Dossier : T - 343-14
Référence : 2015 CF 566
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Toronto (Ontario), le 30 avril 2015
En présence de monsieur le juge Campbell
ENTRE : |
1104559 ONTARIO LTD. |
demanderesse |
et |
HOME HARDWARE STORES LIMITED |
défenderesse |
ORDONNANCE ET MOTIFS
[1]
La Cour est saisie d’un appel interjeté en vertu du
paragraphe
[2]
Ce refus était fondé sur le motif d’opposition de la défenderesse selon
lequel la demanderesse ne s’était pas conformée à l’article
[3] La seule question en litige dans le présent appel est de savoir si le refus de la registraire en vertu de l’alinéa 30 b ) est raisonnable.
[4] En ce qui concerne le fardeau de la preuve aux fins de la demande d’enregistrement, la registraire a tiré la conclusion suivante au paragraphe 10 de sa décision :
C'est à la Requérante qu'incombe le fardeau ultime de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que sa demande est conforme aux exigences de la Loi. Toutefois, il revient a priori à l'Opposante de présenter suffisamment de preuves recevables desquelles on peut raisonnablement conclure que les faits allégués à l'appui de chaque motif d'opposition existent [voir John Labatt Ltd c. Molson Companies Ltd (1990), 30 CPR (3d) 293 (CF 1 re inst.) à la p. 298; et Dion Neckwear Ltd c. Christian Dior, SA (2002), 20 CPR (4th) 155 (CAF)].
[5] La demanderesse n’a déposé aucun élément de preuve devant la registraire à l’appui de l’enregistrement de la marque.
[6] Afin de s’acquitter de la charge qui lui incombait en vertu de l’alinéa 30 b ), la défenderesse s’est appuyée sur le résultat d’une recherche sur le site Web du prédécesseur en titre de la demanderesse. La registraire décrit ce processus aux paragraphes 27 à 33 de sa décision :
M me Iveson est étudiante en droit, employée par l'agent, pour le cabinet d'avocat de l'Opposante. M me Iveson indique au paragraphe 3 de son affidavit qu'un associé du cabinet où elle travaille lui a demandé de consulter et d'imprimer la page d'accueil du site Web « Van Dolder's Home Team » à l'adresse www.vandolders.com , ainsi que des pages d'autres sections du site Web.
Il a été mentionné à l'audience qu'aucune preuve n'a été produite pour démontrer que la Requérante est bien propriétaire du site Web. Toutefois, je remarque que les coordonnées qui apparaissent sur les divers imprimés des pages du site figurant en pièces jointes à l'affidavit de M me Iveson indiquent la même adresse qui apparaît en tant qu'adresse d'entreprise de la Requérante dans les résultats de la recherche globale joints en pièces D et F de l'affidavit Som. Par conséquent, j'estime qu'il est raisonnable de conclure que le site Web consulté par M me Iveson est celui de la Requérante.
En outre, la Requérante soutient que l'affidavit de M me Iveson n'est pas admissible, puisqu'il a été assermenté par un agent de l'Opposante et qu'il soulève plusieurs questions de fond et points en litige en l’espèce. La Requérante soutient que l'agent de l'Opposante ne peut être à la fois « du côté des avocats » (counsel machine) et « du côté de la preuve » (evidence machine). En revanche, l'Opposante fait valoir que l'affidavit Iveson est admissible puisqu'il ne comporte aucun témoignage d’opinion sur des questions litigieuses.
La Cour d'appel fédérale indique clairement qu’« il est malvenu pour un cabinet d’avocats de faire en sorte que ses employés agissent comme enquêteurs pour qu’ils fournissent ensuite un témoignage controversé sur les aspects les plus cruciaux de l’affaire » [voir Cross-Canada Auto Body Supply (Windsor) Ltd c Hyundai Auto Canada 206 CAF 133 (CanLII) au paragraphe 4 (2006), 2006 CAF 133 (CanLII), 53 CPR (4th) 286 (CAF)].
La Cour n'est pas aussi précise quant à la façon dont il faut traiter les preuves qui ne sont pas présentées sous forme de témoignage d'opinion fourni par l'employé d'un cabinet. Elle affirme toutefois qu'« un avocat ne doit pas compromettre son indépendance en agissant dans une instance dans laquelle un des membres du cabinet dont il fait partie a fourni une preuve par affidavit au sujet d'un point essentiel » [ Cross-Canada , supra , au paragraphe 7].
En l'espèce, je suis d'accord avec la Requérante pour dire que l'affidavit Iveson fait référence à un point litigieux, soit la question de savoir si la Requérante a employé ou non la Marque, comme elle le prétend dans sa demande. Toutefois, je suis aussi d'accord avec l'Opposante pour dire que M me Iveson n'a pas fourni ce que l'on pourrait considérer comme un témoignage d'opinion, comme celui présenté dans Cross-Canada .
Essentiellement, M me Iveson a simplement consulté le site Web de la Requérante, puis repéré et imprimé des occurrences de la Marque ou des variantes de celle-ci, telles qu'elles auraient été vues jusqu'au moment où elle a souscrit son affidavit. Les paramètres des recherches qu'elle a faites sont clairement énoncés aux paragraphes 3(i) à 3(vi) et au paragraphe 4 de son affidavit. Par conséquent, je suis prête à prendre son affidavit en considération. Je vais donc voir maintenant si celui-ci est suffisant pour satisfaire au fardeau qui incombe à l'Opposante relativement au motif d'opposition invoqué en vertu de l'alinéa 30 b ), seul ou en combinaison avec d'autres preuves présentées par l'Opposante.
[7] Voici les conclusions pertinentes tirées par la registraire après avoir examiné la preuve telles qu’elles sont énoncées aux paragraphes 43 à 53 de sa décision :
Dans les paragraphes 14 à 15 de son affidavit, M me Iveson confirme qu'elle n'a pas été en mesure de repérer d'occurrences de la Marque dans les anciennes versions du site Web de la Requérante [voir les paragraphes 14 et 15]. En examinant la pièce F, on remarque des variantes de la Marque, lesquelles contiennent tous les mots « Van Dolder's » en tant que partie intégrante de la Marque, parfois en combinaison avec d'autres éléments comme les mots « kitchen and bath » ou « custom exteriors » en dessous, dans un dessin d'enseigne.
Au paragraphe 16, M me Iveson affirme qu'on lui a aussi demandé de consulter et d'imprimer la page d'accueil du site Web de la Requérante dans sa version de 2001. Une copie de la page d'accueil figure en pièce G. On y voit une autre version de la Marque. Plus particulièrement, la Marque apparaît dans un ovale et les mots « Van Dolder's » font partie intégrante de la Marque.
L'information qui figure aux paragraphes 13 à 16 et aux pièces F et G est de nature historique et elle précède la date pertinente. Je suis donc prête à analyser la preuve.
Pendant l'audience, l'Opposante a fait valoir que les versions de la Marque présentées dans l'affidavit Iveson sont très différentes de la version de la Marque visée dans la demande et donc, ne peuvent être considérées comme des variantes admissibles. J'ai reproduit ci-dessous quelques exemples de la manière dont la Marque apparaît dans le site Web de la Requérante : [dessin omis].
Je suis d'accord avec l'Opposante pour dire que les versions de la Marque, telles qu'elles sont utilisées sur le site Web de la Requérante, ne constituent pas un emploi de la Marque. L'emploi de la marque de commerce en combinaison avec d'autres mots ou caractéristiques peut constituer l'emploi d'une marque si le public la percevait, selon la première impression, comme étant une marque de commerce employée. Il s’agit là d’une question de fait qui dépend de celle de savoir si la marque de commerce se démarque des éléments supplémentaires et si la marque demeure reconnaissable [voir Nightingale Interloc Ltd c. Prodesign Ltd (1984), 2 CPR (3d) 535 à la page 538 et Promafil Canada ltée c. Munsingwear Inc (1992), 44 CPR (3d) 59 (CAF)].
Dans le cas présent, je suis d'avis que la marque de commerce ne se démarque pas des éléments supplémentaires de manière à demeurer reconnaissable. Les mots « Van Dolder's » font partie intégrante de la Marque et sont relativement distinctifs, ce qui à mon avis vient changer l'identité de la Marque.
Je suis consciente du fait que les recherches sur internet sont généralement considérées comme ouï-dire et ne peuvent être garantes de la véracité du contenu. L’Opposante a cependant fait valoir que des preuves de cette nature ont été acceptées dans des situations où les recherches ont été menées par le déposant lui-même, lorsqu’il est difficile pour l’opposant de trouver toute autre preuve pour s’acquitter de son fardeau et que le requérant a la possibilité de répondre aux preuves [voir Effigi Inc c. HBI Branded Apparel Limited, Inc 2010 COMC 160]. De plus, je remarque que la preuve produite par la Wayback Machine indiquant l'état des sites Web dans le passé s'est avérée généralement fiable [voir Candrug Health Solutions Inc v Thorkelson (2007), 60 CPR (4th) (CF) infirmée pour d’autres motifs par 64 CPR (4th) 431 (CAF)] .
Bien que l'absence de tout emploi de la Marque sur le site Web de la Requérante à la date pertinente ne puisse pas corroborer une conclusion catégorique voulant que la Marque ne soit pas employée, à mon avis cela suffit pour jeter un doute sur la déclaration de la Requérante dans sa demande, à savoir qu'elle avait employé la Marque en lien avec ses services depuis la date revendiquée. J'estime donc que l'Opposante s'est acquittée du fardeau initial peu exigeant qui lui incombait relativement à la question de non-respect de l'alinéa 30 b ) de la Loi.
Je remarque qu'à l'audience, l'Opposante a fait valoir que, même si les versions de la Marque telles qu'elles apparaissent dans l'affidavit Iveson sont acceptables et considérées comme un emploi de la Marque, la preuve laisse aussi entendre que la Marque était employée par une entité autre que la Requérante et que l'emploi de la Marque a débuté avant la date de premier emploi revendiquée dans la demande. L'Opposante soutient que cette position est problématique à la lumière du fait que le prédécesseur de la Requérante n'a été fondé qu'à la date de premier emploi revendiquée et qu'aucun prédécesseur en titre n'a été nommé dans la demande. Étant donné ma conclusion relativement au fardeau initial incombant à l'Opposante, je n'estime pas nécessaire d'analyser ces autres questions.
Puisque j'ai conclu que l'Opposante s'était acquittée du fardeau initial qui lui incombait, il revient donc à la Requérante de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu'elle s'est conformée aux exigences de l'alinéa 30 b ) de la Loi. La Requérante n'a produit aucune preuve qui permettrait d'établir de manière positive sa date de premier emploi revendiquée. Je dois donc conclure que la Requérante ne s'est pas acquittée du fardeau de preuve qui lui incombait.
Par conséquent, le motif d'opposition invoqué en vertu de l'alinéa 30 b ) est accueilli.
[8]
Il n’est pas contesté que, dans le présent appel, la question en litige est
de savoir si la décision de la registraire est raisonnable. Le critère à
appliquer est énoncé dans
Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick
La norme déférente du caractère raisonnable procède du principe à l’origine des deux normes antérieures de raisonnabilité : certaines questions soumises aux tribunaux administratifs n’appellent pas une seule solution précise, mais peuvent plutôt donner lieu à un certain nombre de conclusions raisonnables.
Il est loisible au tribunal administratif d’opter pour l’une ou l’autre des différentes solutions rationnelles acceptables. La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité.
Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.
Dans le présent appel, l’avocat de la demanderesse avance les
arguments mêmes qui ont été rejetés par la registraire en ce qui concerne la
pertinence de la recherche dans Internet, la personne qui l’a faite et la
question de savoir si le contenu de la recherche avait un lien avec une question
en litige dans l’instance. Il prétend également que, en ce qui concerne la
question de savoir si l’utilisation antérieure de la marque en combinaison avec
les mots
« Van Dolder’s » constituait une
utilisation de la marque aux fins de la demande, la
registraire était
tenue de fonder son analyse sur la preuve.
[9] Je conclus que la décision de la registraire n’est entachée d’aucune erreur. À mon avis, ses conclusions sont raisonnables : elles sont très intelligibles, transparentes et étayées par les faits et le droit. Je conviens avec l’avocat du défendeur que, à titre de membre d’un tribunal spécialisé, la registraire avait le droit de se servir de sa propre expertise pour trancher la question de l’utilisation. Selon moi, cette évaluation a été faite d’une manière raisonnable.
[10] Par conséquent, je rejette le présent appel.
ORDONNANCE
LA COUR ORDONNE :
1. Pour les motifs exposés, le présent appel est rejeté.
2. La question de l’adjudication des dépens est prise en délibéré et sera tranchée selon les arguments qui seront formulés par les avocats.
« Douglas R. Campbell »
Juge
Traduction certifiée conforme
Claude Leclerc, LL.B.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : |
T-343-14
|
INTITULÉ : |
1104559 ONTARIO LTD. c HOME HARDWARE STORES LIMITED
|
LIEU DE L’AUDIENCE : |
TORONTO (ONTARIO)
|
DATE DE L’AUDIENCE : |
LE 27 AVRIL 2015
|
ORDONNANCE ET MOTIFS : |
LE JUGE CAMPBELL
|
DATE DE L’ORDONNANCE ET DES MOTIFS : |
LE 30 AVRIL 2015
|
COMPARUTIONS :
Serge Anissimoff Jamie Holroyd
|
POUR LADEMANDERESSE
|
Monique Couture
|
POUR LA DÉFENDERESSE
|
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Anissimoff Mann Professional Corporation London (Ontario) |
POUR LA DEMANDERESSE
|
Gowling Lafleur Henderson SENCRL Ottawa (Ontario)
|
POUR LA DÉFENDERESSE
|