Athanassiadis c. Kerezov |
2015 QCCQ 5208 |
||||
COUR DU QUÉBEC « Division administrative et d’appel » |
|||||
|
|||||
CANADA |
|||||
PROVINCE DE QUÉBEC |
|||||
DISTRICT DE |
MONTRÉAL |
||||
« Chambre civile » |
|||||
N° : |
500-80-027740-142 |
||||
|
|
||||
DATE : |
Le 5 juin 2015 |
||||
|
|
||||
______________________________________________________________________ |
|||||
|
|||||
SOUS LA PRÉSIDENCE DE |
L’HONORABLE |
ALAIN BREAULT, J.C.Q. |
|||
______________________________________________________________________ |
|||||
|
|||||
|
|||||
VASSILIKI ATHANASSIADIS
|
|||||
Appelante |
|||||
c.
|
|||||
HRISTO KEREZOV
|
|||||
Intimé |
|||||
et
|
|||||
RÉGIE DU LOGEMENT
|
|||||
Mise en cause |
|||||
|
|||||
______________________________________________________________________ |
|||||
|
|||||
JUGEMENT |
|||||
______________________________________________________________________ |
|||||
|
|||||
[1] L’Appelante Vassiliki Athanassiadis (« l’Appelante ») interjette appel de la décision rendue le 10 décembre 2013 (« la Décision ») par la Régie du logement (« la Régie ») dans le dossier portant le numéro 31-110603-075 G [1] .
[2]
Par sa Décision, la Régie accueille en partie la réclamation de l’intimé
Hristo Kerezov (« l’Intimé »), le locataire, et condamne ainsi l’Appelante à
lui payer
la somme de 5 200 $, avec les intérêts
au taux de 5 % l’an et l’indemnité additionnelle prévue à l’article
[3]
Le dossier en appel porte essentiellement sur l’avis de sous-location
prévu à l’article
[4] La Régie a conclu que l’absence d’un avis de sous-location ne pouvait être soulevée par la locatrice puisqu’elle avait déjà clairement manifesté son refus à l’égard de toute sous-location. Uniquement sur cette base, elle a octroyé des dommages-intérêts à l’Intimé bien que, dans les faits, il n’ait jamais conclu une entente formelle de sous-location.
[5] Le 20 mai 2014, la requête pour permission d'appeler de l’Appelante a été accueillie, en partie, par la Cour du Québec (« la Cour ») [3] . Les trois questions suivantes ont alors été autorisées :
1) En
l'absence d'un avis écrit en vertu de l'article
2) L'avis d'une simple intention de sous-louer suffit-il ?
3) Le refus général de consentir à la sous-location, rend-il Madame Athanassiadis responsable du remboursement des loyers ?
[6] L’appel n’est pas un appel de novo . Les parties ont procédé suivant les éléments contenus au dossier.
LE CONTEXTE
[7] En 2011, l’Appelante et trois locataires, dont l’Intimé, signent un bail relatif à un logement résidentiel. Le bail est d’une durée de 14 mois, allant du 1 er mai 2011 au 30 juin 2012. Le loyer mensuel est de 1 200 $ réparti entre les trois locataires. La part de l’Intimé est donc de 400 $.
[8] Au moment où le bail a été signé, l’Intimé habitait Toronto. Il était inscrit à l’Université McGill et comptait emménager dans le logement pour le début de l’année scolaire, en septembre 2011.
[9] Entre-temps, il exprime son intention de sous-louer la chambre qu’il doit occuper dans le logement. De fait, c’est son père, une des cautions au bail, qui le fait savoir à l’Appelante par courrier électronique, en lui écrivant :
(…) with this e-mail we are giving you an official principal Notice of Intention to sublease his room for the summer months of June-July-August’ 2011.
[10] Le 26 mai 2011, le père de l’Intimé réitère son intention par un autre courriel. L’Appelante répond le lendemain comme suit :
There will be no renting out rooms for the summer. I made it clear to you last we spoke. My lawyer will contact you soon.
[11] Le 3 juin 2011, l’Intimé dépose auprès de la Régie une demande par laquelle il recherche deux choses : une autorisation de sous-louer et des dommages-intérêts qu’il évalue alors à 1 600 $. Cette demande de dommages-intérêts fera l’objet de plusieurs amendements par la suite.
[12] Un point saillant de la thèse de l’Intimé, comme le relate d’ailleurs la Régie au paragraphe 13 de sa Décision, est son affirmation suivant laquelle il « avait trouvé une personne intéressée à sa chambre le 18 mai 2011 ». Cette personne (Pamela Rodriguez), suivant un courrier électronique qu’elle lui avait fait parvenir et qui a été produit devant la Régie, se disait prête à emménager le plus tôt possible (dans la chambre).
[13] Le 29 août 2011, l’Intimé informe l’Appelante qu’il n’a plus l’intention d’habiter le logement. Il ajoute qu’il cherche à ce moment une personne à qui il pourra « transférer » le bail à compter du 1 er septembre 2011.
[14] L’Appelante ne lui transmet aucune réponse (paragr. 17 de la Décision) ou lui fait savoir qu’elle ne peut pas autoriser la sous-location parce qu’une « demande de résiliation de bail est pendante » (paragr. 29 de la Décision).
[15] Dans les faits, l’Intimé ne fera jamais parvenir à l’Appelante un avis de sous-location ou de cession de son bail. Il explique « qu’il était inutile d’envoyer un avis et de risquer de mécontenter un sous-locataire éventuel, la locatrice ayant clairement manifesté son intention de s’opposer à toute sous-location » (paragr. 31 de la Décision).
[16] Ainsi, outre les dommages-intérêts déjà réclamés, l’Intimé a donc demandé à la Régie d’être remboursé pour les loyers mensuels qu’il a payés à compter du 1er septembre 2011 jusqu’au 30 juin 2012.
[17] La demande de l’Intimé a été accueillie par la Régie, mais seulement en partie.
[18] La Régie rejette d’abord sa réclamation en dommages-intérêts (1 000 $) pour deux demandes de remise que l’Appelante a présentées et qu’elle a accordées. Par contre, au sujet de la réclamation de l’Intimé visant à obtenir le remboursement des loyers mensuels payés de mai 2011 jusqu’à juin 2012, la Régie l’accueille pour tous les mois, sauf celui de mai 2011.
[19] Elle s’explique comme suit :
[46] Le locataire n’a pas démontré qu’il aurait pu sous-louer le logement pour le 1 er mai 2011 ni d’ailleurs que la locatrice avait été avisée de cette intention pour cette date.
[47] Les 400 $ réclamés pour le mois de mai 2011 ne sont pas accordés.
[48] Le locataire a démontré que Pamela Rodriguez était intéressée à sa chambre pour le 1 er juin 2011. À cette date, la locatrice ne demandait pas la résiliation du bail et le refus de la sous-location était injustifié.
[49] C’est donc sans raison que le locataire a payé le loyer des mois de juin à août 2011.
[50] C’est également sans raison que le loyer des mois de septembre 2011 à juin 2012 a été payé. La locatrice a invoqué l’existence d’une demande de résiliation de bail pour refuser la sous-location alors qu’elle savait que cette résiliation n’était plus motivée.
[51] L’absence d’avis de sous-location ne peut être invoquée par la locatrice, celle-ci ayant clairement manifesté, dès le mois de mai, son refus de tout candidat proposé.
[52] La locatrice doit donc payer au locataire la somme de 5 200 $, soit le loyer des mois de juin 2011 à juin 2012.
(sic)
[20] L'Appelante est la seule partie qui a sollicité une permission aux fins de porter en appel la Décision de la Régie. Elle s’attaque à cette partie de la Décision la condamnant à rembourser à l’Intimé les loyers mensuels que ce dernier lui a payés de juin 2011 à juin 2012 inclusivement.
ANALYSE ET MOTIFS
1. La norme de contrôle
[21] En l’instance, ne présidant pas un appel de novo , le Tribunal exerce un rôle de contrôle judiciaire. Il doit donc identifier dans un premier temps quelle est la norme de contrôle applicable.
[22] Les parties n’ont pas ou très peu discuté de la norme de contrôle qui, selon elles, devrait être retenue.
[23] Depuis l’arrêt de la Cour suprême dans Dunsmuir [4] , il est maintenant bien établi qu’il existe deux normes de contrôle dans le cas d'un appel d'une décision d'un tribunal administratif : la norme de la décision raisonnable et celle de la décision correcte.
[24] L’auteur Denis Lamy [5] résume comme suit les principaux critères ou règles qui permettent de les distinguer :
(…)
Depuis cet arrêt, deux normes de contrôle sont à la disposition des cours de révision et d'appel: celles de la décision correcte et de la décision raisonnable. La norme de l'erreur manifestement déraisonnable est abandonnée.
Comme nous l'avons dit précédemment, le 7 mars 2008, dans l'arrêt Dunsmuir , la Cour suprême du Canada a jugé qu'il était temps de réévaluer la question de la démarche qu'il convient d'adopter pour le contrôle judiciaire des décisions des tribunaux administratifs. Elle a réduit le nombre de normes de contrôle de trois à deux, soit celle de la décision correcte et celle de la décision raisonnable. Également, elle a revu la démarche analytique qui préside à la détermination de la norme applicable: cette démarche est désormais simplement qualifiée d'analyse relative à la norme de contrôle et non plus d'analyse pragmatique et fonctionnelle .
La Cour suprême fusionne donc la norme de la décision raisonnable simpliciter et celle de la décision manifestement déraisonnable, les renomme: norme de la décision raisonnable et elle conserve la norme de contrôle de la décision correcte. Ainsi, deux normes subsistent, celle de la décision correcte (justesse de la décision) et celle de la décision raisonnable (raisonnabilité de la décision).
Sommairement, la norme de la décision correcte est réservée aux cas suivants: certaines questions de droit, y compris les questions de compétence au sens strict, celles qui revêtent une importance capitale pour le système juridique et qui sont étrangères au domaine d'expertise du décideur, et celles relatives à la délimitation des compétences respectives de tribunaux spécialisés concurrents.
Dans le cas de l'application de la norme de la décision correcte, le tribunal de révision ou d'appel entreprend une analyse au terme de laquelle il détermine s'il acquiesce au raisonnement du décideur. Dans la négative, il substitue sa propre conclusion.
Quant à la norme déférente du caractère raisonnable, voici comment le juge Bastarache de la Cour suprême du Canada, parlant pour la majorité, la décrit:
[47] La norme déférente du caractère raisonnable procède du principe à l'origine des deux normes antérieures de raisonnabilité: certaines questions soumises aux tribunaux administratifs n'appellent pas une seule solution précise, mais peuvent plutôt donner lieu à un certain nombre de conclusions raisonnables. Il est loisible au tribunal administratif d'opter pour l'une ou l'autre des différentes solutions rationnelles acceptables. La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l'intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu'à l'appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.
Empreinte de déférence, la norme de la décision raisonnable s'imposera quant aux questions purement factuelles, à celles où le droit et les faits sont indissociables, et aux décisions d'entités politiques ou d'organismes disposant d'un vaste pouvoir discrétionnaire. La cour de révision ou d'appel examinera, sous l'angle de cette norme, l'interprétation de la loi constitutive du décideur, d'une loi liée à son mandat, ainsi que des règles générales de droit en regard desquelles ce décideur a une certaine expertise.
(…)
(sic)
[25] La jurisprudence enseigne qu’une primauté certaine existe en faveur de la norme de la décision raisonnable par rapport à celle de la décision correcte [6] . Cette présomption doit être repoussée par la partie qui soutient que la norme de contrôle devant être retenue est celle de la décision correcte [7] .
[26] En l’espèce, les questions autorisées ne touchent pas, au sens strict, à la compétence de la Régie. Elles ne revêtent pas non plus une importance capitale pour le système juridique et, manifestement, elles ne sont pas des questions qui soulèvent un principe de justice naturelle [8] .
[27] Par ailleurs, dans l'arrêt Dunsmuir , la Cour suprême écrit [9] :
[54] La jurisprudence actuelle peut
être mise à contribution pour déterminer quelles questions emportent
l’application de la norme de la raisonnabilité. Lorsqu’un tribunal
administratif interprète sa propre loi constitutive ou une loi étroitement liée
à son mandat et dont il a une connaissance approfondie, la déférence est
habituellement de mise : Société Radio - Canada c. Canada (Conseil des
relations du travail),
[28]
L’article
[29] De fait, dans le contexte d’un bail de logement résidentiel, la Régie possède une connaissance approfondie ou un domaine d’expertise suffisant pour trancher les affaires qui touchent aux règles de droit relatives à la cession ou sous-location d’un bail.
[30] Les trois questions autorisées par la Cour du Québec sont des questions strictes de droit ou des questions mixtes de droit et de fait. Enfin, une clause privative est énoncée à l’article 18 de la Loi sur la Régie du logement [10] .
[31] Le Tribunal, de tout cela, conclut que la norme de contrôle devant être appliquée ici est celle de la décision raisonnable, et ce, pour toutes les questions autorisées. Par voie de conséquence, en principe, la déférence s’impose à l’égard de la Décision rendue par la Régie.
…
[32] Dans Dunsmuir , la Cour suprême explique ainsi ce que constitue une décision raisonnable :
(…) La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l'intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu'à l'appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. [11]
[33] Le Tribunal ne peut donc pas simplement substituer son opinion à celle de la Régie. Il peut intervenir seulement si la Décision rendue est déraisonnable, c’est-à-dire qu’au regard des faits prouvés et des principes juridiques applicables, elle ne constitue pas une des issues possibles ou conclusions acceptables [12] .
[34] En l’espèce, le Tribunal, avec respect pour l’opinion contraire, est d’avis que la Décision de la Régie n’est pas raisonnable ou ne constitue pas une issue possible acceptable qui peut se justifier au regard des faits prouvés et du droit applicable.
[35] Les conclusions auxquelles en arrive la juge administrative ne respectent pas les principes juridiques et le cadre législatif qui conditionnent la sous-location d’un logement résidentiel et, surtout, l’octroi de dommages-intérêts en droit civil.
2. Les principes juridiques applicables et la Décision de la Régie
[36] Le contrat de location d’un logement résidentiel, du moins du point de vue du locateur, est considéré comme une entente intuitu personae , c’est-à-dire que la relation contractuelle repose avant tout sur le désir des personnes d’être liées l’une à l’autre. La Cour d’appel enseigne d’ailleurs que les « relations entre un locataire et un locateur sont de la nature d’un droit personnel » [13] .
[37] Cette considération fondamentale se répercute sur plusieurs opérations juridiques propres au louage d’un logement résidentiel, notamment en matière de sous-location.
[38] L’auteur Pierre-Gabriel Jobin [14] écrit à ce sujet :
Pour le locateur, le louage est très généralement un contrat intuitu personae . Ceci est vrai même si le décès de l'une des parties au bail ne met pas fin à celui-ci. En effet, dans presque tous les cas, il n'est pas indifférent au locateur que le bien - dont il est propriétaire, la plupart du temps - soit utilisé ou occupé par telle personne plutôt que par telle autre; il est légitime pour lui de choisir un locataire susceptible de bien exécuter ses obligations de conservation et d'utilisation du bien en personne prudente et diligente. Le Code civil d'ailleurs reconnaît implicitement ce caractère intuitu personae lorsqu'il accorde au locateur le pouvoir d'approuver ou de refuser, pour des motifs raisonnables, le cessionnaire ou le sous-locataire proposé [15] .
[39]
En matière de sous-location, le législateur prévoit en effet que le
sous-locataire ne bénéficie pas du droit au maintien dans les lieux (art.
[40]
Plus significatif encore, le législateur exige, pour que la
sous-location soit opposable au locateur, que le locataire lui fasse parvenir
au préalable un avis d’intention de sous-louer conforme aux dispositions de
l’article
[41]
Les dispositions de l’article
[42]
La doctrine
[16]
et la jurisprudence
[17]
enseignent que cette exigence de transmettre un avis d’intention de sous-louer
comprenant toutes les informations énoncées à l’article
[43] Les mauvaises habitudes de paiement ou l’insolvabilité de la personne proposée sont considérées comme des motifs sérieux pour refuser de sous-louer. Partant, un avis incomplet ou contenant des renseignements erronés peut aussi faire l’objet d’un refus de sous-louer [18] .
[44]
En l’instance, la preuve présentée devant la Régie révèle que l’Intimé
n’a jamais transmis à l’Appelante un avis d’intention de sous-louer conforme
aux dispositions de l’article
[45] Pour la période de 3 mois allant de juin à août 2011, le père de l’Intimé a fait parvenir à l’Appelante par courrier électronique un avis de principe ou un avis « général » de leur intention de sous-louer la chambre ou le logement. Trois jours plus tard, il a envoyé un autre courriel au même effet.
[46] Or, ni dans le premier avis (de principe) ni dans le deuxième courriel ne trouve-t-on un nom et l’adresse du candidat sous-locataire. En outre, de la preuve, on ne peut pas conclure qu’une véritable entente ou promesse formelle de sous-location est intervenue entre lui et un candidat sous-locataire.
[47] La preuve indique seulement qu’une tierce personne (Pamela Rodriguez) s’était montrée intéressée par la sous-location. Elle ne révèle pas ou ne permet pas d’identifier la contrepartie ou les conditions suivant laquelle ou lesquelles cette tierce personne aurait accepté de devenir sous-locataire.
[48] La Régie conclut néanmoins que l’Intimé a droit au remboursement des loyers payés pour les mois de juin à août 2011 en disant que le « locataire [avait] démontré que Pamela Rodriguez était intéressée à sa chambre pour le 1 er juin 2011 (…) ».
[49] Pour la période allant de septembre 2011 à juin 2012, l’Intimé n’a fait parvenir à l’Appelante aucun avis de quelque nature que ce soit de son intention de sous-louer. En fait, l’Intimé n’a trouvé aucune personne prête à sous-louer ; il n’a du reste fait aucune démarche dans cette perspective.
[50] Pour lui, en raison du refus général de sous-louer exprimé par l’Appelante, il était inutile d’entreprendre une telle démarche. Cela n’aurait été, dit-il, qu’une source de mécontentement parmi les candidats sous-locataires.
[51] Dans ce contexte, la Régie accorde tout de même un remboursement complet à l’Intimé de tous les loyers mensuels qu’il a acquittés au cours de cette période. Elle s’explique brièvement, essentiellement en disant que « [l]’absence d’avis de sous-location ne peut être invoquée par la locatrice, celle-ci ayant clairement manifesté, dès le mois de mai, son refus de tout candidat proposé ».
[52] Ces conclusions de la Régie, soit dit avec égards, outre qu’elles ne respectent pas les règles impératives relatives à l’envoi d’un avis d’intention de sous-louer, sont incompatibles avec les principes juridiques qui définissent la sous-location et ceux qui gouvernent l’octroi de dommages-intérêts en droit civil.
…
[53] Le contrat de sous-location est un contrat distinct et autonome par rapport au contrat de location qui lie le propriétaire et le locataire.
[54] De par sa nature, le contrat de sous-location ne crée aucun lien juridique direct entre le locateur et le sous-locataire [19] . Entre le locateur et le locataire (et sous-locateur), la relation juridique demeure [20] , le bail principal continuant de s’appliquer entre eux. Le locataire demeure ainsi responsable envers le propriétaire de ses obligations aux termes de leur bail.
[55] Par ailleurs, en principe, le sous-locataire n’a aucun recours direct contre le locateur principal. De fait, les éléments constitutifs de l’entente intervenue entre le locataire (et sous-locateur) et le sous-locataire ne peuvent pas être imposés au locateur. Dans la même logique, le consentement du propriétaire à la location ou son refus injustifié de le permettre « ne le rend pas partie à ce contrat » [21] .
[56] La doctrine et la jurisprudence enseignent aussi que, dans le cas où le locateur refuse la sous-location sans motif sérieux ou valable, le locataire peut toujours sous-louer le logement, quitte à obtenir par la suite de la Régie un jugement confirmant son droit de le faire [22] .
[57] En d’autres termes, la sanction ne se limite pas à la résiliation du bail et l’obtention de dommages-intérêts. En s’appuyant sur l’article 86 de la Loi sur la Régie du logement [23] , le locataire peut obtenir une décision déclaratoire confirmant la validité de la sous-location ou, autrement dit, l’exécution en nature de son droit (art. 1863 C.c.Q.) [24] .
[58] Ces éléments illustrent bien le caractère autonome de la sous-location et la nécessité qu'une entente de sous-location soit véritablement conclue avant que le locataire (et sous-locateur) puisse prétendre pouvoir faire valoir des droits sur cette base.
[59]
Pour obtenir une réparation à la suite de la faute alléguée de
l’Appelante, celle de refuser d’avance (et sans motif sérieux) toute
sous-location, l’Intimé devait prouver que son droit à la sous-location s’était
effectivement cristallisé, c’est-à-dire 1) qu’une entente ou promesse ferme de
sous-location avait été conclue et 2) qu’un avis d’intention de sous-louer
respectant les dispositions impératives de l’article
[60] En réalité, au regard des principes juridiques applicables, le refus « général » exprimé par l’Appelante n’était pas la véritable ou la seule question que la Régie devait considérer ou trancher. Elle devait vérifier et conclure que l’Intimé avait satisfait à son fardeau de prouver le préjudice qu’il prétendait avoir subi suivant les règles applicables en cette matière.
[61] Or, dans cette perspective, la Régie a commis une erreur révisable. Elle a ignoré ou évalué incorrectement du point de vue du préjudice réellement subi le fait que l’Intimé n’a jamais conclu une entente ou même seulement une promesse ferme de sous-location, que ce soit pour la période de juin à août 2011 ou celle de septembre 2011 à juin 2012.
[62]
En droit civil, une intention ou une simple offre de contracter ne crée
aucune obligation contractuelle (art.
[63]
La déclaration de l’Appelante était sans doute fautive. Elle
n’entraînait cependant pas comme conséquence de libérer l’Intimé de son
obligation de prouver, conformément aux principes juridiques applicables en
cette matière, que le préjudice qu’il prétendait avoir subi était certain et
constituait une suite immédiate et directe de cette faute (art.
[64] En l’espèce, faute d’une véritable entente ou promesse ferme de sous-location qui en aurait défini les termes et conditions, il n’y a aucune certitude que l’Intimé aurait effectivement pu convenir d’une sous-location et, surtout, la conclure d’une manière comparable à ses propres obligations suivant le bail principal.
[65] En somme, l’étendue exacte des dommages de l’Intimé restait à être prouvée. Il n’a présenté aucune preuve sur les probabilités réelles qu’une sous-location puisse être faite à des conditions comparables au bail principal. Dans le contexte établi, les dommages qu’il prétendait avoir subis ne constituaient donc qu’une simple possibilité ou hypothèse. Juridiquement, ils ne s’étaient pas matérialisés et demeuraient incertains.
3. Conclusion
[66] Le Tribunal conclut que, dans la situation particulière de cette affaire, les trois questions autorisées par la Cour doivent recevoir une réponse négative. L’Intimé ne pouvait pas, dans les circonstances décrites, obtenir les dommages-intérêts qu’il a spécifiquement réclamés auprès de la Régie. Partant, sa demande judiciaire aurait dû être rejetée dans son ensemble.
[67] L’appel doit donc être accueilli et la Décision rendue par la Régie le 10 décembre 2013 sera infirmée. Par contre, en raison des circonstances propres à cette affaire, chaque partie devra supporter ses propres frais judiciaires.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
ACCUEILLE l’appel de l’Appelante ;
INFIRME la décision rendue le 10 décembre 2013 par la Régie du logement dans le dossier portant le numéro 31-110603-075 G ;
REJETTE la demande judiciaire de l’Intimé (locataire) devant la Régie du logement ;
LE TOUT, sans frais judiciaires.
|
|
|
ALAIN BREAULT, J.C.Q. |
|
|
|
|
|
|
Me Thierry Muhgoh Avocats de la partie appelante |
|
|
|
L’intimé se représente seul |
|
|
|
Date d'audience : le 5 décembre 2014 |
[1]
Kerezov c. Athanassiadis
, (R.D.L., 2013-12-10), 2013 QCRDL 40062,
[2] La Décision de la Régie portait aussi sur une demande de résiliation de bail et dommages-intérêts de l’Appelante ou locatrice. Cette partie de la Décision n’a toutefois pas fait l’objet d’un appel.
[3]
Athanassiadis
c. Kerezov
, (C.Q., 2014-05-20), 2014
QCCQ 4069,
[4]
Dunsmuir
c. Nouveau-Brunswick
,
[5]
Denis
LAMY,
[6]
Arblaster c. Gagnon
, (C.Q., 2013-04-11), 2013 QCCQ 3551,
[7]
9210-3001 Québec inc. c. Datus
,
supra,
note 8;
White c. Prospect Belvedere
Services Corporation
,
(C.Q., 2012-10-25), 2012 QCCQ 9242,
[8]
Office municipal d’habitation de Montréal c. Raymond
, (C.Q.,
2011-04-28), [2001] QCCQ 430,
[9] Supra, note 4, paragraphe 54.
[10] RRLQ, c. R-8.1.
[11] Supra , note 4, paragraphe 47.
[12]
Vaillancourt
c. Dion
, (C.A., 2010-08-19), 2010
QCCA 1499,
[13] Id., paragr. [33].
[14]
Pierre-Gabriel JOBIN,
[15] Id ., p. 27.
[16]
Jacques
DESLAURIERS,
[17]
Ouellet c. Portugais
, (C.Q., 2001-01-17),
[18] Id.
[19] Jacques DESLAURIERS, supra , note 16 , p. 79.
[20] Id., p. 78.
[21] Id.
[22] Id., p. 73.
[23] L’article 86 est libellé comme suit :
En l’absence de dispositions applicables à un cas particulier, un régisseur peut y suppléer par toute procédure non incompatible avec la présente loi ou les règlements de procédure.
[24]
Pierre-Gabriel JOBIN,
supra
, note 14, p. 69-70 ; pour des exemples
jurisprudentiels en matière de cession de bail, voir :
Carignan
c. Dubreuil
, (C.Q., 2001-11-20),