur en matière de récusation, mais en plus elle repose sur une hypothèse qui s’avère erronée, car étant à l’extérieur du pays, j’ai pris connaissance de mon courrier que le 13 mars. La sentence arbitrale était rédigée avant mon départ du pays le 4 mars et transmise à mon assistante pour la mise en page et correction. Quant au fait qu’elle ait été signée le 14 mars, un samedi, comme le procureur a cru opportun de le souligner, je ne crois pas que cela en altère sa valeur de quelque façon que cela soit. S’il est peu habituel, mais tout de même possible que des audiences se tiennent en soirée ou voire même le weekend, il est moins inhabituel qu’un arbitre rédige ou finalise une décision en soirée ou durant le weekend. Ces remarques illustrent l’inimitié du procureur du Syndicat à mon égard sans que je puisse en expliquer la raison.
[79]
Il
a aussi allégué que l’Employeur a fait du « cherry picking » en s’empressant de
déposer une facture afin de confirmer le témoignage de MM. Théoret et Brunelle
sur le lieu de la livraison et il me reproche de ne pas avoir accepté la
demande des notes personnelles de Mme Leblanc, alors que j’ai accepté le dépôt de
cette facture, situation qu’il qualifie de deux poids deux mesures (par 25). Je
ne commenterai pas la différence entre les notes personnelles et le dépôt d’une
facture, écrit non signé habituellement utilisé dans le cours des activités
d’une entreprise selon l’article
[80] Il a affirmé qu’à l’annonce que le Syndicat se gouvernerait en conséquence à l’égard de ma décision verbale quant au dépôt des notes personnelles de Mme Leblanc, j’aurais tenu ces propos : « franchement aller en révision judiciaire pour un e question de pertinence. » Il a perçu ainsi un certain dédain (par. 27). Je réfute avoir tenus ces propos. À la fin de l’audience du 12 février, le procureur de l’Employeur a demandé si ma décision écrite serait rendue pour le 9 avril, une audience était alors prévue et le procureur du Syndicat a répondu que cette date pouvait aussi être annulée, ce qui a semblé surprendre le procureur de l’Employeur. C’est dans ce contexte que j’ai mentionné que je comprenais par les propos « que le Syndicat se gouvernerait en conséquence » qu’il entendait aller en révision judiciaire de cette décision. Je n’ai pas qualifié de quelque manière cette décision du Syndicat. Après discussion, la date du 9 avril a tout de même été maintenue. Quoi qu’il en soit sans d’aucune manière reconnaître avoir tenu ces propos ou encore reconnaître ces propos comme appropriés, je rappelle comme l’a souligné l’arbitre Bich que la Cour d’appel n’a pas jugé la teneur des propos dont elle cite des exemples (voir par. 59 de la présente décision) suffisants pour conclure à la partialité du juge en cause ni à une crainte raisonnable de partialité de sa part.
[81] Après avoir analysé les différents éléments invoqués pour demander ma récusation en regard des règles devant guider le décideur en matière de récusation et le niveau de preuve requis pour soutenir une allégation de partialité selon la démarche mise de l’avant par la Cour d’appel [30] sous la plume du juge Delisle et proposée par les auteurs Morin et Blouin , j’estime objectivement que la demande de récusation devait être rejetée.
[82] Je ne peux toutefois ignorer qu’une requête en révision judiciaire a été déposée à l’encontre de ma sentence arbitrale et bien que cela ne soit pas un motif de récusation et sans reconnaître d’aucune manière son bienfondé, il reste que dans cette requête, il est demandé à la Cour supérieure d’ordonner la nomination d’un nouvel arbitre. Si je refusais de me récuser, il m’apparaît qu’un tel contexte serait peu propice à la poursuite des audiences avec diligence comme le Code du travail le commande, le Syndicat espérant que sa requête en révision judiciaire soit accueillie dont la nomination d’un nouvel arbitre. Or, on en peut ignorer que le grief contestant le congédiement est daté du 19 juillet 2012 et que plusieurs journées d’audience sont encore à prévoir.
[83] De plus, il existe une possibilité que la requête en révision judiciaire soit accueillie ou, si elle est rejetée, qu’une demande d’appel soit faite, et si en bout de piste, elle était accueillie et que les audiences se soient tant bien que mal poursuivies, l’arbitre pourrait alors être dessaisie du dossier malgré sa décision de refuser de se récuser dans la présente requête. Je ne crois pas qu’il soit dans l’intérêt des parties dans ce contexte que je continue d’agir à titre d’arbitre dans ce dossier.
[84] L’arbitre Bich alors qu’elle se demande s’il y a lieu de se récuser après avoir analysé les motifs au soutien de la requête en récusation dont elle était saisie, rappelle que selon la jurisprudence, les décideurs ont tendance à être particulièrement circonspects en la matière préférant parfois se récuser même lorsqu’ils n’auraient pas eu à le faire. Elle cite alors l’extrait suivant de la Cour suprême dans l’affaire Bande indienne :
« [78] (…) On ne peut cependant faire abstraction, dans les spéculations sur la façon dont les juges réagissent lorsque la question de la récusation est soulevée au début de l’instance, de la prudence extrême qui guide bon nombre de juges, sinon la plupart d’entre eux, à ce stade précoce. Cette prudence produit des résultats qui pourraient ne pas être requis par l’application objective de la norme de la crainte raisonnable de partialité. À cet égard, il est fort possible que des juges se soient récusés dans des affaires où, à proprement parler, ils n’étaient pas légalement tenus de le faire.
Autrement dit, le fait qu’un juge se soit récusé avant l’instance ne permet pas
automatiquement de conclure, après l’instance, qu’il existait une crainte raisonnable de partialité [31] . »
[85] Aussi à tout bien considérer, j’estime préférable de me récuser et de me dessaisir du grief déposé au nom de M. Paquin le 19 juillet 2012 et pour lequel j’ai reçu le mandat du ministère du Travail à la suite d’une décision de la Commission des relations du travail le 25 avril 2014.
_____________________________
Me Huguette April, arbitre
Pour l’Employeur : Me Pierre G. Hébert
Pour le Syndicat : Me Sylvain Seney
Date d’audience : 9 avril 2015
Date de la décision : 5 mai 2015
ANNEXE A
Doctrine et décisions déposées par le Syndicat
1)
Morin
Fernand et Blouin Rodrigue,
2) Épiciers Unis Métro-Richelieu Inc. et Syndicat des travailleurs(euses) de l’alimentation en gros de Québec inc. (T.A.), arbitre Bernard Solasse, 1989-12-31, 90T375 ;
3) Syndicat des Cols bleus regroupés de Montréal, section locale 301 c. Ville de Pointe-Claire , (CA.) Juge Thibault, Kasirer et Wagner, 2011-05-31, 2011 T-386;
4) Alliance des infirmières de Montréal c. Hôpital du Sacré-Cœur de Montréal , (T.A.) arbitre Marie-France Bich, 2004-02-11, AZ -04145057;
5)
Commission
scolaire des CRIE et Association de l’enseignement du Nouveau-Québec
(CSQ),
(T.A.) 2004-07-22,
6) Jacques Doré , (C.S.), Juge Hélène LeBel, 1994-04-07, 95T119.
ANNEXE B
Décisions déposées par l’Employeur
1)
Bande indienne
Wewaykum c. Canada
,
2)
FLD
Telephone c.Terre-Neuve
(Public Utilities BD),
3)
Committee for Justice and Liberty c.
L’Office national de l’énergie
,
4)
Syndicat
des cols bleus regroupés de Montréal. section locale 301 c. Pointe-Claire (Ville
de),
5)
Droit
de la famille-1559
,
6)
Québec
(Ville de ) c. Rondeau
,
7)
Syndicat
canadien des communications, de l’énergie et du papier (SCFP) CTC et Emballages
Rocktenn-Canada s.e.c
.,
8)
Cadbrige
Services (Canada) inc. (Hôtel Fairmont Le Reine Elizabeth)
et
Queen
Elizabeth Hotel LP
et
Syndicat des travailleuses et travailleurs de
l’Hôtel Reine Élizabeth(CSN)
, SA 13-02014 (T.A.), Denis Provençal arbitre;
requête en révision judiciaire : 2014 QCCCS 3663; requête pour permission
d’appeler rejetée,
9)
Saint-Jean-sur-Richelieu
(Ville de)
et
Fraternité des policiers et policières de Saint-Jean-sur-Richelieu
inc.
, SA 08-100061 (T.A.), Pierre Laplante, arbitre; requête en révision
judiciaire rejetée,
10)
Fermont (Ville de)
et
Fraternité des policiers-pompiers, ambulanciers de Fermont
, Claude
Dupuis, arbitre,
[1] 2014 CanLII 67129 (QC SAT).
[2] Voir la référence au no1 de l’annexe A, par. IV.55 p. 272.
[3] Voir la décision no 4 de l’annexe A p. 5.
[4]
Ville de Montréal c. Jean-Denis Gagnon et Association des pompiers de
Montréal inc
.,
[5] La Cour d’appel cite un extrait du jugement de 2003 de la Cour Suprême dans Bande indienne Wewaykum. Voir la décision no 1 de l’annexe B, p. 287.
[6] La Cour d’appel cite un extrait du jugement de 1978 de la Cour Suprême dans Committee for Justice and Liberty c. l’Office national de l’énergie voir la décision no 3 de l’annexe B p. 394, repris dans un jugement de cette même cour dans Bande indienne par. 85. Extraits également repris par l’arbitre Moro, décision no 7 de l’annexe B par. 16.
[7]
6
Wightman c. Widdrington (Succession de)
,
[8] Voir la décision no 1 par 59, no 4 par. 33 et no 6 par. 21 de l’annexe B.
[9] Droit à l’arbitrage de grief, voir référence no 1 de l’annexe A p. IV.57 p. 273.
[10] Voir la décision no 1 de l’annexe B par 60; extrait cité dans la décision de l’arbitre Bich, décision no 4 de l’annexe A p. 8.
[11] Voir la décision no 3 de l’annexe B p. 394-395 extrait également cité par l’arbitre Bich, décision no 4 de l’annexe A p. 8.
[12] Voir la décision no 6 de l’annexe B par. 26.
[13] Voir la référence no 1 de l’annexe A, IV.64 p. 278.
[14] Voir la référence no de 5 de l’annexe B p. 4 de l’opinion du Juge Delisle. Cette démarche est également citée par l’arbitre Bich, décision no 4 de l’annexe A p. 9.
[15] Supra note 13, p.279.
[16] Cité par l’arbitre Bich voir décision no 4, p.10 ou Droit à l’arbitrage de grief 5 e édition au par. IV.61.
[17]
Aumobiles Canbec inc c. Me François Hamelin
,
[18] Voir la décision no 7 de l’annexe B.
[19] Voir la décision no 8 de l’annexe B.
[20] Voir la décision no 9 de l’annexe B.
[21] Louis-Paul Cullen, « La récusation d’un juge saisi d’un litige au civil », dans Développements récents en déontologie, droit professionnel et disciplinaire (2001), Service de la formation permanente du Barreau du Québec, Cowansville, Les Éditions Yvon Blais Inc. 2001, 215-242 p. 237; cité dans la décision no 4 de l’annexe A p. 12.
[22] Voir la décision no 3 de l’annexe B.
[23] Voir la décision no 1 de l’annexe B par. 74.
[24] La Preuve et la procédure en arbitrage de griefs, Louise Verschelden, Wilson & Lafleur, 1994, p. 35.
[25] Syndicat des travailleurs de Coinamatic (C.S.D.) et Coinamatic Canada Inc. 22 juillet 2011,
[26]
La Société des alcools du Québec et le Syndicat des employés de magasins et de
bureaux de la SAQ arbitre Jean-Pierre Lussier, 15 mars 1982,
La Prairie
(Ville de) et Fraternité des policiers et pompiers de La Prairie, arbitre André
Bergeron, 1987-05-07,
Syndicat
des employe-e-s de métiers d’Hydro-Québec, section locale 1500, SCFP /FTQ c. Hydro-Québec,
arbitre J. Jacques Turcotte, 1991,
Matador
Convertisseurs Cie et Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du
papier, section locale 145, arbitre Alain Corriveau, 1995-07-17,
Société des
alcools du Québec et Syndicat des employées et employés de magasins et de
bureau de la Société des alcools du Québec, arbitre François Hamelin 1997-10-21
Société des alcools du Québec et Syndicat des employées et employés de magasins et de bureau de la Société des alcools du Québec, arbitre Gilles Desnoyers, 1999-09-27, AZ-9914242;
Syndicat
des travailleuses et travailleurs des épiciers unis MétroRichelieu (C.S.N.) et
Épiciers unis Métro-Richelieu Inc. arbitre Diane Fortier, 2000-08-25,
Union des
employées et employés de service, section locale 800 et Récupère-Sol inc.,
arbitre J. Jacques Turcotte, 2003-12-12,
Le Syndicat des employé(e)s des services sociaux des Laurentides (CSN) et Centre jeunesse des Laurentides, arbitre Carol Girard, 31 mars 2006, CanLII 13450 (QC SAT);
Travailleurs et travailleuses unis de l’alimentation et du commerce, section locale 500 et Super C, une division Métro-Richelieu Inc., arbitre Mario Létourneau, 25 juin 2013, CanLII 38389 9QC SAT);
Avis contraire : Union des routiers, brasseries, liqueurs, douces et ouvriers de diverses industries, section locale 1999 et Compagnie Gestiparc Inc., arbitre Jean-Denis Gagnon 2000-08-25, AZ-000141244, 2000T 941
[27] Question formulée par la Cour suprême (voir décision no 1 de l’annexe B par. 74.).
[28] Morin et Blouin, voir référence no 1 de l’annexe A par. IV.64.
[29] Dans ces paragraphes, le procureur écrit « D’une voix presqu’inaudible, la défenderesse s’exécuta et dit au témoin (…) » Au paragraphe 12 de la sentence arbitrale du 14 mars, il est écrit : Une telle ordonnance a été formulée verbalement à Mme Leblanc sans ajouter dans le ton utilisé au climat déjà fort tendu.
[30] Voir la référence no de 5 de l’annexe B p. 4 de l’opinion du Juge Delisle. Cette démarche est
également citée par l’arbitre Bich, décision no 4 de l’annexe A p. 9.
[31] Voir la décision no 1 de l'annexe B par 78.