Côté c. Construction Mont Ste-Adèle inc.

2015 QCCQ 4206

JL 4270

 
 COUR DU QUÉBEC

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

TERREBONNE

LOCALITÉ DE

ST-JÉRÔME

« Chambre civile  »

N° :

700-22-026483-122

 

DATE :

19 février 2015

 

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE :

L’HONORABLE

DENIS LAPIERRE, J.C.Q.

 

 

LOUISE CÔTÉ

-et-

GUYLAINE JOANNETTE

Défenderesses

c.

CONSTRUCTION MONT STE-ADÈLE INC.

-et-

ME ANDRÉ ST-ARNAUD

Défendeurs

 

 

JUGEMENT

rendu oralement à l'audience

 

 

[1]            À l'été 2009, séparément, madame Côté et madame Joannette cherchent un condo pour abriter leur nouvelle vie.

[2]            Des condos de la rue Schulz, à Saint-Jérôme, répondent parfaitement à leurs besoins. Ils sont beaux, spacieux, bien aménagés et offerts à prix intéressant.

[3]            Le problème, c'est que leurs infrastructures ne sont pas payées. Il en résultera une taxe spéciale de près de 25 000 $ de la Ville de Saint-Jérôme, en 2011, payable sur réception ou sur 20 ans, avec les taxes foncières, moyennant un intérêt de 5 %.

[4]            C'est cette facturation qui est à l'origine de leurs actions, quasi identiques, contre deux (2) défendeurs:

-                Constructions Mont Sainte-Adèle inc., l'entrepreneur et promoteur leur ayant vendu leur unité de condo.

-                Me André St-Arnaud, le notaire ayant instrumenté les ventes.

[5]            Dans le premier cas, celui de Construction Mont Ste-Adèle, l'action est basée sur les représentations faites lors de la vente, qui auraient occulté ou minimalement incité les demanderesses à minimiser l'importance des obligations auxquelles elles se soumettaient en acceptant de payer les infrastructures municipales.

[6]            Dans le second cas, celui de Maître St-Arnaud, on reproche au notaire de ne pas s'être assuré de la bonne compréhension des demanderesses à cet égard.

[7]            Voyons ce qu'il en est de la responsabilité de chacun dans les deux (2) cas.

A)            Construction Mont Ste-Adèle

[8]            L'article 1399 du Code civil du Québec édicte que l'erreur d'une partie peut vicier son consentement à un acte juridique.

[9]            L'article 1401 C.c.Q. précise que cette erreur peut être induite par le dol d'une partie, qui peut résulter d'un silence ou d'une réticence.

[10]         L'article 1458 C.c.Q . énonce l'obligation d'honorer ses engagements, et l'article 1590 rappelle le droit du créancier à l'exécution de l'obligation dont il bénéficie, correctement et sans retard.

[11]         Sinon, l'article 1604 reconnaît son droit à la réduction corrélative de sa propre obligation.

[12]         Selon la preuve non contestée entendue à l'audience (Construction Mont Ste-Adèle ayant été constituée en défaut et n'ayant pas présenté de preuve), le principal interlocuteur des demanderesses dans leur processus d'achat a été un dénommé Pierre Robert, représentant de Construction Mont Ste-Adèle.

[13]         Selon les demanderesses, celui-ci ne mentionnait pas d'emblée que les infrastructures reliées au condo devraient être payées par les acheteurs.

[14]         Il a bien été question avec madame Joannette de la clause 5.3 du contrat préliminaire P-7 traitant de taxes spéciales éventuelles à être assumée par l'acheteur, mais il présentait plutôt ce texte comme référant aux droits de mutation immobilière, communément appelés «  taxe de Bienvenue  ».

[15]         Quant à madame Côté, elle n'a pas abordé cette question avec monsieur Robert.

[16]         Dans les deux (2) cas, monsieur Robert parlait de taxes annuelles totales de 2 000 $ à 2 300 $, excluant la «  taxe de Bienvenue  ».

[17]         Toutefois, et madame Joannette et madame Côté ont été sensibilisées, à un moment ou à un autre, au fait que les infrastructures de leurs condos devraient être payées. Madame Joannette par son institution prêteuse, madame Côté par ses visites antérieures ou son expérience personnelle.

[18]         La preuve prépondérante révèle par ailleurs que l'information qui circulait entre Construction Mont Ste-Adèle et ses acheteurs, que cette information origine de monsieur Robert ou d'une autre source, était qu'il y avait lieu de s'attendre à une facture de 6 à 8 000 $ pour les infrastructures.

[19]         Pour chacune des deux (2) demanderesses, cela était compatible avec sa compréhension que les taxes annuelles devraient tourner aux alentours de 2 000 $ à 2 300 $ au total, dont, selon les calculs du Tribunal, 400 $ à 700 $ pour les infrastructures.

[20]         La réception d'une facture de 25 000 $ faisant grimper les taxes foncières de 1 900 $ par année a donc été un véritable choc pour elles.

[21]         Selon la preuve prépondérante, le Tribunal considère qu'elles étaient bien fondées à s'attendre plutôt à 17 000 $ de moins que le 25 000 $ réellement facturé, vu les représentations du vendeur à cet égard.

[22]         Leur consentement a été vicié par ces représentations mais, comme ce vice ne portait que sur une portion relativement faible de leurs obligations, il ne saurait justifier qu'une réduction de celles-ci [1] .

[23]         En partant de ce chiffre de 17 000 $ représentant l'excédent de leur charge financière par rapport à celle qui leur avait été représentée, le Tribunal s'inspire de l'affaire Vermette c. Lebeau [2] (juge Pierre E. Audet) et de l'affaire Nadeau c. 9137-6783 Québec inc . [3] (juge Monique Dupuis), de même que de la suggestion de Me Mélanie St-Onge, pour arbitrer le montant de l'indemnisation appropriée à 8 500 $, soit 50 % de 17 000 $.

[24]         En effet, chaque demanderesse est encore propriétaire de son unité, aucune preuve ne tend à démontrer que cela cessera d'être le cas dans un avenir prévisible, et chacune a déjà dû assumer cinq (5) années de surtaxe sur les vingt (20) représentant la période totale d'amortissement.

[25]         Quant à la réclamation de 1 000 $ additionnelle de chaque demanderesse, la preuve les relie aux frais d'avocats, non admissibles à une telle indemnisation sauf selon les critères de l'arrêt Viel [4] de la Cour d'appel, non applicables ici.

B)        Maître André St-Arnaud

[26]         D'emblée, les parties en conviennent, la jurisprudence unanime nous apprend que la taxe spéciale non portée au rôle de perception ne constitue pas une charge que le notaire doit révéler aux acheteurs [5] .

[27]         Or, dans la présente affaire, non seulement cette taxe n'était-elle pas portée au rôle, mais celui-ci ne pouvait être constitué avant le dépôt du cadastre et l'évaluation des unités, deux (2) opérations effectuées, selon la preuve, après les deux (2) ventes en cause.

[28]         Ici, la responsabilité du notaire est recherchée pour un autre motif.

[29]         On lui reproche de ne pas s'être suffisamment assuré de la compréhension des acheteuses non seulement à l'égard de l'existence de la taxe spéciale reliée aux infrastructures, ou de son assumation par elles, mais du montant de cette charge.

[30]         Peut-on reprocher à cet égard une faute au notaire St-Arnaud? Le Tribunal ne le croit pas.

[31]         Outre son obligation à l'égard des éléments qu'il a le devoir de constater, les obligations déontologiques du notaire envers ses clients doivent être considérées à la lumière du comportement d'un notaire raisonnablement prudent et diligent, mis dans la même situation [6] . Il s'agit d'une obligation de moyen, évaluée in concreto , c'est-à-dire en tentant compte des circonstances et de la personnalité de ses clients.

[32]         En l'instance, le notaire disposait de deux (2) avant-contrats signés par les demanderesses (pièces P-6 et P-7) comportant la clause 5.3 suivante:

«  […]  Le promettant-acheteur assumera le paiement des versements futurs en principal et intérêts des taxes spéciales ou autres, à compter de ladite date.  »

[33]         Il en a fait la clause 2 des «  Obligations de l'acheteur  », à la page 4 de ses contrats P-2 et P-4:

«  D'autre part, l'acheteur s'oblige à ce qui suit:

[…] payer, à compter de la même date, tous les versements en capital et intérêts à échoir sur toutes les taxes spéciales imposées avant ce jour [7] dont le paiement est réparti sur plusieurs années.  »

[34]         Selon la preuve, cette clause a été lue aux demanderesses ou sinon, minimalement, expliquée.

[35]         Selon la preuve prépondérante, le Tribunal soupçonne fort qu'elle a en réalité été lue et expliquée. On aurait alors parlé de trois (3) taxes, payables selon des échéanciers distincts:

1)             Les droits de mutation (ou «  taxe de Bienvenue  »): à court terme.

2)             Les taxes foncières (ou «  taxes municipales  »): à moyen terme.

3)             Les taxes spéciales (ou « taxes d'infrastructures »): à plus long terme.

[36]         Bien plus, la clause «  Répartitions  » dans le contrat P-2 et dans le contrat P-4 fait référence au fait que l'évaluation des unités n'avait pas encore été effectuée à cette époque (chose que le notaire avait vérifiée) et que les taxes et/ou cotisation y relatives étaient à venir.

[37]         Le notaire en a même avisé par écrit le créancier hypothécaire, selon la pièce D-10, ce qui démontre un certain souci de sa part à cet égard.

[38]         Enfin, la «  taxe spéciale  » de la clause 2 ne pouvait être confondue avec la «  taxe de Bienvenue  », puisque celle-ci était traitée, à part, sous une rubrique spécifique, deux pages plus loin.

[39]         La rédaction est donc impeccable et elle ne donne aucune place au doute quant aux responsabilités de l'acheteur à l'égard de toute «  taxe spéciale  », ni quant au fait que celle-ci était inconnue à cette époque.

[40]         Cela dit, le notaire aurait-il dû porter une attention plus minutieuse à la compréhension des demanderesses à cet égard?

[41]         Encore là, la négative s'impose.

[42]         Le notaire a devant lui deux (2) dames qui, pour des raisons distinctes, ont une certaine expérience à l'égard des ventes immobilières ou des taxes y relatives.

[43]         Madame Joannette a déjà eu un immeuble neuf, et elle a dû faire face par le passé à une facture d'infrastructures de plus ou moins 6 000 $, qu'elle pouvait payer maintenant ou en la répartissant sur plusieurs années.

[44]         Elle savait aussi, minimalement par madame Toupin, sa conseillère hypothécaire, qu'il «  pouvait y avoir des infrastructures à venir . »

[45]         Elle s'attendait à une facture, au pire, de 8 000 $, ou encore à une augmentation de ses taxes foncières annuelles si elle désirait en répartir le paiement.

[46]         Elle anticipait devoir payer jusqu'à 2 500 $ de taxes annuelles, incluant jusqu'à 700 $ environ pour tenir compte des infrastructures.

[47]         Quant à madame Côté, elle a déjà acquis sept (7) constructions neuves par le passé, pour lesquelles elle connaissait l'existence de la question du coût des infrastructures.

[48]         De plus, cette question a été abordée avec des tiers lors de visites de deux (2) autres condos, antérieurement à l'achat, à l'été 2009.

[49]         Malgré cela, elle n'a pas lu ou prêté attention à la clause 5.3 de son avant-contrat, ni abordé cette question des infrastructures avec Construction Mont Ste-Adèle. Pour elle, seule la taxe de Bienvenue allait lui être facturée.

[50]         Alors que cette taxe était traitée distinctement dans le contrat notarié, elle n'a pas davantage pris d'informations lors de sa signature, elle qui a pourtant négocié jusqu'à la dernière minute la peinture, l'air conditionné ou l'installation du lave-vaisselle de son unité de condo.

[51]         Comme, de l'avis de tous, le montant des taxes foncières ou spéciales était inconnu et inaccessible lors de la signature, le seul reproche que l'on pourrait adresser au notaire serait de n'être pas intervenu dans les conversations entre madame Joannette et Construction Mont Ste-Adèle, ou de n'avoir pas insisté auprès de madame Côté pour qu'elle prenne bien conscience de la clause 2 des «  Obligations de l'acheteur  ».

[52]         Pour le Tribunal, cela ne saurait poser les bases d'une responsabilité du notaire basée sur sa faute. Un notaire raisonnable, prudent et diligent mis à sa place aurait agi de la même manière.

[53]         Peut être un individu particulièrement attentif ou minutieux serait-il allé plus loin, mais ce n'est pas ce que la jurisprudence demande au notaire St-Arnaud.

[54]         Jusqu'ici, on notera peut-être que le Tribunal a évalué le travail du notaire principalement à la lumière de ce qui a été révélé par la preuve en demande, soit en preuve principale ou en contre-interrogatoire.

[55]         Si on ajoute à cela le témoignage catégorique du défendeur, on ajoute aussi à l'analyse les éléments suivants:

·                      Il aurait lu au long les contrats P-2 et P-4 lors de la séance de signature.

·                      Il aurait expliqué plus en détail les obligations de l'acheteur, notamment la clause 2.

·                      Du haut de ses 25 ans d'expérience, estimant à bon droit qu'il s'agit là d'une clause sensible, il aurait expliqué et donné des exemples sur ce qu'est une taxe spéciale.

·                      Après vérification dans chaque cas à la municipalité, il aurait appris et révélé que la taxation municipale étant non seulement à venir, mais impossible à déterminer.

·                      Toujours par expérience, jamais il ne se serait avancé à fournir ou à approuver un chiffre, même approximatif, de taxes à prévoir.

[56]         Pour emprunter à Me Truesdell-Ménard un bout de son argumentation, une fois que le notaire lit, explique, vulgarise et illustre une clause particulière à des personnes qui semblent attentives et qui ne posent pas de question, que lui demander de plus?

[57]         Si l'analyse qui ne tient pas compte du témoignage du notaire incite à penser que les demanderesses ne se sont pas déchargées de leur fardeau de preuve, à plus forte raison l'ajout de la preuve en défense fait nettement pencher la balance en faveur du défendeur.

[58]         Pour tous ces motifs, l'action contre le notaire St-Arnaud sera rejetée mais, comme dans l'affaire Thibodeau c. Belcourt [8] (juge François Bousquet), ce rejet sera sans frais.

Par ces motifs, le Tribunal:

[59]         ACCUEILLE en partie l'action des demanderesses;

[60]         CONDAMNE la défenderesse Construction Mont Ste-Adèle inc. continuée sous le nom d'Habitations St-Maurice inc., à payer à la demanderesse Louise Côté la somme de 8 500 $ avec intérêts au taux légal majoré de l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 du Code civil du Québec , et ce à compter de l'assignation;

[61]         CONDAMNE la défenderesse Construction Mont Ste-Adèle inc. continuée sous le nom d'Habitations St-Maurice inc., à payer à la demanderesse Guylaine Joannette la somme de 8 500 $ avec intérêts au taux légal majoré de l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 du Code civil du Québec , et ce à compter de l'assignation;

[62]         LE TOUT avec dépens;

[63]         REJETTE l'action portée contre le défendeur André St-Arnaud, sans frais.

 

 

 

 

__________________________________

Denis Lapierre, J.C.Q.

 

Me Mélanie St-Onge

Procureure des demandeurs

 

Me Olivier Truesdell-Ménard

Procureur des défendeurs

 

 

Date d’audience :

16, 17 et 19 février 2015

 



[1]     Article 1604 du Code civil du Québec .

[2]     (C.Q., 2006-06-05), 2006 QCCQ 6952, SOQUIJ AZ-50385072 , J.E. 2007-86, [2007] R.R.A. 220 (rés.).

[3]     (C.Q., 2014-03-10), 2014 QCCQ 3321, SOQUIJ AZ-51069489 .

[4]     Viel c. Entreprises immobilières du terroir ltée (C.A., 2002-05-08 (jugement rectifié le 2002-10-22)), SOQUIJ AZ-50124437 , J.E. 2002-937 , [2002] R.J.Q. 1262 , [2002] R.D.I. 241 (rés.), [2002] R.R.A. 317 (rés.).

[5]     Fiset c . Développements Québec métro inc . (C.A., 1995-11-29), SOQUIJ AZ-96011082 , J.E. 96-41, [1996] R.D.I. 16, 1995 CanLII 4985 (QC CA);

Brochu c. Candiac (Ville de ), (C.Q., 2005-11-23), SOQUIJ AZ-50372849,2005 CanLII 52907 (QC CQ).

Gagné c. Plouffe (C.Q., 2007-05-24), 2007 QCCQ 5627, SOQUIJ AZ-50435186 ;

      Vaillancourt c. Robert (C.Q., 2011-08-08), 2011 QCCQ 8835, SOQUIJ AZ-50779418 , 2011EXP-2778, J.E. 2011-1551, appel rejeté, 2011 QCCA 1806 ;

      Thibaudeau c. Propriétés Belcourt inc. (C.Q., 2013-03-11), 2013 QCCQ 2178, SOQUIJ AZ-50949261 ;

      Nadeau c . 9137-6783 Québec inc. (C.Q., 2014-03-10), 2014 QCCQ 3321, SOQUIJ AZ-51069489 .

[6]     Vermette c. Lebeau (C.Q., 2006-06-05), 2006 QCCQ 6952, SOQUIJ AZ-50385072 , J.E. 2007-86;

Arsenault c. Lemire (C.Q., 2012-12-13), 2012 QCCQ 18634, SOQUIJ AZ-50946721 .

[7]     La mention «  avant ce jour  » réfère sans doute au fait que, si une telle taxe est imposée après la vente, elle sera forcément à la charge du propriétaire.

[8]     500-32-132241-128 (C.Q. 11 mars 2013).