Atocas de l'Érable inc. c. Canneberges Atoka inc.
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2015 QCCS 1999 |
JS1210
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(Chambre civile) |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
TROIS-RIVIÈRES |
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N° : |
400-17-003112-139 |
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DATE : |
5 mai 2015 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE L’HONORABLE MARC ST-PIERRE, J.C.S (JS1210) |
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LES ATOCAS DE L’ÉRABLE INC. |
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Demanderesse |
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c. |
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CANNEBERGES ATOKA INC. |
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Défenderesse |
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JUGEMENT |
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[1] Le Tribunal est saisi d’une requête introductive d’instance ré-réamendée de la demanderesse réclamant 335 709,09 $ à la défenderesse pour la différence de prix payé par cette dernière par rapport au prix dont il aurait été convenu dans le contrat liant les parties.
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[2] La demanderesse est productrice (agricole) de canneberges qu’elle vend à des transformateurs comme la défenderesse.
[3] Les parties ont conclu le 12 février 2009 un contrat de fourniture de canneberges valant pour cinq saisons ou cinq récoltes, soit celles de 2008 à 2012.
[4] C’est le prix payé pour la récolte 2009 uniquement qui faisait l’objet du différend entre les parties au jour du procès.
[5] La défenderesse a payé 23.74 cents U.S. la livre à la défenderesse pour les 3 326 833 livres puisées à même la récolte 2009 de la demanderesse vendues à la défenderesse.
[6] En vertu du contrat d’approvisionnement, le prix est déterminé par la défenderesse à partir d’une moyenne du prix payé par deux autres acheteurs, des compétiteurs de la défenderesse, à des producteurs de canneberges au cours de certaines périodes précédant les dates de paiement préétablies par le contrat.
[7] La défenderesse a utilisé pour calculer la moyenne le prix payé par Fruit d’Or inc. [1] et celui de Decas Cranberry Products, Inc. (« Decas ») [2] pour en arriver par la moyenne des deux au chiffre de 23.74 cents U.S. ci-dessus indiqué.
[8] La demanderesse croit que la défenderesse aurait dû payer de 30.5 cents U.S. la livre selon l’entente contractuelle, pour une différence de 6.676 cents U.S. par livre et 224 893,91 $ U.S. au total.
[9] La demanderesse conteste le choix de la défenderesse quant à l’un des deux acheteurs retenus par la défenderesse, soit Fruit d’Or inc. , parce que ne se qualifiant pas, selon son point de vue, à la définition d’acheteur reconnu inclus dans le contrat; elle croit donc que c’est le prix payé par un troisième acheteur, plus élevé, Clement Pappas & Co, Inc. (« Pappas ») qui aurait dû être utilisé par la défenderesse pour établir la moyenne.
[10] Par ailleurs, la demanderesse n’est pas d’accord avec le montant retenu par la défenderesse pour déterminer le prix payé par l’autre acheteur reconnu, Decas , parce que, selon la demanderesse, il ne tient pas compte d’un ajustement à la hausse opérée par Decas au bénéfice d’une partie des producteurs auprès de qui elle s’est approvisionnée; la demanderesse suggère de faire la moyenne à mi-chemin entre le prix plus bas et celui avec l’ajustement.
[11] Ainsi, selon le raisonnement de la demanderesse, la moyenne de prix payé par les deux autres acheteurs serait le chiffre ci-dessus mentionné sur lequel elle base sa réclamation principale, soit 30,5 cents U.S. la livre.
[12] Subsidiairement, elle réclame 27.74 cents U.S. la livre totalisant 137 652,86 $ U.S. et sub-subsidiairement, 26,24 $ U.S. la livre pour 86 031,91 $.
[13] La première réclamation subsidiaire de la demanderesse est basée sur une hypothèse voulant que le Tribunal retienne Fruit d’Or inc . comme acheteur reconnu, selon le prix retenu par la défenderesse, mais en utilisant aux fins de la moyenne le prix qu’elle (la demanderesse) croit qui aurait dû être attribué pour la canneberge achetée par Decas , pour une moyenne de 26.24 cents U.S. la livre, donnant une réclamation de 86 031,91 $.
[14] Pour la deuxième hypothèse, tout en prenant le prix de Fruit d’Or , mais en supposant que la preuve quant au prix payé par Decas ne soit pas concluante, y ajoutant plutôt pour le calcul de la moyenne le prix payé par le troisième acheteur, Pappas , dont le prix deviendrait le deuxième plus bas si Decas était disqualifiée, donnant une réclamation de 137 152,86 $.
[15] Je précise que la demanderesse ajoute 0.034 % aux résultats pour tenir compte du taux de conversion du dollar américain en dollar canadien, à l’époque où le paiement (final) devait être fait en vertu du contrat, ce qui ne fait d’ailleurs pas l’objet de contestation (le taux de conversion).
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[16] La demanderesse prétend que Fruit d’Or inc. ne peut être considérée comme un acheteur reconnu parce qu’elle n’avait pas des contrats d’approvisionnement à long terme pour plus de 20 millions de livres de canneberges par année à la date où l’ajustement (i.e. le calcul final) du prix doit être effectué pour la récolte 2009, le 15 mai 2010; la demanderesse invoque qu’à ce moment-là, les contrats de Fruit d’Or inc. avaient été résiliés par un avis de syndic nommé à la suite d’une proposition concordataire de la compagnie à ses créanciers.
[17] Elle invoque aussi que Fruit d’Or inc. n’était pas impliquée dans l’industrie de canneberges depuis au moins dix ans; elle se réfère au témoignage d’un représentant de cette compagnie qui a expliqué que la production commerciale de canneberges par Fruit d’Or inc. n’a commencé qu’en 2010, qui est aussi l’année d’incorporation de la compagnie.
[18] De plus, selon la demanderesse, Fruit d’Or inc. n’a pas procédé à un ajustement de son prix en mai 2010 en ce sens qu’elle n’a jamais payé ce prix-là à ses fournisseurs qui ont éventuellement dû accepter un prix correspondant à 8 cents pour un dollar du montant autrement dû - dans le cadre de la proposition concordataire.
[19] Quant au prix attribué par la défenderesse à l’autre acheteur reconnu retenu par elle (la défenderesse), Decas , la demanderesse plaide que la défenderesse ne peut se réfugier derrière les termes du contrat qui détermine que le prix payé par l’un ou l’autre des acheteurs reconnus est basé sur les informations reçues par la défenderesse en se contentant d’obtenir un écrit de ses compétiteurs sans s’assurer d’avoir le bon prix [3] ; il s’agirait d’une exigence résultant de l’obligation d’agir de bonne foi et d’une interprétation basée sur la commune intention des parties.
[20] Or, selon la preuve, le prix véritablement payé par Decas n’est pas celui retenu par la défenderesse, mais bien un prix supérieur correspondant à un ajustement à la hausse basé sur la moyenne des prix payés par Decas à un certain nombre de producteurs à qui Decas a acheté des canneberges, tel que l’a confirmé en témoignage (par téléphone) un représentant de la compagnie [4] .
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[21] Pour sa part, la défenderesse plaide que Fruit d’Or inc. est nommément identifiée dans la définition d’« Acheteur reconnu » du contrat; elle ajoute que les contrats d’approvisionnement de Fruit d’Or inc. avec les producteurs lui fournissant des canneberges n’étaient pas encore résiliés en mai 2010 puisque l’avis du syndic déjà transmis à ce moment là n’en était un que d’intention prenant effet après le 15 mai (date de l’ajustement).
[22] D’autre part, en ce qui concerne le prix attribué par elle pour le prix d’achat par Decas , étant la deuxième utilisée pour établir la moyenne du prix payé à la demanderesse, la défenderesse invoque que, selon la preuve, en se référant au témoignage de M. Charles Dillon, le représentant de Decas , le prix payé en 2009 pour la majorité de ses fournisseurs, des producteurs de canneberges, 119 sur 131 [5] , est celui retenu par la défenderesse; le prix majoré n’aurait donc été payé selon le témoin qu’à 12 producteurs, dont 4 du Québec [6] .
[23] La défenderesse plaide que ce n’est pas à elle d’établir que le volume de canneberges achetées par Decas au prix inférieur représente plus que la moitié des achats totaux de canneberges de Decas [7] .
[24] De plus, la défenderesse plaide qu’elle s’est fiée aux informations transmises par Decas , une compétitrice, rappelle-t-elle, et qu’elle n’a pas l’obligation de procéder à quelques vérifications que ce soient; ce serait à la demanderesse à établir que le prix retenu n’est pas bon, le cas échéant.
[25] La défenderesse demande par ailleurs que les dépens soient alloués sur la base de la dernière requête introductive d’instance avant la requête introductive d’instance ré-réamendée dont le présent jugement dispose parce que produite uniquement le 11 mars 2015, environ un mois avant le procès; elle soumet que c’est plutôt la requête réamendée de février 2015 qui devrait servir à établir le montant des frais - réclamant un montant additionnel de 151 286,20 $, pour une réclamation totale (selon le calcul du Tribunal) de 486 999,29 $.
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[26] En réplique, la demanderesse réitère que le prix retenu par la défenderesse comme étant celui du prix payé par Decas n’inclut pas l’ajustement à la hausse payé à certains producteurs auprès de qui elle s’est approvisionnée; elle invoque que ce n’est pas à elle à faire la preuve que ce prix incluant l’ajustement à la hausse n’a pas été payé aux producteurs ayant fourni plus que la moitié des canneberges à Decas.
[27] Elle plaide aussi que même si Fruit d’Or inc. est identifiée en tant qu’acheteur reconnu dans la définition incluse au contrat, la reconnaissance ne s’applique qu’à la date de la signature du contrat alors que Fruit d’Or inc. s’est disqualifiée par la suite, après la signature du contrat, notamment par la résiliation des contrats à la suite de sa proposition concordataire.
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[28] Je commence par la « disqualification » de Fruit d’Or inc. en tant qu’acheteur reconnu au sens du contrat liant les parties.
[29] À mon avis, même si Fruit d’Or inc. n’était pas impliquée depuis au moins dix ans dans l’industrie de la canneberge, considérant qu’elle est nommément identifiée par la définition, il ne peut s’agir d’un motif qui permettrait de l’exclure à ce titre.
[30] Par ailleurs, parce que cette définition utilise le terme « actuellement » en rapport avec les contrats d’approvisionnement prévoyant l’achat de plus de 20 millions de livres de canneberges par année, c’est nécessairement à l’époque de la signature du contrat qu’il faut se référer pour situer le volume d’affaires; la résiliation ultérieure des contrats ne peut donc pas avoir pour effet de porter atteinte à la reconnaissance de Fruit d’Or inc.
[31] Au surplus, tel que la défenderesse l’a plaidé, les contrats n’étaient pas (encore) résiliés en mai 2010 au moment où le prix devait être établi par la défenderesse, soit dans les trente jours précédant les dates de paiement, dont celui du 15 mai 2010 qui est celui pour lequel l’ajustement final doit être opéré.
[32] D’autre part, en ce qui concerne le prix payé en 2009 par Fruit d’Or inc., son président, un des témoins de la demanderesse, a précisé que le prix d’achat en 2009 des canneberges par la compagnie - étant le prix retenu par la défenderesse - n’avait pas subi d’ajustement par la suite, le marché étant baissier, a-t-il expliqué; le témoin a aussi indiqué que c’est ce prix qui a servi de référence pour le calcul des réclamations après acceptation de la proposition concordataire de la compagnie - les créanciers ont reçu 8 cents dans la piastre [8] .
[33] Par ailleurs, la demanderesse a mentionné en début d’audience que le prix - qui a fait l’objet d’une admission commune des parties en l’instance - retenu par la défenderesse pour Fruit d’Or inc. n’était pas en litige, seule sa qualité d’acheteur reconnue l’était [9] .
[34] Dans les circonstances, le Tribunal voit mal comment il pourrait exiger de la défenderesse une preuve sur un ou des paiements par Fruit d’Or inc. à des producteurs de canneberges dans les trente jours précédents le 15 mai 2010, selon la lettre du contrat.
[35] En ce qui concerne maintenant le montant attribué par la défenderesse au prix payé par Decas , selon la disposition applicable dans le contrat, ce sont les « prix … payés … à des producteurs … » [10] qui doivent être utilisés; ainsi, par interprétation littérale, il n’y a pas de quantité minimale : le prix retenu par la défenderesse pour calculer la moyenne servant à établir le prix qu’elle paie à la demanderesse en fonction du prix payé par Decas seulement à certains producteurs respecterait les termes du contrat.
[36] Bien entendu, la bonne foi exige que la défenderesse n’interprète pas et n’applique pas cette clause-là de façon malhonnête; cependant, on est loin du fardeau imputé par la demanderesse à la défenderesse de prouver que plus de la moitié du volume de canneberges achetées par Decas l’ait été au prix plus bas retenu par la défenderesse.
[37] En ce qui concerne la commune intention des parties, elle ne peut être d’aucun secours à la demanderesse puisqu’aucune preuve d’une intention quelconque de la défenderesse n’a pu être établie.
[38] Par ailleurs, en ce qui concerne les frais, ils seront évidemment alloués en fonction de la dernière réclamation de la demanderesse, par sa requête introductive d’instance ré-réamendée, étant celle dont le présent jugement dispose.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[39] REJETTE la requête introductive d’instance ré-réamendée de la demanderesse;
[40] avec dépens calculés sur la base d’une réclamation de 335 709,09 $.
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Me Katheryne Desfossés Cain Lamarre Casgrain Wells Procureurs de la demanderesse |
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Me Michel Dupont |
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Stein Monast |
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Procureurs de la défenderesse |
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Date d’audience : |
15 avril 2015 |
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[1] à la suite d’un ajustement découlant d’un jugement dans un autre dossier
[2] je n’indique pas les montants payés par Decas parce que, à la demande de la compagnie et avec l’accord des parties, ils sont tenus confidentiels; la preuve à ce sujet, documentaire ou testimoniale, a été présentée sous le sceau de la confidentialité et fait l’objet d’ordonnances de protection; de plus, pour éviter de dévoiler l’information confidentielle, je ne peux pas non plus donner le prix payé par l’autre acheteur qui a servi à établir le prix moyen sur lequel la défenderesse s‘est basée pour payer la demanderesse, Fruit d’Or inc., parce que, autrement, il serait facile par une opération mathématique simple de calculer à partir de ce prix moyen, celui qui a servi à payer la demanderesse, le prix de Decas
[3] la demanderesse fait référence à une lettre de Decas 15 mai 2010 obtenue par la défenderesse (incluse dans P-18) faisant état du prix payé par Decas sur laquelle un des représentants de la défenderesse qui a témoigné à l’enquête dit s’être fié pour faire le calcul servant à établir le prix payé à la demanderesse
[4] la demanderesse a aussi fait témoigner le représentant d’un autre producteur, Canneberges Drummond inc. , qui a vendu une partie de sa production en 2009 à Decas au prix qui inclut la majoration que la demanderesse n’a pas eue
[5] le chiffre de 131 producteurs à qui Decas a d’abord été donné par un autre représentant de la compagnie qui a témoigné - en personne - à l’audience, monsieur Roméo Haché; cependant, sa réponse basée sur un renseignement obtenu par téléphone quelques jours avant l’audience a fait l’objet d’une objection - pour cause de ouï-dire - formulée par le propre procureur qui avait posé la question - ce qui a été contesté par l’autre procureur; le Tribunal devait se prononcer sur l’objection par le présent jugement mais la personne auprès de qui monsieur Haché a obtenu l’information est monsieur Charles Dillon dont le témoignage sur le même sujet n’a pas fait l’objection ni de contestation; il est donc inutile de se prononcer
[6] incluant présumément Canneberges Drummond inc.
[7] le représentant de Decas qui a témoigné à l’audience, par téléphone, n’était pas en mesure de préciser quel pourcentage en quantité a été payé au prix plus bas
[8] la défenderesse a expliqué en plaidoirie qu’elle a procédé à un ajustement à la hausse du montant qu’elle avait utilisé aux fins du calcul de la moyenne pour le prix payé par Fruit d’Or inc. à la suite d’un jugement de cette cour dans une autre cause ayant déterminé qu’elle n’aurait pas dû utiliser le prix payé en fonction de la proposition concordataire qui était acceptée par les créanciers, ramené à 8 pourcents de la réclamation, mais bien le prix avant cette proposition; cet ajustement a donné lieu à un acquiescement partiel à jugement en la présente instance
[9] ainsi que le prix payé par Decas
[10] mon soulignement