Canadian Pacific Railway Co. c. Picher |
2015 QCCS 2114 |
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JG2551
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
MONTREAL |
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N° : |
500-17-083713-142 |
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DATE : |
15 mai 2015 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE : |
L’HONORABLE |
LUKASZ GRANOSIK, J.C.S. |
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CANADIAN PACIFIC RAILWAY CO. |
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Demandeur |
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c. |
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MICHEL G. PICHER
Défendeur |
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- et -
TEAMSTERS CANADA RAIL CONFERENCE, MAINTENANCE OF WAY EMPLOYEES DIVISION
Mis en cause |
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JUGEMENT |
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[1] Le Tribunal est saisi d’une requête en révision judiciaire présentée par Canadian Pacific Railway Co, d’une décision de Michel G. Picher, siégeant à titre d'arbitre de griefs au niveau du Canadian Railway Office of Arbitration ("CROA").
[2] Dans cette décision, le tribunal d'arbitrage annule le congédiement d'un employé, et y substitue une suspension sans solde d'environ sept (7) mois avec l’obligation pour l'employé de se soumettre à des tests de dépistage aléatoires et non intrusifs de drogue pendant une période de deux (2) ans. En cas d’échec d’un tel test, la décision prévoit « the most negative consequences for his employment security » .
[3] La décision tient sur deux (2) pages et se limite à cinq (5) paragraphes à double interligne, ce qui, selon les parties, n’est pas inhabituel pour les décisions du CROA, même dans les cas de griefs contestant les congédiements. Il semble que la décision attaquée soit rendue quatre (4) jours après la tenue de l'enquête et de l'audition d'une durée de quelques heures, alors qu'un dossier de quelques centaines de pages avait été soumis au tribunal d'arbitrage.
[4] En l’espèce, l’employeur a congédié l'employé car suite à une collision dans laquelle il avait été impliqué dans le cadre de son travail, ce dernier a échoué le test de dépistage de drogue effectué, au moyen de tests de salive et d’urine. Ce test, passé quelques heures après l'événement, aurait démontré que l'employé avait consommé de la marijuana récemment.
[5] L’employeur soutenait devant le tribunal d'arbitrage que ces tests démontraient la consommation de drogue avant le début de son quart de travail, mais aussi au travail et que l’employé avait travaillé sous l’influence de la drogue, alors qu’il détenait un poste à risque. En revanche, le syndicat admettait que l'employé avait fumé un joint de marijuana la veille de l’accident mais soutenait qu'il n'avait pas travaillé sous l’influence de la drogue, qu'il avait donné 37 ans de bons et loyaux services (avec un antécédent disciplinaire mineur en 2013) à l'employeur et que le congédiement constituait une mesure exagérée.
[6] La norme de contrôle est celle de la décision raisonnable. Le Tribunal d’arbitrage était au cœur de sa compétence, ayant à déterminer si l'employé a commis une faute et si oui, quelle était la sanction adéquate. La jurisprudence soumise par les parties d’ailleurs est limpide à ce sujet.
[7] L’employeur demande la révision judiciaire de cette décision au motif qu'elle est déraisonnable, car manque de justification, de transparence et d’intelligibilité.
[8] La décision du tribunal d'arbitrage est laconique, mais ceci n'est pas un motif de révision allégué par le demandeur, et avec raison. Toutefois, peu importe la longueur de cette décision, le Tribunal doit déterminer, en appliquant le test établi dans l'arrêt Dunsmuir [1] , et confirmé à maintes reprises par la Cour suprême du Canada depuis, si elle fait partie des issues possibles au regard des faits et du droit. En particulier, le Tribunal doit vérifier, sans faire une chasse aux trésors à la recherche d’erreurs tel que prescrit dans l’arrêt Irving [2] , si le tribunal d'arbitrage a motivé la décision de façon raisonnable.
[9] Il est acquis que le tribunal d'arbitrage n’a pas à répondre dans sa décision à tous les arguments ou précédents soumis par les parties, tel que clairement établi par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Nurses’ Union [3] et réitéré dans l'arrêt Construction Labour Relations [4] , mais les motifs de la décision à analyser doivent tout de même donner l'occasion à la cour de révision de décider si la conclusion fait partie des issues raisonnables:
En d'autres termes, les motifs répondent aux critères établis dans Dunsmuir s'ils permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables. [5]
[10] En l’occurrence, le tribunal d’arbitrage casse le congédiement au motif des facteurs atténuants « substantiels », soit l’ancienneté de 26 ans [6] , l'implication et les fonctions syndicales de l'employé et enfin, l'intégrité et la respectabilité (« decency ») reconnues à l'employé. En revanche, le tribunal d’arbitrage ne se prononce pas sur l’événement fondamental à ce litige, à la source même du congédiement, soit le moment et les circonstances entourant la consommation de la drogue, ni sur l’état de l'employé au travail.
[11] Le tribunal d'arbitrage énonce plutôt une hypothèse aux paragraphes 2 et 3 de sa décision, qu'il assimile à la position de l'employeur devant lui et conclut que, même en prenant cette hypothèse pour acquise, il doit tenir compte des facteurs atténuants.
[12] Toutefois, le dossier démontre que l'hypothèse énoncée ne correspond pas à la position de l'employeur (voir notamment les paragraphes 39 et 48 du document « Submission » de l'employeur déposé devant le tribunal d'arbitrage). Enfin, dans sa détermination finale à l'avant-dernier paragraphe de la décision, le tribunal d’arbitrage n'évoque plus l'hypothèse énoncée auparavant, mais juge plutôt qu'il trouve inutile (« unnecessary ») de déterminer à quel moment l’employé a consommé la drogue.
[13] Or, il est indispensable de savoir en l’espèce quelle situation factuelle le tribunal d'arbitrage retient, afin de pouvoir comprendre son raisonnement et décider éventuellement quel est l’impact de cette détermination au niveau du comportement de l'employé (consommation de drogue multiple ou isolée, consommation de drogue la veille ou la veille et le jour même au travail, travail sous l'influence ou non, l'honnêteté et la transparence lors de l'enquête ou non, etc.) sur l'adéquation de la sanction.
[14] En analysant la décision du tribunal d'arbitrage, un lecteur, même attentif, ne peut savoir dans quelle mesure il a pris en considération la position de l'employeur concernant la consommation de la drogue par l'employé et ses effets, s'il l'a rejetée, s'il l'a retenue ou s'il n'en a pas tenu compte du tout et dans tous ces cas, pour quels motifs.
[15] Le procureur du mis en cause soutient, avec raison, qu'il faut lire la décision du tribunal d'arbitrage dans son ensemble et que l'« implicite » fait partie des motifs [7] . Il rappelle aussi que le tribunal d'arbitrage CROA est un tribunal « ultra-spécialisé » [8] , qui écrit pour les parties très sophistiquées, et non pas pour le public en général et il soumet enfin qu'il ne faut pas exiger la perfection dans l'expression des explications par les décideurs [9] . Il admet cependant que les critères de transparence et d'intelligibilité connus en matière de la révision judiciaire s'appliquent à la décision attaquée, mais il est d'avis qu'elle y répond parfaitement.
[16] Tous ces arguments du mis en cause sont exacts, mais en l'espèce, même en essayant d'inclure dans l'analyse toute la partie potentiellement implicite de la décision, et en étant le plus ouvert possible aux différentes interprétations, elle demeure inintelligible.
[17] Le procureur du mis en cause soutient aussi avec éloquence et conviction que le tribunal d'arbitrage a utilisé l'hypothèse la plus défavorable à l'employé quant aux circonstances entourant la consommation de la drogue et que malgré cela, il a cassé le congédiement. C'est peut-être vrai, mais cela n'apparaît pas de la décision sous analyse. Au paragraphe 2 de sa décision, le tribunal d'arbitrage rapporte incorrectement la position de l'employeur, tel que déjà mentionné au paragraphe 12 de la présente décision. Au paragraphe qui suit, il semble accepter la position de l'employeur mais la précise de façon toujours incorrecte par rapport à l'argument de l'employeur, en ajoutant: « and that the grievor's consumption of marijuana was closer in time to his commencing work ». Enfin au paragraphe 4, crucial, dans lequel il motive sa décision de casser le congédiement, il omet et même refuse de remplir la dernière étape de sa mission juridictionnelle, soit se prononcer sur l'adéquation de la sanction en fonction de toutes les circonstances de la faute commise. Faut-il rappeler que le tribunal d'arbitrage a la mission tripartite énoncée par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Conseil de l'éducation :
La première étape de tout examen de la question de savoir si un employé a été congédié pour une «cause juste» consiste à se demander si l’employé est effectivement responsable de la mauvaise conduite que lui reproche l’employeur. La deuxième étape est de déterminer si la mauvaise conduite constitue une cause juste justifiant les mesures disciplinaires. La dernière étape consiste à décider si les mesures disciplinaires choisies par l’employeur sont appropriées compte tenu de la mauvaise conduite et des autres circonstances pertinentes . [10]
[Nous soulignons ]
[18] Cette absence de motifs empêche le Tribunal d’exercer son pouvoir de contrôle et de surveillance. Il est tout à fait possible que la conclusion du tribunal d’arbitrage soit raisonnable et que la suspension jumelée aux tests de dépistage aléatoires, plutôt que le congédiement, fasse partie des issues possibles au regard des faits et du droit mais encore faudrait-il que les motifs dépassent les hypothèses évoquées, d’autant plus que le scénario mentionné ne correspond pas à l’argument de l’employeur. En effet, comment apprécier la raisonnabilité de la démarche du tribunal d'arbitrage au niveau de l'adéquation de la sanction, si ce tribunal fait abstraction des circonstances et de la gravité de la faute?
[19] En conséquence, étant donné l’absence de motifs et l'omission, voire le refus du tribunal d’arbitrage de déterminer quand, combien de fois et surtout avec quelles conséquences le plaignant a-t-il consommé de la drogue, le présent Tribunal est dans l’impossibilité de conclure si la décision sur l'adéquation de la sanction est raisonnable ou non. Cela rend la décision du tribunal déraisonnable en soi.
[20] Il reste à déterminer la conséquence de cette conclusion de déraisonnabilité. Le procureur du mis en cause soumet que dans un tel cas, il faut renvoyer le dossier devant le même arbitre, alors que les procureurs du demandeur soutiennent que l'arbitre en question aura déjà préjugé ce dossier et qu'il sera donc inéquitable, sinon injuste pour leur client, qu'il puisse parfaire ses motifs.
[21] Le Tribunal ne peut retenir les autorités proposées par le mis en cause à ce sujet, car ils proviennent du milieu disciplinaire alors que la jurisprudence en droit du travail est plus précise et semble s'appliquer avec plus d'acuité en l'occurrence.
[22] Ainsi, dans la décision Ville de Montréal [11] , la Cour d'appel, alors qu'elle décide que l'arbitre de griefs n'avait répondu que partiellement ou de façon incomplète à certaines questions en litige et accueillant la révision judiciaire pour cette raison, a conclu à ce sujet:
Dans les circonstances, je précise qu'il y a lieu de renvoyer le dossier à un autre arbitre, à moins que les parties n'en décident autrement. Cette solution est préférable pour éviter de mettre l'arbitre en cause dans l'embarras, d'une part, mais aussi, d'autre part, pour éviter toute apparence de partialité ou, plus exactement, pour qu'on ne puisse pas reprocher à l'arbitre d'avoir des idées préconçues sur le litige.
[23] Cette conclusion a été citée avec approbation et appliquée dans d'autres décisions similaires de la Cour d'appel [12] . Elle est particulièrement à propos dans un dossier comme celui en l'occurrence, alors que le décideur ayant entendu toute la preuve a déjà déterminé l'issue finale.
PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
ACCUEILLE la requête;
CASSE la décision CROA no 4329, du 14 juillet 2014;
RENVOIE le dossier devant un autre arbitre, à moins que les parties n'en décident autrement, pour qu'il soit statué de novo sur le grief;
Avec frais , contre le mis en cause seulement.
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__________________________________ LUKASZ GRANOSIK, J.C.S. |
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Me Louise Béchamp Me Dominique Monet Fasken Martineau DuMoulin |
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Procureurs du Demandeur |
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Me Sylvain Beauchamp Melançon, Marceau, Grenier & Sciortino Procureur du Mis en cause
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Date d’audience : |
Le 12 mai 2015
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LG/fsp
[1]
Dunsmuir
c.
Nouveau-Brunswick
,
[2]
Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier, Section
locale 30
c.
Pâtes et Papier Irving Ltée,
[3]
Nurses' Union
c.
Terre-Neuve-et-Labrador
,
[4]
Construction Labour Relations
c.
Driver Iron Inc.
,
[5] Nurses' Union , précité, note 3, paragraphe 16.
[6] Ce qui étonne, car selon les parties et le dossier présenté au tribunal d'arbitrage, l'employé en avait 37.
[7]
Syndicat national de l'automobile, de l'aérospatiale, du transport et des
autres travailleuses et travailleurs du Canda (TCA-Canada) sections locales
187, 728 1163
c.
Brideau
,
[8]
Canadian National Railway Company
c.
Teamsters Canada Rail Conference,
[9] Brideau, précité, note 7, paragraphe 41.
[10]
Conseil de l'éducation
c.
F.E.E.E.S.O.
,
[11]
Montréal (Ville de) (arrondissement
Côte-St-Luc—Hampstead—Montréal-Ouest)
c
. Syndicat canadien des cols bleus
regroupés de Montréal
,
[12]
Société canadienne des postes
c.
Syndicat des travailleuses et
travailleurs des postes
,