Fortier c. Samspec Inc. (Amerispec)

2015 QCCQ 5612

COUR DU QUÉBEC

« Division des petites créances »

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

MONTRÉAL

« Chambre civile »

N° :

500-32-136755-131

 

 

 

DATE :

LE 23 JUIN 2015

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

JULIE VEILLEUX, J.C.Q.

______________________________________________________________________

 

SYLVIE MARIE FORTIER

[…] Montréal, Québec  […]

 

Et

 

DENISE PROVOST

[…] Montréal, Québec  […]

 

Demanderesses

 

c.

 

SAMSPEC INC. (AMERISPEC)

3116 Avenue Francis-Hugues

Laval, Québec  H7L 5A6

 

Défenderesse

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

PRÉLIMINAIRES

[1]            Un jugement par défaut rejetant le recours des demanderesses a été rendu par l'Honorable Diane Quenneville le 2 décembre 2014. Les demanderesses ont présenté une Requête en rétractation de jugement laquelle a été reçue.

[2]            Le 8 mai dernier, le Tribunal a entendu les représentations de part et d'autre en regard de la Requête en rétractation de jugement. Pour les motifs énoncés verbalement à l'audience, le Tribunal a accueilli la Requête en rétractation de jugement et annulé le jugement par défaut rendu le 2 décembre 2014.

[3]            Les demanderesses réclament un montant de 1 979,87 $ à la suite d'une inspection préachat effectuée par un représentant de la défenderesse. Les demanderesses prétendent que le rapport d'inspection était incomplet et qu'en raison de l'omission de l'inspecteur de révéler certaines informations, elles ont encouru les dommages-intérêts réclamés.

[4]            La défenderesse conteste la réclamation au motif que le rapport d'inspection était complet et comportait les mentions utiles en regard du mur faisant l'objet du litige.

QUESTIONS EN LITIGE

-                Les demanderesses ont-elles démontré par preuve prépondérante que la défenderesse a négligé d'exécuter ses obligations contractuelles?

-                Dans l'affirmative, quels sont les dommages-intérêts dus aux demanderesses?

CONTEXTE

[5]            Le 6 avril 2011 intervient entre les parties une « Convention de service d'inspection d'un immeuble principalement résidentiel » (la convention). Cette convention prévoit la nature des services devant être fournis par la défenderesse de même que les modalités de l'exécution de ses services.

[6]            Le même jour, M. Sylvain Larose procède à l'inspection d'un immeuble situé au 6417 Louis-Hémon, Montréal (l'immeuble) en présence des demanderesses et du vendeur. Selon les demanderesses, l'inspection dure environ 45 minutes tant pour l'intérieur et l'extérieur.

[7]            Les demanderesses ont retenu de cette inspection qu'aucun problème majeur n'a été noté et qu'elles faisaient un bon achat. Elles relatent seulement une problématique liée aux fiches électriques et à la nécessité de faire vérifier la structure. Aucune négociation postérieure à l'inspection n'a eu lieu de sorte que le prix de vente convenu est demeuré le même.

[8]            Quelques jours après l'inspection, les demanderesses obtiennent copie du rapport de la défenderesse. Selon elles, il est conforme à leur compréhension des propos de l'inspecteur.

[9]            Elles prennent possession de l'immeuble quelques semaines plus tard mais dès le mois de juillet, elles constatent que le mur nord de l'immeuble (le mur faisant l'objet du litige) se désintègre au niveau de la surface de crépi. Les demanderesses consultent un maçon qui note la présence d'un ventre de bœuf sous le crépi. Le mur nord doit être refait et le coût s'élève à 10 400 $.

[10]         Les demanderesses requièrent de l'inspecteur Larose qu'il fasse une deuxième inspection, laquelle a donné lieu à un rapport complémentaire en date du 27 juin 2011. Ce rapport complémentaire est lié à l'existence d'un vice caché à savoir une problématique d'infiltration d'eau et plus particulièrement, l'observation d'une pente négative du terrain. Les demanderesses font valoir des éléments qu'elles estiment contradictoires contenus dans le rapport et le rapport complémentaire de la défenderesse. Elles soulignent les contradictions suivantes :

            -           Rapport du 6 avril 2011  :

                         Section 111 Pente/Drainage

                         Immeuble construit sur terrain plat. La pente à la fondation est généralement satisfaisante. Nous recommandons l'ajout de terre de remblai afin de combler les parties basses près de la fondation, éloigner l'eau de celle-ci et assurer un drainage adéquat.

            -           Rapport complémentaire du 27 juin 2011  :

                         Section Constatations

                         Immeuble construit sur terrain plat. La pente à la fondation est inadéquate. Pente négative (du terrain vers la fondation) observée tout comme lors de l'inspection préachat du 6 avril. L'ancien propriétaire nous divulgue que l'endroit où était le réservoir à l'huile sous le balcon arrière était un trou et que celui-ci a été remplie avec du gravier.

                         (…)

[11]         Les demanderesses ont ensuite des discussions avec le vendeur lesquelles mènent à un règlement à l'amiable avec l'assureur de ce dernier. Elles expliquent à l'audience avoir obtenu une compensation de 8 000 $ de la part de l'assureur du vendeur au motif que l'immeuble était affecté d'un vice caché. Cependant, cela n'inclut pas le revêtement de crépi du mur nord puisque cet élément était apparent.

[12]         Les demanderesses réclament à la défenderesse le montant de la réparation du mur de crépi, 1 324,80 $. En outre, elles demandent le remboursement du montant payé pour l'inspection et le rapport, 655,07 $.

[13]         La défenderesse est représentée à l'audience par M. Blanchard, directeur par interim des opérations et par l'inspecteur Larose. Ces témoins précisent que la durée de l'inspection a été d'un peu plus de deux heures et demie car les mentions 14 h 35 à 17 h 10 apparaissent sur le premier rapport.

[14]         D'autre part, M. Blanchard souligne que plusieurs volets du premier rapport évoquent « des drapeaux rouges »; il se réfère plus spécifiquement aux sections 106 et 113 qui se lisent ainsi :

            -           Section 106 Revêtement

                         Brique. Mortier désagrégé/fissuré/manquant observé. Nous recommandons de refaire les joints de maçonnerie adéquatement afin d'éviter des dommages/détériorations causés par l'infiltration d'eau/humidité. Nous recommandons de consulter un maçon licencié afin d'évaluer et de corriger cette situation. Voir annexe photo #6 et #7.

                         Jointoiement non étanche observé par endroits. Nous recommandons de corriger ceci afin d'éviter des dommages causés par l'infiltration d'eau. Voir annexe photo #8.

                         Réparation notée. Impossible de déterminer la qualité ni l'efficacité du travail. Nous recommandons d'obtenir de plus amples informations à ce sujet ainsi que tous les documents pertinents auprès du propriétaire vendeur.

                         L'eau est destructive et peut s'infiltrer dans n'importe quelle ouverture aussi minime soit-elle. Il est donc important d'assurer l'étanchéité de l'enveloppe du bâtiment. Par mesure de prévention, nous recommandons donc de sceller toutes ouvertures et projections (portes, fenêtres, cheminée, luminaires, prises électriques et autres) afin d'éviter des dommages causés par l'infiltration d'eau.

            -           Section 113 Fondation

                         Béton. Crépi récent observé. Ceci pourrait nous empêcher de percevoir certains symptômes antérieurs.

                         Effritement des joints de moellon observé au-dessus de la tête de porte du sous-sol. Ceci peut occasionner une perte de capacité portante de la fondation. Nous recommandons de consulter un ingénieur en structure/infrastructure afin d'évaluer et corriger cette situation. Voir annexe photo #10.

                         La fondation de ce bâtiment est en pierre. Les pierres sont recouvertes de crépi pour la portion hors sol. Ce crépi se détache par endroits. Une fondation en pierre est rarement étanche aux pressions hydrostatiques en raison des nombreux joints qui la composent et ce, même si elle est goudronnée. Antérieurement il était d'usage de recouvrir de crépi l'ensemble de la fondation, mais, de nos jours l'installation d'une membrane élastomère est plus appropriée parce que plus performante. Afin d'assurer l'étanchéité de la fondation, nous recommandons de considérer l'installation d'une telle membrane. Fissures observées; possiblement causées par un soulèvement/poussées latérales dû au gel. Nous recommandons de déterminer la cause exacte et de corriger afin d'éviter des dommages supplémentaires. Voir annexe photo #4. À cette fin, nous recommandons de consulter un entrepreneur licencié afin d'évaluer/corriger ces situations.

[15]         Pour sa part, M. Larose précise avoir un souvenir de cette inspection de l'immeuble dont la construction remonte à environ 80 ans. Il explique sa méthode de travail, soit de préparer un rapport de façon concomitante à son inspection. La version dactylographiée du rapport est ensuite préparée par un service de secrétariat.

[16]         Il explique avoir fait l'inspection extérieure de l'immeuble et d'avoir noté une problématique au niveau du revêtement de la brique, plus spécifiquement de mortier désagrégé dont la durée de vie était atteinte. En regard du mur faisant l'objet du litige, il précise ne pas avoir eu un accès direct à ce mur, mais il a pu l'observer et noter une réparation partielle (une patch). Il affirme avoir dit aux demanderesses au moment de l'inspection que ce genre de réparation, si elle est bien faite, peut être adéquate et durer longtemps mais qu'il n'a pas de façon de vérifier la qualité de la réparation. Il affirme avoir noté ce volet spécifique et réfère à la section 106 du premier rapport qui est reproduit ci-dessus.

[17]         M. Larose explique de plus faire l'utilisation d'un hygromètre lorsqu'il y a des signes d'humidité tel odeur excessive ou gondolement dans le sous-sol, ce qui n'a pas été le cas en l'espèce.

[18]         Il affirme aussi que les mentions liées à la pente et au drainage dans le premier rapport et le rapport complémentaire ne sont pas contradictoires. En effet, son premier rapport parle d'une pente généralement satisfaisante mais il note la recommandation d'ajout de terre de remblai afin de combler les parties basses près de la fondation afin d'assurer un drainage adéquat. Par ailleurs, lors de son inspection complémentaire, il est informé par le vendeur que le trou créé par l'enlèvement du réservoir à l'huile sous le balcon arrière a été rempli de gravier. Or, le gravier n'éloigne pas l'eau, ce qui explique l'infiltration d'eau noté par les demanderesses.

[19]         En résumé, M. Larose explique avoir donné aux demanderesses les informations pertinentes. Même s'il ne leur a pas donné de contre-indications d'acheter l'immeuble, pour lui, il est évident que compte-tenu de la date de construction de l'immeuble, 1929, il y avait lieu d'être vigilant en regard de certains volets, en l'occurrence le revêtement extérieur.

ANALYSE

-                Les demanderesses ont-elles démontré par preuve prépondérante que la défenderesse a négligé d'exécuter ses obligations contractuelles?

[20]         Les demanderesses ont le fardeau de démontrer que la défenderesse a négligé d'exécuter ses obligations contractuelles. Le Tribunal conclut que les demanderesses ont failli à cette tâche.

[21]         Le contrat intervenu entre les parties est un contrat de service assujetti aux articles 2098 et suivants du Code civil du Québec de même qu'aux dispositions de la Loi sur la protection du consommateur [1] .

[22]         La jurisprudence a établi que l'obligation de l'inspecteur préachat constitue une obligation de moyens et non de résultat [2] . Par conséquent, le Tribunal doit évaluer si la défenderesse a agi avec prudence et diligence et déployé tous les moyens raisonnables pour fournir aux demanderesses l'information pertinente préalablement à l'achat d'immeuble.

[23]         L'inspecteur doit relever les indices susceptibles de soulever des soupçons, en informer l'acheteur et le prévenir si une inspection ou une recherche plus approfondie s'impose [3] . En d'autres termes, l'inspecteur est « l'œil initié » des acheteurs et il doit les alerter en cas de constatations inquiétantes. Pour le Tribunal, c'est précisément ce que l'inspecteur a fait auprès des demanderesses.

[24]         Le témoignage de M. Larose de même que les extraits pertinents du premier rapport, plus particulièrement la section 106 en regard du revêtement, amènent le Tribunal à conclure qu'il a noté la réparation du mur en litige et l'impossibilité de se prononcer sur la qualité du travail effectué. Le rapport souligne l'importance d'obtenir de plus amples informations à ce sujet de la part du vendeur.

[25]         Cette preuve testimoniale et documentaire n'a pas été contredite par les demanderesses. Celles-ci ont plutôt interprété différemment les propos et le rapport de l'inspecteur Larose. Leur interprétation ne peut constituer une preuve prépondérante d'un manquement par la défenderesse à ses obligations contractuelles. En raison de ce qui précède, le Tribunal ne peut faire droit à la réclamation des demanderesses en regard des dommages-intérêts réclamés.

[26]         Par ailleurs, c'est en raison des rapports préparés par la défenderesse que les demanderesses ont pu obtenir compensation auprès de l'assureur du vendeur à la suite de la découverte d'un vice-caché. Dans les circonstances, il ne saurait être question de rembourser aux demanderesses des frais encourus pour l'inspection et la préparation des rapports de la défenderesse.

[27]         Vu ce qui précède, la deuxième question en litige devient sans objet.

 

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

REJETTE la réclamation de Sylvie Marie Fortier et Denise Provost contre Samspec Inc. (AmeriSpec);

LE TOUT , sans frais.

 

 

 

 

 

 

 

__________________________________

JULIE VEILLEUX, J.C.Q.

 

 

Date d’audience :

Le 8 mai 2015

 



[1]     RLRQ c. P-40.1.

[2]     9110-9595 Québec inc. c. Lemieux , 2010 QCCA 1829 ; Bourget c. Henry , 2010 QCCS 229 ; Warnock Hersey Professional Services Ltd. c. Gaspan , EYB 1988-56628 CA;

[3]     TALBOT, Lauraine, Isabelle Viens et Natale Screnci, La responsabilité de l'inspecteur préachat , Éditions Yvon Blais, 2012, p. 25 et suiv.; HÉBERT, Mélanie: Retour sur la responsabilité de l'inspecteur préachat: les développements récents , dans Service de la formation continue, Barreau du Québec, Développements récents en droit de l'immobilier (2007), Cowansville, Éditions Yvon Blais, EYB 2007-1403; Bazzoli et al. c. Toffler et al. , EYB 2005-91278 CQ; Barrios Villatoro c. Lamontagne , 2014 QCCQ 970 .