COMMISSION DES RELATIONS DU TRAVAIL |
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(Division des services essentiels) |
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Dossier : |
AM-1005-1821 |
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Cas : |
CM-2014-5774 |
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Référence : |
2015 QCCRT 0251 |
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Montréal, le |
15 mai 2015 |
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DEVANT LE COMMISSAIRE : |
Jean Paquette, juge administratif |
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Fraternité des policiers et policières de Montréal
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Requérante |
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c. |
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Ville de Montréal
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Intimés |
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DÉCISION INTERLOCUTOIRE |
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[1]
Le 6 octobre 2014, la Fraternité des policiers et policières de Montréal (la
Fraternité
) dépose une demande d’intervention devant la Division des services essentiels de la Commission. Cette requête prend appui sur les articles 109, 111.16 à 111.20 et
[2] La Fraternité allègue qu’à l’occasion d’un conflit entre elle et la Ville de Montréal (la Ville ), l’inaction de cette dernière à l’égard des salles de tirs, de l’entraînement et de la qualification des policiers sur les armes à feu, et également d’autres décisions, constituent une action concertée susceptible de porter préjudice à un service auquel le public a droit.
[3] Entre autres, la Fraternité demande à la Commission d’ordonner que tous les policiers reçoivent l’entraînement requis à leur qualification dans le maniement des armes à feu d’ici le 31 décembre 2014.
[4] Le 4 novembre 2014, la Fraternité modifie sa demande pour ajouter d’autres événements survenus depuis le premier dépôt. Elle ajoute alors des conclusions en lien avec ces événements.
[5] Le 4 février 2015, la Fraternité modifie de nouveau sa demande pour ajouter d’autres événements survenus depuis le 4 novembre. Certains faits concernent l’état et l’entretien des armes à feu de certains policiers. Elle ajoute alors des conclusions corrélatives aux événements relatés, mais plus particulièrement, elle demande que la Commission ordonne de prendre toutes les mesures nécessaires pour que les armes de service de tous les policiers soient inspectées et vérifiées annuellement. De plus, puisque le délai du 31 décembre est expiré, la Fraternité modifie la conclusion demandée le 6 octobre afin que l’entraînement requis pour la qualification soit fait annuellement.
[6] Les audiences débutent le 15 octobre 2014. La Fraternité administre sa preuve pendant huit jours, se terminant le 17 février 2015, tandis que la Ville le fait pendant quatre jours, soit jusqu’au 25 mars 2015.
[7] Le 2 avril 2015, la Fraternité annonce qu’elle veut présenter une contre-preuve. La Ville conteste celle-ci alléguant qu’elle vise à bonifier leur preuve en principal, laquelle a été déclarée close.
[8]
Le 9 avril 2015, par conférence téléphonique, il est convenu que la question sera plaidée lors de l’audience prévue le 30 avril suivant et que la Commission rendra
la présente décision. Les prochaines audiences sont prévues pour les 21, 22 et
29 mai 2015.
[9] Le 23 avril 2015, la Fraternité précise les faits qu’elle veut présenter lors de la contre-preuve. Elle désire faire entendre un expert sur les pratiques et règles de l’art lors d’une réparation ou d’un entretien d’une arme de service (registre, entretien, balles utilisées, type d’amorce, rouille).
[10] L’expert témoignera aussi que les méthodes utilisées, selon les explications des témoins (expert et ordinaires) de la Ville, sont inadéquates. De même, il commentera des photos déposées par la Ville ainsi qu’une autre photo présentée par la Fraternité et sur lesquelles l’expert de la Ville a donné son opinion. Enfin, il fera état d’irrégularités notées lors de certains témoignages (expert et ordinaires) présentés par la Ville et il donnera son opinion sur les pratiques adéquates et acceptables avec une arme de service et les risques que cela entraîne pour la population.
[11] Lors de l’analyse et les motifs, nous reviendrons sur des aspects plus précis de la contre-preuve que désire administrer la Fraternité avec son nouvel expert.
[12] Par ailleurs, la Fraternité désire faire témoigner deux policiers qui ont eu des difficultés avec leur arme de service lors de leur qualification en 2015 pour établir que les problèmes concernant les armes de service ne sont toujours pas réglés et que l’ordonnance recherchée demeure nécessaire et pertinente. Par cette preuve, la Fraternité désire contrer celle de la Ville voulant qu’il n’y ait pas de problème récent avec une arme à feu lors d’un entraînement ou d’une qualification depuis la fin d’une inspection d’urgence des armes prioritaires qui s’est terminée à la fin de janvier 2015, sauf pour un cas particulier.
[13]
Selon la Ville, la jurisprudence arbitrale du travail reconnaît que la contre-preuve est une option d’exception qui peut s’exercer dans trois situations : 1) pour réagir aux faits nouveaux introduits en défense, 2) pour répondre à un point de droit soulevé en défense et sans lien avec la preuve principale, 3) quand la preuve est confuse au point de nécessiter des précisions dans l’intérêt de la justice. Par ailleurs, sur la question du fait nouveau, il s’agit d’un fait qui ne pouvait être raisonnablement envisagé ou connu lors de la preuve principale. Il ne s’agit pas non plus d’une vision différente des mêmes faits déjà en preuve. De plus, il ne faut pas chercher à bonifier une preuve qui aurait dû être administrée en principale, puisqu’une partie ne peut la scinder (voir,
Syndicat des techniciennes et techniciens et artisanes et artisans du réseau français de Radio - Canada (STARF)
c.
Société Radio-Canada (Marie-Carole Beaudoin)
,
[14] Concernant la preuve d’expert que la Fraternité veut présenter, il a déjà été question des règles de l’art en preuve principale. Il en est de même de l’entretien et de l’inspection des armes à feu. Par le témoignage de son expert et le dépôt de pièces, la Ville n’a fait que répondre à ce qui a été présenté en preuve principale. Par conséquent, il s’agit d’une tentative par la Fraternité de bonifier sa preuve qui ne peut être scindée ou encore, de la présentation d’une autre vision des mêmes faits, notamment quant aux irrégularités notées.
[15] Pour ce qui est des deux témoins, la requête amendée à deux reprises date du 4 février 2015. Il y a des limites à l’évolution d’un dossier. Il ne s’agit pas de répondre à la preuve de la Ville, mais de bonifier une preuve déclarée close.
[16] Les règles de l’arbitrage ne s’appliquent pas à la Commission qui est maître de sa preuve et de sa procédure. Cette dernière doit respecter les règles de justice naturelle, dont le droit de présenter une preuve pertinente pour contrer celle d’une autre partie. Le seul critère à respecter est celui de la pertinence de la preuve.
[17] En l’espèce, la Fraternité veut réagir à la preuve présentée en défense par la Ville. Le dossier est évolutif, car les audiences se déroulent de façon contemporaine à la situation des parties. Cela dit, il est dans l’intérêt de la justice que tous les aspects pertinents soient traités dans le même dossier.
[18] La Fraternité veut qu’un expert puisse commenter des photos déposées lors de la preuve de la Ville. Elle veut aussi contrer le témoignage de l’expert de la Ville, notamment sur l’étanchéité de l’étui, l’usage des lingettes de silicone et la rouille de surface. Il en est de même pour les commentaires sur les inspections faites par l’expert de la Ville. Elle veut également pouvoir contredire son témoignage sur l’entretien d’une arme et la qualification des policiers, sur l’usage des douilles amorcées et les balles à blanc ainsi que sur les feuillets d’information à remplir lors de l’entretien.
[19] Concernant le témoignage des deux policiers, la Fraternité veut contrer l’affirmation d’un témoin de la Ville voulant qu’il n’y ait pas eu de problème depuis la fin de janvier 2015, sauf pour un cas en particulier.
[20] Les règles applicables en arbitrage de grief sont résumées au paragraphe 13 de la présente décision. Voyons celles qui s’appliquent en droit civil et, ensuite, devant la Commission afin d’appliquer ces dernières au cas à l’étude.
[21]
En droit civil, le droit à une contre-preuve est prévu explicitement à l’article
289. C'est à la partie sur laquelle repose le fardeau de la preuve à procéder la première à l'interrogation de ses témoins.
La partie adverse présente ensuite sa preuve, après quoi l'autre partie peut soumettre une contre-preuve.
Le tribunal peut, à sa discrétion, permettre l'interrogation d'autres témoins.
[22]
Cette discrétion accordée au tribunal incite les auteurs à favoriser une application souple de la règle plus formaliste visant à limiter la contre-preuve aux
faits nouveaux soulevés par la défense (Léo
Ducharme
,
L’administration de la preuve
,
4
e
éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 2010, p. 211; Jean-Claude
Royer
,
[23] Cela dit, il demeure que « le but de la contre-preuve n’est pas de renforcer sa propre preuve, mais de contredire ou d’expliquer les faits nouveaux soulevés dans celle qui a été soumise par la partie opposée » ( La preuve civile , précitée, p. 452).
[24]
Ainsi, un demandeur ne doit pas scinder sa preuve principale, car le défendeur a le droit de connaître celle en demande afin d’être en mesure d’y répondre dans sa propre preuve. De plus, la contre-preuve ne doit pas servir à renforcer des éléments de la preuve de la demande qui auraient pu être soumis avant la défense. Par contre, elle est permise pour tout nouvel élément factuel ou moyen de défense qui n’était pas raisonnablement prévisible par le demandeur. Quant au témoignage d’un expert en contre-preuve, il ne peut servir qu’à commenter l’expertise présentée en défense
(Pierre
Tessier
et Monique
Dupuis
, « Les qualités et les moyens de preuve », dans Collection de droit 2014-2015, École du Barreau du Québec, vol. 2,
Preuve et procédure
, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2014, p. 323).
[25]
Par ailleurs, la Cour suprême s’est prononcée sur la question de
l’admissibilité de la contre-preuve dans l’arrêt
R.
c.
Krause
,
[15] Le poursuivant ou le demandeur dans les affaires civiles ne peut se servir de la possibilité de présenter une contre-preuve pour scinder sa preuve. Il doit produire et inclure dans sa preuve tous les éléments clairement pertinents dont il dispose ou sur lesquels il a l'intention de se fonder pour établir sa preuve relativement à toutes les questions soulevées dans les débats. Il pourra y avoir exception si la défense soulève de nouvelles questions ou de nouveaux moyens de défense dont le poursuivant n'a pas traité en preuve principale et qu'il ne pouvait raisonnablement prévoir. La contre-preuve ne sera donc pas autorisée pour contrer un élément raisonnablement prévisible de la défense.
[16] La contre-preuve doit aussi porter sur une question essentielle ou sur une question qui se rapporte à une question essentielle ou sur une question qui peut être déterminante pour trancher l'affaire, selon l'expression choisie par les tribunaux. Ils doivent être « in issue » ou contestés et ne pas être de simples faits collatéraux ne visant par exemple que la crédibilité d'un témoin.
[…]
[18] Par ailleurs, il peut arriver qu'un élément de preuve qui, à la limite, aurait pu être introduit en preuve principale, présente une pertinence plus évidente (« acquired greater relevance ») dans le cadre de la contre-preuve. Dans ces circonstances, le juge peut exercer sa discrétion et autoriser la contre-preuve sur cet élément.
[19] En conséquence, si la nouvelle question est incidente ou collatérale, c'est-à-dire non déterminante ou sans rapport avec des questions dont la preuve est nécessaire pour trancher l'affaire, la contre-preuve ne sera pas autorisée.
[20] Par exemple, en principe, la contre-preuve ne permet pas d’attaquer la crédibilité d’un témoin sur des questions accessoires. En effet, la partie qui pose une question à un témoin est liée par sa réponse. Par contre, si on attaque la crédibilité d'un témoin par des questions dont l'objet est également pertinent au litige ou qu'il se rapporte aussi à une question essentielle au litige, une preuve contraire peut être admise.
[21] En matière civile, la règle veut que dans le doute, il y a lieu de favoriser l'introduction d'une preuve pertinente en contre-preuve lorsque celle-ci se rapporte à un élément essentiel du litige et que l'utilisation de la contre-preuve n'est pas le résultat d'une manœuvre orchestrée pour scinder la preuve.
[22] Par ailleurs, dans MIUF-5, la Cour supérieure a autorisé les demandeurs à faire entendre un expert différent de celui entendu en preuve principale, « à la seule fin d'offrir une contre-opinion visant à critiquer ou à discréditer l'opinion antérieurement émise par l'expert des défenderesses ».
(références omises)
[26] Les articles 137.4 et 137.6 du Code se lisent comme suit :
137.4. La Commission peut entendre les parties par tout moyen prévu à ses règles de preuve et de procédure.
137.6. Une partie qui désire faire entendre des témoins et produire des documents procède en la manière prévue aux règles de preuve et de procédure de la Commission.
[27] L’article 30 des Règles de preuve et procédure de la Commission (les Règles ) est à l’effet suivant :
30. La Commission n’est pas liée par les règles de preuve en matière civile. Elle peut notamment :
1 o recevoir tout élément de preuve qu’elle considère pertinent et digne de foi;
2 o refuser de recevoir une preuve non pertinente, inutilement répétitive ou contraire à la loi;
3 o prendre connaissance d’office des faits généralement reconnus, des opinions et des renseignements qui relèvent de sa spécialisation;
[28]
La Commission n’a pas eu à se prononcer sur les règles de recevabilité d’une contre-preuve. La seule fois où il en a été question est un échange lors d’une audience transcrite dans une décision en révision où la Commission questionne le représentant d’une partie en lui rappelant que la règle est qu’«
il faut que ce soit par rapport aux nouveaux points soulevés dans la preuve syndicale
»
(
Mercier
c.
Syndicat des professionnelles-ls en soins du Suroît (FIQ)
,
c.
Syndicat des professionnelles-ls en soins du Suroît (FIQ)
,
paragr. 50 à 54).
[29] En somme, les règles relatives à la contre-preuve devant les différentes instances convergent, car elles découlent du débat contradictoire. La contre-preuve est une réponse à la défense, car elle n’est pas permise sinon. Elle vise à donner l’opportunité à la partie en demande de contrer des faits ou des points de droit soulevés en défense et qu’il n’était pas raisonnablement possible ou utile d’anticiper.
[30] En preuve principale, une partie doit se décharger de son fardeau et ne peut chercher à le scinder. Une partie en défense a le droit de connaître tous les éléments pertinents de la demande afin de présenter adéquatement sa réponse. Cela dit, une partie requérante ne peut pas non plus prévoir utilement tous les aspects de la défense, surtout dans un contexte informel comme celui prévalant à la Commission où les procédures écrites sont l’exception, sauf pour la demande (art. 3 des Règles).
[31] La contre-preuve doit viser un aspect essentiel du dossier, plutôt que des faits incidents ou collatéraux. La règle de proportionnalité s’applique et les débats doivent se conclure avec célérité, diligence et efficacité (art. 114 du Code). La contre-preuve ne doit pas entraîner la relance du débat. Elle doit permettre de le conclure. La réplique n’est permise que sur autorisation.
[32] Quant à la contre-preuve par un expert (surtout si ce n’est pas le même qu’en preuve principale), il ne peut témoigner que pour commenter l’opinion de l’expert en défense.
[33] Nous allons traiter d’abord du témoignage des deux policiers pour ensuite discuter de celui de l’expert.
[34] La Fraternité veut faire entendre deux policiers pour contrer la preuve présentée en défense par la Ville voulant qu’il n’y ait pas de problème récent avec une arme à feu.
[35] Le 25 mars 2015, à une question de la représentante de la Fraternité, le témoin de la Ville a répondu qu’il n’y a pas de problème avec l’usage des armes à feu depuis l’exercice d’inspection terminé à la fin de janvier 2015, sauf pour un cas particulier.
[36] La Ville s’est opposée à cette question, mais la Commission l’a permise. Par conséquent, il s’agit d’un fait qui est révélé par la défense et qui ne pouvait raisonnablement être anticipé. Il y a donc lieu de permettre cette contre-preuve.
[37] Cela dit, la question visait la période après l’inspection. La Fraternité a complété sa preuve le 17 février 2015 et la question a été posée le 25 mars 2015. Logiquement, pour être pertinents, les faits doivent s’être déroulés pendant cette période.
[38] Un premier expert a déjà témoigné en preuve principale, mais la Fraternité désire présenter un nouvel expert en contre-preuve. Il est à noter qu’aucun expert n’a déposé de rapport écrit dans le présent dossier.
[39] De façon plus précise, la Fraternité veut faire témoigner le nouvel expert sur les pratiques et règles de l’art lors d’une réparation ou d’un entretien d’une arme de service ainsi que sur les méthodes utilisées par la Ville qui seraient inadéquates. De même, il commenterait les pièces E-23 à E-26 déposées par la Ville ainsi que la pièce R-62 présentée par la Fraternité et sur lesquelles l’expert de la Ville a donné son opinion. Enfin, il fera état d’irrégularités notées lors du témoignage des témoins (expert et ordinaires) de la Ville et donnera son opinion sur les pratiques adéquates et acceptables avec une arme de service et les risques que cela entraîne pour la population.
[40] Au stade de la contre-preuve, la Commission ne peut pas recevoir le témoignage général d’un expert sur les pratiques et règles de l’art lors de la réparation ou de l’entretien d’une arme de service. Si ce n’est pas déjà au dossier, cela devait être fait en preuve principale.
[41] De même, l’expert ne peut pas commenter les témoignages de témoins ordinaires faits selon leur connaissance personnelle. L’expert doit éclairer la Commission par ses opinions sur des sujets qui ne relèvent pas de sa compétence spécialisée. Il n’est pas là pour commenter la preuve présentée par des témoins ordinaires, ni pour relever des irrégularités relatées dans leurs témoignages, même si cela concerne les pratiques adéquates et acceptables avec une arme de service. Quant aux risques que cela entraîne pour la population, si ce n’est déjà au dossier, il fallait le faire en preuve principale.
[42]
Par contre, la Ville a présenté une preuve par un expert en défense. En
contre-preuve, la Fraternité est donc autorisée à faire témoigner son propre expert, mais uniquement pour commenter les opinions émises par celui de la Ville, d’autant qu’il s’agit d’un nouvel expert qui n’a pas participé aux audiences et qui ne peut être appelé à clarifier son expertise initiale eu égard à celle de la Ville.
[43] Par ailleurs, la Ville a déposé des photos (pièces E-23, E-24 et E-26). Sous toute réserve, l’expert de la Ville n’a pas commenté la pièce E-26 qui a été déposée après son témoignage. À tout égard, les trois pièces constituent une preuve nouvelle présentée en défense et qui ne pouvait raisonnablement être anticipée. La Fraternité est donc autorisée à administrer une preuve par son expert pour spécifiquement répondre à celle de la Ville qui découle de ces trois photos. Quant à la pièce E-25, elle semble n’être qu’un fait incident, mais la Commission en décidera à l’audience.
[44]
Concernant la pièce R-62, elle a été déposée par la Fraternité lors du
contre-interrogatoire de l’expert de la Ville. Cette dernière s’est opposée à ce dépôt, mais la Commission l’a autorisé sous réserve de l’usage que voulait en faire la Fraternité. Elle désire maintenant que son nouvel expert la commente en contre-preuve de même que les réponses de l’expert de la Ville à son égard.
[45] L’arrêt de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Krause , précité, est utile pour trancher cette question. Après avoir présenté les règles de la contre-preuve, telles que résumées ci-haut, la Cour s’exprime comme suit :
17. Les mêmes principes s'appliquent essentiellement au contre-interrogatoire des témoins. En contre-interrogeant un accusé, l'avocat du ministère public n'est pas limité aux sujets qui se rattachent strictement aux questions essentielles d'une affaire. Les avocats jouissent, en matière de contre-interrogatoire, d'une grande liberté qui leur permet de vérifier et d'attaquer les dépositions des témoins et leur crédibilité. Lorsqu'un élément nouveau ressort du contre-interrogatoire, nouveau dans le sens que le ministère public n'a pas eu l'occasion d'en traiter dans sa preuve principale (c.-à-d. qu'il n'avait aucune raison de prévoir que la question serait soulevée), et lorsque la question porte sur le fond de l'affaire (c.-à-d. sur une question essentielle pour statuer sur l'affaire), le ministère public peut alors être autorisé à présenter une contre-preuve. Toutefois, lorsque la nouvelle question est incidente, c'est-à-dire, non déterminante quant à une question soulevée dans les plaidoiries ou dans l'acte d'accusation ou sans rapport avec des questions dont la preuve est nécessaire pour trancher l'affaire, aucune contre-preuve ne sera autorisée. […] Il s'agit de la règle qui interdit de présenter une contre-preuve relativement à des questions incidentes. Lorsqu'elle s'applique, l'avocat du ministère public peut contre-interroger l'accusé sur les questions qui ont été soulevées, mais le ministère public est lié par les réponses données. Cela ne veut pas dire que le ministère public ou le juge des faits est tenu de considérer les réponses comme vraies. La réponse est définitive ou finale seulement dans le sens qu'on ne peut pas présenter de contre-preuve pour la contredire. […]
(soulignements ajoutés)
[46] En adaptant ce qui précède au contexte du présent dossier, la pièce R-62 aurait dû être administrée en preuve principale, puisque la photo daterait de novembre 2014. De plus, il ne s’agit donc pas d’un élément nouveau qui ressort de la défense ou du témoignage de l’expert de la Ville. Par ailleurs, la Commission est d’avis qu’il s’agit d’un fait incident au présent litige et ce que révèle cette pièce est amplement couvert par la preuve. La Fraternité voulait l’opinion de l’expert de la Ville. Elle l’a obtenu et elle est maintenant liée par sa réponse et ne peut pas présenter une contre-preuve à ce sujet. Aussi, dans le contexte du dépôt de R-62, accepter une contre-preuve serait permettre à la Fraternité de scinder sa preuve et l’autoriser à faire indirectement, ce qu’elle ne peut pas faire directement.
EN CONSÉQUENCE, la Commission des relations du travail
REJETTE l’objection quant au témoignage en contre-preuve des deux policiers, sous réserve de la période pertinente;
ACCUEILLE partiellement l’objection quant au nouvel expert que la Fraternité des policiers et policières de Montréal veut faire témoigner en contre-preuve, limitant son témoignage à spécifiquement commenter les opinions émises par l’expert de la Ville de Montréal et répondre à la preuve de la Ville de Montréal sur les pièces E-23, E-24 et E-26, et sous réserve de la pertinence, la pièce E-25.
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__________________________________ Jean Paquette |
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M es Louise-Hélène Guimond et Félix Martineau |
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TRUDEL NADEAU AVOCATS SENCRL |
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Représentants de la requérante |
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M es Dominique Launay et Jennifer Nault |
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DAGENAIS GAGNIER BIRON AVOCATS |
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Représentantes des intimés |
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Date de la dernière audience : |
30 avril 2015 |
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/dc