Lemieux-Labelle c. Guimond

2015 QCCQ 4164

COUR DU QUÉBEC

« Division des petites créances »

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

GATINEAU

LOCALITÉ DE

GATINEAU

« Chambre civile »

N° :

550-32-021617-144

 

DATE :

24 avril 2015

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SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

ROSEMARIE MILLAR, J.C.Q.

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Mélodie Lemieux-Labelle,

[…], Gatineau, Québec, […]

Demanderesse

c.

Dr Jean-Victor Guimond,

228, Boul. St Joseph, local 201, Gatineau, Québec, J8Y 3X4

Défendeur

 

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JUGEMENT

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[1]            Mélodie Lemieux-Labelle réclame la somme de 7 000 $ au Dr Jean-Victor Guimond pour les dommages qu’elle a subis suite à une interruption volontaire de grossesse (IVG) incomplète.

[2]            Dr Guimond nie devoir la somme réclamée et soutient qu’il a suivi les règles de l’art et les normes reconnues lors de l’intervention.

I. LES FAITS

[3]            Le 5 septembre 2012, madame Lemieux-Labelle, âgée de 24 ans, se présente à la Clinique des Femmes de l’Outaouais . Elle souhaite une IVG pour mettre un terme à sa grossesse estimée à sept semaines et trois jours.

[4]            À cette date, madame Lemieux-Labelle est rencontrée par le personnel et les infirmières de la clinique, lesquels procèdent à une évaluation préliminaire en vue de l’IVG souhaitée.

[5]            Madame Lemieux-Labelle signe alors un formulaire de consentement écrit et un rendez-vous est fixé au 18 septembre 2012.

[6]            Le 18 septembre 2012, madame Lemieux-Labelle se présente à la clinique et elle est rencontrée par le Dr Guimond à qui elle confirme toujours souhaiter une IVG.

[7]            À cette date, le Dr Guimond procède à l’IVG et madame Lemieux-Labelle reçoit son congé de la clinique.

[8]            En novembre 2012, madame Lemieux-Labelle a des saignements qui se transforment en hémorragie.

[9]            Jusqu’au 6 décembre 2012, madame Lemieux-Labelle ne peut fonctionner normalement, ni s’occuper de son fils de deux ans. Sa mère doit l’aider dans ses tâches car elle est affaiblie et mal en point.

[10]         Le 6 décembre 2012, madame Lemieux-Labelle subit une aspiration-curetage.

[11]         Madame Lemieux-Labelle soutient que l’IVG a été mal exécutée par le Dr Guimond puisque, selon son dossier médical, des débris intra-utérins ont été retrouvés.

[12]         De plus, madame Lemieux-Labelle prétend que le Dr Guimond, n’ayant pratiqué que des aspirations et aucun curetage, n’a pas respecté les règles de l’art et a commis une erreur lors de l’intervention.

[13]         Madame Lemieux-Labelle ne présente aucun témoin expert à l’audience pour établir que l’IVG a été mal exécutée.

[14]         Le Dr Guimond est omnipraticien. Il pratique la médecine depuis 1973 et, depuis environ 20 ans, consacre sa pratique à la santé des femmes, œuvrant dans plusieurs régions au Québec.

[15]         La pratique du Dr Guimond se concentre sur l’IVG.

[16]         Le 18 septembre 2012, à la demande de madame Lemieux-Labelle, Dr Guimond a procédé à une IVG, laquelle s’est déroulée sans particularité tel qu’il appert du protocole.

[17]         Par la suite, Dr Guimond n’a pas entendu parler de sa patiente jusqu’à ce qu’il reçoive une lettre de celle-ci et qu’elle introduise un recours à la Division des petites créances de cette Cour.

II. L’ANALYSE

[18]         Dès le début de l’audience, le Tribunal a indiqué à madame Lemieux-Labelle que sa position est difficile puisque celle-ci n’est appuyée d’aucune expertise médicale.

[19]         C’est à la partie demanderesse de démontrer par une preuve prépondérante le bien-fondé de sa réclamation.

[20]         Dans tout recours en dommages, la partie demanderesse doit prouver la faute de la partie défenderesse, les dommages subis et le lien de causalité entre la faute et les dommages.

[21]         La Cour suprême, dans l’arrêt Lapointe [1] , a conclu que : « généralement les médecins ont une obligation de moyens et leur conduite doit être évaluée par rapport à la conduite d’un médecin prudent et diligent placé dans les mêmes circonstances » [2] .

[22]         Ainsi, dans le cas d’une action en responsabilité médicale, la partie demanderesse doit établir qu’il y a eu violation d’une norme de conduite selon le standard du médecin prudent et diligent qui agit dans des circonstances similaires, ce qui est extrêmement difficile à établir par le témoignage du patient. [3]

[23]         La preuve révèle que madame Lemieux-Labelle a reçu de l’information relative aux complications possibles à la suite d’une IVG et qu’elle a accepté l’intervention.

[24]         Madame Lemieux-Labelle soutient que, puisque le rapport de pathologie de l’hôpital de Gatineau conclut à un « produit de conception dégénéré », l’avortement effectué par le Dr Guimond était incomplet ou mal réalisé, ce qui constitue une faute médicale.

[25]         Toutefois, sans connaître l’explication pour laquelle les débris recueillis à la suite du curetage ont été envoyés à deux laboratoires, le rapport du laboratoire Gamma-Dynacare , quant à lui,  conclut à du sang et qu’aucun produit de conception n’est identifié ( « Fresh and clotted blood only. No products of conception identified » ).

[26]         Selon le Dr Nicolas Nélisse, si l’on se fie au rapport du laboratoire Gamma-Dynacare , il pourrait s’agir de variations hormonales (en raison d’un changement de contraception ou d’une contraception qui ne répond pas aux besoins hormonaux). Si l’on se fie au rapport de l’hôpital de Gatineau, lequel identifie des débris de conception, il est possible qu’il s’agisse de débris de la grossesse interrompue le 18 septembre 2012, mais «  il est aussi très plausible que madame soit retombée enceinte en octobre et fait une fausse couche le 15 novembre, ce qui expliquerait les menstruations normales en octobre et les produits de conception au curetage du 6 décembre 2012  » [4] .

[27]         Il y a donc un doute quant au fait qu’il y ait eu des débris de conception à la suite du curetage subi par madame Lemieux-Labelle le 6 décembre 2012.

[28]         Madame Lemieux-Labelle reproche au Dr Guimond de n’avoir procédé qu’à des aspirations et de ne pas avoir effectué de curetage.

[29]         Cependant, il ressort du témoignage du Dr Guimond que celui-ci a procédé à trois aspirations et qu’il a utilisé une vacurette 8 flexible Karman laquelle permet un curetage en même temps que l’aspiration, ce qui explique la mention « 3 aspirations, 0 curetage» sur le protocole.

[30]         Dr Guimond soutient qu’il a suivi les règles de l’art lors de l’IVG pratiquée sur la demanderesse.

[31]         De plus, le Dr Nélisse a revu le dossier médical de madame Lemieux-Labelle et il conclut ainsi :

« De toute façon, que l’on opte pour l’une ou l’autre des hypothèses (débris de conception ou non), absolument rien n’indique que le Dr. Jean Guimond ait mal agi.

D’un point de vue technique, comme l’indique sa note opératoire du 18 septembre 2012, il a fait une anesthésie du col pour permettre une dilatation sans douleur. Il a ensuite dilaté le col avec un dilatateur pratt 27 et fait trois aspirations avec une canule Karman 8. La dilatation avec le dilatateur pratt 27 et l’utilisation de la canule 8 correspondent au diamètre adéquat pour une grossesse de 8 semaines et sont, en ce sens, tout à fait conformes aux normes de pratique en avortement.

De plus, la plupart des médecins font deux aspirations alors que le Dr. Guimond en a fait trois. Ce qui minimise le risque d’avortement incomplet.

Par la suite, il a examiné les débris de conception et a inscrit que ceux-ci étaient «adéquat» pour l’âge gestationnel. L’examen des débris constitue également une obligation pour se conformer aux normes de pratique (notamment celles des Sociétés Canadiennes de Gynécologie et de la National Abortion Federation).

Par la suite, l’équipe de la clinique des femmes de l’Outaouais ont observé la patiente durant 30 minutes et ils se sont assurés que celle-ci ne quittait pas avec des saignements importants.

[…]

[…] la conduite du Dr. Guimond répondait entièrement aux normes de pratique. Il a effectué l’intervention dans les règles de l’art et est, en ce sens, irréprochable à la lumière des faits et de la documentation que j’ai résumés. »

[32]         Il est très regrettable que madame Lemieux-Labelle ait eu des saignements et une hémorragie durant presque trois semaines, l’empêchant de fonctionner normalement et la privant de son fils, cependant, la preuve n’établit pas, de façon prépondérante, que cette situation pénible soit la cause de l’IVG pratiquée par le Dr. Guimond.

[33]         En conséquence, l’action de madame Lemieux-Labelle est rejetée.

III. CONCLUSIONS

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL  :

[34]         REJETTE l’action de la partie demanderesse sans frais compte tenu des moyens limités de la demanderesse, chaque partie payant ses frais.

 

 

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ROSEMARIE MILLAR, J.C.Q.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Date d’audience :

14 avril 2015

 



[1]     Lapointe c . Hôpital Le Gardeur , [1992] 1 R.C.S. 351.

[2]     Id , p. 361.

[3]     Beauchamp c . Spénard , 2015 QCCQ 874 (CanLII); Richer c . Hashim , 2012 QCCQ 4768 (CanLII); Morand c . Harris , 2009 QCCQ 41 (CanLII).

[4]     Pièce D-6 du défendeur / Rapport d’expertise rédigé par Nicolas Nélisse, MD.