Bell Canada c. Promutuel Lanaudière, société mutuelle d'assurances générales |
2015 QCCQ 3730 |
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COUR DU QUÉBEC |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
JOLIETTE |
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« Chambre civile » |
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N° : |
705-22-013739-139 |
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DATE : |
2 février 2015 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DU JUGE DENIS LE RESTE, J.C.Q. |
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BELL CANADA, |
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Demanderesse |
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c. |
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PROMUTUEL LANAUDIÈRE, SOCIÉTÉ MUTUELLE D’ASSURANCE GÉNÉRALE, |
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Défenderesse |
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JUGEMENT |
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[1] Bell Canada, ci-après désignée «Bell», réclame 5 967,67 $ à Promutuel Lanaudière, société mutuelle d’assurance générale, ci-après désignée «Promutuel», pour les dommages survenus à ses installations téléphoniques aériennes.
[2] Son assurée, Ferme Bonneterre inc., ci-après désignée «Bonneterre», aurait heurté et endommagé une ligne téléphonique aérienne avec un appareil agricole.
[3] Promutuel soutient que l’installation téléphonique a été installée plus bas que les normes applicables et qu’en conséquence, ce n’est pas l’assurée qui est responsable de la situation.
[4] D’ailleurs, elle se porte demanderesse reconventionnelle et demande d’être indemnisée des 3 097,64 $ qu’elle a versés à son assurée pour les dommages survenus à son équipement.
LES QUESTIONS EN LITIGE:
[5] Les principales questions en litige sont les suivantes:
- Les installations téléphoniques aériennes étaient-elles installées à une hauteur appropriée?
- L’assurée de Promutuel est-elle responsable de la situation?
- Y a-t-il lieu à indemniser l’une ou l’autre des parties?
LE CONTEXTE:
[6] Bell est une société dûment autorisée à exploiter un réseau de télécommunications au Québec.
[7] Promutuel œuvre dans le domaine de l’assurance de dommages et son assurée, Ferme Bonneterre inc., détient une police d’assurance à ce chapitre.
[8] Le 22 avril 2013, un préposé de Bonneterre circule sur le rang St-Jean Sud-Est à Lavaltrie. Il conduit un tracteur à l’arrière duquel est attaché un râteau agricole de marque Pottinger, modèle Eurotop 801M, ci-après désigné «le râteau».
[9] Bell soutient que l’employé de Bonneterre a heurté et endommagé les installations téléphoniques aériennes et qu’elle a dû débourser 5 967,67 $ pour sa réparation.
[10] Le quantum des dommages subis par Bell n’est pas contesté par Promutuel.
[11] On met en preuve (P-1) le rapport d’accident de véhicules routiers complété sur un formulaire de la Société de l’assurance automobile du Québec par le policier appelé sur les lieux. Il décrit la situation comme suit :
« […] CoV1 a accroché un fil avec son rateau à foin. Le rateau est un Pottinger model Eurotop 801M type PSM286 […] le rateau a subi des dommages. » (sic)
[12] Monsieur Mario Charbonneau, réparateur du réseau extérieur de Bell, témoigne.
[13] Il a été appelé sur les lieux vers 16 h 30 cette journée-là. Dès son arrivée, il constate qu’un câble traverse le rang St-Jean Sud-Est à Lavaltrie.
[14] En fait, le câble est au sol à 45 degrés par rapport à l’angle de la route. Il prend des photos, complète ses rapports.
[15] Parce que les véhicules ont circulé sur le fil une fois au sol, ce dernier est inutilisable. On doit le remplacer.
[16] À l’origine un tel câble téléphonique est suspendu à un fil d’acier de 6 millimètres appelé «toron». Ce câble d’acier a une tension très importante de 1 200 livres.
[17] On réinstalle le tout. Il utilise les mêmes attaches, les mêmes encrages, les mêmes trous dans les mêmes poteaux qu’initialement.
[18] Une fois cela complété, il mesure la hauteur des installations téléphoniques aériennes par rapport à la chaussée. Elle est de 14 pieds 6 pouces.
[19] Il est sur les lieux de 16 h 30 à 22 h 30. Il doit y retourner pour compléter d’autres travaux à proximité le lendemain.
[20] Denis Dolbec, un enquêteur de Bell se rend sur place et effectue certains mesurages et prend des photos.
[21] Nous sommes le 16 juillet 2013.
[22] Il constate que le fil est à 14 pieds 7 pouces de la chaussée.
[23] Il dépose des photos démontrant que les attaches, les boulons, le fil et tout l’équipement nécessaire à réinstaller le câble l’ont été exactement au même endroit qu’auparavant.
[24] Pour ces deux témoins, il est impossible que le fil ait été à une hauteur inférieure à 14 pieds 6 pouces au moment du passage de l’appareil de Bonneterre.
[25] Ils ajoutent qu’il est impossible que le câble se soit affaissé au fil des ans puisqu’il ne supporte pas plus que le câble téléphonique d’un poids d’à peine 30 ou 40 livres sur 200 pieds de longueur.
[26] Enfin, Karine Groulx, directrice des réclamations de Bell, nous entretient du registre des incidents sur le réseau téléphonique. Elle y a accès depuis au moins 2002 et jamais il n’a été répertorié quelque difficulté que ce soit avec les installations téléphoniques aériennes sur le rang St-Jean Sud-Est à Lavaltrie.
[27] Elle met en preuve une photo retrouvée sur Google Map. Elle est datée d’août 2011 et on y voit le câble téléphonique en litige. Elle soutient qu’il est bien droit, qu’il n’est pas affaissé et que les attaches sur les poteaux de bois sont les mêmes que celles des photographies prises par les deux témoins précédents. La seule explication possible pour Bell c’est que les pièces amovibles du râteau aient été mal déployées et à une hauteur inadéquate.
[28] Pour sa part, Francis Marquis, surintendant de Bonneterre, explique qu’il est responsable du centre de grains et des travaux de mécanique et de soudure sur tous les équipements agricoles de Bonneterre.
[29] C’est lui qui, le 22 avril 2013, a circulé avec l’appareil sur le rang St-Jean Sud-Est.
[30] L’incident a eu lieu à une distance de 10 ou 12 kilomètres des installations de Bonneterre.
[31] Il décrit la situation. Il circulait entre 32 et 35 kilomètres/heure avec l’appareil au moment où il a senti une importante secousse.
[32] Le tracteur s’est arrêté. Il a vu derrière l’appareil un gros fil noir au sol. Voyant la situation, il a stationné un peu plus loin l’appareil pour éviter de nuire à la circulation. Un citoyen avait déjà contacté les policiers qui se sont rendus sur les lieux promptement.
[33] Il décrit le râteau. C’est sa partie la plus haute, le «tapis»,qui a percuté le câble.
[34] Il explique qu’en circulant avec le râteau sur la voie publique, il doit être en position «transport». Les deux toupies s’ouvrent vers le bas lorsqu’il descend ce dernier pour effectuer le travail au champ.
[35] Il s’agissait de la première sortie de l’appareil cette année-là. Dans les années antérieures, il croit qu’ils ont accédé à cet endroit. Il dira « C’est sûrement déjà arrivé que le tracteur ait passé là. »
[36] Le matin même du procès, il a mesuré la hauteur de l’appareil en mode «transport». Elle est de 13 pieds.
[37] À ce moment-là cependant, le râteau était apposé sur son pied de stationnement et non pas sur le tracteur. Il croit que « C’est presque la même hauteur que lorsqu’il est sur le tracteur .»
[38] Il a dû procéder à certaines réparations d’urgence du râteau et de ses accessoires afin de revenir à la ferme.
[39] En contre-interrogatoire, il admet que les roues du râteau n’ont aucune suspension. Il n’a pas reçu de formation spécifique pour cet appareil. C’est le vendeur qui leur explique son fonctionnement lors de la livraison.
[40] Il prétend qu’au Québec, ils ont droit à un maximum de 13 pieds 8 pouces de hauteur pour tout appareil circulant sur la voie publique.
[41] Il admet que le tapis (pièce qui a touché le câble aérien) est une pièce amovible. Ce n’est pas lui qui a positionné les accessoires du râteau en mode transport cette journée-là, le tout avait été mis dans cette position depuis l’entreposage de l’automne précédent.
[42] Jamais les appareils de Bonneterre n’ont heurté d’autres fils.
[43] Richard Raynault, copropriétaire de Bonneterre, témoigne. Ils ont cet appareil depuis 2005. Ils l’ont acheté neuf. Il n’a jamais eu de modification de quelque nature que ce soit. C’est un appareil qui circule très souvent sur les voies publiques sans jamais qu’il ne se soit passé d’événement comme celui-là.
[44] Lorsque questionné sur la présence de cet appareil sur cette route, monsieur Raynault dit : « À une occasion, je pense….le râteau y est peut-être allé, mais pas certain. »
[45] Il a mesuré le râteau après l’accident, sa hauteur était de 13 pieds (3.96 m).
[46] Il précise que c’est lors du retour à la ferme, après l’accident du 22 avril, qu’il a mesuré l’appareil. On avait cependant enlevé le support de tapis puisqu’il était endommagé.
[47] Il a lui-même effectué les réparations et obtenu 3 097,64 $ de l’assureur. Il a assumé 1 000 $ de déductible.
[48] Il met en preuve le livre du fabricant qui explique les hauteurs en position ouverte ou fermée de l’appareil.
[49] Il s’agit là de l’essentiel de la preuve obtenue lors de l’audience.
LE DROIT APPLICABLE :
[50]
Le Tribunal souligne l’article
1457. Toute personne a le devoir de respecter les règles de conduite qui, suivant les circonstances, les usages ou la loi, s'imposent à elle, de manière à ne pas causer de préjudice à autrui.
Elle est, lorsqu'elle est douée de raison et qu'elle manque à ce devoir, responsable du préjudice qu'elle cause par cette faute à autrui et tenue de réparer ce préjudice, qu'il soit corporel, moral ou matériel.
Elle est aussi tenue, en certains cas, de réparer le préjudice causé à autrui par le fait ou la faute d'une autre personne ou par le fait des biens qu'elle a sous sa garde.
[51]
L’article
108. Le propriétaire de l'automobile est responsable du préjudice matériel causé par cette automobile.
Il ne peut repousser ou atténuer cette responsabilité qu'en faisant la preuve:
1. que le préjudice a été causé par la faute de la victime, d'un tiers, ou par cas de force majeure autre que celui résultant de l'état ou du fonctionnement de l'automobile, du fait ou de l'état de santé du conducteur ou d'un passager […].
[52]
L’article
109. Le conducteur d'une automobile est solidairement responsable avec le propriétaire, à moins qu'il ne prouve que l'accident a été causé par la faute de la victime, d'un tiers ou par cas de force majeure autre que celui résultant de son état de santé ou du fait d'un passager.
[53] Les articles 1 et 2 du Règlement sur la hauteur des fils des lignes de télégraphe et de téléphone [2] se lisent comme suit :
1. Le présent règlement peut être cité sous le titre : Règlement sur la hauteur des fils des lignes de télégraphe et de téléphone .
DISPOSITIONS GÉNÉRALES
2. Sous réserve de dispositions ou autorisations contraires du Comité des transports aériens de la Commission canadienne des transports, la hauteur à laquelle toute compagnie légalement autorisée par une loi spéciale ou toute autre autorisation du Parlement du Canada, à construire, exploiter et entretenir des lignes de télégraphe ou de téléphone doit fixer et entretenir les fils
a ) au-dessus ou à travers des routes et lieux publics dans les cités, les villes et les villages constitués, et
b ) au-dessus, à travers ou le long d’une voie, entrée ou chemin privés utilisés pour la circulation des véhicules,
est celle qui est prescrite pour les lignes de communication dans la norme C22.3 n o 1-1970 de l’Association canadienne de normalisation au sujet des réseaux aériens et souterrains auxquels s’applique la partie III du Code électrique canadien.
[54] La Norme nationale du Canada (NNC) quant au réseau aérien établit à 4.42 mètres ou 14 pieds 6 pouces les hauteurs minimales des installations électriques.
[55] Les auteurs Baudouin et Deslauriers, dans leur traité intitulé La responsabilité civile 7 e édition [3] décrivent la situation juridique applicable en semblable matière :
«
1-1162 - Généralités - En règle générale, le
propriétaire et le conducteur et le conducteur de l’automobile qui a causé le
préjudice matériel en sont solidairement présumés responsables. Une exonération
est toutefois possible dans des cas limités et bien circonscrits. Rappelons ici
que les concepts d’«automobile», de «propriétaire», de «dommage causé par une
automobile», sont définis par loi et s’appliquent tant à l’indemnisation du
préjudice corporel que matériel. Ils ont déjà été examinés. Par contre, comme
les exclusions de l’article
1-1163 - Nature de la responsabilité - La responsabilité du propriétaire et du conducteur est stricte. D’une part, en effet, les cas où leur exonération reste possible sont extrêmement limités. D’autre part, la loi leur attribue le fardeau de prouver ces cas d’exonération. En d’autres termes, il nous paraît que désormais la loi place clairement sur les épaules de ces deux personnes le risque de l’accident inexplicable. Il ne suffit plus que le propriétaire prouve une simple absence de faute.
Il est tenu, s’il ne veut pas que la présomption de responsabilité s’applique, de prouver de façon positive les causes d’exonération et pas seulement de faire une démonstration générale d’absence de faute. Celles-ci ne sont donc jamais présumées en sa faveur.
[…]
1-1165 - Principe - La loi, à l’article 108, tient le propriétaire premier responsable du préjudice matériel causé à la victime par son automobile. L’exonération n’est possible que dans le cadre des trois hypothèses successivement prévues par le texte soit, d’une part, la dépossession par vol, et enfin l’accident causé en dehors d’un chemin public lorsque l’automobile est confiée pour réparation, remisage ou transport.
(Références omises)
[56] Ainsi, selon les critères juridiques applicables, Promutuel doit renverser la présomption de responsabilité et prouver de façon positive l’une des causes d’exonération.
[57] Promutuel ne peut se satisfaire d’une démonstration générale d’absence de faute de Bonneterre.
[58] En l’espèce, il y a lieu de déterminer si les installations téléphoniques aériennes respectaient ou non les normes minimales de hauteur applicables de 14 pieds 6 pouces.
[59] Le Tribunal considère important de décrire les règles et critères applicables dans le cadre du fardeau de la preuve.
[60]
Le rôle principal des parties dans la charge de la preuve est établi aux
articles
2803. Celui qui veut faire valoir un droit doit prouver les faits qui soutiennent sa prétention.
Celui qui prétend qu'un droit est nul, a été modifié ou est éteint doit prouver les faits sur lesquels sa prétention est fondée.
2804. La preuve qui rend l'existence d'un fait plus probable que son inexistence est suffisante, à moins que la loi n'exige une preuve plus convaincante.
[61] Les justiciables ont le fardeau de prouver l'existence, la modification ou l'extinction d'un droit. Les règles du fardeau de la preuve signifient l'obligation de convaincre, qui est également qualifiée de fardeau de persuasion. Il s'agit donc de l'obligation de produire dans les éléments de preuve une quantité et une qualité de preuve nécessaires à convaincre le Tribunal des allégations faites lors du procès.
[62] En matière civile, le fardeau de la preuve repose sur les épaules de la partie demanderesse suivant les principes de la simple prépondérance.
[63] La partie demanderesse doit présenter au juge une preuve qui surpasse et domine celle de la partie défenderesse.
[64] La partie qui assume le fardeau de la preuve doit démontrer que le fait litigieux est non seulement possible, mais probable.
[65] La probabilité n'est pas seulement prouvée par une preuve directe, mais aussi par les circonstances et les inférences qu'il est raisonnablement possible d'en tirer.
[66] Le niveau d'une preuve prépondérante n'équivaut donc pas à une certitude, ni à une preuve hors de tout doute.
[67] La Cour suprême du Canada, dans la décision de Parent c. Lapointe [4] , sous la plume de l'honorable juge Taschereau, précise:
« C'est par la prépondérance de la preuve que les causes doivent être déterminées, et c'est à la lumière de ce que révèlent les faits les plus probables, que les responsabilités doivent être établies. »
[68] Dans leur traité de La preuve civile (4 e Édition) [5] , les auteurs Jean-Claude Royer et Sophie Lavallée précisent:
« Il n'est donc pas requis que la preuve offerte conduise à une certitude absolue, scientifique ou mathématique. Il suffit que la preuve rende probable le fait litigieux. »
[69] Les auteurs rappellent la décision de la Cour d'appel du Québec dans l'arrêt Dubois c. Génois [6] où le juge Rinfret s'exprime comme suit:
« Il aurait pu également s'appuyer sur les décisions citées par M. le juge Taschereau dans Rousseau c. Bennett, pour appuyer la théorie que "les tribunaux doivent souvent agir en pesant les probabilités. Pratiquement rien ne peut être mathématiquement prouvé." »
[70] Ces mêmes auteurs écrivant quant à l'appréciation de la prépondérance mentionnent:
« Pour remplir son obligation de convaincre, un plaideur doit faire une preuve qui rend l'existence d'un fait plus probable que son inexistence, à moins que la loi n'exige une preuve plus convaincante. Le degré de preuve requis ne réfère pas à son caractère quantitatif, mais bien qualitatif. La preuve produite n'est pas évaluée en fonction du nombre de témoins présentés par chacune des parties, mais en fonction de leur capacité de convaincre. Ainsi, le plaideur doit démontrer que le fait litigieux est non seulement possible, mais probable. Dans l'appréciation globale d'une preuve, il n'est pas toujours facile de tracer la ligne de démarcation entre la possibilité et la probabilité. »
[71] Pour les Tribunaux, plusieurs règles peuvent aider un juge à décider de la suffisance ou non de la preuve entendue lors d'un procès.
[72] Par exemple, une preuve directe est préférée à une preuve indirecte, la preuve d'un fait positif est préférée à celle d'un fait négatif. La corroboration est une preuve qui renforce un témoignage de façon à inciter le juge à le croire, et l'attitude d'un témoin lors d'un procès peut même influencer le Tribunal.
2845. La force probante du témoignage est laissée à l'appréciation du tribunal.
[73] Le Tribunal doit, à la lumière de tous les éléments de la preuve, soit la preuve matérielle, documentaire et la preuve testimoniale reçue lors du procès, déterminer si la partie demanderesse a réussi à le convaincre selon la règle des probabilités.
ANALYSE ET DISCUSSION :
[74] Le Tribunal conclut que la prépondérance de la preuve démontre que la hauteur du câble téléphonique aérien de Bell respectait les normes applicables.
[75] Les préposés de Bonneterre n’ont pas mesuré l’appareil avant de le réutiliser au printemps 2013. On sait que des manœuvres ont été faites sur cet appareil, mais aucune vérification particulière ou mesurage n’a été effectué avant de l’utiliser ce jour-là.
[76] Ce n’est qu’après son retour à la ferme que monsieur Raynault l’a mesuré. L’accident était déjà survenu et certaines pièces déplacées.
[77] Parallèlement à cela, il est en preuve non contredite que le câble téléphonique a été réinstallé de la même manière qu’il l’était auparavant. On a utilisé les mêmes encrages, les mêmes trous, les mêmes poteaux, en fait il est en tous points au même endroit où il était avant l’accident.
[78] La seule explication possible de tous ces éléments, c’est que les accessoires attachés au râteau n’étaient pas à leur position de «transport» et qu’ils étaient à une hauteur inhabituelle.
[79] Parce qu’il existe cette présomption, le fardeau de preuve repose ainsi sur Promutuel afin qu’elle soit exonérée de sa responsabilité à l’égard des dommages subis par Bell.
[80] Le Tribunal n’estime pas que la preuve effectuée par Promutuel et Bonneterre soit suffisante à cet effet pour renverser le fardeau de la preuve.
[81]
Promutuel n’a pas prouvé à la satisfaction du Tribunal une des causes
d’exonération prévues à l’article
[82] Le Tribunal conclut que Bonneterre a commis une faute en ne positionnant pas l’appareil à la hauteur minimale prévue.
[83] D’ailleurs, même en l’absence de faute, cela ne suffit pas à exonérer Promutuel de la réclamation. Son assurée doit assumer le risque de l’«accident inexplicable».
[84] Notre collègue, l’honorable Monique Sylvestre, dans Hydro-Québec c. Lavoie [7] , écrit ceci :
« [ 10 ] Le propriétaire et le conducteur sont donc présumés responsables des dommages à moins qu'ils ne démontrent un des motifs d'exonération prévus à la loi. C'est sur leurs épaules que repose le fardeau de la preuve.
[ 11 ] Dans le présent dossier, les défendeurs Larochelle et Lavoie n'invoquent pas la faute de la victime. Par contre, ils allèguent la faute d'un tiers, soit Bell Canada. Pour repousser la présomption de la loi, ils doivent établir que les préposée de Bell se sont écartés de la norme habituelle de hauteur pour la pose du fil d'haubanage.
[ 12 ] Le témoin de la défenderesse Bell Canada, monsieur Denis Dolbec, n'est pas en mesure de déclarer à quelle hauteur au dessus de la route se trouvait le fil d'haubanage qui a été accroché.
[ 13 ] À ce sujet, dans l'affaire Hydro-Québec c. Matériaux Économiques inc, Daniel St-Pierre et Bell Canada, notre collègue le juge Raymond Pagé écrit :
"N'y a-t-il pas lieu de présumer que le fil de Bell respectait la hauteur minimale? Est-il raisonnable d'exiger en preuve que le propriétaire d'un réseau de distribution puisse tout au long de son réseau établir la hauteur exacte du fil par rapport au sol? N'y a-t-il pas lieu plutôt de présumer que lors de la construction du réseau la hauteur minimale est respectée? Le Tribunal le croit."
[…]
[ 21 ] Comme le souligne notre collègue Gabriel de Pokomandy dans l'affaire Telus Québec c. Tremblay et al.:
"(…) la loi attribue clairement au propriétaire et au conducteur la responsabilité de l'accident inexplicable. Pour repousser la présomption de responsabilité, le propriétaire et le conducteur doivent prouver de façon positive les causes d'exonération qui leur sont applicables et non seulement démontrer leur absence de faute."
[ 22 ] Or, non seulement les défendeurs Larochelle et Lavoie n'ont-ils pas prouvé de façon positive la faute de la défenderesse Bell Canada, mais la preuve n'a pas convaincu la soussignée, malgré le témoignage du policier, que leur chargement respectait la hauteur réglementaire. »
(Références omises)
[85] Le Tribunal concluant en la responsabilité de l’assuré de Promutuel et étant donné que le quantum est admis, accueille la réclamation selon ses conclusions.
[86] Étant donné cette conclusion, il n’y a pas lieu d’accueillir la demande reconventionnelle.
[87] POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[88] ACCUEILLE la réclamation.
[89]
CONDAMNE Promutuel Lanaudière, société mutuelle d’assurance générale, à
payer à Bell Canada 5 967,67 $ plus les intérêts au taux légal majoré
de l'indemnité additionnelle prévue à l'article
[90] REJETTE la demande reconventionnelle.
[91] LE TOUT, avec dépens.
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__________________________________ DENIS LE RESTE, J.C.Q. |
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Me Jean-Frédéric Dicaire |
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DICAIRE AVOCAT INC. |
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Avocat de la demanderesse |
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Me Annie Guillemette |
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GAGNÉ, GUILLEMETTE AVOCATS |
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Avocate de la défenderesse |
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Date d’audience : |
15 décembre 2014 |
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[1] RLRQ, c. A-25
[2] C.R.C., c. 1182
[3] Jean-Louis BAUDOUIN et Patrice DESLAURIERS, La responsabilité civile, 7 e éd, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2007, page 962
[4]
[5]
Jean-Claude ROYER et Sophie LAVALLÉE,
[6]
[7] 2004 CanLII 2171 (QC CQ)