Centre de santé et de services sociaux d'Argenteuil et Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux (APTS) (Chantal Plaum)

2015 QCTA 524

TRIBUNAL D’ARBITRAGE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

N o de dépôt :

2015-5279

 

 

 

Grief no :

2010-12-A034 (Congédiement)

 

 

 

Date :

            Le 25 juin 2015

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SOUS LA PRÉSIDENCE DE :

            ME FRANÇOIS BLAIS,  ARBITRE

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CENTRE DE SANTÉ ET DE SERVICES SOCIAUX D’ARGENTEUIL

ci-après « l’employeur »

 

Et

 

ALLIANCE DU PERSONNEL PROFESSIONNEL ET TECHNIQUE DE LA SANTÉ ET DES SERVICES SOCIAUX (APTS)

ci-après « le syndicat »

 

Et

 

CHANTAL PLAUM

ci-après « la plaignante »

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SENTENCE ARBITRALE

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Les préliminaires

[1]    L’arbitre soussigné a été désigné par les parties afin d’entendre et de disposer des griefs 2010-11-A027 (évaluation de rendement) et  2010-12-A034 (congédiement) de la plaignante. Me Suzie Chouinard représentait l’employeur et Me Terence Mathieu représentait le syndicat, auquel s’est substitué Me Sophie Cloutier en cours d’audience.

[2]    Au tout début de la première journée d’audience, les procureurs des parties ont suggéré à l’arbitre de suspendre l’enquête concernant le grief d’évaluation de rendement, afin de procéder d’abord dans le grief de congédiement de la plaignante, pour ensuite procéder dans l’autre grief, le cas échéant. L’arbitre a accepté de procéder comme le suggérait les procureurs des parties et de convoquer le grief d’évaluation de rendement une fois la décision rendue dans le grief de congédiement de la plaignante.

[3]        Les procureurs des parties ont admis que j’étais valablement saisi du litige et que la procédure et les délais concernant les griefs avaient été régulièrement suivis. Le procureur du syndicat a par ailleurs déposé les dispositions nationales (pièce S-1) et les dispositions locales (pièce S-2) tenant lieu de conventions collectives entre les parties.

[4]        À la fin des audiences, les procureures ont demandé à l’arbitre la permission de plaider par écrit, ce qui a été accordé. Un échéancier a donc été fixé, lequel a par la suite été modifié afin de tenir compte de certaines contraintes de la procureure de l’employeur. L’affaire a été prise en délibéré le 1 er avril 2015, sur réception des notes et autorités de la procureure du syndicat.

Les griefs

[5]        L’arbitre a été saisi du grief 2010-11-A027 daté du 5 novembre 2010 (pièce S-3).

[6]        S-3 - extrait :

« LIBELLÉ DU GRIEF (bref exposé)

Je conteste l’évaluation de mon rendement que monsieur Alain Barbeau, chef des services psychosociaux et santé mentale adulte, m’a communiqué dans un compte-rendu de rencontre datée du 16 septembre 2010, lors d’une seconde rencontre datée du 27 septembre 2010 et lors d’une troisième rencontre survenue le 18 octobre 2010. Ces évaluations de rendement ne sont pas conformes, elles contreviennent à la convention collective et elles sont arbitraires, discriminatoires, déraisonnables et non fondées en faits et en droit.

En conséquence, je réclame :

-   que cette évaluation soit annulée ;

-   que l’employeur retire cette évaluation de mon dossier ;

-   que le tribunal ordonne toute autre mesure propre à sauvegarder mes droits ;

-   que l’employeur me paie les dommages matériels et moraux subis, le tout conformément à la convention collective en vigueur avec les intérêts prévus à l’article 100.12 c) du Code du travail. »

[7]        L’arbitre a également été saisi du grief 2010-12-A034 daté du 7 décembre 2010, (pièce S-4).

[8]        S-4 - extrait :

« LIBELLÉ DU GRIEF (bref exposé)

Je conteste la décision de l’employeur, en date du 3 décembre 2010, de me congédier sans cause juste et raisonnable et de mettre fin à mon emploi d’agente en relations humaines pour les motifs mentionnés dans un avis écrit signé par monsieur Alain Barbeau, chef des services psychosociaux et de la santé mentale adulte, qui m’a été remis lors d’une rencontre tenue le même jour en présence de Marie-Josée Théorêt. Cette décision, qui contrevient aux principes de droit et de justice applicables en relations de travail, est également non fondée et injuste.

Vu ce qui précède et sous toutes réserves, je demande au tribunal d’arbitrage :

-   DE DÉCLARER nulle et illégale la décision de l’employeur ;

-   D’ORDONNER à l’Employeur de me réintégrer dans mon emploi d’agente en relations humaines aux services psychosociaux et de la Santé mentale adulte ;

-   D’ORDONNER à l’Employeur de me verser le salaire que j’ai perdu suite à cette décision et de me payer une indemnité pour tous les dommages matériels, moraux et exemplaires découlant de cette décision, incluant le préjudice fiscal que j’ai subi.

-   D’ORDONNER à l’employeur de rétablir tous les droits, avantages et privilèges que cette décision a pu me priver, et ce, rétroactivement au 3 décembre 2010 ;

-   D’ORDONNER à l’employeur de me payer les intérêts prévus à l’article 100.12 c) du Code du travail sur toutes les sommes dues incluant le taux majoré. »

[9]    Le grief 2010-12-A034 conteste le congédiement de la plaignante survenu le 3 décembre 2010 (pièce E-1).

[10]     E-1 - extrait :

«  Objet : terminaison administrative de votre emploi

 

Madame,

 

Le 13 septembre 2010, vous étiez rencontrée en présence de votre supérieur immédiat, monsieur Alain Barbeau, de madame Marie-Josée Théorêt, chef de service des relations de travail et de votre conseiller syndical, monsieur Julien Savoie. Le but de cette rencontre était :

 

       ·    De vous refléter l’ensemble des difficultés que vous rencontrez dans l’accomplissement de vos tâches ;

 

       ·    De vous identifier clairement nos attentes à l’effet d’améliorer et d’augmenter vos compétences et votre rendement afin de livrer les résultats escomptés.

 

Dès la tenue de cette rencontre, vous avez bénéficié de rencontres de support, à raison d’une rencontre aux deux (2) semaines et ce, en présence de votre supérieur immédiat. Ceci avait pour but de s’assurer de la bonne évolution de votre rendement, tout en respectant l’atteinte des objectifs de rendement qui vous avaient été donnés. Ces rencontres ont été fixées pour les 27 septembre 2010, 18 octobre 2010, 1 er novembre 2010 et le 15 novembre 2010.

 

Nous vous avons formellement avisé que le lien de confiance qui vous unit à l’établissement était fortement ébranlé et que nous vous accordions un délai de deux (2) mois pour nous démontrer votre capacité à répondre à nos attentes à défaut de quoi, des mesures administratives seraient prises et affecteraient votre lien d’emploi. Un compte-rendu détaillé de cette rencontre du 13 septembre 2010 vous a été remis en main propre le 16 septembre 2010.

 

Le 27 septembre 2010, nous procédions à la première rencontre du processus de suivi en présence de votre supérieur immédiat, monsieur Alain Barbeau, madame Marie-Josée Théorêt, chef de service des relations de travail et votre représentante syndicale locale madame Martine Larivière.

 

À l’occasion de cette rencontre, nous reprenions chacun de vos dossiers et en avons évalué le suivi, tout en identifiant la qualité des interventions qui étaient attendues de vous. Le constat des dossiers à réviser quant à leur suivi ou la tenue de notes, fût le suivant :

 

       ·    #14168 : les notes sont indéchiffrables, on vous demande alors d’apporter les correctifs requis ;

 

       ·    #34161 : beaucoup de démarches entreprises mais les dernières notes au dossier datent du 17 août 2010. Vous avez toutefois admis avoir manqué de rigueur dans la tenue des notes de suivi pour ce dossier et avez convenu qu’au 18 octobre les notes seraient à jour ;

 

       ·    #34315 : vous avez eu six (6) rencontres régulières avec ce client et la dernière note au dossier remonte au 16 août 2010 où vous avez inscrit : « je suis inquiète » sans rien de plus ;

 

       ·    #18873 : ce dossier vous est assigné depuis le 9 juillet 2010 et vous avez inscrit des notes au dossier uniquement pour les rencontres des 4 et 17 août 2010. Vous y avez noté un rendez-vous pour le 31 août 2010 mais aucune note ne se trouve au dossier ni de plan d’intervention. Vous nous avez dit avoir mis fin au suivi de ce client ;

 

       ·    #00778 : dans ce dossier, une plainte à votre égard a été formulée pour le motif que vous ne vous en étiez pas occupée. Vous nous avez confirmé avoir reçu cette plainte. Pourtant votre note du 22 juin 2010 porte à interprétation quant à ce sujet. En effet, pour « un lecteur objectif » il est difficile de saisir si vous référez à la cliente ou à sa mère. Bien que vous ayez admis avoir communiqué avec sa mère, vos notes à ce sujet ne sont pas complétées ;

 

       ·    #8942 : dans ce dossier vous orientez le client aux services « santé mentale » alors qu’une bonne évaluation aurait dû vous inciter à orienter ce dossier aux services de « suivi psychosocial » ;

 

Lors de notre rencontre du 27 septembre 2010, vous avez demandé s’il était possible de vous accorder du temps de travail supplémentaire afin de vous aider à compléter toutes vos notes aux dossiers. Nous vous avons accordé sept (7) heures de travail supplémentaires donc, de travailler trente cinq (35) heures plutôt que votre vingt-huit (28) heures hebdomadaires habituelles.

 

Le 18 octobre 2010, nous procédions à la deuxième rencontre de suivi en présence de votre supérieur immédiat, monsieur Alain Barbeau, madame Marie-Josée Théorêt, chef de service des relations de travail et votre conseiller syndical, monsieur Julien Savoie. Le but de cette rencontre était de faire le point sur l’état de vos dossiers en lien avec nos attentes signifiées en date du 13 septembre 2010.

 

Un compte-rendu détaillé de la rencontre du 18 octobre 2010 vous a été remis en main propre le 9 novembre 2010. Plusieurs lacunes ou manquements étaient toujours présents et notre constat était qu’à cette date vous n’arriviez toujours pas à répondre à nos attentes. Nous vous avons rappelé qu’il vous restait un mois avant la fin du processus de redressement et qu’à défaut d’améliorer de manière significative la qualité de votre travail, nous serions dans l’obligation de mettre fin à votre lien d’emploi.

 

À compter du 25 octobre 2010 vous vous êtes absentée du travail pour des raisons médicales et ce, jusqu’au 7 novembre 2010 inclusivement. C’est ce qui explique entre autres, que nous vous ayons remis le compte-rendu de la rencontre du 18 octobre seulement trois (3) semaines plus tard.

 

En raison de votre absence, les rencontres du 1 er novembre et du 15 novembre ont donc dû être déplacées aux 3 et 20 décembre 2010.

 

Or, le constat en date du 30 novembre de la persistance de vos difficultés à atteindre les standards professionnels exigés et le décès récent d’une cliente qui avait été placée sous votre responsabilité (#00778), lequel est survenu la fin de semaine du 27 novembre 2010 nous a obligé à revoir immédiatement notre plan d’intervention à votre égard. En effet, nous avions déjà soulevé des problématiques quant à votre suivi de cette cliente à la rencontre du 18 octobre, dont plusieurs lacunes majeures et inacceptables dans le traitement de ce dossier.

 

Bien que nous ne puissions pas vous attribuer la responsabilité directe de cet événement tragique, cette situation nous a confirmé dans l’évaluation que nous faisons de votre rendement d’un point de vue professionnel. Cet exercice nous a clairement démontré votre inaptitude à assumer adéquatement les responsabilités, aptitudes et exigences normales, rattachées à votre statut d’emploi.

 

De ce fait, la relation de confiance que le CSSS d’Argenteuil doit avoir à votre égard, dans le rôle que vous devez assumer au sein de son organisation est irrémédiablement compromis (sic).

 

Considérant que depuis votre embauche en date du 10 mai 2009, signifiant une courte période d’ancienneté, vous éprouvez de sérieuses difficultés à répondre adéquatement aux exigences normales du poste d’agente de relations humaines et que des mesures de support exhaustives ont été mises en place pour vous permettre d’améliorer votre rendement ;

 

Considérant que depuis plus d’un an diverses plaintes provenant d’usagers ou de collègues ne cessent d’être portées à notre attention ;

 

Considérant que nous vous avons octroyé une période additionnelle de deux (2) mois pour vous permettre d’améliorer vos compétences et de répondre à nos attentes mais le tout sans résultat significatif ;

 

Considérant que les analyses sérieuses et approfondies que nous avons effectuées à l’égard du traitement de vos dossiers et leurs suivis, n’ont fait qu’accroître notre conviction que vous aviez d’énormes lacunes au niveau de vos compétences et de votre jugement clinique, nous démontrant ainsi votre incapacité professionnelle à répondre adéquatement aux exigences de base requises pour votre travail ;

 

Considérant que le lien de confiance avec nous est définitivement rompu ;

 

À la lumière de tous ces faits et motifs , nous n’avons d’autre choix que de procéder à la terminaison administrative de votre emploi, laquelle est effective en date de ce jour.

 

Les redevances qui vous sont dues, de même que votre relevé de cessation d’emploi vous seront acheminés au cours de la prochaine période de paie. Pour des considérations humanitaires et compte-tenu de la période actuelle de l’année et que les possibilités de recherche d’emploi peuvent être limitées, nous vous accordons une compensation monétaire additionnelle équivalente à deux (2) semaines de salaire et ce, sans préjudice au bien fondé de la décision que nous prenons quant à votre emploi.

 

(s) Alain Barbeau                                                    (s) Marie-Josée Théorêt           

Alain Barbeau,                                                         Marie-Josée Théorêt

Chef des services psychosociaux                         Chef de services des

et de santé mentale adulte                                      relations de travail  »  

[11]         Par ailleurs, les procureurs des parties s’opposent quant à la qualification du litige relatif au congédiement de la plaignante.  

Le Litige

[12]         La procureure de l’employeur soutient que la plaignante a fait l’objet d’une mesure administrative, alors que le procureur du syndicat soutient qu’il s’agit plutôt d’une mesure à caractère disciplinaire. Afin de faciliter le déroulement de l’audience, la procureure de l’employeur a accepté de présenter ses témoins en premier, sans toutefois admettre qu’elle avait le fardeau de la preuve en l’espèce, sous réserve de la qualification, par l’arbitre, de la mesure prise contre la plaignante.

[13]         Toujours lors de la première journée d’audience, le procureur du syndicat a demandé la permission de consulter les dossiers, invoqués par l’employeur, qui auraient conduit à la terminaison d’emploi de la plaignante (pièce E-1) et ce, afin de lui permettre d’assurer à celle-ci une défense pleine et entière.

Les objections à la preuve

[14]         La permission de consulter les dossiers invoqués par l’employeur contre la plaignante a été accordée par l’arbitre, sous réserve de leur pertinence, sans qu’il ne soit nécessaire d’émettre l’ordonnance prévue par la Loi sur les services de santé et les services sociaux, L.R.Q., c. S-4.2, compte tenu de l’engagement du procureur du syndicat, d’en prendre connaissance aux conditions fixées par l’employeur relativement aux modalités d’accès et de confidentialité découlant de la Loi sur les services de santé et les services sociaux, auquel s’est substitué la procureure du syndicat, sous les mêmes conditions implicites. Par la suite, l a permission de consulter tous les dossiers traités par la plaignante lui a également été accordée, selon les mêmes conditions, toujours sous réserve de leur pertinence, le cas échéant, dans la perspective d’assurer une défense pleine et entière à la plaignante.

[15]         C’est ainsi que j’ai maintenu en cours d’audience une objection formelle soulevée par la procureure de l’employeur quant à la pertinence du dépôt en preuve de tous les dossiers consultés par la partie syndicale. Je réfère ici à une sentence arbitrale rendue par ma collègue Nathalie Faucher, dont je partage l’analyse sur cette question, dans l’affaire  Syndicat de l’enseignement de la Haute-Yamaska et Commission scolaire du Val-des-Cerfs, 2014 CanLII 61380 (QC SAT) :

« [12] Selon les autorités ci-haut citées, il appert qu'un fait est pertinent lorsqu'il sert à prouver un élément à la base du litige.  Ainsi, il faut nécessairement qu'il existe un lien rationnel entre le fait que l'on cherche à mettre en preuve et le litige ou, à tout le moins, avec un argument qu'une partie entend soumettre à l'attention du tribunal.  En d'autres termes, il faut se demander si le fait en question peut avoir une incidence sur l'issue du litige ou s’il est de nature à éclairer l'arbitre par rapport à un argument qui sera porté à son attention.

 

[13]   Une preuve peut aussi être pertinente aux fins d'évaluer la crédibilité d'un témoin.  Dans ce dernier cas, il n'est pas essentiel qu'il existe un lien avec le litige en cause.  L'auteur Louise Verschelden écrivait ce qui suit à ce sujet:

« La preuve en arbitrage porte à la fois sur les faits en litige et sur la crédibilité des témoins.  Certaines questions qui ne paraissent pas pertinentes en regard des faits en litige peuvent néanmoins l'être pour démontrer la crédibilité ou la non crédibilité d'un témoin. »

[14] Comme le soulignait l'arbitre Claude H. Foisy dans l'affaire Molson O'Keefe , l'arbitre doit favoriser une approche libérale en la matière à moins d'être assuré que le fait en question n'emportera pas sa décision (p. 6 et 7) :

« (...) Lorsque l'arbitre a à décider de la pertinence de la preuve et de son admissibilité en cours d'enquête, il doit, à mon avis, avoir une approche libérale à moins d'être certain que l'argument que veut faire valoir ultimement le Syndicat et en fonction duquel il veut faire admettre de la preuve n'emportera pas sa décision. Cette détermination est difficile à faire alors que toute la preuve n'est pas administrée et que l'argument n'a pas été développé. Il faut être très prudent pour rejeter au motif de la pertinence une preuve qui pourrait fonder un argument visant à mettre en doute ou à amenuiser le caractère juste et raisonnable de la décision de l'Employeur. Au stade de l'admissibilité de la preuve, l'arbitre n'a pas à décider du mérite de l'argument mais doit se demander si l'argument que l'une des parties veut faire valoir à la fin peut être raisonnablement considéré. (...) »

[15] C'est également l'approche que préconise la Cour suprême dans l'affaire Corbett :

« 51. Je suis d'accord avec mon collègue le juge La Forest pour dire que les règles fondamentales du droit de la preuve comportent un principe d'inclusion en vertu duquel il est permis de produire en preuve tout ce qui sert logiquement à prouver un fait en litige, sous réserve des règles d'exclusion reconnues et des exceptions à celles- ci. Pour le reste, c'est une question de valeur probante. La valeur probante d'un élément de preuve peut être forte, faible ou nulle. En cas de doute, il vaut mieux pécher par inclusion que par exclusion et, à mon avis, conformément à la transparence de plus en plus grande de notre société, nous devrions nous efforcer de favoriser l'admissibilité, à moins qu'il n'existe une raison très claire de politique générale ou de droit qui commande l'exclusion . » [soulignements de l’arbitre Faucher]

[16] Il importe toutefois de souligner que dans la décision Molson O'keefe précitée, l'arbitre Foisy souligne que l'appréciation de la pertinence d'un fait peut varier selon le stade de l'audience.  Ainsi, il mentionne que :

« Toutes les causes citées par le Syndicat où cette approche de la pertinence argumentable a été retenue débattaient de la question de savoir si certains documents recherchés par le syndicat par le moyen d'un subpoena duces tecum étaient pertinents et, s'ils l'étaient, s'ils comportaient un caractère confidentiel. À ce stade initial des procédures, l'appréciation de la pertinence est souvent plus difficile parce que souvent les enjeux ne sont pas clairement définis. Il se peut très bien qu'au début d'une cause on admette de la preuve qui peut apparaître pertinente laquelle, plus avant dans l'audition, n'aurait pas été admise parce que la position des parties et la compréhension des enjeux par l'arbitre deviendront plus définies. À mon avis, cependant, le même test doit s'appliquer pour évaluer la pertinence en cours d'enquête. »

[17]   C'est d'ailleurs pour ce même motif que la Cour d'appel précisait dans l'affaire Bombardier que la pertinence est une notion malléable.  Ainsi, lorsque les enjeux sont clairement définis, après plusieurs jours d'audience, l'arbitre est mieux en mesure de jauger de la pertinence d'une preuve.  Même en adoptant une approche libérale, il doit exclure une preuve qu'il considère manifestement non pertinente.  Un tel cas constitue une raison de droit qui commande son exclusion.  Il en va d'une saine administration de la justice. » [références omises]

[16]       Par conséquent, j’estime que seuls les dossiers qui ont conduit directement à la décision de l’employeur, ou qui ont révélé des faits nouveaux ou à propos desquels l’employeur a été contredit, pourront être déposés en preuve, dans chacun des cas d’espèce, en l’instance.

[17]        La procureure du syndicat, pour sa part, s’est objectée à la preuve relative aux dossiers portant les numéros 5774 (pièce E-17) et 34511 (pièce E-20), l’employeur n’en ayant pas fait mention dans ses lettres (pièces E-1, E-11 et E-14). Je suis d’avis que dans la mesure où effectivement, l’employeur n’a pas fait mention des dossiers portant ces numéros dans les trois lettres (pièces E-1, E-11 et E-14), cette objection doit être maintenue.

[18]     L a procureure du syndicat a également demandé à l’arbitre de prendre sous réserve les 45 dossiers déposés en liasse (pièce E-22), à partir desquels l’évaluation du 10 août 2010 (pièce E-10) a été remplie. Elle demande plus particulièrement de ne retenir que les dossiers sur lesquels madame Gallant a témoigné lors de l’audience. À cet égard, j’estime que parmi les dossiers déposés en liasse (pièce E-22), tous ceux dont il est fait mention dans l’évaluation écrite de madame Gallant (pièce E-10) sont admissibles en preuve et sont pertinents, les autres étant inadmissibles.

[19]        Enfin, la procureure du syndicat s’est objectée à la preuve des faits antérieurs à la réussite de la période de probation de la plaignante, en décembre 2009, au motif de la pertinence. À cet égard, je suis d’avis que ces éléments de preuve sont admissibles et pertinents dans la mesure où ils s’inscrivent dans un continuum de reproches de même nature qui s’est poursuivi après la réussite de la période de probation de la plaignante.

Les faits

La preuve de l’employeur

[20]     Dans le cadre de sa preuve, la procureure de l’employeur a fait entendre les témoins suivants : monsieur Alain Barbeau les 31 octobre 2011, 2, 18, 23 avril et 3 décembre 2012. Madame Danielle Delorme le  3 décembre 2012. Madame Édith Veilleux le 1 er février 2013. Madame Carole Labrie le 1 er février 2013. Mesdames Nathalie Chevalier et Nathalie Houde le 4 février 2013. Mesdames Alberte Gallant, Carole Labrie et Nathalie Chevalier le 22 avril 2013. Madame Marie-Josée Théorêt le 13 mai 2013 et, en contre-preuve, monsieur Alain Barbeau, le 17 janvier 2014.

 

 

 

 

 

 

Les services psychosociaux et de santé mentale adulte chez l’employeur

[21]         En guise d’introduction à sa preuve, la procureure de l’employeur a produit l’organigramme des services psychosociaux et de santé mentale adulte en vigueur chez l’employeur au moment des événements ayant donné lieu aux griefs (pièce E-2).

[22]         Par la suite, elle a procédé à l’interrogatoire de monsieur Alain Barbeau, dont le curriculum vitae a été déposé devant l’arbitre (pièce E-5). Celui-ci a été chef des Services psychosociaux et de Santé mentale adulte chez l’employeur à compter du mois d’avril 2009, jusqu’au mois de juin 2011. Il a expliqué que les Services psychosociaux et de Santé mentale adulte sont normalement des entités séparées dans les établissements de santé, mais que dans l’établissement de l’employeur, ceux-ci ont été regroupés afin de tenir compte du budget et du nombre d’employés.

[23]         Monsieur Barbeau a souligné que tous les employés des Services psychosociaux et de Santé mentale partagent les mêmes locaux et se voient chaque jour. La plaignante faisait partie des Services psychosociaux généraux, qui se divisent eux-mêmes en trois services normalement séparés, soit l’Accueil psychosocial, l’Intervention en situation de crise et la Consultation psychosociale adulte. Il ressort de l’organigramme (pièce E-2) que chez l’employeur, les salariés sont affectés à chacun de ces services, dont celui de l’Intervention en situation de crise auquel était assignée la plaignante. Les services externes, pour leur part, sont dispensés en dehors des Services psychosociaux généraux, à l’extérieur de l’établissement de l’employeur, dans la communauté. Enfin, monsieur Barbeau a ajouté que l’employeur n’offrait pas d’hébergement en psychiatrie, mais opérait une clinique externe de psychiatrie.

 

L’embauche de la plaignante

[24]         Monsieur Barbeau a mentionné qu’avant d’obtenir le statut de «  salariée permanente  », la plaignante avait d’abord été référée par une agence de placement, à compter du mois d’avril 2009 (pièce E-3). Le poste d’agente de relations humaines a ensuite été affiché, et elle l’a obtenu par voie de concours. Il a souligné qu’une entente avait dû être négociée avec l’agence, de façon à libérer la plaignante pour qu’elle puisse occuper le poste (pièce E-3, à la dernière page).

[25]         La plaignante a donc été nommée titulaire d’un poste d’agente en relations humaines (ARH) dans le service de l’Intervention en situation de crise (Accueil-Crise), et devait dès lors assumer les suivis des clients à plus long terme. Elle avait davantage de tâches à effectuer comme employée permanente que comme employée remplaçante.

[26]         En contre-interrogatoire, monsieur Barbeau a admis que la plaignante était déjà en poste à son arrivée dans l’établissement de l’employeur, et qu’il avait participé à son embauche comme membre du comité de sélection. Il avait reçu de bons commentaires de la part de l’équipe de travail, durant les quelques mois où elle avait eu à occuper le poste. Monsieur Barbeau a cependant mentionné que la plaignante n’aurait pas dû obtenir le poste, parce qu’elle ne détient pas de baccalauréat en travail social, pas plus qu’elle n’est membre de l’Ordre des travailleurs sociaux, ce qui aurait dû être vérifié par l’employeur avant de lui octroyer le poste.

[27]         La plaignante a été nommée dans son poste à la fin du mois d’août 2009, et des plaintes des membres de l’équipe de travail sont rapidement apparues, notamment de la part de madame Nathalie Chevalier, mais aussi d’autres employés par la suite. Monsieur Barbeau a souligné que la plaignante avait fait l’objet de commentaires négatifs de l’interne, à compter du mois de septembre 2009 ou vers le mois d’octobre 2009, ce qui l’a amené à la rencontrer pour lui remettre la lettre datée du 7 octobre 2009 concernant sa période de probation et les améliorations souhaitées (pièce E-6).

[28]     E-6 - extrait :

« Mme Chantal Plaum                                                                                              

Objet : Probation et améliorations souhaitées

Madame Plaum,

Nous nous sommes rencontré (sic) le 7 octobre concernant votre travail auprès de la clientèle de l’Accueil-Crise du CSSS d’Argenteuil.

Nous vous avons fait part d’observations et de commentaires sur la qualité de votre travail en vue de prendre une décision sur votre probation.

Nous vous avons mentionné un certain nombre de qualités que nous considérons nécessaires :

Ainsi vous êtes très attentive à la clientèle, vous avez une approche-client respectueuse, et vous manifestez un grand souci de satisfaire les demandes de service (sic).

Vous vous êtes aussi montrée assidue et avez fait preuve d’une grande disponibilité, peu importe l’horaire exigé.

Nous vous avons aussi informé (sic) que nous avions fait une analyse de certains de vos travaux. Ainsi nous avons sorti toutes les demandes que vous avez inscrites dans I-CLSC en septembre 2009 et nous en avons analysé la qualité. Nous avons aussi vérifié votre charge de cas en date du 2 octobre, et vérifier (sic) le contenu des dossiers.

En regard de tous ces éléments, nous vous demandons des améliorations qui devront être présentes d’ici le 10 novembre afin de pouvoir vous accorder votre probation.

Les améliorations souhaitées sont les suivantes :

       1.   Une meilleure gestion de votre temps qui sera manifeste à travers un plus grand contrôle de vos activités par vous-même, et une meilleure organisation de vos différentes tâches quotidiennes ;

             À cet égard, vous avez reconnu avoir constaté que vous avez été « Éparpillée et désorganisée » dans les dernières semaines, ce que vous expliquiez par une tendance à trop prendre de clients et à délaisser les tâches en cours ;

 

       2.   Une amélioration notable de vos rédactions de demandes de services ; on devra y retrouver :

                   a.    une phraséologie plus compréhensible ;

                   b.   la présence de tous les éléments d’information et de décision nécessaires ;

                   c.   les informations pertinentes au bon endroit (sous le bon thème) ;

                   d.   une rédaction synthétique faisant ressortir les éléments importants à la compréhension de la demande ;

 

       3.   Une tenue de dossier adéquate : actuellement l’on constate des manques dans votre tenue de dossiers : manque de notes, intrant inexistant, référence inadéquate, etc.

 

       4.   Une meilleure rapidité de réponse et une plus grande intensité dans vos suivis psychosociaux ; actuellement on constate en date du 2 octobre :

                   a.   Dossier 15177, aurait dû être fermé ;

                   b.   Dossier 52128, aucune note de suivi depuis le 24 juillet, ce qui laisse croire que la cliente n’a pas encore reçu de service ;

                   c.   Dossier 17977, demande en date du 22-06-09, dernière note en date du 5 août ; délais semble trop long (sic) sans suivi ;

                         Vous avez expliqué ces différents retards dans les suivis par une difficulté occasionnelle avec votre horaire de travail qui entraînait un manque de disponibilité pour le point de service de Grenville. Nous avons regardé votre horaire, et convenu d’une façon de faire qui évite la répétition de ces retards. Entre autres, nous avons convenu que vous ne pouviez pas prendre plus de quatre (4) suivis psychosociaux adultes simultanément.

                         Nous avons aussi convenu que vous seriez au travail 28 heures même dans les semaines où il y a un congé férié.

 

       5.   Vos dossiers en suivi n’ont pas de plan d’intervention ni d’évaluation précisant la nature du problème sur lequel vous avez convenu de travailler avec le client ; Lorsqu’on lit les notes dans le dossier d’un client que vous suivez, on devrait pouvoir comprendre sur quoi vous travaillez et qu’elle est l’orientation de vos interventions ; ce qui n’est pas le cas présentement.

 

       6.   Pour vous aidez à réaliser toutes ces améliorations, nous vous avons aussi informé que vous étiez autorisée à demander de l’aide à un(e) collègue de travail.

 

Afin de vous donner une chance de réaliser les progrès exigés, nous vous demandons de nous rencontrer à toutes les semaines afin de superviser vos activités cliniques et vos différentes taches afférentes. Notre prochaine rencontre est fixée au 16 octobre, vous devrez apporter avec vous vos dossiers en suivis, les plans d’intervention devront être présents dans chaque dossier. Vous apporterez aussi chaque demande de service rédigées entre le 7 et le 16 octobre.

 

(s) Alain Barbeau

Chef des services psychosociaux et de santé mentale adulte »

[29]         Monsieur Barbeau a témoigné avoir insisté, lors de cette rencontre, sur le fait que les salariés devaient faire preuve d’autonomie, car la plaignante avait de la difficulté à prendre une décision. Elle consultait divers employés pour le même dossier, ce qui occasionnait des pertes de temps. Monsieur Barbeau la supervisait durant son travail et lui avait recommandé une meilleure gestion de son temps ainsi qu’une «  phraséologie  » plus compréhensible. Elle avait alors rappelé qu’elle était anglophone et pouvait avoir de la difficulté avec certaines expressions françaises, ce qui n’expliquait toutefois pas le manque d’information à certains endroits.

[30]         Monsieur Barbeau a précisé qu’il cherchait à aider la plaignante plutôt qu’à lui imposer des mesures ou sanctions disciplinaires. Il a également mentionné qu’il était convaincu qu’elle arriverait à régler ses «  problèmes temporaires  », et lui a fourni l’aide d’une collègue, madame Danielle Delorme, qu’elle a accepté de rencontrer pour l’aider à accomplir son travail.

[31]         La plaignante n’a pas déposé de grief relativement à la lettre ou à la rencontre du 7 octobre 2009 (pièce E-6).

[32]         En réponse à une objection de la procureure du syndicat, j’ai permis à monsieur Barbeau de consulter un historique qu’il avait préparé, sous forme d’aide-mémoire (pièce E-7), en lui rappelant cependant qu’il devait s’en tenir à ce dont il avait une connaissance personnelle pour témoigner.

[33]         Par la suite, la procureure de l’employeur a déposé l’évaluation de rendement de la plaignante, en date du 15 décembre 2009, qui confirme qu’elle avait complété sa période de probation (pièce E-8).

La performance de la plaignante

[34]         Monsieur Barbeau a souligné qu’il éprouvait de la sympathie pour la plaignante et qu’il n’était pas réfractaire à son travail. Selon lui, il s’agissait davantage d’un problème d’adaptation qu’elle pourrait résoudre éventuellement, si on lui laissait le temps. Bref, il a dit qu’il pensait «  que ça se tasserait et que tout rentrerait dans l’ordre  ». Cependant, dès le mois de janvier 2010, il reçoit encore des plaintes des collègues de travail et décide d’élaborer un plan de travail que la plaignante a signé le 14 janvier 2010 (pièce E-9).

[35]         Selon monsieur Barbeau, une des plaintes qui revenaient souvent était à l’effet que la plaignante consultait constamment tous et chacun pour obtenir de l’information. Il lui a alors désigné madame Danielle Delorme comme personne ressource. Monsieur Barbeau a réitéré qu’il ne voulait pas nuire à la plaignante et que les démarches visaient à lui accorder du support. Il a ajouté que les dates apparaissant à la fin du tableau du 14 janvier 2010 constituaient un échéancier qu’il avait fixé avec elle (pièce E-9).

[36]         Monsieur Barbeau a résumé l’état de la situation en disant qu’il avait fermé le dossier au mois de décembre 2009, croyant que tout rentrerait dans l’ordre, et qu’il en ferait de même au mois d’avril 2010. Cependant, les plaintes ont continué à l’égard de la plaignante.

[37]         En juin 2010, il y a eu une crise dans les équipes, notamment à l’Accueil psychosocial dont la plaignante relevait. Selon monsieur Barbeau, ça n’allait pas avec les cinq intervenants, et le problème débordait au niveau de l’équipe de Santé mentale du CLSC. Des plaintes émanaient notamment de madame Carole Labrie, infirmière, qui ne voulait plus référer de client à la plaignante parce qu’elle avait perdu confiance en elle. Monsieur Barbeau a rencontré la plaignante à son bureau pour lui mentionner qu’il manquait des notes dans certains dossiers. Il a rencontré la plaignante et madame Labrie de sorte qu’il croyait que la situation avait été réglée. Cependant, plus tard, il a reçu d’autres plaintes de même nature provenant d’autres employés.

[38]         Monsieur Barbeau a fait référence à un courriel d’une autre collègue concernant le dossier JB#19164, dans lequel il manquait des notes de suivi. Monsieur Barbeau a décidé de procéder à une analyse plus complète, afin d’en avoir le cœur net, et a demandé à madame Alberte Gallant, travailleuse sociale et coordonnatrice de l’équipe d’Intervention de crise au CSSS de St-Jérôme, de faire l’analyse des dossiers traités par la plaignante entre le début du mois d’avril et le milieu du mois de juin 2010. Il voulait tirer la situation au clair et mettre un terme aux plaintes des collègues de travail, si celles-ci n’étaient pas fondées. Il a reçu l’analyse de madame Gallant portant sur l’évaluation, par la plaignante, du risque de dangerosité des clients et ses décisions en termes d’orientation, le 10 août 2010 (pièce E-10). Parmi les 34 dossiers analysés par madame Gallant, 14 d’entre eux ont reçu des commentaires négatifs de sa part. À cet égard, monsieur Barbeau a souligné qu’à titre de chef de service, il ne pouvait pas se permettre de tolérer un risque représentant une mauvaise décision sur quatre dans le cadre des fonctions exercées par la plaignante.

[39]         Monsieur Barbeau a mentionné qu’il avait alors décidé «  de serrer la vis  » et a demandé une rencontre avec madame Marie-Josée Théorêt, directrice des ressources humaines, pour convenir d’un plan d’encadrement. Monsieur Barbeau a ensuite rencontré la plaignante, le 13 août 2010 (pièce E-7).  Cette rencontre avait pour but de communiquer les attentes de l’employeur, mais surtout d’aviser la plaignante que s’il n’y avait pas d’amélioration, la situation pouvait déboucher vers un congédiement. La plaignante a pris des notes lors de la rencontre et, selon monsieur Barbeau, elle a mentionné qu’elle allait réfléchir à la situation.

[40]         Une nouvelle rencontre a eu lieu le 13 septembre 2010, pour aplanir les difficultés liées à l’exécution du travail de la plaignante et préciser les attentes de l’employeur. Le compte-rendu de la rencontre, daté du 16 septembre 2010 (pièce E-11),  a été remis directement à la plaignante et n’a pas fait l’objet d’un grief.

[41]         Monsieur Barbeau a ajouté que la supervision des activités de la plaignante lui imposait un surplus de travail. Toutefois, comme les plaintes de collègues continuaient d’affluer, monsieur Barbeau a rencontré la plaignante le 27 septembre 2010, pour aborder chacun des dossiers dont elle était responsable. Au cours de cette rencontre, la plaignante pouvait réagir aux remarques qui lui étaient adressées. C’était, selon monsieur Barbeau, un échange où elle pouvait expliquer ou nuancer les commentaires, «  mais ce n’est pas arrivé  », et la plaignante n’a jamais indiqué à monsieur Barbeau qu’il se trompait dans les remarques formulées.

[42]         Monsieur Barbeau a ensuite résumé le contenu d’une autre rencontre, qui a eu lieu le 18 octobre 2010 et qui portait notamment sur le dossier 778, ainsi que sur d’autres dossiers mentionnés dans le compte-rendu de cette rencontre (pièce E-14).

[43]         Au cours de cette rencontre, tous les dossiers ont été passés au cas par cas, et la plaignante a de nouveau eu l’occasion de donner son opinion sur chacun d’eux. Cependant, un seul des dossiers discutés a suscité un commentaire de sa part, et il s’est avéré qu’après vérifications, monsieur Barbeau a constaté qu’elle avait raison. Il n’a donc pas considéré ce dossier dans la lettre du 9 novembre 2010 (pièce E-11).

[44]         Monsieur Barbeau a précisé que le compte-rendu de la rencontre du 18 octobre 2010 était daté du 9 novembre 2010 parce que la plaignante s’était absentée pour maladie durant une période d’environ 15 jours. C’est donc à son retour que le compte-rendu de la rencontre du 18 octobre 2010 (pièce E-14) lui a été remis. Selon monsieur Barbeau, la plaignante n’a rien dit quant à son contenu.

[45]          En principe, une autre rencontre aurait dû avoir lieu après le 9 novembre 2010, mais celle-ci a été annulée en raison de problèmes personnels de la plaignante. La rencontre suivante a donc été tenue le 30 novembre 2010, en présence de monsieur Barbeau, de la plaignante, de madame Théorêt et du représentant du syndicat local (pièce E-7 à la page 6). Au cours de cette rencontre, monsieur Barbeau a soulevé la persistance des mêmes difficultés de la plaignante dans la gestion de ses dossiers. À cet égard, il a plus précisément identifié six dossiers, dont le dossier 778, ainsi que six demandes de services, tel que mentionné dans la lettre de congédiement de la plaignante datée du 3 décembre 2010 (pièce E-1).

[46]         Monsieur Barbeau a expliqué qu’il ne pouvait pas tenir la plaignante responsable des événements dramatiques qui ont frappé la cliente 778, mais qu’il y avait eu beaucoup de négligence dans ce dossier, dont on parlait depuis le début de la supervision de la plaignante, et qu’il aurait été nécessaire «  de faire des choses qui n’ont pas été faites  ». Il a ajouté que comme employée dans une équipe de crise, la plaignante devait évaluer la dangerosité des patients, pour eux-mêmes ou pour autrui, et intervenir pour la réduire. C’est cette acuité professionnelle et sa capacité à saisir les indicateurs de dangerosité et d’urgence à intervenir qui étaient absentes chez la plaignante et qui ont amené monsieur Barbeau à conclure qu’il devait rompre le lien d’emploi de la plaignante avec l’employeur.

[47]         Monsieur Barbeau a admis qu’il est probable qu’avant son congédiement, la plaignante n’ait jamais reçu de formation sur les indices de dangerosité. Cependant, il n’y avait aucun reproche adressé à la plaignante, dans la lettre du 7 octobre 2009 (pièce E-6), concernant sa difficulté à évaluer la dangerosité. Les commentaires portaient surtout sur la tenue de dossier et l’intensité et la fréquence des rencontres avec les clients, problèmes que la plaignante n’a jamais réussi à résoudre et qui cachaient sa difficulté à évaluer la dangerosité.

Le rôle de l’intervenant pivot

[48]         La procureure du syndicat a abordé le dossier 778 (pièce E-13, en liasse) pour déterminer ce que signifie l’expression «  intervenant pivot  ». Il s’agit, selon monsieur Barbeau, d’un intervenant assigné à un dossier dans sa définition la plus simple, ce qui implique la responsabilité de participer aux réunions avec le client. L’intervenant pivot est assigné à un dossier par consensus entre les autres intervenants.

[49]         À cet égard, monsieur Barbeau a précisé avoir eu une discussion avec la plaignante, vers le mois d’octobre 2010 (pièce E-7), pour déterminer si elle conserverait le dossier 778. La procureure du syndicat a souligné que dans ce dossier, la plaignante a écrit, en date du 31 mars 2010, que le chef de service, en l’occurrence monsieur Barbeau, est d’accord pour que ce soit madame Leblond qui procède à faire le PI (Plan d’intervention) et/ou le PSI (Plan de service individualisé). Monsieur Barbeau a répondu qu’il y est également écrit que c’est «  parce que nous n’avons pas de suivi avec madame  » qu’il était d’accord pour procéder ainsi.

[50]         De plus, monsieur Barbeau s’était interrogé sur le fait que dans ce dossier, il n’y a pas eu une seule rencontre en trois mois avec la cliente. De toute évidence, aucune préparation n’avait été faite préalablement à la rencontre de la cliente prévue pour le 14 avril 2010. Selon monsieur Barbeau, cette rencontre allait dans toutes les directions, alors qu’on aurait dû identifier les besoins de la cliente relativement à ses difficultés. Il en est ressorti que c’est la cliente qui a mené l’entrevue, et non la plaignante.

Les notes au dossier

[51]         Lors du contre-interrogatoire, la procureure du syndicat a insisté sur une note du 22 juin 2010, rédigée par madame Carole Labrie, à laquelle madame Delorme a participé. Il y est dit que la plaignante est l’intervenante pivot du dossier 778.

[52]         Monsieur Barbeau a par ailleurs admis que son reproche n’était pas fondé concernant le dossier numéro 19164, déposé en liasse avec son complément par la procureure du syndicat (pièces S-7 et S-8). Dans ce dossier, monsieur Barbeau reprochait à la plaignante l’absence de notes évolutives entre les mois de janvier à mai 2010, alors que des notes apparaissaient en date des 4 et 6 janvier 2010, à la deuxième page du dossier (pièce S-8 en liasse).

[53]         De plus, les notes des 20 et 22 janvier 2010 sont à l’effet que la plaignante avait été orientée par madame Chevalier, qui l’avait prise en charge. Par conséquent, selon la procureure du syndicat, la plaignante n’avait pas à intervenir dans ce dossier. De plus, les notes des 3 et 17 février 2010 indiquent que la cliente est prise en charge par une autre intervenante que la plaignante. Enfin, le psychologue Dany Cordeau a pris la relève de ce dossier à partir du 22 février et ce, jusqu’en juin 2010.  

[54]         Monsieur Barbeau a expliqué qu’il avait vérifié le dossier en date du 15 juin 2010, et qu’il n’y avait pas de notes à ce moment au dossier (pièce S-8). Selon lui, la plaignante a écrit les notes cinq jours après sa vérification, soit le 20 juin 2010. De plus, après avoir évalué la cliente, la plaignante l’a référée à compter du 6 janvier 2010, de telle sorte qu’elle n’était plus en charge de la cliente jusqu’au 19 mai 2010. Cependant, ce qui était reproché à la plaignante concernait le retard dans ses notes et les plaintes des collègues quant à la tenue de son dossier.

[55]         Monsieur Barbeau a mentionné qu’il n’y a pas de reproches vis-à-vis des dossiers précis lors de la rencontre du 13 septembre 2010 (pièce E-11). Il s’agissait d’un plutôt d’un coup de semonce pour sensibiliser la plaignante et l’avertir qu’elle devait améliorer sa performance. Il a ajouté que l’on n’avait pas porté à son attention qu’un grief avait été déposé pour contester les lettres du 16 septembre 2010 (pièce      E-11) et du 9 novembre 2010 (pièce E-14).

[56]         Monsieur Barbeau a expliqué qu’il était de coutume de se consulter entre les intervenants. Il avait d’ailleurs suggéré à la plaignante d’aller voir madame Danielle Delorme lorsqu’elle avait des questions à poser. Cependant, les collègues de travail se plaignaient qu’elle consultait beaucoup, sans nécessairement suivre les conseils qui lui étaient donnés. Elle consultait à répétition et sa consultation prenait la forme d’un magasinage d’opinions. Il a admis que le 14 avril 2010, il croyait que cette difficulté avait été réglée (pièce E-9).

[57]         Monsieur Alain Barbeau a par ailleurs insisté pour souligner que l’analyse de la qualité des évaluations faites par la plaignante (pièce E-10) l’avait amené à conclure à un taux de décisions erronées d’environ 25% (plus exactement 24%). Or, le rôle principal de la personne à l’Accueil-Crise est d’évaluer le risque. Par conséquent, la marge d’erreurs de la plaignante, qui revient à une erreur par quatre cas, est beaucoup trop élevée. Il faut garder en tête que dans ce service, il s’agit d’évaluer des personnes qui sont en crise suicidaire ou homo suicidaire et qui sont à risque pour elles-mêmes ou pour autrui. Selon monsieur Barbeau, la marge d’erreurs de la plaignante est énorme dans un tel contexte.

[58]         Quoi qu’il en soit, il y avait une exaspération de l’équipe de travail depuis un an et monsieur Barbeau recevait régulièrement des plaintes de la part des collègues de la plaignante à propos de son travail, qui en est un d’équipe, a-t-il rappelé. Il a tenu à préciser qu’au début, il analysait les critiques des collègues avec eux et les confrontaient pour voir si elles étaient fondées ou pas. Il a même ajouté que très souvent, il avait lui-même un avis différent de ceux des collègues de la plaignante. Il leur rappelait qu’ils devaient faire un effort d’intégration et de collaboration, et il lui est arrivé de les faire changer d’idée. Néanmoins, un an plus tard, l’attitude des collègues est demeurée la même et monsieur Barbeau «  était tanné de porter plainte contre la plaignante  ». Il ne voulait plus l’aider à se corriger. À la fin de son emploi, la plaignante ne consultait plus ses collègues de travail.

Le support de l’employeur

[59]         Le deuxième témoin de l’employeur a été madame Danielle Delorme, dont le curriculum vitae a été déposé (pièce E-15). Celle-ci a exercé des fonctions de travailleuse sociale au département de la Santé mentale adulte chez l’employeur de novembre 2001 à avril 2003, et de janvier 2005 à septembre 2012. Entre 2005 et 2009, elle a exercé ses fonctions au département de l’Accueil et crise en santé mentale adulte, et de mars 2009 à septembre 2012, elle a exercé ses fonctions dans l’équipe de Santé mentale adulte. Elle a expliqué que le programme de Service psychosociaux en santé mentale adulte œuvrait sous la direction des Services à la communauté. Concrètement, les Services psychosociaux généraux étaient localisés d’un côté du couloir et ceux de la Santé mentale adulte, de l’autre côté mais toujours dans le même établissement. Elle a ajouté avoir travaillé sous la supervision de monsieur Alain Barbeau.

[60]          Elle a expliqué avoir été transférée de département pour des raisons personnelles et parce que le travail au service Accueil-Crise exigeait qu’elle soit de garde, notamment les fins de semaine, et impliquait un important travail de collaboration en équipe, ce qui lui convenait moins. Madame Delorme a mentionné avoir travaillé avec la plaignante pendant une période de courte durée en 2009. Par la suite, elle a de nouveau été mise en contact avec la plaignante, même si elle travaillait dans un autre service.

[61]         Madame Delorme a mentionné que monsieur Barbeau lui avait demandé d’intervenir auprès de la plaignante. Il lui avait bien précisé qu’elle avait un rôle de soutien clinique, et non pas de superviseure. L’objectif était d’aider la plaignante dans ses «  questionnements cliniques  ». Le travail de la plaignante présentait des lacunes que madame Delorme était prête à identifier avec elle, afin de l’aider à remplir les demandes de services. On lui reprochait en effet de ne pas être assez claire dans ses demandes de services qui, selon madame Delorme, avaient besoin d’être «  retravaillées  ». L’intervention de madame Delorme se limitait toutefois à apporter du support à la plaignante, sans plus. Il avait été convenu que c’était la plaignante qui amènerait les sujets de discussion clinique entre elles. Monsieur Barbeau avait mentionné à madame Delorme qu’il ferait parallèlement une démarche d’encadrement de la plaignante.

[62]         Selon madame Delorme, elle avait été choisie pour remplir ce rôle parce qu’elle ne faisait pas partie de l’équipe de travail de la plaignante, mais avait exercé ces fonctions auparavant. Monsieur Barbeau la considérait comme une travailleuse sociale senior tout à fait compétente pour ce type d’accompagnement. 

[63]         Madame Delorme et la plaignante ont convenu de se rencontrer une fois par semaine, pour une durée d’environ une heure. Il est cependant arrivé que les rencontres se déroulent une fois par deux semaines, tel que le démontre le sommaire des rencontres déposé par madame Delorme (pièce E-16). Au total, il y a eu 12 rencontres durant lesquelles madame Delorme n’agissait pas à titre de superviseure, en dépit d’une note manuscrite ajoutée par madame Théorêt à cet effet (pièce E-16).

[64]         Madame Delorme a ajouté ne pas avoir reçu de gratification ou d’ajustement de salaire pour accompagner la plaignante.

[65]         Il s’agissait de l’accompagner et de travailler la qualité des demandes de services rédigées par la plaignante, pour l’amener à se bâtir une grille d’analyse clinique qui lui servirait dans l’exercice de ses fonctions. Madame Delorme a souligné que les informations colligées par la plaignante étaient confuses et qu’il était difficile de saisir ce que la personne venait chercher comme service. La plaignante manquait d’esprit de synthèse, de logique. Elle avait des idées éparpillées et n’avait pas de structure analytique. Cependant, la plaignante collaborait bien, était ouverte à la critique, était consciente de ses lacunes et se montrait «  très collaborante  ». Elle avait également à améliorer la qualité de son français, qui était problématique.

[66]          L’évaluation de la demande de service était «  difficile pour la plaignante  ». Il fallait mettre le dossier de côté et refaire le chemin de la demande de service avec elle. Madame Delorme a ajouté que seulement un ou deux dossiers étaient révisés à chaque rencontre. Cependant, cette démarche a cessé lors de son départ en vacances, vers le mois d’août 2010.

[67]         Madame Delorme a précisé avoir constaté une amélioration au début de ses rencontres avec la plaignante, ce qui lui a été confirmé par monsieur Barbeau, puis une «  détérioration  » vers la fin de l’hiver, début du printemps 2010. Elle en a discuté avec la plaignante, qui lui disait être dans une période d’anxiété élevée, avoir de la difficulté à se concentrer et à faire ses tâches.

[68]         Selon madame Delorme, l’atmosphère était tendue, il y avait un conflit entre les collègues de travail et le climat de travail se détériorait. Par exemple, les collègues de la plaignante ne la saluaient plus : elle se sentait critiquée, ignorée par son équipe de travail. Il y avait de la frustration chez ses collègues de travail, des colères, car ils «  n’étaient pas contents de son travail  », notamment quant à son rythme de travail. En résumé, le fossé se creusait de plus en plus, selon madame Delorme. Elle en a très peu discuté avec monsieur Barbeau, car ils avaient convenu de ne pas se parler pour ne pas brouiller les cartes et contaminer leurs propres observations.

[69]         Madame Delorme n’a pas tenté de trouver une solution, mais la plaignante avait déménagé son bureau à côté du sien. Elles en ont discuté lors de rencontres informelles et elle a tenté de soutenir la plaignante et de l’écouter relativement aux difficultés qu’elle éprouvait avec ses collègues de travail. Au cours de ces rencontres informelles, la plaignante se sentait rejetée, elle était malheureuse, insécure et essayait de garder le moral. Madame Delorme a ajouté que la plaignante essayait de garder le sourire, même si elle se sentait jugée et critiquée par ses collègues de travail. Elle le vivait comme une forme d’intimidation et n’avait pas de soutien de ses collègues durant l’été 2010.

[70]         Madame Delorme n’a pas produit de rapport écrit relativement au support qu’elle a offert à la plaignante, et il n’y a d’ailleurs pas eu de demande à cet effet, sauf un compte-rendu verbal à monsieur Barbeau concernant, dans un premier temps, l’amélioration du travail de la plaignante et, dans un deuxième temps, sa détérioration. La plaignante a occupé un bureau à côté d’elle à compter du 2 août 2010, jusqu’à son départ.

[71]         En réponse à une question de la procureure de l’employeur, madame Delorme a admis avoir participé à un plan de service individualisé (PSI) avec la plaignante à l’été 2010. Elle a également participé à une rencontre avec une mère et sa fille, madame Carole Labrie infirmière, madame Guylaine Leblond et la plaignante. La situation était difficile, selon madame Delorme. Elle est arrivée alors que la rencontre était en cours et c’était, selon elle, le chaos : autant la cliente que sa mère avaient un trouble de la personnalité, l’entrevue allait mal et aucune intervenante n’avait pris le «   leadership » . C’est la mère de la fille qui menait la rencontre. Madame Delorme est alors intervenue pour prendre le contrôle de la situation et définir les rôles et l’objectif de la rencontre.

[72]         Selon madame Delorme, la plaignante avait manqué de préparation, de connaissance du dossier et était visiblement dépassée par les événements. La problématique de la fille (cliente) n’était pas claire. Il s’agissait d’une multi-problématique avec dépendance aux médicaments. Elle faisait des crises et avait un problème de douleur chronique, ce qui créait un besoin de médication. Elle était désorganisée et dépendante de sa mère.

[73]         En contre-interrogatoire, madame Delorme a mentionné qu’au cours de ses deux premiers mois au service de l’employeur, la plaignante effectuait surtout des tâches à l’Accueil. L’équipe elle-même était en crise à cette époque difficile. Ainsi, deux intervenantes avaient quitté le service, une était en congé de maternité, une autre en      « burn-out » , et le chef de service avait quitté de façon précipitée. Selon madame Delorme, il restait trois personnes dans l’équipe, dont une qui était épuisée. Elle a ajouté que les employés n’avaient plus le contrôle de leur agenda lorsqu’ils étaient «  assignés au Suivi  ».

[74]         Madame Delorme a reconnu avoir quitté son travail à cause du climat qui régnait à cet endroit. Elle n’était donc pas surprise des tensions qui existaient au sein de l’équipe de la plaignante au printemps 2010. Elle-même l’avait déjà constaté et elle n’était pas à l’aise dans cette équipe de travail composée, en 2009, de mesdames Nathalie Chevalier, Nathalie Houde, Édith Veilleux et Josiane Tremblay et, au printemps 2010, de mesdames Nathalie Chevalier, Nathalie Houde, Édith Veilleux et monsieur Jean-Pierre Lussier. En plus de travailler ensemble, ces collègues avaient des liens personnels en dehors du travail, ce qui renforçait les relations entre eux et les amenaient à traiter les autres différemment.

[75]         Madame Delorme a cependant reconnu qu’il n’était pas difficile pour elle de soutenir la plaignante, parce qu’elle n’avait pas le même rôle que ses collègues et n’avait pas à partager le travail de la plaignante, qui présentait des difficultés à avoir un esprit de synthèse dans l’accomplissement de ses tâches.

Les plaintes des collègues de travail

[76]         Le troisième témoin de l’employeur a été madame Édith Veilleux, qui a obtenu son baccalauréat en avril 2005 et a débuté son emploi à titre de travailleuse sociale chez l’employeur en juin 2005. Madame Veilleux a obtenu un poste permanent aux Services psychosociaux généraux durant l’année 2007. Elle est également détentrice d’un baccalauréat en sexologie depuis 2001, mais n’a jamais pratiqué dans ce domaine.

[77]         Madame Veilleux a admis avoir fait, à l’époque, des représentations auprès de l’employeur pour favoriser l’embauche de la plaignante, qu’elle trouvait alors dynamique et qui allait au-devant des situations. Sa première impression de la plaignante avait été bonne. Cependant, madame Veilleux s’est ravisée par la suite, en expliquant que même s’il lui était arrivé d’aider d’autres collègues de travail, aucun ne nécessitait autant d’attention que la plaignante.   

[78]         En 2009-2010, il lui arrivait d’occuper à tour de rôle un poste à l’Accueil psychosocial, à l’Intervention en situation de crise ou à la Consultation psychosociale adulte. Madame Veilleux a tenu à souligner que lorsqu’elle était affectée à l’Intervention en situation de crise, il s’agissait d’un travail d’intervention plutôt que d’évaluation de dossier.

[79]         La procureure de l’employeur a ensuite demandé à madame Veilleux de décrire les difficultés rencontrées par la plaignante dans le cadre de son travail. À cet égard, il a été convenu, après une objection soulevée par la procureure du syndicat, que le témoignage de madame Veilleux devrait référer aux motifs indiqués dans la lettre de congédiement de la plaignante (pièce E-1).

[80]         Madame Veilleux a alors mentionné qu’il existait un comité d’orientation qui avait été créé par monsieur Barbeau dans l’équipe des Services psychosociaux généraux, auquel elle participait avec madame Nathalie Chevalier et monsieur Jean-Pierre Lussier. Le rôle du comité visait à reprendre toutes les demandes de services de la semaine formulées à l’Accueil psychosocial, y compris celles de la plaignante, pour valider ou modifier l’orientation qui y avait été donnée. Le comité se réunissait tous les mercredis matin, de huit heures à neuf heures, alors que l’Accueil psychosocial commençait à dispenser ses services à 8h30. Madame Veilleux devait donc travailler avec la plaignante à chaque mercredi de la semaine.

[81]          Elle a rapporté que celle-ci était toujours en débordement. Par exemple, il est arrivé à madame Veilleux de prendre des messages dans la boîte vocale et de constater qu’elle était pleine. Selon madame Veilleux, il y avait un problème avec la plaignante, ce qui créait de la frustration parmi ses collègues de travail. Madame Veilleux a expliqué avoir ressenti les mêmes frustrations à l’égard de la plaignante lorsqu’elle avait à travailler avec elle à chaque mercredi. Elle l’a exprimé à d’autres collègues, qui passaient les mêmes remarques à l’égard de la plaignante. Madame Veilleux a mentionné qu’il lui arrivait souvent d’apporter de l’aide à l’Accueil psychosocial, indépendamment de la présence de la plaignante, et elle a reconnu qu’il était toujours utile d’aller «  donner un coup de main  ». Cependant, comme elle l’a mentionné auparavant, aucun autre collègue qu’elle a aidé ne nécessitait autant d’attention que la plaignante.    

[82]         Enfin, elle a précisé avoir suivi, au même titre que madame Danielle Delorme, une formation spécifique en intervention de crise offerte par le Faubourg et le Centre de prévention du suicide des Laurentides. Cette formation visait à évaluer le risque suicidaire et l’intervention en situation de crise. Dans le cadre de cette formation, une grille d’évaluation avait été remise aux  participants. Cette grille donnait un certain nombre de critères pour évaluer le risque de suicide.

[83]         Le quatrième témoin de l’employeur a été madame Carole Labrie, qui a travaillé chez l’employeur à compter du 5 octobre 2009 jusqu’au 15 septembre 2012 comme infirmière de liaison en Santé mentale sur un poste à temps complet impliquant huit heures de travail par jour, du lundi au vendredi. Elle assurait une présence à l’urgence pour évaluer les cas en Santé mentale. Son service était décrit comme le «  Guichet santé mentale adulte  » et consistait, à défaut d’un psychiatre à l’urgence, à évaluer les cas qui se présentaient pour les référer au service approprié, le cas échéant. En d’autres termes, ce qui est décrit par l’employeur comme étant le Guichet en santé mentale est en réalité une liste d’attente de patients qui seront éventuellement évalués lors d’une entrevue.

[84]         Selon madame Labrie, il y a trois façons de faire une demande en Santé mentale adulte dans l’établissement de l’employeur : soit par l’Accueil, soit par l’Urgence, soit par une Requête d’un médecin de famille. C’est ainsi que madame Labrie assurait une présence à l’Urgence durant l’avant-midi, et avec les patients sur rendez-vous en après-midi. Une fois leur évaluation faite, elle les référait selon les besoins. Par exemple, il pouvait arriver qu’un patient dont la médication est bien contrôlée soit retourné aux Services psychosociaux généraux.

[85]         Il existe, chez l’employeur, des services de première ligne et des services de deuxième ligne en santé mentale. On retrouve, en première ligne, les patients qui n’ont pas reçu de diagnostic posé par un psychiatre, mais seulement par un médecin de famille. En deuxième ligne, on retrouve les patients qui ont reçu un diagnostic «  franc  », par exemple de schizophrénie. Madame Labrie a par la suite expliqué le rôle des Services de santé mentale de deuxième ligne chez l’employeur.

[86]         Vers le mois de décembre 2009, elle a dû aviser le chef de service, monsieur Barbeau, que «  la fréquence de consultation de la plaignante était trop pénible  ». En effet, la plaignante la consultait de deux à trois fois par jour pour avoir son opinion, même si elle n’est pas une travailleuse sociale, parce qu’elle n’était «  pas sûre  ». Madame Labrie a ajouté qu’elle en avait assez « de se faire déranger  ». Son rôle consistait à diriger les patients, et non pas à procéder à une référence de service.

[87]         D’ailleurs, il existe, selon elle, un outil de référence établissant les critères pour la référence en Santé mentale adulte. Elle explique que si ces critères ne sont pas remplis, le patient doit rester aux Services psychosociaux généraux. Cet outil devait être utilisé avant d’aller au Guichet santé mentale, pour ne pas le déborder.

[88]         Suite à la plainte de madame Labrie, monsieur Barbeau en a discuté avec la plaignante, et par la suite «  ça s’est résorbé … c’était moins fréquent  », selon elle.

[89]         Madame Labrie a été impliquée dans les réunions de groupe aux Services psychosociaux, à partir du début du mois d’octobre 2009 jusqu’à la fin du mois de décembre 2009. Ces réunions se tenaient aux deux semaines, les mardis après-midi, avec madame Marie Melançon, infirmière clinicienne. On y discutait des cas qui devaient être référés en Santé mentale adulte. C’était surtout pour décider des «  zones grises  ». La durée des réunions variait de trente minutes à une heure, «  tout dépendant de l’achalandage  ». Cependant, monsieur Barbeau a décidé de cesser ces réunions et de ramener la prise de décision au Guichet de santé mentale. Cette décision a été prise vers le mois de janvier 2010, et un nouveau comité a été créé, auquel madame Nathalie Chevalier participait pour les Services psychosociaux.

[90]         Madame Labrie a ensuite fait référence à un cas dont la demande de service normalisée et la note d’évolution datent du 2 août 2010 (pièce E-17, en liasse). Dans ce dossier, elle a expliqué avoir reçu un appel de l’Urgence, un lundi matin, pour un patient qui «  a fait une tentative de suicide avec de l’insuline  ». Après avoir évalué la situation avec le médecin, le patient a été transféré à l’Hôpital de Saint-Jérôme pour être examiné par un psychiatre. Lors de cette évaluation, madame Labrie a constaté que la plaignante avait évalué ce patient le vendredi précédent. Selon elle, le patient n’aurait jamais dû quitter l’Urgence, car le risque était trop élevé. Madame Labrie est donc allée voir monsieur Barbeau pour lui expliquer la situation.

[91]         En contre-interrogatoire, la procureure du syndicat a fait remarquer que la demande de service normalisée 5774 (pièce E-17) avait été remplie par madame Judith Church, collègue de la plaignante. Madame Church avait évalué le risque de ce patient comme modéré et, selon les documents déposés, la plaignante avait aussi vu ce patient le 2 août 2010. Madame Labrie, pour sa part, ne l’a pas vu cette journée-là. Elle l’aurait vu le 9 août 2010, lorsqu’il est revenu à l’Urgence. Le complément du dossier 5774 a été déposé en liasse (pièce E-17 A), suite à quoi madame Labrie a expliqué qu’elle croyait que le patient avait fait une tentative de suicide à l’insuline le samedi 7 août, et que la plaignante l’avait vu le vendredi 6 août 2010. Or, c’est le vendredi 6 août 2010 que le client a fait une tentative de suicide, et la plaignante l’a vu le 2 août 2010 et a rempli le formulaire d’évaluation à cet effet (pièce E-17 A, en liasse, page 3 à 9). Cependant, le formulaire n’était pas au dossier lorsque madame Labrie a procédé à l’évaluation du dossier, le 9 août 2010, ni lorsqu’elle en a parlé à monsieur Barbeau.

[92]         Madame Labrie a par ailleurs rapporté un autre incident impliquant une mère qui n’arrêtait pas d’appeler concernant sa fille (pièce E-12). À cet égard, madame Labrie a référé à un courriel adressé à la plaignante, ainsi qu’à madame Guylaine Leblond et à monsieur Alain Barbeau (pièce E-12, à la page 1). Ce courriel concernait une rencontre survenue en juin 2010 avec la patiente et sa mère, à laquelle ont assisté madame Guylaine Leblond, madame Labrie, la plaignante ainsi que madame Danielle Delorme, qui s’est jointe à eux après le début de la rencontre, qui a duré environ une heure. Selon madame Labrie, la rencontre s’est très mal déroulée et l’ordre du jour n’a pas été suivi. La patiente «  parlait fort  » et on avait demandé à madame Delorme de se joindre à eux pour structurer la rencontre qui allait très mal. C’était pourtant le rôle de la plaignante, à titre d’intervenante pivot, d’assumer la direction de cette réunion, ce qu’elle n’a pas fait. Madame Labrie a ajouté que même si cette patiente se présentait régulièrement à l’Urgence, elle ne pouvait pas donner d’information à sa mère, puisqu’elle était liée par la règle de la confidentialité des dossiers. La patiente avait trente ans à l’époque.

[93]         Toujours concernant ce même dossier, madame Labrie a ensuite référé à une rencontre tenue au mois d’octobre 2010, durant laquelle elle a constaté qu’il n’avait pas été pris en charge par la plaignante. Selon madame Labrie, un PSI aurait du être élaboré par l’intervenant pivot avec la patiente, de façon à établir un lien de confiance et à disposer d’un instrument d’intervention, ce qui aurait diminué les visites de la cliente à l’Urgence. Toutefois, comme la plaignante n’avait pas assumé son rôle d’intervenante pivot dans ce dossier, il fallait reprendre tout le processus.

[94]         Par la suite, madame Labrie a appris que la cliente en question s’était suicidée après le 1 er octobre 2010, sans qu’il n’y ait eu de rencontre avec la plaignante.

[95]         Le cinquième témoin de l’employeur a été madame Nathalie Chevalier, qui exerce les fonctions de technicienne en travail social à l’Accueil psychosocial du Service de crise adulte. Il s’agit en fait des Services psychosociaux généraux. Dans le cadre de son travail, madame Chevalier a aussi effectué l’accueil en situation de crise. Elle exerce ces fonctions depuis 1991, toujours comme technicienne. Madame Chevalier détient un certificat en toxicomanie, en plus d’une formation en Techniques de travail social.

[96]         Madame Chevalier a mentionné que l’Accueil psychosocial était la porte d’entrée vers les Services psychosociaux et de Santé mentale adulte. Au cours de l’année 2009-2010, elle assumait un poste à temps complet de 32 heures par semaine, réparties de la façon suivante : deux jours à l’Intervention en situation de crise, une journée aux Services psychosociaux, et une autre journée à l’Accueil. Madame Chevalier a produit l’horaire établi pour les mois d’octobre et de novembre 2009, pour les départements de l’Accueil-Crise et des Services psychosociaux (pièce E-4). Ce document a été mis à jour le 27 octobre 2011, mais s’appliquait au cours des années 2009 et 2010.

[97]         Après une période d’absence, madame Chevalier était de retour au travail en juin 2009, et a rencontré la plaignante pour la première fois à cette époque. L’équipe de travail était alors composée de mesdames Édith Veilleux, Nathalie Houde (qui était en congé), la plaignante et monsieur Jean-Pierre Lussier. Madame Chevalier a rapporté avoir eu à intervenir à certaines occasions pour constater des manquements dans le travail de la plaignante. Ainsi, dans certaines circonstances, elle a eu à travailler auprès des mêmes clients que la plaignante. Elle a identifié certains dossiers et envoyé un courriel à cet effet à monsieur Barbeau en date du 11 juin 2010 (pièce E-18).

[98]         Selon madame Chevalier, on peut constater que dans le dossier 19164, les notes de la plaignante ne sont pas à jour, et c’est madame Chevalier qui a dû écrire la version que le client lui a donnée. La plaignante  lui a d’ailleurs confirmé qu’elle était en retard dans ses notes. Madame Chevalier n’a pas pu affirmer si monsieur Barbeau lui avait donné une réponse au courriel du 11 juin 2010 (pièce E-18).

[99]         Le 24 août 2010, madame Chevalier a expédié un autre courriel à monsieur Barbeau (pièce E-19), toujours concernant la plaignante, mentionnant que «  La cliente était fâchée lorsqu’elle a appris que nos services étaient gratuits, même sans réf. Médicale… »

[100]      Un autre courriel a été adressé à monsieur Barbeau le 16 septembre 2010 concernant une référence personnalisée du DPJ (no demande 39393), pour laquelle la plaignante n’a effectué aucun suivi. Le dossier complet de cette référence a été produit devant l’arbitre (pièce E-20, en liasse). Selon madame Chevalier, la demande du DPJ, qui visait à obtenir du support, avait été placée six mois auparavant, soit en mars 2010, mais il n’y avait aucune note au dossier qui y référait. Donc, pas de note au dossier, pas de note à l’ordinateur et pas de note à l’équipe jeunesse concernant ce cas. Il s’agissait d’une référence personnalisée du DPJ pour laquelle la première note au dossier est datée du 14 septembre 2010 (pièce E-20, en liasse). Questionnée à ce sujet, madame Chevalier a affirmé qu’elle en avait parlé avec la plaignante.

[101]      Un autre courriel, daté du 29 octobre 2010 (pièce E-21, en liasse), a été adressé à monsieur Barbeau concernant la plaignante. Il s’agissait cette fois d’une référence personnalisée du CLSC des Sommets, qui avait contacté la plaignante pour lui faire parvenir le dossier 34734. Dans ce dossier, il était mentionné que le client devait rappeler, mais celui-ci n’a pas donné suite à ses démarches. La plaignante ne l’a pas relancé et, selon madame Chevalier, le dossier a été classé aux Archives sans aucun suivi, alors qu’il était de la responsabilité de la plaignante de faire le suivi du dossier. D’ailleurs, il n’y a aucune note à l’effet qu’elle avait bel et bien reçu le dossier.

[102]      Toujours selon madame Chevalier, cette erreur de la plaignante a conduit à d’autres démarches qui n’étaient pas nécessaires et qui ont jeté de la confusion dans le traitement du dossier. Madame Chevalier a rédigé le courriel du 29 octobre 2010 à l’intention de monsieur Barbeau, afin de lui expliquer la situation (pièce E-21, en liasse, pages 1 et 2). Madame Chevalier a particulièrement reproché à la plaignante de ne pas avoir relancé le client, compte tenu de sa situation. En effet, vu la nature des difficultés qui lui avaient été communiquées, la plaignante aurait dû relancer le client pour lui offrir un suivi de crise.

[103]      Madame Chevalier a par ailleurs mentionné que des réunions d’équipe de travail avaient lieu à tous les deux mardis, pour discuter des cas qui sont soumis. Cette réunion implique les travailleurs sociaux et les agents de relations humaines, en présence du chef de service. Madame Chevalier a affirmé que lors de ces rencontres, il n’avait pas été question des courriels adressés à monsieur Barbeau concernant la plaignante, afin de lui éviter de vivre un malaise devant les collègues de travail. De même, les lacunes qu’elle avait relevées dans ses différents courriels n’ont pas non plus été discutées en équipe.

[104]      En contre-interrogatoire, madame Chevalier a admis qu’elle n’entretenait pas de rapports sociaux avec la plaignante, et qu’il pouvait lui arriver de compléter des notes au dossier Accueil ou à la Crise dans les 24 ou 48 heures suivant les événements. Madame Chevalier n’a pas pu confirmer si le courriel du 11 juin 2010 (pièce E-18) avait été expédié à la demande de monsieur Barbeau, puisqu’il débutait par la phrase «  Tel que convenu …  ». Cependant, elle affirme en avoir discuté avec lui.  Il s’agissait d’un suivi en santé mentale à l’égard d’une cliente anglophone qui a été référée à la plaignante pour cette raison.

[105]      Madame Chevalier a par ailleurs admis ne pas avoir préalablement rencontré la plaignante lorsqu’elle décidait d’écrire un courriel à monsieur Barbeau concernant les erreurs commises par celle-ci. Madame Chevalier était «  devenue irritée par la situation  » et elle «  n’allait plus la voir  ».

[106]      Quant au dossier no 39393, référé par le DPJ, madame Chevalier a admis que la plaignante avait fait une demande le 3 mars 2010 (pièce E-20, aux pages 5 et 6).

[107]      Pour le dossier 34734, madame Chevalier a affirmé qu’on aurait dû retrouver une télécopie de la demande de la plaignante ou du document ou du support qu’elle aurait utilisé pour faire la demande du dossier, lorsqu’elle a constaté que le client ne s’était pas présenté à l’Accueil. Sinon, il n’y a aucune trace du dossier et il peut se perdre comme ça été le cas. Madame Chevalier a par ailleurs reconnu que l’erreur pouvait aussi provenir du CLSC, qui n’aurait pas transmis le dossier. Cette hypothèse ne peut pas être exclue, selon madame Chevalier, car il n’y a pas de note à l’effet que le dossier a effectivement été envoyé.

[108]      L’incident de la référence personnalisée du CLSC des Sommets est de la même nature que le précédent, c’est-à-dire qu’il s’agit d’un dossier qui est spécifiquement référé à la plaignante par un établissement, alors qu’aucun suivi n’est effectué de sa part.

[109]      Il est vrai que pour le dossier du CLSC des Sommets, il était indiqué que le client devait contacter l’employeur (pièce E-21, en liasse à la page 7), mais la plaignante aurait dû aller au-delà de cette note, compte tenu du contenu du dossier. Il n’y a pas de note évolutive au dossier, et les démarches normales n’ont pas été faites. Madame Chevalier a rappelé qu’il s’agissait d’un travail d’équipe et qu’il était primordial que l’information soit inscrite au dossier et tenue à jour.

[110]      Le sixième témoin de l’employeur a été madame Nathalie Houde, qui exerce les fonctions d’agente en relations humaines chez l’employeur depuis janvier 2000. Elle a été appelée à travailler à l’Accueil psychosocial,  à l’Intervention en situation de crise et au suivi Adulte. Elle détient un baccalauréat en psychologie de l’Université de Montréal et a travaillé auparavant dans un centre d’hébergement pour femmes victimes de violence, ainsi que comme intervenante en réadaptation en santé mentale et au CSSS Argenteuil. Elle détient un poste à temps complet mais a été en congé de maternité à compter de décembre 2008, jusqu’en janvier 2010. C’est à compter de cette date qu’elle a débuté son travail avec la plaignante. Monsieur Barbeau avait invitée madame Houde à participer à un comité de sélection, et elle a rencontré la plaignante lorsque celle-ci a postulé pour obtenir le poste d’agente en relations humaines (ARH).

[111]      Selon madame Houde, tous les collègues étaient appelés à travailler aux trois niveaux chez l’employeur, sauf madame Chevalier qui ne faisait pas de suivi Adulte. En effet, il y avait eu fusion des services, de telle sorte que tous les salariés étaient appelés à travailler dans tous les services. Elle a souligné qu’il y avait une rotation de personnel importante, et plusieurs postes à combler à l’interne relativement aux services à être fournis dans les trois départements. La situation était déstabilisante et le niveau de risque élevé. Les services pouvaient être rendus tant sur place que chez le client. En moyenne, le personnel avait quatre rendez-vous par jour et consacrait deux jours sur quatre au suivi, les deux autres étant consacrées à l’accueil et à la crise. On pouvait ainsi dispenser des services à une douzaine de clients par semaine.

[112]       Madame Houde a par la suite décrit la plaignante comme étant une personne agréable, facile d’accès, toujours disponible et qui semblait assez sécure. Elle explique que normalement, les personnes appelées à exercer ces fonctions finissent par développer de l’anxiété, mais que la plaignante ne semblait pas avoir ces inconforts. C’est ainsi que les contacts étaient agréables, jusqu’à ce que certaines difficultés se révèlent au travail. La plaignante a dès lors adopté un comportement fuyant, avait tendance à s’isoler et ne parlait pas de ses cas durant les réunions, même si le but des rencontres était de partager l’information qui devait circuler entre les collègues. D’ailleurs, même si les dossiers étaient assignés à une personne, tous les collègues avaient accès à tous les dossiers. Il était donc important de consigner des notes au dossier pour pouvoir en faire le suivi.

[113]      Par ailleurs, à la lecture de ses demandes de services, on pouvait constater des difficultés de rédaction chez la plaignante, qui travaillait dans les deux langues mais était plus à l’aise en anglais. C’est du moins la conclusion à laquelle madame Houde en était arrivée concernant les difficultés de la plaignante au début de son emploi. Monsieur Barbeau lui avait demandé son appréciation, car plusieurs collègues l’avaient avisé de leur insatisfaction à l’égard de la plaignante. Madame Houde a donc fait part à monsieur Barbeau de certains problèmes qui se reflétaient dans ses demandes de services, notamment dans son évaluation du risque suicidaire.

[114]      Plus particulièrement, monsieur Barbeau a parlé à madame Houde du dossier 5774 (pièce E-17), où le client avait fait une tentative de suicide. Il voulait savoir comment la plaignante avait procédé à l’évaluation dans ce dossier. Madame Houde a mentionné avoir été très nuancée dans sa réponse, car elle croyait qu’on pouvait échapper de temps à autre l’évaluation d’un risque. Toutefois, à son avis, la réaction de la plaignante avait été surprenante. En effet, elle n’a pas discuté de ce qui s’était passé avec l’équipe, et n’a laissé paraître aucun signe que cette situation avait été difficile pour elle. Madame Houde n’a cependant pas tenté d’en savoir plus à cet égard.

[115]      Madame Houde a ensuite traité du dossier 778 (pièce E-13), où elle devait agir comme support à la plaignante, tel que demandé par monsieur Barbeau. Il s’agissait en effet d’un dossier complexe.

[116]      Madame Houde a rapporté qu’il n’y avait pas de note au dossier et qu’au cours d’une rencontre d’équipe, la plaignante avait demandé à ce que ce dossier lui soit transféré. À ce sujet, elle n’était pas d’accord avec la plaignante qui devait, dans un premier temps, assumer ses responsabilités à l’égard de ce dossier. Cependant, la plaignante éprouvait des difficultés majeures et madame Houde a signalé à monsieur Barbeau que sa confiance en elle avait été ébranlée, même si elle croyait qu’en lui laissant du temps, elle aurait peut-être pu assumer ses responsabilités. Par la suite, madame Houde a constaté que la plaignante consultait d’autres collègues pour la même orientation.

[117]      En contre-interrogatoire, la procureure du syndicat a insisté sur deux volets d’une formation spécifique. D’abord, la formation en évaluation du risque suicidaire, d’une durée de quatre jours dispensée par le Centre du Faubourg, et une formation sur l’estimation de la dangerosité, en application de la Loi P-38 . Selon madame Houde, cette dernière formation amène la personne à être capable de juger d’un danger grave et immédiat, de façon à pouvoir mettre en place des mesures de protection. Il s’agit d’un modèle d’intervention pour mesurer le risque suicidaire. Ces formations sont nécessaires pour comprendre une poussée de crise. Il existe également «  des vignettes cliniques pour mettre en pratique ces choses-là  » et une grille pour l’évaluation du risque suicidaire. Enfin, une formation à l’interne est également donnée par l’infirmière clinicienne, mais madame Houde n’en a pas bénéficié, ayant déjà travaillé en santé mentale.

[118]      Madame Houde a par ailleurs mentionné que sa relation avec la plaignante avait cessé d’être agréable à l’automne 2010, parce qu’elle ne participait plus aux dîners et évitait le groupe d’employés. À cette époque, d’autres collègues ont également témoigné de leur insatisfaction à l’égard de la plaignante. Par exemple, madame Édith Veilleux lui avait mentionné que la plaignante était constamment débordée. Il y avait également des plaintes faites à monsieur Barbeau à l’effet que la plaignante posait trop de questions, magasinait les opinions, même pour un dossier qui ne comportait pas de difficultés particulières.

[119]      Questionnée à ce sujet, madame Houde a par la suite expliqué que l’intervenant pivot était la personne centrale dans un dossier, à qui toutes les informations étaient envoyées. Elle avait un regard plus global et devait coordonner le plan de service. Il était convenu que l’on passe par l’intervenante pivot lorsqu’on travaillait dans un dossier.

[120]      Concernant plus particulièrement le dossier 778 (pièce E-13), madame Houde a rapporté que lors d’une rencontre où la plaignante avait été émotive, celle-ci lui avait demandé d’assumer le dossier. Elle ne se sentait pas capable d’en avoir la responsabilité. Selon madame Houde, son rôle était de supporter la plaignante, sans toutefois assumer la responsabilité de ce dossier, qui lui revenait dans le cadre normal de ses tâches. Toujours selon madame Houde, il est tout à fait normal qu’une personne ne se sente pas nécessairement à l’aise dans un dossier, mais il ne faut pas s’isoler et on doit plutôt aller chercher de l’aide des collègues lorsqu’une telle situation se présente.

[121]      Enfin, concernant le dossier 34734 (pièce E-21), madame Houde a affirmé qu’un dossier physique aurait dû être ouvert et qu’une note de sa réception aurait dû y être versée.

[122]      Le septième témoin de l’employeur a été madame Alberte Gallant, coordinatrice clinique de l’équipe de crise en santé mentale et en suivi post-hospitalisation au CSSS St-Jérôme. Il s’agit d’un poste syndiqué affilié au même syndicat que celui de la plaignante.

[123]      Madame Gallant est travailleuse sociale depuis 1991, mais n’a pas été appelée à témoigner à titre d’expert à l’audience, bien qu’elle ait été assignée par subpoena par l’employeur. Dans son évaluation (pièce E-10), madame Gallant s’est assurée de vérifier que les éléments nécessaires étaient présents dans les dossiers traités par la plaignante. Elle a reçu environ 45 dossiers, dont 34 ont fait l’objet de ses commentaires. Elle a pris les dossiers comme ils lui ont été envoyés et présentés. Elle a ensuite rédigé ses observations sur le formulaire que monsieur Barbeau lui avait fait parvenir (pièce E-22), et il n’y a pas eu de communication entre elle et lui une fois les résultats compilés.

Les conclusions de l’employeur

[124]      Le huitième témoin de l’employeur a été madame Marie-Josée Théorêt, chef du Service des relations de travail chez l’employeur depuis le 21 avril 2010. Madame Théorêt a mentionné que monsieur Barbeau était déjà en poste à son arrivée comme chef du Service des relations de travail. Elle l’a rencontré pour la première fois le 5 juin 2010, parce qu’il avait besoin de support en ressources humaines. Ils se sont rencontrés une autre fois par la suite, vers la mi-juin, où monsieur Barbeau lui a communiqué les difficultés qu’il éprouvait avec la plaignante, notamment en matière d’évaluation clinique, d’orientation des clients, des rédactions de notes aux dossiers et d’analyse des problématiques des clients. Il a alors été convenu d’établir un plan de gestion à l’égard de la plaignante.

[125]      Selon madame Théorêt, «  cela faisait plus de six mois depuis son embauche qu’on lui amenait des choses à améliorer. Elle voulait s’améliorer, mais elle ne semblait pas pouvoir le faire  ». Dans les circonstances, l’employeur a décidé d’emprunter la voie administrative plutôt que disciplinaire avec la plaignante. Il a ainsi été décidé de refaire le point avec elle, de lui soumettre un plan de redressement et de l’aviser des conséquences si elle ne s’améliorait pas. Une rencontre a été tenue le 15 juin 2010, pour lui soumettre le plan de redressement. Monsieur Barbeau voulait que la plaignante s’améliore, et «  il trouvait difficile d’embarquer dans des démarches formelles … surtout pour les conséquences  ».

[126]      Selon madame Théorêt, l’employeur devait s’assurer que la plaignante connaissait bien ses difficultés. Ses lacunes devaient lui être expliquées clairement, en soulignant ce qui n’allait pas. L’employeur devait aussi lui signifier clairement ses attentes, et ce qu’elle devait améliorer devait être clair et sans ambiguïté. Il était également nécessaire de lui donner un délai raisonnable pour apporter les améliorations demandées et de s’assurer de lui donner tout le support requis, la formation nécessaire pour s’améliorer. Enfin, l’employeur devait informer la plaignante qu’elle risquait un congédiement administratif si elle n’atteignait pas les objectifs de l’employeur.

[127]      Selon madame Théorêt, «  monsieur Barbeau était rébarbatif… il trouvait ça difficile … surtout le risque de congédiement  ». Cela faisait un an qu’il essayait de supporter la plaignante avec des objectifs et qu’il n’obtenait pas de résultat. Il a été convenu que monsieur Barbeau rencontrerait la plaignante au retour de ses vacances, le 13 août 2010. Madame Théorêt n’était pas présente à cette rencontre car, compte tenu du risque de fin d’emploi, monsieur Barbeau lui avait demandé de rencontrer la plaignante seule, pour lui faire part du processus formel. Monsieur Barbeau a donc rencontré la plaignante pour l’aviser du risque de congédiement, et a par la suite mentionné à madame Théorêt que la plaignante prendrait deux semaines pour réfléchir à la question de savoir «  si elle reste ou si elle quitte  ». Elle a donné sa réponse à son retour de vacances, vers le 21 août 2010. Elle avait décidé de rester en emploi et elle était prête à entamer le plan de redressement avec monsieur Barbeau.

[128]      Une rencontre a donc été convoquée avec le syndicat en date du 13 septembre 2010 (pièce E-11), pour expliquer clairement à la plaignante les lacunes identifiées dans son travail, et ce qu’elle devait améliorer. Lors de cette rencontre, on a également indiqué à la plaignante le support qui lui serait fourni durant le plan de développement. Madame Théorêt a souligné que la plaignante avait alors été avisée que si elle ne s’améliorait pas, il y avait un risque de congédiement administratif (pièce E-11, à la page 4). Selon madame Théorêt, la plaignante a posé des questions et disait comprendre les attentes de l’employeur. «  Elle était volontaire à s’améliorer et n’avait aucune réticence à ce qui était proposé . » Un échéancier a par ailleurs été fixé (pièce E-11, à la page 4), l’employeur accordant un délai de deux mois à la plaignante pour s’améliorer.

[129]      Au cours de cette rencontre, la plaignante a été référée à des dossiers spécifiques. Cependant, madame Théorêt a précisé qu’elle n’évaluait alors pas le contenu des dossiers, mais plutôt certaines lacunes, telles des notes manquantes aux dossiers et ce, de façon évidente. La plaignante a également eu l’opportunité de s’expliquer, et elle a même fait retirer un dossier de l’évaluation parce qu’elle l’avait bien complété.

[130]      La rencontre du 18 octobre 2010 a été consignée dans une lettre remise à la plaignante en date du 9 novembre 2010 (pièce E-14), celle-ci ayant été absente du travail, en assurance salaire, à compter du 25 octobre jusqu’au 7 novembre 2010. Il a par la suite été convenu de refaire le calendrier des rencontres, afin de tenir compte de l’absence de la plaignante.

[131]      Or, le suicide d’une patiente à la fin du mois de novembre 2010 a précipité les événements. Madame Théorêt a précisé à cet  égard «  qu’on n’attribuait pas du tout ça à une erreur de la plaignante  ». Cependant, on avait constaté d’importantes lacunes qui persistaient dans le suivi de ce dossier, dans la rédaction des notes et dans la tenue générale du dossier (dossier 778), qui étaient attribuables à la plaignante. Dans un tel contexte, l’employeur lui a remis un avis de terminaison administrative d’emploi (pièce E-1). Madame Théorêt a ajouté qu’il s’agissait d’une situation difficile, parce que la plaignante voulait vraiment s’améliorer. Elle n’avait pas un caractère rebelle.

[132]      En contre-interrogatoire, Madame Théorêt a admis que la plaignante était déjà en poste chez l’employeur lorsqu’elle est arrivée au mois d’avril 2010. Elle n’a pas pu affirmer si la problématique relevée à son égard existait déjà durant sa période de probation, mais elle a reconnu que la période de probation de la plaignante avait été complétée lorsqu’elle est arrivée en poste chez l’employeur.

[133]      La procureure du syndicat a ensuite présenté à madame Théorêt le document Analyse de la qualité des évaluations faite par Chantal Plaum le 10 août 2010 (pièce    E-10). Ce document avait été porté à la connaissance de madame Théorêt, et celle-ci était au courant de la démarche de monsieur Barbeau, sans en connaître toutefois la méthode. La procureure du syndicat a tenté de savoir de madame Théorêt si la plaignante avait eu l’occasion de s’expliquer concernant l’ensemble des dossiers que l’on retrouve dans cette analyse (pièce E-10), ce que madame Théorêt n’a pas pu confirmer, n’ayant pas participé à cette évaluation.

[134]      Madame Théorêt a ajouté que l’analyse des évaluations de la plaignante (pièce E-10) ne faisait pas partie du processus qu’elle avait instauré, et qu’elle n’en avait pas tenu compte dans son évaluation.

[135]      Madame Théorêt a par ailleurs admis avoir reproché à monsieur Barbeau d’avoir attendu trop longtemps, parce que ce n’était « pas simple pour le salarié, pour le gestionnaire et pour l’équipe de travail … tous tannés de la situation  ». En effet, monsieur Barbeau a effectué les suivis sans constater d’amélioration de la part de la  plaignante. À cet égard, madame Théorêt a référé au support et à la formation donnée à la plaignante, et plus particulièrement à ce qu’elle avait écrit le 13 septembre 2010 (pièce E-11, à la page 3).

[136]      E-11, à la page 3 - extrait :

« Nous vous rappelons le support ou les formations que l’établissement vous a offerts depuis votre embauche en mai 2009 :

·        formation du Centre Soleil Levant (équipe régionale de crise);

·        supervision clinique individuelle Danielle Delorme TS interne;

·        supervision de groupe avec Michel Bertrand TS externe;

·        consultation  clinique et ponctuelle auprès des collègues;

·        vision-conférence (1 ou 2);

·        Oméga;

·        mesures d’urgence sécurité civile;

·        encadrement administratif et clinique, chef de service. »

[137]      Madame Théorêt a admis que la plaignante souhaitait suivre la formation du Faubourg, concernant le risque suicidaire, mais que cette formation n’était dispensée qu’au printemps suivant. Cependant, selon madame Théorêt, cette formation n’était pas un incontournable pour travailler au Service de crise. Par ailleurs, madame Théorêt a admis qu’à compter de la mise en place du processus formel, la plaignante n’avait pas reçu de formation de l’employeur.

[138]      En réponse à une question de la procureure du syndicat concernant le support et la formation mentionnés dans la lettre du 13 septembre 2010 (pièce E-11, à la page 3), madame Théorêt a convenu que ce qui est mentionné à l’item « Supervision » réfère davantage à du support qu’à de la formation, à l’instar de ce qui est mentionné à l’item « Formation du Centre Soleil Levant ». Madame Théorêt a toutefois tenu à préciser que la plaignante était sous la supervision de monsieur Barbeau depuis au moins un an, et que c’est lui qui faisait le suivi de la plaignante. Selon madame Théorêt, il revenait à monsieur Barbeau d’assurer le soutien de la plaignante, plutôt qu’à madame Delorme.

[139]      Madame Théorêt a confirmé qu’entre le 13 septembre et le 18 octobre 2010, il n’y a eu qu’une seule rencontre avec la plaignante, soit le 27 septembre 2010 (pièce    E-1, avant dernier paragraphe de la page 1), et qu’il n’y avait pas eu d’autres rencontres entre le 18 octobre et le 3 décembre 2010. Cependant, monsieur Barbeau et la plaignante se voyaient régulièrement dans le cadre de leur travail, sans toutefois qu’il n’y ait eu de rencontres formelles au cours de cette période.

[140]      Bref, à compter de la mise en place du programme, le 13 septembre 2010, jusqu’au congédiement de la plaignante survenu le 3 décembre 2010, il y a eu, au total, trois rencontres formelles. De plus, il y a eu une évaluation des dossiers le 27 septembre 2010 (pièce E-1, à la page 2). Selon madame Théorêt, le dossier 14168 a probablement été corrigé depuis, de même que le dossier 34161. Quant au dossier 34315, les parties n’y seraient pas revenues entre la période du 9 novembre au 3 décembre 2010. Toujours au cours de cette période, aucun autre dossier n’a été analysé, à l’exception du dossier 778. C’est d’ailleurs le seul dossier dont il est fait mention dans la lettre de congédiement de la plaignante (pièce E-1).

[141]      Enfin, madame Théorêt a admis que dans le mois précédent le congédiement de la plaignante, monsieur Barbeau avait contacté des clients pour connaître leur degré de satisfaction. Selon madame Théorêt,  ce sondage a révélé qu’ils étaient tous satisfaits.

[142]      La procureure de l’employeur a complété les dossiers P0034511 (pièce E-20, en liasse) et le dossier P0034734 (E-21 en liasse) avant de clore sa preuve.

La preuve du syndicat

[143]       Dans le cadre de sa preuve, la procureure du syndicat a fait entendre comme témoins monsieur Jean-Pierre Lussier, les 13 mai et 7 juin 2013, et la plaignante les 7, 27 juin et 9 juillet 2013.

 

Les Services psychosociaux et de Santé mentale adulte chez l’employeur

[144]      Monsieur Jean-Pierre Lussier occupe la fonction de travailleur social chez l’employeur depuis février 2009. Il détient un poste à temps complet sur le quart de jour. Il est de garde un soir par semaine, et en rotation durant les week-ends. Il passe la majeure partie de son temps à la consultation psychosociale adulte (pièce E-2).

[145]      Monsieur Lussier a témoigné à l’effet qu’à son arrivée chez l’employeur, en février 2009, l’équipe de travail était désorganisée. Ainsi, madame Marie Larouche était chef de service par intérim. Madame Édith Veilleux occupait la fonction de travailleuse sociale et l’autre travailleuse sociale, madame Danielle Delorme, avait quitté l’équipe quelques semaines auparavant pour aller travailler au secteur de la Santé mentale adulte. Monsieur Lussier remplaçait madame Nathalie Houde, qui était en congé maternité, et madame Nathalie Chevalier est revenue au travail en mai ou juin 2009. Une dénommée Josiane a travaillé quelques semaines, pour ensuite donner sa démission. Enfin, deux personnes provenaient d’une agence, soit la plaignante et madame Cathy Laflèche. Il y avait alors beaucoup de travail et un achalandage difficile pour ceux qui étaient assignés au service de garde.

[146]      Monsieur Barbeau est arrivé comme chef de service vers la mi-avril 2009, mais a dû s’absenter suite au décès de sa mère, de telle sorte qu’il a véritablement été présent au travail à partir du mois de mai 2009.

La formation des employés

[147]      Monsieur Lussier a expliqué qu’il avait également travaillé au Service de la crise chez l’employeur, et qu’il avait été formé à l’évaluation du risque suicidaire par le Centre de prévention du suicide Le Faubourg. Il a donné un aperçu du Guide de référence du participant distribué par le Centre de prévention du suicide (pièce S-10). Il s’agit d’une formation d’une durée de deux à trois jours, qui contient une grille d’évaluation de la dangerosité (pièce S-10, à la page 14). Selon monsieur Lussier, la grille était utilisée par l’employeur à l’époque où la plaignante était en poste. Il a toutefois ajouté que les intervenants utilisent maintenant une nouvelle grille. Monsieur Lussier a mentionné que la grille était utilisée dans les trois secteurs aux Services psychosociaux généraux.

[148]      Selon monsieur Lussier, cette grille constitue un outil essentiel pour évaluer la dangerosité et les risques d’agression grave. Elle permet d’ajuster l’intervention en fonction de l’urgence (pièce S-10, à la page 15). À cet égard, il a référé à la notion de facteur de risque (COQ). Selon lui, les employés doivent avoir cette base pour évaluer le risque suicidaire dans les trois services. Il n’a cependant pas été en mesure d’affirmer si ses collègues de travail avaient suivi cette formation, tout en étant certain que le personnel de l’agence ne l’avait pas suivi.

Les titres d’emploi

[149]       Monsieur Lussier a donné un aperçu de la formation académique et des titres d’emploi de travailleur social, d’agent de relations humaines (ARH) et de technicien en travail social (TTS) que l’on retrouve aux Services psychosociaux généraux. Selon lui, tous les employés du service «  font la même chose » , sauf madame Nathalie Chevalier qui ne fait pas de consultation psychosociale.

[150]      Monsieur Lussier a affirmé qu’un employé de garde devait planifier et se donner des moyens de procéder à la rédaction de notes au dossier dans les 24 heures, pour éviter que des retards ne s’accumulent dans les dossiers. Il a mentionné avoir travaillé à l’élaboration d’un cadre de référence sur cet aspect du travail, où il était recommandé de compléter les notes au dossier dans les 24 heures de la rencontre. Plus tard durant son témoignage, monsieur Lussier a cependant précisé, après s’être renseigné, que l’Ordre des travailleurs sociaux suggérait l’équivalent de trois jours ouvrables, ou 72 heures, pour compléter les notes à un dossier, au lieu de  24 heures comme il le croyait lorsqu’il a témoigné.

[151]      Cependant, en réponse à une question de la procureure de l’employeur, en contre-interrogatoire, monsieur Lussier a admis que les notes au dossier devaient être complétées dans un délai de 24 heures chez l’employeur (pièce E-23). Sur cette question en ré-interrogatoire, monsieur Lussier a expliqué que le délai de 24 heures chez l’employeur pour compléter les notes au dossier avait été fixé à la suite d’une rencontre d’équipe et entériné par monsieur Barbeau. Il a affirmé qu’au début, il était le seul dans l’équipe à respecter le délai de 24 heures. Par la suite, madame Veilleux a rapidement pris l’habitude de respecter aussi ce délai, ce qui n’était pas le cas de mesdames Chevalier et Houde. En effet, madame Houde peut prendre jusqu’à plusieurs semaines pour compléter son dossier.

  Les collègues de travail

[152]      Monsieur Lussier a affirmé que monsieur Barbeau avait demandé, au printemps 2010, de lui faire part de toutes les difficultés avec les demandes de services de la plaignante. Il l’a fait au début, mais s’est rendu compte que l’équipe s’était mise à cibler la plaignante, de sorte qu’il a demandé d’arrêter de nommer le professionnel assigné au dossier, pour demeurer le plus objectif possible. Les commentaires des collègues Veilleux et Chevalier étaient à l’effet qu’il manquait d’éléments et qu’on ne comprenait rien dans les demandes de services de la plaignante. Il a ajouté qu’il avait pourtant constaté une amélioration évidente durant la période où madame Danielle Delorme aidait la plaignante dans la rédaction de ses demandes.

[153]      Monsieur Lussier a expliqué qu’il était mal à l’aise avec les demandes répétées de monsieur Barbeau. Il aurait souhaité que la plaignante soit consultée pour avoir ses réponses, car c’est elle qui avait rencontré le client et on devait lui donner l’opportunité d’expliquer ce qui avait été rédigé, comme pour tous les autres employés. Elle était devenue «  la bouc émissaire de l’équipe  » et aussi de certains membres des services de Santé mentale adulte, notamment mesdames Carole Labrie et Marie Melançon.

[154]      Selon monsieur Lussier, madame Houde était «  particulièrement irritable  » à son retour de congé de maternité et souvent désagréable avec les employés, particulièrement avec la plaignante. Par exemple, elle disait : «  Elle est encore venue pour poser des questions . » «  Elle voyait tout en rose . » «  Son jugement clinique n’est pas adapté à la réalité.  » «  Elle ne savait pas comment intervenir  ». Ses remarques étaient prononcées de façon répétée. Monsieur Lussier a affirmé que ses collègues étaient toujours sur le dos  de la plaignante et que c’était déplaisant. Les commentaires se faisaient toujours lorsque la plaignante n’était pas là. D’ailleurs, la plaignante lui a parlé de l’attitude de madame Nathalie Houde, qui rendait la situation difficile. Monsieur Lussier a ajouté qu’il trouvait la situation injuste. Il y avait une forme d’acharnement sur la plaignante, qui n’était pas justifiée selon lui.

[155]      Monsieur Lussier a reconnu que la plaignante avait eu de la difficulté à gérer le stress au début, mais affirme que cet aspect s’était amélioré. De même, il y avait du retard dans la rédaction des dossiers et l’analyse était plus problématique pour la plaignante, mais il y avait eu une progression à partir du moment où elle a été en supervision. Monsieur Lussier a donc décidé de demeurer en retrait de ces personnes à partir de la fin du printemps, début de l’été 2010.

[156]      Monsieur Lussier a confirmé que des collègues de travail s’étaient plaints de la plaignante à monsieur Barbeau, et qu’il y avait une forme d’exaspération à son endroit, même si à un certain moment la situation semblait aller mieux, notamment lorsque madame Delorme supervisait la plaignante. Des tensions demeuraient, surtout avec mesdames Houde et Labrie. Par exemple, au cours d’une rencontre avec madame Houde, en septembre 2010, alors que monsieur Barbeau était absent, la plaignante a mentionné «  que ça allait bien  ». Selon monsieur Lussier, madame Houde a répondu de façon intimidante «  je ne comprends pas … on le sait que ça ne va pas, que ça ne marche pas  ». Au cours de cette rencontre, la plaignante était demeurée calme, «  même si madame Houde lui coupait la parole avec un ton de voix assez dur et intimidant  ». En fait, monsieur Lussier a constaté que madame Houde était exaspérée, car elle estimait «  qu’elle ne savait jamais ce qui se passait dans ses dossiers … ses demandes n’étaient pas claires ». Madame Houde reprochait à la plaignante de porter des «  lunettes roses  ».  

[157]      Pour sa part, madame Labrie critiquait ouvertement la plaignante sur son travail, mais jamais devant elle, selon monsieur Lussier.

 

 

La demande de service

[158]      En 2009, il était recommandé de recevoir une demande de service et d’en faire l’évaluation en vue de l’orienter. La personne était alors référée selon la nature du besoin. Mesdames Melançon et Labrie étaient, à cette époque, assignées au service de  la Santé mentale adulte. La grille d’évaluation (pièce S-9) était alors utilisée en Santé mentale adulte, mais non aux Services psychosociaux. Selon monsieur Lussier, on pouvait consulter madame Carole Labrie pour décider d’une orientation, mais une telle consultation demeurait très rare, lui-même discutant davantage avec madame Melançon qu’avec madame Labrie en 2009.

[159]      Monsieur Lussier a insisté sur le fait qu’il est recommandé de se consulter entre collègues. C’est même, selon lui, un principe directeur appliqué dans les services chez l’employeur. C’est important à l’égard de problématiques complexes et quant à l’évaluation de la dangerosité d’une personne. Ainsi, on doit parfois évaluer l’état de la santé mentale dans des situations complexes. Par exemple, dans les cas de schizophrénie et dans les cas de personnes psychotiques, l’évaluation se fait à deux. Il s’agit de la règle qui est recommandée et qu’il faut suivre. Il y a aussi les cas de personnalités limites qui peuvent rester dans les Services psychosociaux.

L’intervenant pivot

[160]      Monsieur Lussier a été appelé à expliquer la notion d’intervenant pivot, qui est en somme la personne responsable d’un dossier. Il est habituellement nommé par le chef de service, ou encore désigné en équipe lors d’une réunion d’équipe. Il y a une mention au dossier à cet effet.

[161]      Monsieur Lussier a mentionné qu’il lui était rarement arrivé d’être désigné intervenant pivot, et qu’en général c’était plutôt rare aux Services psychosociaux parce qu’il s’agit de suivis à court terme. Habituellement, l’intervenant pivot provient d’un autre service. En résumé, on ne désigne un intervenant pivot aux Services psychosociaux que dans des cas exceptionnels, selon monsieur Lussier.

L’évaluation du risque suicidaire

[162]      La procureure du syndicat a référé monsieur Lussier à la grille de dangerosité  qui est utilisée aux Services psychosociaux, autrement désignée comme étant «  comment, où et quand (COQ)  » (pièce S-12). On retrouve également cette grille d’analyse dans le Guide de référence du participant (pièce S-10). Selon monsieur Lussier, l’outil d’estimation de la dangerosité (pièce S-12) est utilisé à chaque demande de service, dans 95% des cas. Elle sert à évaluer le risque suicidaire. Il s’agit d’une estimation de la dangerosité et du risque suicidaire. Monsieur Lussier a ajouté que la formation donnée au Faubourg était plus large que la simple utilisation de cette grille.

[163]      En contre-interrogatoire, monsieur Lussier a mentionné qu’il a connu la plaignante en cours d’emploi et qu’il ne la connaissait pas avant qu’elle travaille chez l’employeur. Il a admis que la plaignante avait suivi avec lui un cours de Confiance personnelle au cours de l’année 2010, durant six à huit périodes de formation dispensées aux deux semaines à Sainte-Thérèse. Il a expliqué qu’il lui en avait parlé et qu’elle était intéressée par cette formation. La durée d’un cours était d’environ quatre heures. Aucune attestation ou certificat n’était remis à cet égard.

[164]      Toujours en réponse aux questions de la procureure de l’employeur, monsieur Lussier a admis qu’en 2009, l’équipe des Services psychosociaux a fait l’objet d’une supervision par monsieur Gilles Marsolais, consultant externe, au rythme d’une fois toutes les six à huit semaines, concernant l’utilisation de la grille (COQ) (pièces S-12 et S-10). Il a ajouté que la période de supervision de monsieur Marsolais n’était pas une période de formation, et que l’application de la Loi P-38 était peu fréquente, soit environ une fois par deux mois.  

[165]      Enfin, monsieur Lussier a précisé qu’on reprochait surtout à la plaignante ses délais dans les demandes de service. Il n’a cependant pas de souvenir que celle-ci se soit plainte de l’intransigeance de monsieur Barbeau ou d’une quelconque injustice à son égard.

[166]      Monsieur Lussier affirme que pour sa part, il avait de bonnes relations avec monsieur Barbeau et qu’il était dans l’ordre des choses que les demandes de services soient lues à haute voix durant les réunions, de façon à ce que tous les membres de l’équipe aient la même information en même temps.

[167]      Monsieur Lussier a par la suite précisé qu’il avait été intervenant pivot une fois en quatre ans et demi et que, selon lui, c’est surtout au département de la Santé mentale qu’il y avait des intervenants pivot. Il a ajouté qu’au secteur Crise, les suivis de dossiers consistaient en huit rencontres aux deux à trois mois environ, alors qu’aux Services psychosociaux, les suivis consistaient en une dizaine de rencontres aux quatre à cinq mois.

 

La version de la plaignante

[168]      Le deuxième témoin du syndicat a été la plaignante, madame Chantal Plaum. Celle-ci a déposé une copie de son curriculum vitae (pièce S-13). Elle explique détenir un baccalauréat en psychologie complété au Nouveau-Brunswick, mais n’est pas membre de l’Ordre des travailleurs sociaux. Elle a complété ses études en français et en anglais, dans les deux langues, puis a surtout travaillé en anglais par la suite. Dans chacune de ses expériences de travail, elle a eu à faire de la tenue de dossiers et des interventions psychosociales. Par exemple, lors de sa période de travail en Alberta, elle a dû travailler avec la DPJ dans le cadre de références non volontaires avec un suivi par dossier, alors qu’à Parry Sound, en Ontario, elle a dû composer avec une clientèle volontaire et faire une tenue de dossiers avec des évaluations spécifiques.

[169]      Par la suite, la plaignante est revenue au Québec. Elle a d’abord travaillé comme ARH et comme psychoéducatrice dans les Basses Laurentides, soit au CIRCORP de Saint-Jérôme et pour l’entreprise Servir Plus. Dans ce cadre, elle a œuvré au Centre téléphonique Urgence-santé sociale, puis a travaillé en intervention de crise par téléphone. Il s’agissait de remplacements assez réguliers. Elle avait comme responsabilité de tenir les dossiers et de procéder à l’évaluation des risques suicidaires en utilisant notamment un formulaire très semblable à celui qui a été déposé à l’audience (pièce S-12).

[170]      La plaignante a été placée dans les CLSC par l’Agence Servir Plus, pour des fonctions très similaires à celles qu’elle occupait l’Accueil psychosocial, à Montréal et à Sainte-Adèle. Il s’agissait de remplacements à court terme, le plus long s’étant déroulé au CLSC de Sainte-Thérèse pour une période de un à deux mois de façon continue.

[171]      Les modes de fonctionnement des CLSC étaient similaires, avec de petites variantes, surtout au niveau du système informatique. Il s’agissait d’accueil psychosocial, la plaignante n’ayant jamais été affectée au suivi en santé mentale. Ses tâches consistaient surtout à débuter la rencontre, jusqu’à ce que l’intervenant de crise arrive au bureau pour la compléter. Elle n’a pas fait de suivi de crise lors de ses emplois dans les CLSC.

[172]       En février 2009, elle a été placée chez l’employeur pour une première fois par l’Agence Servir Plus. Elle y a travaillé une semaine ou deux, puis est revenue par la suite pour une plus longue période.

[173]      La plaignante a mentionné avoir obtenu un poste chez l’employeur en août 2009, et à partir de ce moment, ses tâches ont évolué. Ainsi, elle a commencé à répondre aux appels de crise, ce qu’elle ne faisait pas auparavant. Cependant, elle n’a reçu aucune formation spécifique à cet égard.

[174]      Le poste qu’elle a obtenu résultait d’un affichage pour lequel une autre personne, soit madame Mélanie Vézina, avait également appliqué. Elle a été reçue en entrevue par un comité de sélection composé de monsieur Alain Barbeau, de madame Nathalie Houde et d’une personne des Ressources humaines qu’elle ne connaissait pas. Elle a obtenu le poste même si madame Vézina avait plus d’ancienneté. Il s’agissait d’un poste à temps partiel permanent de 28 heures par semaine. À cet égard, la plaignante a tenu à souligner que ses collègues de travail étaient détentrices d’un poste à temps complet permanent de 32 heures par semaine.

[175]      La plaignante a ajouté qu’elle n’avait fait l’objet d’aucun reproche concernant son travail entre la période de mai à août 2009. Monsieur Barbeau est arrivé en poste au cours de cette période, et elle a reçu la formation spécifique donnée par monsieur Gilles Marsolais concernant l’application de la Loi P-38 , qu’elle a suivie avec madame Nathalie Vézina.

[176]      La plaignante a par ailleurs mentionné que dans le cadre de ses fonctions, elle utilisait la grille d’estimation de dangerosité (pièce S-12) qui est, selon elle, le document utilisé partout dans le réseau. D’ailleurs, l’agence qui l’employait lui en avait remis une copie.

[177]      La procureure du syndicat a ensuite référé à la lettre du 7 octobre 2009, signée par monsieur Barbeau (pièce E-6). À cet égard, la plaignante a tenu à préciser qu’avant cette lettre, elle n’avait fait l’objet d’aucun reproche à son travail. Elle a expliqué que  l’expression I-CLSC, qui y était utilisée, désignait le service informatique qui traitait les demandes de services remplies par les employés.

[178]      Par ailleurs, après avoir été questionnée à ce sujet, elle n’a pas pu affirmer si, lors de la rencontre du 7 octobre 2009, monsieur Barbeau avait en sa possession les dossiers mentionnés dans la lettre (pièce E-6).

[179]      Quant au fait qu’elle a reconnu, lors de la rencontre du 7 octobre 2009, avoir été «  éparpillée et désorganisée  », la plaignante a expliqué qu’elle avait besoin d’ajustement, ayant plus de tâches à accomplir, et qu’elle devait s’habituer à gérer son temps. Elle a souligné que la situation représentait un défi pour elle, et a fait remarquer qu’elle travaillait 28 heures par semaine, alors que ses collègues en travaillaient 32, ce qu’elle avait d’ailleurs rappelé à monsieur Barbeau. De plus, elle était la seule à devoir se déplacer vers Grenville, ce qui lui prenait vingt minutes à l’aller et vingt minutes au retour, ce temps étant compté dans ses 28 heures de travail. Par conséquent, la plaignante avait beaucoup moins de temps que ses collègues pour faire le suivi de ses dossiers.

[180]      La plaignante a pris comme exemple l’horaire de travail de 2010 pour donner un aperçu de ses disponibilités (pièce S-11). Elle souligne qu’elle n’avait que le mercredi pour faire ses suivis, alors que madame Édith Veilleux pouvait bénéficier du lundi après-midi, ainsi que de toute la journée du mardi et du jeudi. La plaignante a précisé à cet égard qu’il est plus facile de gérer son temps pendant les périodes de suivi, sinon le temps consacré au travail est déterminé par la clientèle. D’ailleurs, il y avait des périodes plus achalandées que d’autres et «  on n’a pas à gérer l’achalandage lorsqu’on est en suivi  ».

[181]      Comme l’employeur lui reprochait d’avoir tendance à prendre trop de clients, elle avait convenu avec monsieur Barbeau qu’elle ne prendrait pas «  plus de quatre suivis psychosociaux adulte simultanément  » (pièce E-6, à la page 2). Les nouveaux dossiers qui entreraient seraient donc dirigés vers ses collègues de travail. Selon la plaignante, les conflits ont commencé à ce moment-là, notamment avec madame Édith Veilleux et monsieur Jean-Pierre Lussier, madame Nathalie Houde n’étant pas au travail à cette époque. Elle a souligné que les collègues avaient de la difficulté à comprendre pourquoi elle ne pouvait pas prendre plus de quatre dossiers, même si c’était pour lui permettre «  de se rattraper sur ses notes  ». Elle a ajouté que ses collègues pouvaient en prendre beaucoup plus parce que leur temps de suivi était plus élevé.

[182]      Par ailleurs, concernant la rédaction des demandes de service (pièce E-6, à la page 1, le point 2), elle a mentionné que la seule formation reçue lui avait été donnée par l’archiviste quant au système comme tel, sans toutefois traiter du contenu des demandes. On lui avait indiqué de consulter madame Danielle Delorme au besoin. Elle a rappelé qu’en plus de consulter madame Delorme en octobre 2009, elle rencontrait monsieur Barbeau qui ne lui a toutefois pas enseigné comment rédiger une demande de service. Elle devait s’améliorer sans toutefois qu’il lui ait mentionné d’exemples concrets à cet égard. Elle a reconnu avoir des difficultés avec la langue, car on lui demandait une phraséologie plus compréhensible. Elle s’est alors souvenue que monsieur Barbeau avait des exemples concrets à lui fournir.

[183]      L’employeur lui reprochait également un « manque de notes  » (pièce E-6, à la page 1.3). La plaignante a souligné que monsieur Barbeau faisait référence aux notes d’évolution (pièce S-7, en liasse). Selon la plaignante, une fois les notes inscrites au système, elle devait être imprimées et déposées aux Archives pour qu’elles soient classées dans le dossier. Selon elle, il y avait beaucoup de retard de classement aux Archives. Il était possible de consulter les notes au système informatique, mais elles étaient classées beaucoup plus tard au dossier physique. Selon la plaignante, monsieur Barbeau lui reprochait l’absence de notes qui étaient pourtant inscrites à l’informatique, car il n’allait pas les consulter et il lui reprochait en plus le délai de classement aux Archives.

[184]      Par la suite, la plaignante a abordé les dossiers qui lui étaient reprochés par monsieur Barbeau de façon spécifique (pièce E-6, à la page 2.4 a), b) et c)). Concernant le dossier 15177, la plaignante a expliqué qu’il ne s’agissait pas d’une priorité. Le dossier a été fermé aussitôt qu’elle a pu le faire et le retard dans la fermeture du dossier n’a eu aucune conséquence pour le client. Elle a cependant reconnu qu’habituellement elle le faisait et qu’elle «  avait manqué sur celui-là  ». Concernant le dossier 52128 (pièce S-14), la plaignante a expliqué qu’elle avait l’habitude de prendre des notes manuscrites lors de la rencontre pour, par la suite, les rentrer au système informatique. Elle a ajouté qu’il y a eu suivi de ce dossier, notamment,  le 28 septembre 2009, et inscrit au système informatique la même journée à 11h33 (pièce S-14, à la page 6). Concernant le dossier 17977 (pièce S-15), il y a une note manuscrite d’elle-même, suivie d’une note qui mentionne une rencontre de suivi au domicile de la cliente le 25 août 2009 (pièce S-15, à la page 6). D’ailleurs, la page précédente fait état d’une note du 28 septembre 2009 inscrite au système informatique le même jour à 10h30 (pièce S-15, à la page 5).

[185]      La plaignante affirme que les reproches de monsieur Barbeau dans ces deux derniers dossiers ne sont pas fondés. Concernant l’aide à une collègue de travail (pièce E-6, à la page 2.6), la plaignante a affirmé qu’il s’agissait de madame Danielle Delorme qu’elle consultait. Elle a également consulté madame Melançon et madame Labrie parce que monsieur Barbeau lui avait permis de le faire.

[186]      En outre, monsieur Barbeau avait fixé des rencontres à toutes les semaines afin de superviser ses activités cliniques et ses différentes tâches afférentes. La plaignante a souligné que le temps passé avec monsieur Barbeau n’était pas consacré à son travail régulier. Ces réunions pouvaient durer jusqu’à une heure, tout dépendant du nombre de dossiers et il voulait qu’elle garde en note le temps passé avec les clients. La plaignante a souligné qu’en bout de ligne, ses notes ne lui ont jamais été demandées par monsieur Barbeau. Elle a déposé un exemple de ces documents (pièce S-16). Elle a ajouté que la confection de ses notes lui prenait du temps à rédiger. Pour répondre aux demandes de monsieur Barbeau, elle devait produire ses notes, préparer le dossier et le rencontrer; en plus des corrections de dossiers qu’il avait discuté avec elle. Quoi qu’il en soit, la plaignante a affirmé qu’elle s’entendait très bien avec monsieur Barbeau.

[187]      Monsieur Barbeau lui a remis une évaluation de rendement le 15 décembre 2009 (pièce E-8). Elle a mentionné qu’elle avait réussi à s’améliorer et monsieur Barbeau lui avait fait des commentaires positifs dans ce sens. Elle a ajouté avoir passé sa période de probation et tant monsieur Barbeau qu’elle-même étaient satisfaits des résultats. Elle a été en vacances du 24 décembre au 4 janvier 2010 et a été rencontré par monsieur Barbeau le 14 janvier 2010 (pièce E-9). La plaignante croyait qu’il s’agissait d’une rencontre que monsieur Barbeau faisait avec tous les employés du service, jusqu’à ce qu’elle constate qu’elle était la seule employée rencontrée par monsieur Barbeau.

[188]      La plaignante a souligné qu’elle était surprise de la démarche de monsieur Barbeau qui signifiait que tout était à « recommencer encore une fois  ». Pourtant selon elle, il n’y a rien de particulier qui s’est passé durant ses treize premiers jours de travail en 2010. Monsieur Barbeau lui a mentionné qu’il avait reçu de nouvelles plaintes sans être plus précis à cet égard. Il lui a mentionné qu’elle consultait trop les collègues de travail, pourtant on lui avait recommandé de consulter les collègues, car cela faisait partie du travail en équipe. Ainsi, on lui reprochait «  des erreurs d’évaluation du risque  ». La plaignante a souligné que c’était la première fois qu’elle en entendait parler et qu’avant le 14 janvier 2010, on ne lui avait pas fait de reproches à cet égard. Elle a ajouté qu’elle savait qu’elle devait améliorer ses demandes de service, mais pas au niveau de l’évaluation du risque. D’ailleurs, elle a ajouté qu’elle n’avait pas reçu la formation du Faubourg à cet égard. Elle s’est d’ailleurs renseignée sur la disponibilité de la formation donnée par le Faubourg et on lui a répondu qu’elle devait passer par son employeur pour s’inscrire à cette formation. Elle l’a demandée à monsieur Barbeau qui lui a répondu qu’elle devait attendre que la formation soit disponible pour l’inscrire.

[189]      La plaignante a déposé ce qu’elle allègue être une autre version du document (pièce E-9). Elle a affirmé que «  des choses avaient étés ajoutées à ce document » (pièce S-17) qu’elle avait conservé dans ses dossiers et qui fait état des mêmes dates  (pièce E-9). Cependant, après vérification on a constaté que monsieur Barbeau et la plaignante n’ont tout simplement pas inscrit les mêmes notes sur le document durant la rencontre (pièce E-9 et S-17). Le document remis au début de la rencontre était identique. Il s’agit d’un document qui lui a été remis par monsieur Barbeau au début de la rencontre.

[190]      Parmi les faiblesses constatées, il est mentionné que la plaignante a de la difficulté dans la gestion du temps. Toutefois, la plaignante souligne qu’elle devait rédiger des notes quotidiennes (pièce S-16), ce qui rajoutait à ses tâches. Monsieur Barbeau lui avait mentionné qu’elle avait «  rattrapé ses retards  » et que «  ça allait mieux  ». Concernant l’absence de plans d’interventions dans les dossiers, la plaignante a réitéré qu’ils avaient été faits, mais que le département des Archives ne les avait pas encore classés (pièce S-6). On lui reprochait également la courte durée des suivis dans ses dossiers. La plaignante a mentionné qu’il y avait normalement entre quatre à cinq rencontres pour un suivi de crise et jusqu’à dix rencontres pour un suivi en psychosocial.

[191]      Monsieur Barbeau a allégué avoir fait l’examen de 28 dossiers fermés qui ne lui ont pas été exhibés durant la rencontre et, par conséquent, à l’égard desquels elle n’a pas pu répondre. La plaignante a admis qu’on lui avait remis la liste des dossiers, mais elle  avait besoin des dossiers physiques pour apporter une réponse satisfaisante. La plaignante a souligné que monsieur Barbeau ne semblait pas comprendre qu’il y avait un délai dans le classement des documents par le service des Archives. Elle a ajouté qu’il lui est arrivé de se présenter au service des Archives pour aller chercher un plan d’intervention et «  le montrer à monsieur Barbeau qu’il était fait ». En outre, elle a ajouté qu’elle faisait un minimum de quatre entrevues par client conformément à ce qu’il lui était demandé. La plaignante a souligné qu’avant le 14 avril 2010, on ne lui avait pas reproché une «  tendance à orienter les demandes de suivi vers les autres intervenants  ».

[192]      La procureure du syndicat a référé au dossier 19164 (pièce S-6 à S-8 et E-18). Il y avait un volet Santé mentale à ce dossier qui ne relevait pas du psychosocial. Cependant, le dossier lui avait été référé parce qu’elle était anglophone et madame Danielle Delorme n’était pas assez compétente en anglais pour s’en occuper. Il avait toutefois été convenu que madame Delorme la dirigerait pour le suivi du dossier. La plaignante a souligné que madame Chevalier avait expédié un courriel à monsieur Barbeau, sans lui en parler (pièce E-18). Madame Chevalier reprochait à la plaignante qu’il n’y ait aucune note au dossier. Pourtant, la plaignante souligne avoir eu des rencontres le 19 mai 2010, qui ont été consignées au dossier le 20 juin 2010, le 2 juin 2010, qui ont été consignées au dossier le 20 juin 2010 et une rencontre le 9 juin 2010 qui a été consignée au dossier le 22 juin 2010 (pièce S-7).

[193]       Par ailleurs, la plaignante affirme avoir pris connaissance durant les audiences du document en date du 10 août 2010 Analyse de la qualité des évaluations faites par Chantal Plaum (pièce E-10). Elle a ajouté n’avoir jamais rencontré madame Alberte Gallant, cosignataire de ce document. Il s’agit d’une analyse faite sur dossier en matière de suivi de crise. La plaignante a souligné qu’elle n’avait pas déjà évalué des situations du risque de dangerosité avec monsieur Barbeau. Il lui est arrivé de le faire, par contre, avec ses collègues.

[194]      Concernant le courriel du 30 août 2010 qu’elle a expédié à monsieur Barbeau (pièce S-5), elle a pris deux périodes de vacances en 2010. D’abord, du 23 juin 2010 au 4 juillet 2010, de retour au travail le 5 juillet, et ensuite du 19 août 2010 au 29 août 2010, de retour au travail le 30 août 2010. Elle a affirmé avoir eu une rencontre avec monsieur Barbeau le 13 août 2010 vers 14h30. Il lui a dit «  ça ne va pas bien, je n’ai pas des bonnes nouvelles … tu donnes ta démission et je te donne de bonnes référence ou je monte un dossier pour un congédiement  ». Il a ajouté «  qu’elle était une bonne personne  » et il voulait lui donner une chance. La plaignante a mentionné avoir été en était de choc, car elle ne «  s’attendait pas à aller aussi loin dans son dossier  ». Elle a ajouté avoir travaillé fort pour s’améliorer et elle ne «  s’attendait pas à ça du tout  ». Monsieur Barbeau voulait qu’elle réfléchisse durant ses vacances à donner sa démission ou être congédiée. Elle lui a expédié le courriel du 30 août pour lui confirmer qu’elle refusait de démissionner, il faut remplacer la date du 20 août par le 13 août 2010 dans ce courriel (pièce S-5).

[195]       La plaignante a ensuite fait référence à la rencontre du 13 septembre 2010 consignée au document du 16 septembre 2010 (pièce E-11). Cette rencontre a eu lieu en présence de monsieur Julien Savoie, conseiller syndical, monsieur Alain Barbeau, madame Marie-Josée Théorêt et la plaignante. Il n’a pas été question de dossier en particulier et la conversation n’a pas porté non plus sur aucun dossier en particulier. La plaignante a rectifié ce que l’employeur alléguait lui avoir fourni comme support ou formation depuis son embauche en mai 2009 (pièce E-11 à la page 3). Il s’agissait plutôt de rencontres entre collègues au Centre Soleil levant. Ces rencontres avaient lieu de trois à quatre fois par année pour discuter de demandes de service, ce n’était pas de la supervision clinique individuelle comme avec madame Delorme, ni supervision de groupe, mais plutôt discussion de cas avec monsieur Michel Bertrand et tous les autres salariés de l’équipe. D’autres éléments de formation se sont ajoutés comme apprendre être en relation avec un client violent et comment se protéger dans ces circonstances. Cette formation était fournie à tous les employés qui avaient à recevoir des clients. Ainsi qu’à l’égard des mesures d’urgences concernant la sécurité physique de tous les employés du CSS Argenteuil. 

[196]      Enfin, la plaignante a souligné que les attentes de l’employeur l’avaient laissé dubitative, parce que l’employeur lui signalait qu’aucune méprise, aucune erreur ne serait dorénavant tolérée. Bref, elle n’avait donc pas droit à l’erreur du tout. L’employeur a fixé des dates de rencontre (pièce E-11 à la page 4). Elle a été en congé maladie de sorte qu’il n’y a eu que deux rencontres qui ont eu lieu : celles du 27 septembre et du 18 octobre. Les rencontres du 1 er novembre et du 15 novembre ont été annulées. Elle était en vacances du 7 octobre au 17 octobre et en congé maladie du 25 octobre au 9 novembre pour dépression majeure ( work burn-out ) selon son médecin. Le 27 septembre, la rencontre a eu lieu avec monsieur Barbeau, madame Martine Larivière, du syndicat et madame Marie-Josée Théorêt, de l’employeur et le 18 octobre avec les mêmes personnes et monsieur Julien Savoie, conseiller syndical. Cette rencontre a fait l’objet d’un compte-rendu en date du 9 novembre 2010 (pièce E-14).

[197]      Lors de cette rencontre le 18 octobre 2010, il a été question du dossier P-000778 (pièce E-13, pages 1 à 38). Selon la plaignante, le dossier P-000778 était un dossier très difficile à gérer qu’elle a rencontré en 2009. La plaignante a relaté que la cliente était très résistante et elle ne suivait pas les rendez-vous qui lui avaient été fixés. Elle préférait se présenter à l’Urgence sans rendez-vous. Elle ne voulait pas des services qui lui étaient offerts et, selon la plaignante, elle était affectée d’un trouble de la personnalité. Il s’agissait d’un cas complexe qui avait besoin de narcotiques pour soulager sa souffrance physique et mentale. La plaignante a ajouté «  qu’elle voulait être prise en charge, que quelqu’un prenne soin d’elle  », mais «  elle ne voulait pas faire le travail  ». Il y avait des conflits entre elle et sa mère et la plaignante a souligné que cette cliente ne voulait pas prendre ses responsabilités. Sa mère aurait aimé qu’elle le fasse et cela créait des conflits. Toujours selon la plaignante, plusieurs personnes ont interagi dans le dossier. Par exemple, madame Guylaine Leblond, une infirmière que la plaignante a décrite comme étant en charge des patients qui fréquentent souvent l’Urgence. La plaignante a souligné qu’il avait été convenu avec le chef de service, monsieur Barbeau, que madame Leblond ferait le PI et que la plaignante n’aurait pas de suivi avec la cliente (pièce E-13, à la page 27).

[198]      Toujours concernant le dossier P-000778, la plaignante a commenté un courriel de madame Carole Labrie du 1 er octobre 2010 (pièce E-12). Madame Labrie souhaitait qu’un intervenant pivot soit nommé à ce dossier. Toutefois, il n’y a pas eu de nomination d’intervenant pivot au cours de toute la période du 31 mars 2010 au 1 er octobre 2010. C’était la responsabilité de monsieur Barbeau de le faire et il voulait nommer la plaignante. Elle lui avait mentionné qu’il s’agissait d’un cas trop complexe pour elle, qu’elle n’était pas à l’aise de le prendre, car les attentes de la plaignante n’étaient pas claires, surtout que sa mère s’en mêlait. Il était difficile de comprendre les besoins de la cliente qui résistait à un suivi. De plus, la plaignante était déjà intervenante pivot dans un autre dossier, ce qui fait qu’elle n’aurait pas eu suffisamment de temps à consacrer à ce nouveau dossier, car il ne faut pas oublier qu’elle était déjà assignée à l’Accueil-crise, ce qui lui demandait beaucoup de son temps. Ce qui fait qu’aucun intervenant pivot n’a été nommé durant la période du 31 mars 2010 au 1 er octobre 2010.

[199]      Or, il y a eu une rencontre le 22 juin 2010 concernant le dossier P-000778 (pièce E-13, à la page 20). Il y est écrit que la plaignante «  est son intervenante pivot pour l’aider dans ses démarches au niveau du bien-être social  ». La plaignante a insisté pour souligner que «  ça revenait tout le temps  », pourtant elle n’avait jamais été nommée comme intervenante pivot par monsieur Barbeau. La plaignante a même ajouté que personne ne voulait avoir ce dossier, car il s’agissait d’un cas trop difficile. Le dossier avait été ouvert à son nom et elle a terminé son suivi avec cette cliente. Monsieur Barbeau insistait pour qu’elle fasse un suivi et la cliente ne voulait pas faire de suivi. Monsieur Barbeau n’a jamais accepté que le dossier lui soit retiré et personne de l’équipe ne voulait le prendre.

[200]      La plaignante a référé au compte-rendu de la rencontre du 28 septembre 2010 concernant ce dossier (pièce E-14, à la page 1) et souligné que ce qui est écrit n’est pas ce qui est arrivé. Elle a insisté sur le fait qu’elle était débordée, qu’il s’agissait d’un dossier complexe, mais ce n’est pas parce qu’elle est débordée qu’elle voulait un transfert de dossier, c’est plutôt parce qu’il s’agissait d’un dossier complexe au-delà de ses compétences. D’ailleurs, selon la plaignante, il s’agissait beaucoup plus d’un cas médical lié à une dépendance aux narcotiques. C’est ainsi qu’à tout le moins, à compter du 22 juin 2010, elle avait signifié à monsieur Barbeau qu’elle n’avait pas les connaissances nécessaires pour prendre le dossier de la cliente (778). Elle a ajouté que le dossier n’a jamais été transféré et elle avait l’impression qu’on lui «  infligeait les dossiers  ».

[201]      La plaignante a également été appelée à commenter le dossier 5774, victime d’un suicide avec insuline. Elle a relaté que ce client a été accueilli par madame Judith Church le 2 août 2010 (pièce E-17) et il a été référé au Suivi de crise dans les attributions de la plaignante (pièce E-17, à la page 3). Elle le reçoit, mais il n’y avait pas de demande de service car elle en avait discuté avec madame Church qui avait identifié le risque suicidaire à modéré (pièce E-17, à la page 1). La plaignante a souligné qu’elle en était arrivé à la même évaluation, après avoir utilisé le Formulaire d’évaluation/ Services de crise (pièce E-17A, à la page 3).

[202]      La plaignante a ajouté qu’elle était allée encore plus loin ayant passé un contrat verbal avec le client de non passage à l’acte (pièce E-17A, à la page 8). Elle considérait, dans les circonstances, que «  sa fille était un facteur de protection  ». Or, on peut constater (pièce E-17A, à la page 9) que le client s’était calmé, qu’il avait pris la décision de rester avec sa fille et avait l’air sincère. Il prendrait rendez-vous avec son médecin et acceptait un suivi de crise. Elle lui a demandé de le revoir le mardi suivant à 11h30 au point de service de Grenville.

[203]      Plus tard, elle entend madame Labrie parler dans le corridor très fort, en criant, elle était furieuse et a demandé à la plaignante «  Qu’est-ce que t’as fait?  ». C’est alors qu’elle lui apprend que le client avait fait une tentative de suicide, madame Labrie venait de l’évaluer à l’Urgence. La plaignante a souligné qu’elle «  était à l’envers  », qu’elle s’est remise en question et est allée voir madame Nathalie Houde, ayant plus d’expérience qu’elle dans cette situation. Elles ont révisé ensemble le formulaire (pièce E-17, pages 3 à 9) et madame Houde lui a confirmé que son évaluation était correcte. Elle a même ajouté qu’il s’agit là d’une situation qui peut arriver. Madame Labrie a mentionné à la plaignante que l’insuline aurait dû être retiré à ce client, mais la plaignante a souligné qu’il s’agissait d’une décision médicale «  qu’elle ne pouvait pas faire d’elle-même  ».

[204]      La plaignante a été appelée à commenter le courriel du 24 août 2010 de madame Nathalie Chevalier (pièce E-19) concernant une information sur la gratuité des services sans référence médicale au CLSC. Elle a nié avoir mentionné à la cliente qu’elle devait passer par une référence médicale pour avoir des services gratuits. Elle a ajouté que madame Chevalier ne l’avait pas mise au courant de ce courriel, pas plus d’ailleurs que monsieur Barbeau qui ne lui en a pas parlé. Concernant le document Orientation, Intervention clinique immédiate (pièce S-9), la plaignante a souligné qu’il s’agissait d’un formulaire utilisé en Santé mentale adulte plutôt qu’aux Services psychosociaux. Elle ne l’a d’ailleurs jamais utilisé. Enfin, la plaignante a souligné que madame Labrie ne s’était jamais plainte à elle qu’elle la consultait trop souvent.

[205]      Enfin, concernant la lettre de congédiement du 3 décembre 2010 (pièce E-1), la plaignante a souligné que les rencontres déplacées au 3 décembre et 20 décembre 2010 n’ont pas eu lieu et il n’y a pas eu de rencontre entre le 18 octobre et le 3 décembre avec elle. D’ailleurs, son emploi s’est terminé le 3 décembre. L’employeur a surtout insisté sur le dossier 778 et elle a appris que la cliente était décédée. On lui reprochait de ne pas avoir fait assez de suivi avec elle.

[206]      D’abord, la plaignante a mentionné qu’elle ne s’attendait pas à être congédiée, car elle avait l’impression d’avoir fait les efforts nécessaires et rempli les objectifs qu’on lui avait demandé de faire. Elle trouvait cette décision injuste «  fait de façon dans son dos  ». Toujours selon la plaignante, il y avait beaucoup de chose dont elle n’était pas au courant et qu’elle n’a pas pu justifier : par exemple, le dossier 34315 (pièce E-1, à la page 2). Elle a rappelé qu’il s’agissait de notes qui étaient aux Archives et elle n’a pas eu l’occasion de se justifier à cet égard.

[207]      Elle a ajouté que les relations avec l’équipe de travail s’étaient bien déroulées au début de son emploi. La situation a dégénérée lorsqu’elle a obtenu le poste, alors qu’elle était encore en probation et s’est accentuée avec le retour des congés maladie de madame Nathalie Chevalier et, plus tard, de madame Nathalie Houde. Toujours selon la plaignante, elle a servi de bouc émissaire. Elles allaient la voir en lui reprochant diverses erreurs, comme des fautes d’orthographe. Elle avait l’impression d’être surveillée et elles agissaient comme une clique. La plaignante ne se sentait pas dans le groupe et c’est souvent monsieur Jean-Pierre Lussier qui allait la voir au nom du groupe concernant ses demandes de service qui avaient été révisées par le comité institué par l’employeur. Même madame Labrie qui travaillait dans un autre département «  avait embarqué dans la clique et lui lançait des commentaires pas gentils  ». C’est alors qu’elle s’est isolée pour ne pas subir trop de reproches de leur part. La plaignante a ajouté qu’elles ne lui ont jamais mentionné qu’elles posaient trop de questions, mais il y avait une forme d’exaspération par rapport à elle.

[208]      En contre-interrogatoire, la plaignante a admis avoir complété son baccalauréat en 1993 alors qu’elle occupait un emploi durant cette période. Elle a également mentionné avoir été en congé maternité en 2001, suite à l’accouchement de son premier enfant et en 2004, suite à l’accouchement de son deuxième enfant. Elle a été en congé maternité durant six à huit mois en 2001 et un mois, en 2004 durant sa période d’emploi chez Algonquin, de 2001 à 2006.

[209]      Plusieurs périodes de déménagement sont liées au travail de son conjoint qu’elle a rencontré en juillet 1994 avec des départs subséquents vers le Yukon en 1996. Elle n’a pas occupé d’emploi relié à sa formation durant cette période au cours de l’année 1996. La plaignante a ajouté que ses changements d’emploi étaient liés aux déplacements de son conjoint qui occupe la fonction d’ingénieur en hélicoptère, il s’agit d’un emploi saisonnier, mais elle est demeurée au Québec à compter de 2006. Elle a souligné avoir fait ses études en anglais et travaillé dans cette langue tout au cours de ses déplacements avec son conjoint à l’extérieur du Québec. Elle s’est séparée de son conjoint plus tard après le mois d’octobre 2010.

[210]      La plaignante a souligné qu’elle comprenait qu’elle devait s’améliorer et qu’elle l’avait fait dans le cadre des objectifs fixés par l’employeur (pièce E-9 et S-17). Elle estimait avoir complété les objectifs que l’employeur lui avait fixés, selon les dates qui sont mentionnées, soit les 14 mars et 14 avril (pièce S-17). Elle a ajouté qu’elle était dès lors autonome dans son travail et n’avait plus besoin de la supervision de madame Delorme. Cependant, elle était devenue le bouc émissaire de l’équipe parce qu’elle était la seule personne à qui «  on allait chercher des détails sur ses demandes de service  ».

[211]      La plaignante a allégué ne pas avoir reçu de réponse de monsieur Barbeau (pièce S-5) et l’employeur a déposé la réponse de monsieur Barbeau (pièce E-24). Elle a également admis que ce ne sont pas toutes ses demandes de service qui avaient été classées hors délai par le service des Archives.

[212]      La plaignante n’a pas nié avoir reçu du support de madame Delorme et de monsieur Barbeau jusqu’au 19 août. Elle a affirmé que par la suite il collaborait, mais il ne l’a pas soutenu, les démarches qu’il a fait ne l’ont pas aidé, contrairement à madame Delorme. La plaignante a affirmé avoir fait des demandes spécifiques à monsieur Barbeau qui « n’ont pas été entendues ». Par exemple, elle lui a dit qu’elle «  ne se sentait pas compétente  » pour «  prendre en charge le dossier #778 » même si elle avait ce dossier en charge depuis 2009. La plaignante a expliqué que la cliente ne voulait pas recevoir de services, même si elle a admis que son rôle consistait à amener les clients à utiliser les services fournis par l’employeur, mais ici il y avait un blocage et monsieur Barbeau aurait dû «  la soulager de ce dossier  ». La plaignante a ajouté que monsieur Barbeau «  prenait la part des autres membres de l’équipe au lieu de l’écouter ».

[213]      La plaignante a soutenu qu’elle avait développé suffisamment d’autonomie professionnelle pour bien faire son travail. Elle ajoute que pendant tout l’été précédent cette rencontre, il n’y a pas eu de plainte des clients ou de reproches formulés à son égard et elle a souligné qu’elle avait eu moins d’accompagnement de madame Delorme durant cette période. 

[214]      La plaignante a affirmé qu’elle se sentait apte à faire son travail lors de la rencontre du 13 septembre 2010. Elle a ajouté que le contenu de la lettre du    septembre 2010 était exagéré (pièce E-11). Elle a souligné avoir fait les efforts nécessaires et complété l’accompagnement requis par l’employeur. Elle avait amélioré la rédaction de ses demandes de services et elle consultait beaucoup moins. C’est pourquoi elle a été surprise qu’on lui reproche une mauvaise évaluation du risque, car elle allait voir madame Nathalie Houde concernant cette question qui lui disait que c’était correct. Selon la plaignante «  on n’en avait jamais parlé auparavant » et l’accompagnement de la plaignante par madame Delorme portait sur les demandes de services et non pas sur l’évaluation du risque. La plaignante a ajouté « à chaque fois on allait chercher les petits détails  ». Elle a soutenu qu’il s’agissait d’un travail d’équipe et qu’en dépit de son amélioration, cela ne paraissait pas encore suffisant «  c’était fâchant ».

[215]      La plaignante a expliqué qu’elle avait l’expérience de son travail précédent pour faire le travail. Cependant la formation sur le suicide l’aurait beaucoup aidée, mais elle ne pouvait s’inscrire à cette formation car seul l’organisme pouvait l’inscrire. Elle en a fait la demande et il lui a répondu qu’il n’y avait plus de dates disponibles qu’il «  n’avait pas l’argent pour la formation ». Elle a soutenu lui avoir demandé à au moins deux ou trois reprises.

La contre preuve de l’employeur

[216]      Monsieur Alain Barbeau a été appelé à témoigner de nouveau devant l’arbitre. Il a tenu à souligner que, concernant la rencontre du 19 août 2010, la plaignante a oublié le climat de la rencontre qui était plutôt amical. Il ne lui a pas dit que si elle ne démissionnait pas elle serait congédiée. Il lui a plutôt mentionné que si elle décidait de démissionner, il lui donnerait des références.

[217]      En outre, il a affirmé qu’il n’avait jamais rempli de formulaire (pièce S-18) pour aucun de ses employés. Il a ajouté qu’il proposait à la plaignante une formation sur le suicide (pièce E-9) qui pourrait lui être utile et c’était à elle à faire les démarches qu’il aurait approuvé sans difficulté. La plaignante lui avait répondu qu’elle n’en avait pas besoin et qu’elle avait suffisamment d’expérience. Elle préférait suivre une formation en développement personnel et il l’a noté sur le document (pièce E-9). Il a souligné que la plaignante ne lui avait pas demandé de formation, comme d’ailleurs les autres employés non plus.

[218]      Concernant le témoignage de la plaignante en contre-interrogatoire, monsieur Barbeau a tenu à préciser qu’il avait pris bien soin de s’assurer que la plaignante ne soit pas une victime dans le groupe de travail. C’est ainsi qu’il a vérifié personnellement chacune des allégations à l’égard de la plaignante et a, en plus, fait faire une vérification à l’externe, pour être bien certain de ne pas avoir de biais à son égard. Il a aussi ajouté qu’il ne pouvait l’empêcher de ressentir ce qu’elle a allégué provenant de l’équipe de travail, même s’il s’est assuré de vérifier le bien fondé des critiques dans chaque cas. Dans cette perspective, monsieur Barbeau a expliqué qu’en dépit d’une amélioration dans la rédaction des demandes de services de la plaignante, on a constaté qu’il n’y avait pas de progrès dans le fond de l’évaluation. D’ailleurs, cette question a toujours été abordée lors des rencontres avec la plaignante.

[219]      Monsieur Barbeau a tenu à souligner que la plaignante ne pouvait pas nier être l’intervenante pivot dans le dossier #778 qui lui avait été assigné plusieurs mois avant qu’elle lui demande d’être libéré de ce dossier. Selon monsieur Barbeau, il était trop tard, d’autant plus que la situation était attribuable à sa propre négligence. Toujours selon monsieur Barbeau, il s’agissait d’un aveu d’incompétence de la part de la plaignante.

[220]      En outre, c’est la plaignante qui a décidé de cesser voir madame Delorme, qui lui avait mentionné qu’elle avait amélioré sa rédaction, mais que sur le fond il n’y avait pas d’amélioration de sa part. La plaignante restait polie durant les rencontres formelles, bien que c’était difficile pour elle. Il a insisté pour mentionner qu’il était complètement faux de prétendre qu’il ait pu ajouté quoique ce soit qui n’a pas été dit devant elle durant ces rencontres. D’ailleurs, se serait une faute grave de sa part s’il avait agit autrement, mais il a reconnu avoir biffé un évènement, en sa présence, qui ne la concernait pas lors de la remise de la lettre (pièce E-14).

[221]       En contre-interrogatoire, monsieur Barbeau a mentionné que la formation du Faubourg n’était pas une exigence de l’employeur puisqu’elle devait normalement faire partie de la formation de base d’un employé ayant le statut de la plaignante. Monsieur Barbeau a admis que le dossier #778 était un dossier particulièrement complexe comme il s’en présente 4 ou 5 dans une année, mais qui sont traités sans difficulté particulière par les membres de l’équipe. De plus, il a ajouté que sans l’analyse du dossier faite par l’équipe, la négligence de la plaignante serait passée inaperçue, la plaignante ne sachant pas quoi faire et étant incapable d’évaluer le risque. On a constaté que c’était lié à son incompréhension de la situation. Il a ajouté que la plaignante était travaillante et dévoué, c’est sa compétence qui pose ici un problème.

Les dispositions pertinentes de la convention collective

[222]      Les dispositions de la convention collective pertinentes au présent litige sont les articles 5.08, 12.09, 12.12 et 12.13 des dispositions nationales (pièce S-1).

[223]      S-1 - Extrait :

« 5.08    L’Employeur qui applique une mesure administrative ayant pour effet d’affecter le lien d’emploi de la personne salariée de façon définitive ou temporaire, autrement que par mesure disciplinaire ou par mise à pied, doit dans les quatre (4) jours de calendrier subséquents, informer par écrit la personne salariée des raisons et de l’essentiel des faits qui ont provoqué la mesure.

L’Employeur avise par écrit le Syndicat de la mesure imposée dans le délai prévu au paragraphe précédent.

12.09    Juridiction relative aux mesures administratives

Dans tous les cas de mesure administrative prévue à l’article 5.08, l’arbitre peut réintégrer la personne salariée avec pleine compensation ou maintenir la mesure administrative.

12.12    Juridiction limitative de l’arbitre

En aucun cas, l’arbitre n’a le pouvoir de modifier, amender ou altérer le texte de la présente convention.

12.13    Fardeau de preuve

Dans tous les cas de griefs portant sur des mesures disciplinaires, le fardeau de la preuve appartient à l’Employeur.

Dans le cas d’un grief relatif aux critères d’attribution d’un poste, le fardeau de la preuve appartient à l’Employeur. »

La décision

[224]     Dans le cadre de la présente décision, je disposerai de chacun des arguments invoqués par les procureures des parties dans leur argumentation écrite, sans toutefois en rapporter spécifiquement la teneur.

[225]     En effet, les deux procureures s’entendent sur les dispositions de la convention collective pertinentes (pièce S-1), de même que sur le droit et la jurisprudence applicables. Plus particulièrement, elles s’entendent sur la distinction à faire entre les sanctions disciplinaires et administratives, sur la compétence de l’arbitre en matière de sanction administrative et sur les critères d’analyse applicables.

[226]     Leur seul point de divergence concerne l’analyse des faits du litige, en fonction des critères d’évaluation de la sanction administrative, ce que je me propose de faire ici.

[227]     Avant toute chose, je tiens à préciser que malgré la qualification, par la partie syndicale, des mesures contestées par les griefs (pièces S-3 et S-4) comme étant des mesures mixtes comportant à la fois un volet administratif et un volet disciplinaire, elle a élaboré l’ensemble de son argumentation en prenant pour acquis que tous les aspects des mesures prises par l’employeur allaient être considérées comme administratives par l’arbitre. Étant donné que l’employeur soumet également que les mesures contestées sont strictement administratives, j’analyserai la preuve présentée en l’espèce selon le cadre établi par la convention collective (pièce S-1) et la jurisprudence applicable en matière de mesure administrative.

[228]     D’abord, la jurisprudence définit la mesure administrative par comparaison avec la mesure disciplinaire. La Cour d’appel, dans l’arrêt Syndicat des employés municipaux de Jonquière (S.C.F.P.), section locale 2466 c. Ville de Jonquière , REJB 1997-03523 (C.A.), a ainsi établi la distinction entre les deux types de mesures :

« 12. La distinction entre une mesure disciplinaire et une mesure administrative (ou non disciplinaire) n’est pas toujours facile à cerner :

La sanction disciplinaire est avant tout répressive ; elle vise à punir l’individu pour son comportement répréhensible au sein de l’organisation. Accessoirement, elle doit inciter le contrevenant à amender sa conduite pour la rendre compatible avec la poursuite des activités de l’organisation à laquelle il appartient. Enfin, la sanction disciplinaire revêt un caractère d’exemplarité à l’intérieur de la communauté. […]

D’autre part, lorsque l’employeur répond à un manquement involontaire du salarié tels l’incapacité ou l’incompétence, il n’a pas recours à une sanction disciplinaire. Cette dernière n’émane pas du pouvoir répressif patronal. Elle ne poursuit pas les mêmes objectifs que la sanction disciplinaire. La mesure disciplinaire issue des pouvoirs généraux de gestion du chef d’entreprise intervient à l’occasion d’une situation préjudicielle à l’organisation. Cette réaction patronale vise donc à régulariser la situation d’inefficacité créée par le manquement involontaire du salarié.

13. Les tribunaux d’arbitrage reprennent fréquemment cette distinction. Ainsi, la mesure disciplinaire vise à pénaliser les manquements volontaires du salarié et à assurer sa réhabilitation, tandis que la mesure administrative n’a pas d’intention punitive et résulte de gestes involontaires comme l’incompétence ou l’incapacité qui causent un préjudice à l’employeur. La mesure administrative peut répondre à une situation involontaire ou impossible à corriger. Cette distinction n’est pas utile si la convention collective traite indifféremment des deux types de mesures ; toutefois, si la convention collective crée une telle distinction, il faut la     respecter. » [référence omise]

[229]     Les auteurs Linda BERNIER, Guy BLANCHET, Lukasz GRANOSIK et Éric SÉGUIN établissent pour leur part la distinction entre la mesure disciplinaire et la mesure administrative de la façon suivante, aux pages I/1-2 ; I/1-4 ; I/1-6 et II/4-35 de leur ouvrage Les mesures disciplinaires et non disciplinaires dans les rapports collectifs du travail , Cowansville, Les Éditions Yvon Blais Inc. , m. à j. 14 - mai 2007 (tel que cité dans l’affaire Centre jeunesse de Montréal et Syndicat des travailleuses et travailleurs du Centre jeunesse de Montréal (Personnel clinique) (CSN) , T.A. 2007A-129 :

« 1.006 - La définition retenue par la plupart des arbitres au Québec est celle énoncée par D’Aoust et Trudeau en 1981. Cette définition est basée sur la distinction qui réside dans le caractère, volontaire ou non, du manquement reproché au salarié. S’il y a faute volontaire du salarié, l’employeur doit imposer une mesure disciplinaire puisque cette dernière vise principalement à punir pour corriger, alors que si le manquement du salarié est involontaire et impossible à corriger, l’employeur doit imposer une mesure non disciplinaire.

[…]

1.008 - Plus récemment, les tribunaux supérieurs ont généralement suivi l’orientation des tribunaux d’arbitrage sur les distinctions à faire entre une mesure disciplinaire et non disciplinaire. Ainsi, la mesure disciplinaire a un but répressif puisqu’elle vise à punir le salarié mais aussi à l’inciter à amender sa conduite pour la rendre compatible avec la poursuite des activités de l’employeur. La sanction disciplinaire a également un certain caractère d’exemplarité au sein de l’organisation. Par conséquent, la mesure disciplinaire met en cause le caractère volontaire du comportement reproché au salarié.

[…]

1.013 - La plupart du temps, les mesures prises par l’employeur pour contrer le rendement insuffisant ou l’incompétence du salarié sont qualifiées de mesures non disciplinaires. Dans d’autres cas cependant, les mesures ont été qualifiées de disciplinaires lorsque l’incompétence ou le rendement insuffisant ou inacceptable du salarié était principalement causé par sa négligence, son insouciance ou par des erreurs commises dans l’exécution de ses tâches.

[…]

4.035 - La frontière peut être difficile à tracer entre l’incompétence, soit l’incapacité involontaire du salarié de faire son travail, et la négligence qui constitue un manquement volontaire. Toutefois, quelle que soit la nature du manquement, le résultat est le même, soit une prestation de travail déficiente que l’employeur est justifié de ne pas accepter. Lorsque le manquement est non volontaire, l’employeur peut intervenir en fermant administrativement le dossier du salarié qui ne peut fournir une prestation adéquate de travail. Lorsque le manquement est volontaire, l’employeur est justifié d’imposer diverses mesures disciplinaires afin d’amener le salarié à corriger ses fautes. L’employeur peut également choisir une approche mixte, c’est-à-dire imposer des mesures disciplinaires puis opter pour une approche administrative lorsqu’il constate que l’imposition de mesures de plus en plus sévères n’a pas modifié le comportement du salarié et que ses manquements sont hors de son contrôle.

4 . 036 - La nature des manquements reprochés et l’approche adoptée par l’employeur sont très importantes. Le tribunal d’arbitrage peut casser la décision de l’employeur si ce dernier ferme administrativement le dossier d’un salarié en alléguant son incompétence alors que la preuve révèle que les erreurs commises étaient volontaires et auraient pu être sanctionnées par des mesures disciplinaires progressives. […] » [références omises]

[230]     Je crois par ailleurs pertinent de rappeler les principes applicables au fardeau de preuve qui incombe aux parties en matière de mesure administrative. À cet égard, j’entends suivre la position adoptée par l’arbitre Denis Nadeau dans l’affaire Syndicat du personnel de soutien de Dawson et Collège Dawson , SAE 20-7456 (T.A.), à la page 4 de la décision :

« […] [L]a Cour d’appel du Québec reconnaît que l’arbitre a le droit de vérifier « si les motifs sont réels » […].

Comment un arbitre peut-il effectuer cette vérification ? Certes, l’employeur doit donner par écrit au salarié les motifs de sa décision mais ce document est-il suffisant pour faire preuve que les motifs y figurant sont réels ? Je ne le crois pas. À mon avis, compte tenu de la compétence reconnue par la Cour d’appel à l’arbitre de grief quant à la vérification « de l’existence même des motifs » sous-jacents à la décision du retrait de priorité d’emploi, l’employeur qui désire soutenir que les motifs invoqués à sa lettre sont bel et bien « réels » doit faire la preuve de ceux-ci.

Je ne suis donc pas d’accord avec la proposition patronale selon laquelle le seul dépôt de la lettre du 1 er mars 2002 (C-1) exposant les motifs du retrait de la priorité d’emploi serait suffisant pour établir la preuve des motifs y apparaissant. Certes, il est vrai qu’en donnant au plaignant et à son syndicat un écrit où apparaissent les motifs de la décision du retrait de priorité d’emploi, l’employeur s’est conformé à l’obligation prévue par le troisième paragraphe de l’article 2-3.04. Toutefois, compte tenu de l’évolution jurisprudentielle signalée précédemment, un salarié peut contester cette décision et demander à un arbitre de grief de statuer quant à « l’existence » même des motifs allégués. Ce développement de la jurisprudence arbitrale et judiciaire suppose donc, à mon avis, que l’employeur établisse, par une preuve prépondérante, que les motifs invoqués dans la lettre du 1 er mars 2002 (C-1) sont « réels ».

D’autre part, après clôture de la preuve de l’employeur sur cette question, le fardeau de la preuve se déplacera et reposera dorénavant sur la partie syndicale si elle entend établir, comme elle l’a déjà annoncé, que les motifs allégués - même si certains se seraient produits dans les faits - ne constitueraient que des prétextes et seraient abusifs. » [référence omise]

[231]     L’arbitre Me Denis Gagnon allait dans le même sens lorsqu’il écrivait ce qui suit dans l’affaire Fédération interprofessionnelle de la Santé du Québec (FIQ) et CSSS des Aurores-Boréales , T.A. 2008A-114 :

« [182] Même à l’égard d’un congédiement administratif, il revient à l’employeur d’assumer le fardeau de la preuve des faits qu’il allègue au soutien de sa décision.

[183] En fait, chaque partie a le fardeau de présenter une preuve prépondérante des faits sur lesquels il appuie sa prétention. Ici, l’employeur prétend que le plaignant était incapable de travailler seul le soir, et qu’il a rempli ses obligations d’employeur avant de mettre fin à l’emploi. En conséquence, il devait prouver les faits qui permettraient de conclure ainsi. De son côté, le syndicat prétend que le plaignant était toujours en état d’invalidité au début du mois d’août. Il devait donc prouver que le plaignant était encore malade au début du mois d’août. »

[232]     Les auteurs Bernier, Blanchet, Granosik et Séguin, à la page III/4-53 de leur ouvrage Les mesures disciplinaires et non disciplinaires dans les rapports collectifs du travail , précité, 2009, m. à j. 1 er juillet 2013, précisent pour leur part le fardeau de preuve que doit assumer le syndicat après que l’employeur eut terminé de présenter sa preuve des faits reprochés:

« 4.026. En matière administrative, la compétence de l’arbitre se limite à contrôler la rigueur du processus suivi par l’employeur. En conséquence, à moins de dispositions spécifiques dans la convention, l’arbitre ne peut substituer son jugement à celui de l’employeur en modifiant la mesure imposée : il ne peut que maintenir ou annuler le congédiement. Il a toutefois compétence pour vérifier si la mesure prise par l’employeur est abusive, discriminatoire ou arbitraire.

[…]

4.027. C’est le syndicat qui a le fardeau de prouver que la mesure administrative imposée par l’employeur est abusive, arbitraire ou discriminatoire. » [références omises]

[233]     Enfin, les critères à considérer dans l’analyse de la justesse d’une mesure administrative ont été bien résumés par l’arbitre Me Nathalie Faucher, dans l’affaire Syndicat des technicien-nes et professionnel-les de la santé et des services sociaux du Nord de Lanaudière - CSN et CSSS du Nord de Lanaudière , T.A. 2011A-085 :

« [289] En matière d’insuffisance professionnelle, il est reconnu que l’employeur doit s’assurer qu’un certain nombre de critères sont rencontrés avant de procéder à la terminaison du contrat de travail. Les auteurs Bernier, Blanchet, Granosik et Séguin écrivent ce qui suit aux paragraphes 1.192 et 1.193 de leur ouvrage :

« 1.192 . Dans Institut de réadaptation en déficience physique de Québec , le tribunal d’arbitrage a établi les paramètres suivants pour juger de la justesse d’un congédiement administratif pour incompétence ou rendement insatisfaisant. Ainsi l’arbitre :

Ø   Doit contrôler les motifs de l’employeur ;

Ø   Doit contrôler les moyens mis en place par l’employeur pour s’assurer de la fiabilité de l’évaluation du rendement ;

Ø   Doit contrôler les moyens mis en place par l’employeur pour s’assurer que le salarié a eu une véritable occasion de s’amender ;

Ø   Ne peut pas se substituer à l’employeur pour déclarer qu’il n’aurait pas pris la même décision concernant l’organisation et le fonctionnement administratif.

1.193. Dans Costco Wholesale Canada Ltd , la Cour d’appel du Québec a confirmé la décision de la Commission des relations du travail qui a appliqué le test suivant afin de vérifier la légalité d’un congédiement pour incompétence. Le salarié doit :

Ø   Connaître les politiques de l’entreprise et les attentes fixées ;

Ø   Connaître ses lacunes, qui lui ont été communiquées ;

Ø   Avoir obtenu le soutien nécessaire pour se corriger et atteindre ses objectifs ;

Ø   Avoir bénéficié d’un délai raisonnable ;

Ø   Avoir été prévenu du risque de congédiement en l’absence d’une amélioration de sa part. »

[290] Cela étant dit, le tribunal partage également l’opinion de l’arbitre Jean-Guy Ménard à l’effet que l’important est d’avoir une vision d’ensemble de la situation et non faire une application aveugle de ces critères. Ce dernier écrivait ce qui suit dans l’affaire Centre de recherche industrielle du Québec (CRIQ)  :

[115] En jurisprudence et en doctrine, on reconnaît généralement qu’aux fins de déterminer le bien-fondé d’un congédiement associé à une problématique de capacité ou de compétence, il faut vérifier :

·          Si le salarié connaissant les attentes de son employeur ;

·          Si la prestation de travail était significativement inférieure à celle de ses collègues ;

·          Si le salarié a été informé qu’on était insatisfait de son rendement ;

·          Si on l’a suffisamment supporté pour l’amener à remédier à la situation ;

·          S’il a été prévenu des conséquences susceptibles de découler d’une absence d’amélioration de son rendement et ;

·          Si la décision de l’employeur a été prise de bonne foi.

[116] À mon sens, cette déclinaison de modalités revient à dire qu’en pareil contexte de congédiement administratif, il est au fond à se demander s’il résulte d’une démarche qui révèle que le salarié a été correctement traité et s’il repose sur des considérations qui paraissent raisonnables. L’important est donc d’en avoir une vision d’ensemble et non d’en faire une application aveugle et systématique qui ferait en sorte que le défaut d’une de ces modalités justifierait l’annulation d’un congédiement. Rappelons-nous à cet égard que la Cour d’appel a déjà dit, au constat du fait qu’on avait conclu ainsi parce qu’il manquait deux (2) des six (6) modalités, qu’il s’agissait d’une « application des exigences qui (était) probablement à la limite du raisonnable. »

[291] De plus, l’arbitre Ménard souligne l’importance de tenir compte du milieu de travail et des particularités propres à l’affaire au niveau de l’évaluation de la décision patronale de mettre fin à l’emploi d’un salarié pour cause d’insuffisance professionnelle. » [soulignements et références omis].

[234]     Je précise que le test en six critères de l’arbitre Ménard, tel que rapporté par l’arbitre Faucher, est celui qui, par la suite, a été repris par la majorité des arbitres ayant eu à analyser la justesse d’une sanction administrative pour cause d’incapacité ou d’incompétence. À cet égard, je réfère à l’ouvrage Les mesures disciplinaires et non disciplinaires dans les rapports collectifs du travail, précité, 2009, m. à j. au 1 er juillet 2013, plus particulièrement à la page III/4-54.

[235]     Qu’en est-il en l’espèce ?

[236]     Afin d’analyser la justesse de la sanction administrative imposée par l’employeur dans le présent dossier, je propose de reprendre un par un les critères mis de l’avant par l’arbitre Ménard, et d’analyser la preuve présentée par les parties en fonction de ces critères.

1- Le salarié connaissait les attentes de son employeur

[237]     Par souci de clarté, rappelons d’entrée de jeu que la plaignante a été embauchée le 10 mai 2009, qu’elle a réussi sa période de probation le 15 décembre 2009 et qu’elle a été congédiée le 3 décembre 2010.

[238]     Peu de temps après son embauche, soit vers le mois de septembre 2009, des plaintes de collègues de travail sont apparues, ce qui a amené monsieur Barbeau à rencontrer la plaignante, le 7 octobre 2009, afin de discuter avec elle et lui remettre une lettre (pièce E-6) faisant état de la qualité de son travail et des améliorations souhaitées.

[239]     Les améliorations souhaitées dans la lettre (pièce E-6) se déclinent comme suit :

« Madame Plaum,

Nous nous sommes rencontrés le 7 octobre concernant votre travail auprès de la clientèle de l’Accueil-Crise du CSSS d’Argenteuil.

Nous vous avons fait part d’observations et de commentaires sur la qualité de votre travail en vue de prendre une décision sur votre probation.

[…]

Nous vous avons aussi informé que nous avions fait une analyse de certains de vos travaux. Ainsi nous avons sorti toutes les demandes que vous avez inscrites dans I-CLSC en septembre 2009 et nous en avons analysé la qualité. Nous avons aussi vérifié votre charge de cas en date du 2 octobre, et vérifié le contenu des dossiers.

En regard de tous ces éléments, nous vous demandons des améliorations qui devront être présentes d’ici le 10 novembre prochain afin de pouvoir vous accorder votre probation.

Les améliorations souhaitées sont les suivantes :

1.    Une meilleure gestion de votre temps qui sera manifeste à travers un plus grand contrôle de vos activités par vous-même, et une meilleure organisation de vos différentes tâches quotidiennes ;

À cet égard, vous avez reconnu avoir constaté que vous avez été                  « Éparpillée et désorganisée » dans les dernières semaines, ce que vous expliquiez par une tendance à trop prendre de clients et à délaisser les tâches en cours ;

2.    Une amélioration notable de vos rédactions de demandes de services ; on devra y retrouver :

       a. Une phraséologie plus compréhensible ;

       b. La présence de tous les éléments d’information et de décision nécessaires ;

       c. Les informations pertinentes au bon endroit (sous le bon thème) ;

       d. Une rédaction synthétique faisant ressortir les éléments importants à la compréhension de la demande ;

3.    Une tenue de dossier adéquate : actuellement l’on constate des manques dans votre tenue de dossiers : manque de notes, intrant inexistant, référence inadéquate, etc.

4.    Une meilleure rapidité de réponse et une plus grande intensité dans vos suivis psychosociaux ; actuellement on constate en date du 2 octobre :

       a. Dossier 15177, aurait dû être fermé ;

       b. Dossier 52128, aucune note de suivi depuis le 24 juillet, ce qui laisse croire que la cliente n’a pas encore reçu de service ;

       c. Dossier 17977, demande en date du 22-06-09, dernière note en date du 5 août ; délais semble trop long (sic) sans suivi ;

       […]

5.    Vos dossiers en suivi n’ont pas de plan d’intervention ni d’évaluation précisant la nature du problème sur lequel vous avez convenu de travailler avec le client ; Lorsqu’on lit les notes dans le dossier d’un client que vous suivez, on devrait pouvoir comprendre sur quoi vous travaillez et quelle est l’orientation de vos interventions ; ce qui n’est pas le cas présentement.

[…] » [notre soulignement]

[240]     Lors de la rencontre du 7 octobre 2009, monsieur Barbeau a particulièrement insisté sur le fait que les salariés devaient faire preuve d’autonomie, car la plaignante avait de la difficulté à prendre une décision. En effet, elle consultait plusieurs collègues à propos du même dossier, ce qui occasionnait des pertes de temps.

[241]     Par la suite, soit le 15 décembre 2009, la plaignante a réussi sa période de probation (pièce E-8). Néanmoins, dès le mois de janvier 2010, monsieur Barbeau a reçu de nouvelles plaintes provenant de collègues de travail de la plaignante.

[242]     Un plan de travail a donc été élaboré (pièce E-9), puis présenté à la plaignante qui l’a signé. Dans ce plan de travail, les faiblesses constatées et les attentes de l’employeur ont été définies comme suit :

Faiblesses constatées

[…]

[…]

Attentes

Délais

Difficulté à gérer son stress lorsqu’il y a plusieurs demandes simultanément ; cette difficulté se manifeste entre autres par une trop grande demande de consultation auprès des collègues, par des erreurs d’évaluation du risque

 

 

Faire des démarches pour corriger son problème de gestion du stress ;

Rencontres régulières avec une superviseure (Danielle Delorme)

14 avril 2010

Difficulté dans la gestion du temps, se manifeste en particulier par des retards réguliers dans la rédaction des notes, par la plainte fréquente de débordement

 

 

Absence de retards et réduction du sentiment de débordement

14 avril 2010

Difficulté à assumer les suivis, se manifeste en particulier par la lenteur à débuter les suivis, par l’absence de plan d’intervention, par la courte durée des suivis, par la tendance à orienter les demandes de suivis vers les autres intervenants.

Un examen des 28 dossiers fermés en date du 8 janvier révèle que sur les 28 :

-      5 ont été fermés sans intervention enregistrée ;

-      19 ont été fermés à l’intérieur d’un mois après la date de la première intervention, dont 10 ont été fermés le même jour que la première intervention

 

 

Planification des suivis de crise et des suivis adultes ;

Présence d’un plan d’intervention dans chaque dossier ;

Minimum de 4 entrevues par client ;

Présence des motifs explicites et valables pour dossier fermé ou suivi ajourné dans les notes d’évolution

14 avril 2010

[243]     Malgré les échéanciers fixés dans le plan de travail (pièce E-9) pour apporter les améliorations souhaitées, la plaignante fait toujours l’objet de plaintes de la part de ses collègues après le 14 avril 2010.

[244]     Monsieur Barbeau décide donc de rencontrer de nouveau la plaignante, en date du 13 août 2010, afin de lui communiquer une fois de plus les attentes de l’employeur et de l’aviser que s’il n’y avait pas d’amélioration, la situation pourrait mener à un congédiement.

[245]     Le 13 septembre 2010, la plaignante est à nouveau rencontrée par monsieur Barbeau, en présence de madame Marie-Josée Théorêt et de monsieur Julien Savoie, conseiller syndical, afin de tenter de diminuer les difficultés de la plaignante liées à l’exécution de son travail, et de préciser les attentes de l’employeur à son égard. Le compte-rendu écrit de la rencontre a été remis à la plaignante en date du 16 septembre 2010 (pièce E-11).

[246]     Dans le compte-rendu de la rencontre du 13 septembre 2010 (pièce E-11), les difficultés de la plaignante et les attentes de l’employeur à son égard ont été identifiées comme suit :

« Madame, le 13 septembre 2010, vous étiez rencontrée en présence de votre supérieur immédiat, monsieur Alain Barbeau, madame Marie-Josée Théorêt, chef de service des relations de travail et votre conseiller syndical, monsieur Julien Savoie. Le but de cette rencontre était :

·          Vous refléter l’ensemble des difficultés que vous rencontrez dans l’accomplissement de vos tâches ;

·          Vous nommer clairement nos attentes à l’effet d’améliorer et d’augmenter vos compétences et votre rendement afin de livrer les résultats attendus.

Nous vous avons rappelé les différentes demandes d’améliorations de vos compétences qui vous ont été communiquées par écrit . Le 7 octobre 2009, nous vous demandions d’apporter des améliorations afin de pouvoir réussir votre probation. Le 15 décembre 2009 votre probation est réussie, mais un plan de travail pour poursuivre l’amélioration de vos compétences sera nécessaire. Le 14 janvier 2010, un plan de travail avec  des objectifs précis à atteindre vous est proposé et vous y apposez votre signature.

L’ensemble des difficultés que vous rencontrez depuis 1 an sont :

·          La rédaction :

o    La qualité de la rédaction laisse à désirer ;

o    Fautes de français ;

o    Impertinence du contenu par rapport au titre de la rubrique ;

o    Phraséologie qui rend le sens parfois confus ou incompréhensible.

[…]

·          L’évaluation :

o    L’évaluation du risque est déficiente dans plusieurs dossiers ;

o    Dans l’analyse du risque suicidaire, il faut porter une attention particulière sur l’évaluation. Plusieurs de vos dossiers ne répondraient pas aux exigences d’un coroner.

[…]

·          L’orientation :

o    Offrir des services externes seulement alors qu’un soutien par une de nos équipes aurait été adéquat ;

o    Indécision et la présence d’incertitude de votre part dans l’orientation se manifestent même dans vos écrits ;

o    Impression que vous cherchez rapidement à orienter les clients vers les autres services ;

o    Vous prenez beaucoup de temps à consulter tous vos collègues, sur l’orientation à donner, sans arriver rapidement à vous décider.

[…]

·          Relation avec les membres de l’équipe :

o    Perte de confiance des collègues en vos capacités d’évaluation et d’orientation ;

o    Vos collègues ont manifesté des doutes sur les résultats de vos suivis individuels ;

o    L’incertitude constatée dans les dossiers écrits et sur le terrain occasionne des pertes de temps d’intervention, génère une certaine irritabilité chez vos collègues et réduit leur collaboration à votre égard.

[…]

Voici les attentes que nous vous avons signifiées :

·        Aucune méprise sur le sens de vos phrases dans votre rédaction des analyses de demandes de services ;

·        Aucune méprise sur le sens de vos phrases dans vos notes de suivi ;

·        Aucune erreur de pertinence des notes et commentaires par rapport au titre de rubrique du formulaire d’«Analyse sommaire» utilisé à l’accueil ;

·        Tous les formulaires doivent être complétés, sans rubrique vide, pour tous les formulaires utilisés dans le cadre de votre pratique à l’accueil ou à la crise ;

·        Aucune erreur ni aucun manquement dans l’estimation du risque suicidaire ou dans l’évaluation de la dangerosité d’un client, ou dans l’évaluation de sa vulnérabilité ;

·        Aucune erreur dans la pertinence des orientations que vous aurez données aux demandes de service des clients ;

·        Avoir démontré l’acquisition d’une pleine confiance personnelle dans l’acquisition des demandes de service ;

·        Avoir des clients pleinement satisfaits des suivis effectués et des services rendus ;

·        Regagner la confiance de vos collègues et référents de l’équipe santé mentale.

De plus, force nous est d’ajouter d’autres difficultés liées à l’exécution de votre travail dont nous ne vous avons pas fait état lors de notre rencontre du 13 septembre dernier. Nous avons été informés cette semaine qu’il manquait des notes significatives dans certains dossiers, certaines interventions de votre part n’étant pas notées. Également, il apparaît que dans un dossier particulier vous auriez omis de faire l’ouverture de celui-ci, n’ayant pris aucune note multi, planifié aucune prise en charge ni même ne l’avez assigné à un intervenant et ce, depuis la demande initiale en mars dernier.

Avec ces nouveaux éléments, nous ajoutons à nos attentes :

·          Donner suite aux demandes de services ;

·          Noter au dossier toutes vos interventions, prise en charge et assignation.

[…]

Nous comptons sur votre professionnalisme pour l’atteinte des objectifs fixés et cela, malgré le fait que le lien de confiance qui vous unit à l’établissement soit ébranlé. Vous avez été informée que vous deviez répondre aux exigences et attentes de base à l’égard des fonctions de travailleuse sociale .

Nous vous accordons un délai de deux (2) mois, soit jusqu’au 15 novembre 2010 pour nous démontrer votre capacité à répondre à nos attentes à défaut de quoi, des mesures administratives seront prises et affecteront vote lien d’emploi . » [notre soulignement, caractères gras dans l’original]

[247]     Le 27 septembre 2010, la plaignante est une fois de plus rencontrée par monsieur Barbeau, madame Théorêt et madame Martine Larivière, représentante syndicale, afin de faire le tour de chacun de ses dossiers et d’en évaluer le suivi. Le constat des dossiers à réviser quant à leur suivi ou la tenue de notes fut le suivant :

·        #14168 : les notes sont indéchiffrables, on vous demande alors d’apporter les correctifs requis ;

·    #34161 : beaucoup de démarches entreprises mais les dernières notes au dossier datent du 17 août 2010. Vous avez toutefois admis avoir manqué de rigueur dans la tenue des notes de suivi pour ce dossier et avez convenu qu’au 18 octobre les notes seraient à jour ;

·    #34315 : vous avez eu six (6) rencontres régulières avec ce client et la dernière note au dossier remonte au 16 août 2010 où vous avez inscrit : « je suis inquiète » sans rien de plus ;

·    #18873 : ce dossier vous est assigné depuis le 9 juillet 2010 et vous avez inscrit des notes au dossier uniquement pour les rencontres des 4 et 17 août 2010. Vous y avez noté un rendez-vous pour le 31 août 2010 mais aucune note ne se trouve au dossier ni de plan d’intervention. Vous nous avez dit avoir mis fin au suivi de ce client ;

·    #00778 : dans ce dossier, une plainte à votre égard a été formulée pour le motif que vous ne vous en étiez pas occupée. Vous nous avez confirmé avoir reçu cette plainte. Pourtant votre note du 22 juin 2010 porte à interprétation quant à ce sujet. En effet, pour «  un lecteur objectif  » il est difficile de saisir si vous référez à la cliente ou à sa mère. Bien que vous ayez admis avoir communiqué avec sa mère, vos notes à ce sujet ne sont pas complétées ;

·    #8942 : dans ce dossier vous orientez le client aux services «  santé mentale  » alors qu’une bonne évaluation aurait dû vous inciter à orienter ce dossier aux services de «  suivi psychosocial  » ;

[248]     Le 18 octobre 2010, une nouvelle rencontre de la plaignante a eu lieu, en présence de monsieur Barbeau, de madame Marie-Josée Théorêt et de monsieur Julien Savoie. Cette rencontre a également fait l’objet d’un compte-rendu écrit, daté du 9 novembre 2010 (pièce E-14), lequel a été remis à la plaignante.

[249]     Dans ce compte-rendu, les difficultés de la plaignante dans l’exécution de son travail et les attentes de l’employeur à cet égard ont été identifiées comme suit :

« Madame,

Le 18 octobre 2010, vous étiez rencontrée en présence de votre supérieur immédiat, monsieur Alain Barbeau, madame Marie-Josée Théorêt, chef de service des relations de travail et votre conseiller syndical, monsieur Julien Savoie. Le but de cette rencontre était de faire le point sur l’état de vos dossiers en lien avec nos attentes signifiées en date du 13 septembre 2010 .

  DOSSIER P000778 CB

·          Le 28 septembre 2010, en réunion d’équipe vous alléguiez à vos collègues en réunion d’équipe être débordée et c’est ce qui expliquait, à votre avis, vous avoir causé des difficultés lors du transfert de votre ce dossier. Pourtant, un mois plus tôt, les membres de l’équipe vous avaient offert de l’aide pour orienter vos interventions auprès de cette cliente, mais vous n’avez pas donné suite à cette offre.

·          Le 1 er octobre 2010 vous avez fait un téléphone à la cliente mais ce téléphone s’est avéré insatisfaisant. Entre autres, vous n’y identifiez pas les besoins de la cliente, ni le pourquoi de votre appel, vous ne lui offrez pas une rencontre d’éclaircissement alors qu’il y a eu plusieurs mois d’inactivité clinique dans ce dossier.

·          Le 4 octobre 2010, vous questionnez monsieur Barbeau, votre supérieur immédiat, à savoir s’il est convenable qu’une intervenante ait simultanément deux dossiers comme intervenante pivot. À cet égard monsieur Barbeau vous a rappelé que vous auriez pu demander le transfert bien avant qu’on ne constate votre négligence dans le traitement de ce dossier.

Notre conclusion pour le traitement de ce dossier est que vous avez manifesté clairement ce qu’on vous reproche  :

·          Un manque de rigueur ;

·          Un manque de compétence dans la capacité à saisir la problématique d’un client ;

·          Un manque de compétence dans la capacité à définir un plan de travail clinique adapté à la problématique particulière d’un client.

 

 

DOSSIER P0034315 VC

·          Vous tardez à référer ce dossier en suivi santé mentale, vous le faites seulement à la huitième rencontre.

·          La cliente a des tendances suicidaires depuis son jeune âge et cela vous a échappé, vous vous êtes plutôt centrée sur les aspects techniques et matériels de sa séparation.

·          Vous n’explorez pas les symptômes dépressifs ni les antécédents, ceci démontre que vous avez manifestement de la difficulté à avoir une vue d’ensemble d’une dynamique clinique chez une personne en situation de crise. Ceci reflète une carence inacceptable dans le cadre de vos fonctions d’intervenante en situation de crise .

·          Vos notes au dossier sont consignées à quinze (15) jours d’intervalles alors que la norme clinique exige que les notes soient écrites en dedans de cinq (5) jours.

DOSSIER P000018873 SG

[…]

Notre conclusion pour le traitement de ce dossier est que vous avez manifesté clairement ce qu’on vous reproche  :

·          Le contenu n’est pas du tout une exploration historique de la situation problématique ;

·          Vous ne saisissez pas la dynamique intérieure d’une personne ;

·          Vous concentrez vos actions sur les aspects périphériques des problèmes ;

·          Vous avez de la difficulté à définir un plan d’intervention qui va aider une personne à changer son mode réactionnel ;

Bien que la dernière intervention dans ce dossier ait été faite avant que nous vous signifions nos attentes dans le cadre de notre plan de redressement, nous avons cru bon de vous signifier ces difficultés majeures car elles reflètent bien votre incapacité à répondre aux exigences minimales des fonctions liées au poste de travailleuse sociale .

[…]

MANQUE DE RIGUEUR DANS LA TENUE DE DOSSIER

            […]

MANQUE D’APPROFONDISSEMENT DANS LES DEMANDES EN VUE DE DÉTERMINER UNE ORIENTATION ADÉQUATE

[…]

EN CONCLUSION SUR NOS ATTENTES :

Voici les attentes que nous vous avons signifiées le 13 septembre 2010  :

·          Aucune méprise sur le sens de vos phrases dans votre rédaction des analyses de demandes de services

o    Au moins une dans la demande 43112

[…]

·          Tous les formulaires doivent être compétés, sans rubrique vide, pour tous les formulaires utilisés dans le cadre de votre pratique à l’accueil ou à la crise

o    Des demandes de services normalisées ne sont pas évaluées (36410, 42889) ;

o    Vous n’avez pas complété le formulaire d’évaluation sommaire (36410, 42889) ;

o    Vous avez négligé de faire l’analyse complète de la situation clinique de la personne (43479, 43112) ;

o    Plusieurs demandes manquent de précisions même si les rubriques ne sont pas vides (43112, 43479, 43428).

·          Aucune erreur ni aucun manquement dans l’estimation du risque suicidaire ou dans l’évaluation de la dangerosité d’un client, ou dans l’évaluation de sa vulnérabilité

o    Dans plusieurs dossiers l’on constate que vous vous concentrez sur la résolution de problème d’organisation de vie de la personne alors que vous n’explorez pas suffisamment sa vulnérabilité psychologique (778, 34315, 18873)

·          Aucune erreur dans la pertinence des orientations que vous aurez données aux demandes de services des clients

o    Dans plusieurs dossiers l’on constate que votre manque de perspicacité clinique de la problématique sous-jacente du problème présenté vous amène à orienter les clients vers la solution périphérique que le client présente (778) ;

o    Ceci met en évidence votre manque de compétence pour voir l’ensemble de la problématique clinique d’un client et votre incapacité à analyser les aspects psychologiques d’une situation de crise (188873) ;

o    Vous cherchez à résoudre les problèmes matériels du client au lieu de l’aider à renforcer son moi (son moral) par rapport aux épreuves dénoncées (31312) ;

o    Ceci vous amène à orienter le client vers des tâches, des services externes, plutôt que vers des services cliniques internes (36410) ;

o    Plusieurs demandes ne sont pas suffisamment analysées pour justifier la pertinence de l’orientation (42889, 43303).

·          Avoir démontré l’acquisition d’une pleine confiance personnelle dans l’orientation des demandes de services

o    Dans au moins un des dossiers, vous tergiversez au point de faire preuve d’une grande négligence (778).

·          Regagner la confiance de vos collègues et référents de l’équipe santé mentale

o    Les plaintes continuent d’affluer, et nous vérifions le bien-fondé de chacune ;

o    Plaintes sur le manque d’informations pertinentes, à poursuivre le travail là où vous l’avez laissé (en date du 13 oct 2010) ;

o    Plainte sur le manque de rigueur de votre travail.

À la fin de la rencontre, nous vous avons fait part de notre constat : à ce jour, malgré les efforts que vous semblez faire pour répondre à nos attentes, vous n’arrivez pas à répondre à celles-ci .

Nous vous avons rappelé qu’il restait une période d’un mois avant la fin du processus de redressement et qu’ à défaut d’améliorer de manière significative la qualité de votre travail, nous serions dans l’obligation de mettre fin à votre lien d’emploi . » [nos soulignements]

[250]     Je rappelle que le compte-rendu de la rencontre du 18 octobre 2010 (pièce E-14) n’a été remis à la plaignante que le 9 novembre suivant, celle-ci s’étant absentée pour maladie à compter du 25 octobre, jusqu’au 7 novembre 2010.

[251]     Le 30 novembre 2010, une rencontre de suivi a été tenue avec la plaignante, monsieur Barbeau, madame Théorêt et le représentant du syndicat local. Au cours de cette rencontre, monsieur Barbeau a souligné la persistance des mêmes difficultés de la plaignante dans la gestion de ses dossiers, en faisant plus particulièrement référence à six dossiers et six demandes de service.

[252]     Enfin, le 3 décembre 2010, la plaignante a reçu une lettre de congédiement (pièce E-1) dans laquelle l’employeur rappelle la persistance de ses difficultés à atteindre les exigences professionnelles liées aux fonctions de travailleuse sociale, ainsi que le décès récent d’une cliente qui se trouvait sous sa responsabilité, éléments qui ne lui laissent d’autre choix que de procéder à son congédiement administratif :

« […] Or, le constat en date du 30 novembre de la persistance de vos difficultés à atteindre les standards professionnels exigés et le décès récent d’une cliente qui avait été placée sous votre responsabilité (#00778), lequel est survenu la fin de semaine du 27 novembre 2010 nous a obligé (sic) à revoir immédiatement notre plan d’intervention à votre égard. En effet, nous avions déjà soulevé des problématiques quant à votre suivi de cette cliente à la rencontre du 18 octobre, dont plusieurs lacunes majeures et inacceptables dans le traitement de ce dossier.

Bien que nous ne puissions pas vous attribuer la responsabilité directe de cet événement tragique, cette situation nous a confirmé dans l’évaluation que nous faisons de votre rendement d’un point de vue professionnel. Cet exercice nous a clairement démontré votre inaptitude à assumer adéquatement les responsabilités, aptitudes et exigences normales, rattachées à votre statut d’emploi .

[…]

Considérant que depuis votre embauche en date du 10 mai 2009, signifiant une courte période d’ancienneté, vous éprouvez de sérieuses difficultés à répondre adéquatement aux exigences normales du poste d’agente de relations humaines et que des mesures de support exhaustives ont été mises en place pour vus permettre d’améliorer votre rendement.

Considérant que depuis plus d’un an diverses plaintes provenant d’usagers ou de collègues ne cessent d’être portées à notre attention ;

 

Considérant que nous vous avons octroyé une période additionnelle de deux (2) mois pour vous permettre d’améliorer vos compétences et de répondre à nos attentes mais le tout sans résultat significatif  ;

 

Considérant que les analyses sérieuses et approfondies que nous avons effectuées à l’égard du traitement de vos dossiers et leurs suivis, n’ont fait qu’accroître notre conviction que vous aviez d’énormes lacunes au niveau de vos compétences et de votre jugement clinique, nous démontrant ainsi votre incapacité professionnelle à répondre adéquatement aux exigences de base requises pour votre travail  ;

 

[…] »

[253]     Concernant le décès de la cliente (778), monsieur Barbeau précisera, au cours de son témoignage, qu’il ne pouvait pas tenir la plaignante responsable de cet incident dramatique. Toutefois, il a rappelé qu’il y avait eu beaucoup de négligence de la part de la plaignante dans ce dossier, dont on lui avait fait mention depuis le début de sa supervision, et qu’il aurait été nécessaire que celle-ci procède à « faire des choses qui n’ont pas été faites ». Il a ajouté qu’à titre d’employée dans une équipe de crise, la plaignante devait évaluer la dangerosité des patients pour eux-mêmes ou pour autrui, et intervenir pour réduire la dangerosité. C’est cette acuité professionnelle et la capacité à saisir les indicateurs de dangerosité et d’urgence à intervenir qui étaient absents chez la plaignante et qui a amené l’employeur à rompre le lien d’emploi avec elle.

[254]     Compte tenu de la récurrence des lacunes identifiées dans l’exécution des tâches de la plaignante et du fait que celle-ci a été rencontrée à plus de sept reprises entre le 7 octobre 2009 et le 30 novembre 2010, afin de lui faire connaître les attentes de l’employeur à cet égard, j’estime que le critère de la connaissance des attentes de l’employeur par le salarié est ici rempli.

 

2- Le rendement du salarié était significativement insatisfaisant par rapport à celui des autres employés

[255]     Sur cet élément, je rappelle d’abord que dès le mois d’octobre 2009, la plaignante expliquait ses différents retards dans les suivis de dossiers par des difficultés occasionnelles avec son horaire de travail, qui entraînaient un manque de disponibilité pour le point de service de Grenville. Devant cette affirmation, l’employeur a convenu avec elle d’une façon de faire qui éviterait la répétition de ces retards, notamment en convenant que la plaignante ne prendrait pas plus de quatre suivis psychosociaux adultes simultanément. Par ailleurs, il a été convenu que la plaignante serait au travail pour 28 heures, même durant les semaines où il y avait un congé férié (pièce E-6).

[256]     Concernant cet aménagement des tâches de travail, la plaignante a admis que ses collègues étaient mécontents et ne comprenaient pas qu’elle puisse limiter ses dossiers à quatre suivis psychosociaux adultes à la fois, ceux-ci pouvant prendre beaucoup plus de cas simultanément.

[257]     Néanmoins, un an plus tard, les mêmes difficultés persistaient relativement aux suivis de dossiers. La plaignante, qui se disait débordée, a donc demandé à l’employeur, lors de la rencontre du 27 septembre 2010, s’il était possible qu’on lui accorde du temps supplémentaire de travail pour lui permettre de compléter ses notes aux dossiers. L’employeur a accepté cette demande en lui accordant sept heures de travail supplémentaires, ce qui implique qu’elle travaillerait dorénavant selon un horaire de 35 heures par semaine, alors qu’elle avait été embauchée pour un poste à temps partiel de 28 heures de travail par semaine uniquement (pièce E-1).

[258]     À cet égard, je rappelle que les collègues de la plaignante qui exerçaient des fonctions similaires détenaient des postes permanents à temps plein de 32 heures par semaine, ce qui signifie qu’à compter du 27 septembre 2010, la plaignante disposait de plus de temps pour effectuer ses tâches que les autres membres de l’équipe.

[259]     Malgré tout, madame Édith Veilleux a rapporté, lors de son témoignage, que la plaignante était toujours « en débordement ».  Par exemple, il lui est arrivé de prendre des messages dans la boîte vocale et de constater que celle-ci était pleine. Par ailleurs, bien que madame Veilleux ait reconnu avoir déjà aidé d’autres collègues de travail et qu’il était toujours utile d’aller « donner un coup de main », aucun de ses collègues ne requérait autant d’attention que la plaignante.

[260]     Madame Danielle Delorme a également mentionné qu’à partir de la fin de l’hiver, début du printemps 2010, l’atmosphère de travail était tendue et qu’il y avait de la frustration chez les collègues de travail de la plaignante, des colères, car « ils n’étaient pas contents de son travail », notamment quant à son rythme de travail.

[261]     Madame Nathalie Chevalier a pour sa part rapporté avoir eu à intervenir à certaines occasions pour constater des manquements dans le travail de la plaignante. Dans ce contexte, elle a parfois eu à travailler avec quelques-uns des clients de celle-ci. Par exemple, dans le dossier 19164, les notes de la plaignante n’étaient pas à jour et c’est madame Chevalier elle-même qui a dû écrire la version du client dans le dossier.

[262]     De plus, au cours de son témoignage, madame Nathalie Houde a mentionné que la plaignante avait demandé, lors d’une réunion d’équipe, à ce que le dossier 778 lui soit transféré parce qu’elle ne se sentait pas capable d’en assumer la responsabilité. Madame Houde a affirmé qu’elle n’était pas d’accord avec la plaignante à ce sujet, affirmant que celle-ci devait assumer la responsabilité de ce dossier qui lui revenait dans le cadre de ses tâches normales de travail. Selon madame Houde, il est tout à fait normal qu’une personne ne se sente pas à l’aise dans un dossier, mais dans ce cas elle ne doit pas s’isoler mais plutôt aller chercher de l’aide des collègues, ce que la plaignante ne faisait plus. Au contraire, selon madame Houde, la plaignante s’isolait de plus en plus et ne parlait pratiquement plus de ses dossiers lors des réunions d’équipe qui avaient justement pour but de partager l’information qui devait circuler entre collègues.

[263]     À cet égard, monsieur Barbeau a admis, lors de son témoignage, que le dossier 778 était complexe. Il a toutefois précisé qu’il s’en présentait quatre ou cinq du même niveau de complexité par année, et que les membres de l’équipe les traitaient sans difficulté particulière.

[264]     J e retiens par ailleurs l’admission de la plaignante à l’effet qu’elle n’était pas à l’aise d’être responsable du dossier 778 et avait demandé à ce qu’on l’en décharge, celui-ci étant trop complexe pour elle et au-delà de ses compétences.

[265]     Monsieur Jean-Pierre Lussier a pour sa part affirmé, lors de son témoignage, que la plaignante avait du retard dans la rédaction de ses dossiers et que l’analyse était plus problématique pour elle. Selon lui, un employé de garde devait planifier et se donner les moyens de procéder à la rédaction de notes au dossier dans les 24 heures, pour éviter que les retards s’accumulent. C’était d’ailleurs le délai alloué chez l’employeur. Il a néanmoins précisé à cet égard que l’Ordre des travailleurs sociaux suggérait l’équivalent de 72 heures, ou trois jours ouvrables, pour compléter la rédaction de notes dans un dossier.

[266]     Monsieur Lussier a par ailleurs précisé qu’il y avait eu une amélioration évidente durant la période où madame Delorme aidait la plaignante dans la rédaction de ses demandes de services. Cependant, monsieur Barbeau a ajouté que malgré l’amélioration dans la forme des demandes, les lacunes persistaient quant au fond.

[267]     Je retiens de la preuve présentée que malgré certains aménagements de l’horaire de travail consentis par l’employeur à la plaignante pour lui permettre de faire face à ses problèmes de retards dans le suivi des dossiers et dans sa gestion du temps, ceux-ci ont persisté tout au long de son lien d’emploi avec l’employeur.

[268]     Je rappelle par ailleurs que la preuve a révélé que par souci d’équité pour l’ensemble des intervenants de l’équipe, monsieur Barbeau avait procédé à une vérification des charges de travail de chacun et en était venu à la conclusion que la plaignante n’avait en moyenne pas plus de dossiers sous sa responsabilité que ses collègues (pièce E-14), alors qu’elle avait plus de temps pour accomplir ses tâches, à partir du 27 septembre 2010.

[269]     Ces divers éléments m’incitent à conclure que pour la même charge de travail, la plaignante était incapable d’accomplir ses tâches à l’intérieur de l’horaire de travail établi, alors que ses collègues étaient tous en mesure de le faire en moins de temps, sans compter qu’en plus de leur propre charge de travail, ils ont souvent dû venir en aide ou conseiller la plaignante.

[270]     Par conséquent, je suis d’avis que le critère du rendement significativement insatisfaisant par rapport à celui des autres employés est rempli.

3- Le salarié doit avoir été avisé que son rendement était insatisfaisant

[271]     Sur ce critère, il suffit de rappeler qu’entre le 7 octobre 2009 et le 30 novembre 2010, la plaignante a été rencontrée à plus de sept reprises par l’employeur, afin de porter à son attention les lacunes constatées dans l’exercice de ses fonctions. À chaque fois, les attentes de son employeur ont été clairement identifiées et des mesures ont été mises en place afin de lui permettre d’améliorer son rendement et d’en faire le suivi. À ce sujet, je réfère aux éléments de preuve rapportés au point 1- Le salarié doit connaître les attentes de son employeur .

[272]     Par conséquent, j’estime que le critère de l’avis au salarié à l’effet que son rendement est insatisfaisant est rempli en l’espèce.

4- Le salarié doit avoir bénéficié de l’aide et du soutien nécessaires afin de corriger la situation

[273]     Le 7 octobre 2009, la plaignante était rencontrée par monsieur Barbeau, afin de lui faire part d’observations et de commentaires sur la qualité de son travail en vue de prendre une décision sur sa période de probation (pièce E-6).

[274]     Après lui avoir mentionné les qualités qu’il retrouvait chez elle et qu’il jugeait nécessaires, il a informé la plaignante des lacunes constatées dans son travail et de la nécessité d’y apporter des améliorations avant le 10 novembre 2009, afin de pouvoir réussir sa probation.

[275]     Pour lui permettre d’améliorer son rendement, l’employeur a, lors de cette rencontre, mis en place les mesures suivantes :

1- A convenu que la plaignante ne prendrait pas plus de quatre suivis psychosociaux adultes simultanément, afin d’éviter la répétition des retards constatés dans le suivi de ses dossiers ;

2- A convenu que la plaignante travaillerait 28 heures, même dans les semaines où il y un congé férié ;

3- A autorisé la plaignante à demander l’aide d’un(e) collègue de travail ;

4- A planifié des rencontres hebdomadaires afin de superviser les activités cliniques de la plaignante et ses tâches afférentes.

[276]     Bien que la plaignante ait reçu une évaluation positive ayant mené à la réussite de sa période de probation, plusieurs des lacunes identifiées ont persisté au-delà du mois de décembre, et de nouvelles plaintes concernant le travail de la plaignante ont été reçues dès le mois de janvier 2010.

[277]     Face à cette situation, l’employeur a élaboré un plan de travail qu’il lui a soumis le 14 janvier 2010 (pièce E-9). Dans ce plan de travail, l’employeur identifiait, pour chacune des faiblesses constatées :

1-   Les actions à prendre pour la corriger ;

2-   Les mesures de contrôle du rendement de la plaignante ;

3-   Les attentes de l’employeur relatives à la faiblesse identifiée ;

4-   Les délais à l’intérieur duquel une amélioration de la faiblesse devait être constatée.

[278]     Dans le plan de travail (pièce E-9), l’employeur a plus particulièrement prévu les mesures de soutien suivantes :

1-   Des rencontres hebdomadaires de supervision avec madame Danielle Delorme ;

2-   Des rencontres hebdomadaires avec monsieur Barbeau, afin d’examiner l’emploi du temps et de discuter de la hiérarchisation des priorités de la plaignante, qui a de la difficulté dans la gestion de son temps ;

3-   L’examen hebdomadaire des demandes de services, des orientations de clients, des suivis de dossiers, des plans d’intervention de la plaignante, ainsi que de la fermeture de ses dossiers.

[279]     Concernant la supervision de la plaignante par madame Danielle Delorme, celle-ci a précisé, lors de son témoignage, qu’il s’agissait plutôt d’un rôle de soutien clinique visant à aider la plaignante dans ses questionnements cliniques et à l’accompagner dans la rédaction de ses demandes de services, afin de l’amener à se bâtir une grille d’analyse clinique qui lui servirait dans l’exercice de ses fonctions. Madame Delorme et la plaignante ont convenu de se rencontrer une fois par semaine, pour une durée d’environ une heure à chaque fois. Au total, 12 rencontres ont eu lieu (pièce E-16). Par la suite, il était toujours loisible à la plaignante de consulter ponctuellement madame Delorme en cas de besoin.

[280]     Malgré les échéanciers fixés dans le plan de travail (pièce E-9) pour apporter les améliorations souhaitées, la plaignante fait toujours l’objet de plaintes de la part de ses collègues après le 14 avril 2010. Elle a donc été rencontrée les 13 août, 13 septembre et 27 septembre 2010, afin de porter à son attention les lacunes qui persistaient toujours dans l’exécution de son travail, des attentes de l’employeur à cet égard, et afin de l’aviser qu’en l’absence d’amélioration significative, son lien d’emploi était compromis.

[281]     Lors de la rencontre du 13 septembre 2010 (pièce E-11), il a été convenu que deux rencontres de suivi allaient avoir lieu entre la plaignante et monsieur Barbeau, et deux autres auxquelles assisteraient également madame Théorêt et monsieur Savoie, afin de bien suivre l’évolution de la plaignante dans l’atteinte des objectifs de rendement fixés.

[282]     Par ailleurs, lors de la rencontre du 27 septembre 2010, l’employeur a accordé à la plaignante, afin de l’aider à compléter toutes ses notes aux dossiers, sept heures de temps de travail supplémentaire par semaine, donc l’a autorisée à travailler 35 heures par semaine plutôt que les 28 heures prévues pour son poste qui était à temps partiel.

[283]     Enfin, madame Nathalie Houde a témoigné à l’effet que l’employeur lui avait demandé d’agir en support à la plaignante dans le dossier 778, qui était un dossier très complexe sous la responsabilité de la plaignante et dont celle-ci ne se sentait pas à l’aise d’assumer la charge.

[284]     En l’espèce, j’estime que l’employeur a mis en place de nombreuses mesures d’aide, de support et de soutien à la plaignante, afin de lui permettre de corriger les lacunes et faiblesses identifiées dans l’exécution de son travail et de rencontrer les attentes de l’employeur à cet égard, attentes qui ont par ailleurs été clairement identifiées et portées à son attention à plusieurs reprises.

[285]     À ce sujet, je suis d’accord avec la position de l’arbitre Me Denis Provençal, exprimée dans l’affaire Syndicat des travailleurs(euses) du CSSSL (CSN) et Centre de santé et de services sociaux de Laval , 2011 CanLII 49712 (T.A.), à l’effet qu’à un certain point, l’employeur ne peut rien faire de plus :

« [121] Je suis d’avis que l’employeur n’avait d’autre choix que de constater que la plaignante était incapable d’occuper les fonctions d’agent administratif classe 3 au Centre. L’employeur a donné toutes les chances à la plaignante de démontrer qu’elle possédait les qualifications nécessaires pour occuper son poste et qu’elle mettait en œuvre tous les moyens pour progresser et être autonome dans son travail. La plaignante a aussi bénéficié de l’aide de ses collègues de travail, mais sans résultat. La plaignante persiste dans son attitude à faire preuve de familiarité et d’impatience avec la clientèle du Centre. Elle semble incapable d’élever son niveau de langage, du moins, lorsqu’elle est en fonction. Bref, je ne vois pas ce que l’employeur aurait pu faire de plus pour la plaignante . Ce n’est pas une terminaison d’emploi mixte, soit administrative et disciplinaire, mais administrative uniquement. » [notre soulignement]

[286]     Compte tenu des nombreuses mesures d’aide et de soutien mises en place par l’employeur et de l’absence de résultat significatif, je suis d’avis que dans le présent dossier l’employeur, à l’instar de celui de l’affaire précitée, ne pouvait rien faire de plus pour la plaignante. Par conséquent, le critère selon lequel le salarié doit avoir bénéficié de l’aide et du soutien nécessaire afin de corriger la situation problématique est rempli.

[287]     J’ajouterais à cet égard que même si l’employeur n’a pas réussi à établir de façon prépondérante le contenu et la pertinence de certaines des formations mentionnées dans le compte-rendu de rencontre daté du 16 septembre 2010 (pièce E-11), plus particulièrement quant à la formation du Centre Soleil Levant, la vision-conférence (1 ou 2), la formation Oméga et la formation sur les mesures d’urgence sécurité civile, je suis d’avis que les mesures mises en place, telles que rapportées ci-haut, suffisent à rencontrer le critère de l’aide et du soutien nécessaire offerts au salarié afin de lui permettre de corriger la situation.

5- Le salarié doit avoir été prévenu des conséquences d’une absence d’amélioration sur la relation d’emploi

[288]     Le 13 août 2010, monsieur Barbeau a rencontré la plaignante afin de porter à sa connaissance la persistance des lacunes dans l’exécution de son travail, ainsi que les attentes de l’employeur à cet égard.

[289]     Lors de cette rencontre, la plaignante a également été avisée verbalement qu’à défaut d’amélioration de sa part, la situation pourrait mener à un congédiement.

[290]     Un mois plus tard, soit le 13 septembre 2010, la plaignante est de nouveau rencontrée concernant les lacunes dans l’exécution de son travail et les attentes de l’employeur. Cette fois, l’employeur l’avise par écrit qu’à défaut d’amélioration dans un délai de deux mois, son lien d’emploi était compromis (pièce E-11) :

« […]

Nous comptons sur votre professionnalisme pour l’atteinte des objectifs fixés et cela, malgré le fait que le lien de confiance qui vous unit à l’établissement soit ébranlé. Vous avez été informée que vous deviez répondre aux exigences et attentes de base à l’égard des fonctions de travailleuse sociale.

Nous vous accordons un délai de deux (2) mois, soit jusqu’au 15 novembre 2010 pour nous démontrer votre capacité à répondre à nos attentes à défaut de quoi, des mesures administratives seront prises et affecteront votre lien d’emploi. »

[291]     De nouveau après un mois, soit le 18 octobre 2010, la plaignante est rencontrée concernant la persistance des lacunes dans l’exécution de son travail et les attentes de l’employeur. On lui rappelle également qu’il ne lui reste qu’un mois pour démontrer qu’elle peut satisfaire aux exigences de son poste, sans quoi elle sera congédiée (pièce E-14) :

« […]

À la fin de la rencontre, nous vous avons fait part de notre constat : à ce jour, malgré les efforts que vous semblez faire pour répondre à nos attentes, vous n’arrivez pas à répondre à celles-ci.

Nous vous avons rappelé qu’il restait une période d’un mois avant la fin du processus de redressement et qu’à défaut d’améliorer de manière significative la qualité de votre travail, nous serions dans l’obligation de mettre fin à votre lien d’emploi. »

[292]     Compte tenu du fait que l’employeur a avisé la plaignante à trois reprises qu’à défaut d’amélioration de sa part, son lien d’emploi était compromis, et de la rédaction très claire de cette mise en garde dans les comptes-rendus datés des 16 septembre et 9 novembre 2010 (pièces E-11 et E-14), qui ne comporte aucune ambiguïté à cet égard, j’estime que le critère selon lequel le salarié doit avoir été prévenu des conséquences d’une absence d’amélioration sur la relation d’emploi est rempli en l’espèce.

6- La décision de l’employeur doit avoir été prise de bonne foi

[293]     Je retiens d’abord de la preuve présentée que bien que monsieur Barbeau ait rencontré la plaignante à plusieurs reprises concernant les lacunes et faiblesses identifiées dans l’exécution de ses fonctions, celui-ci a également reconnu les qualités de la plaignante et les efforts qu’elle mettait à tenter de rencontrer les attentes de l’employeur.

[294]     Ainsi, dans la lettre datée du 7 octobre 2009 (pièce E-6), il mentionne ce qui suit :

« […] Nous vous avons fait part d’observations et de commentaires sur la qualité de votre travail en vue de prendre une décision sur votre probation.

Nous vous avons mentionné un certain nombre de qualités que nous considérons nécessaires :

Ainsi vous êtes très attentive à la clientèle, vous avez une approche-client respectueuse, et vous manifestez un grand souci de satisfaire les demandes de service.

Vous vous êtes aussi montrée assidue et vous avez fait preuve d’une grande disponibilité, peu importe l’horaire exigé. »

[295]     De même, dans les comptes-rendus datés des 16 septembre et 9 novembre 2010 (pièces E-11 et E-14), il est mentionné que : « Monsieur Barbeau est conscient que vous faites votre possible » et « malgré les efforts que vous semblez faire pour répondre à nos attentes, vous n’arrivez pas à répondre à celles-ci ».

[296]     Cette reconnaissance de la part du supérieur de la plaignante vient, selon moi, contredire toute allégation d’acharnement à son égard. D’ailleurs, madame Théorêt précisera, lors de son témoignage, que monsieur Barbeau voulait que la plaignante s’améliore et qu’«  il trouvait difficile d’embarquer dans des démarches formelles … surtout pour les conséquences  ». Selon madame Théorêt, «  monsieur Barbeau était rébarbatif… il trouvait ça difficile … surtout le risque de congédiement  ». Cela faisait un an qu’il essayait de supporter la plaignante avec des objectifs et qu’il n’obtenait pas de résultat.

[297]     Par ailleurs, monsieur Barbeau a mentionné, lors de son témoignage, qu’il avait pris bien soin de s’assurer que la plaignante n’était pas une victime dans le groupe de travail, en vérifiant personnellement chacune des allégations portées contre elle. Au début, il analysait même les critiques formulées par les collègues avec eux et les confrontait pour voir si elles étaient fondées ou pas. Il a ajouté que très souvent, son opinion était différente de celle des collègues de la plaignante et il leur rappelait alors qu’ils devaient faire un effort d’intégration et de collaboration, ce qui les a parfois fait changer d’idée. Cependant, devant la persistance des plaintes concernant le travail de la plaignante, il a cessé cet exercice.

[298]     Je retiens également de la preuve présentée que le milieu de travail dans lequel évoluait la plaignante n’était pas facile, et que madame Delorme elle-même avait quitté l’équipe parce qu’elle ne s’y sentait pas à l’aise. Cependant, madame Delorme a pris soin d’ajouter qu’il n’était pas difficile pour elle de soutenir la plaignante, parce qu’elle n’avait pas le même rôle que ses collègues et n’avait pas à partager le travail de la plaignante, qui avait de la difficulté à démontrer un esprit de synthèse dans l’accomplissement de ses tâches.

[299]     De plus, bien que monsieur Lussier ait mentionné, lors de son témoignage, qu’il y avait une forme d’acharnement de l’équipe envers la plaignante, que celle-ci était en quelque sorte devenue « la bouc émissaire de l’équipe », il a dû reconnaître que la plaignante avait de la difficulté à gérer son stress, qu’il y avait du retard dans la rédaction de ses dossiers et dans ses demandes de services, et que l’analyse était plus problématique pour elle.

[300]     La preuve a en outre révélé que la plaignante faisait du « magasinage     d’opinions » et que cela créait des frustrations chez ses collègues, qui en avaient assez de se faire déranger. Madame Carole Labrie a d’ailleurs témoigné à l’effet que vers le mois de décembre 2009, « la fréquence de consultation de la plaignante était trop pénible ». Selon madame Labrie, la plaignante la consultait de deux à trois fois par jour, même si elle n’était pas travailleuse sociale.

[301]     Enfin, madame Nathalie Houde a témoigné à l’effet que c’était la plaignante qui, à un certain moment, s’était isolée du groupe, ce que celle-ci a d’ailleurs admis.

[302]     Je retiens de tous ces éléments que ce n’est pas l’environnement de travail qui a nui à l’exécution adéquate des tâches par la plaignante, mais que c’est plutôt les faiblesses et les lacunes de celle-ci qui ont rendu le climat de travail encore plus difficile.

[303]     En effet, ces faiblesses occasionnaient une surcharge de travail pour les collègues de la plaignante, sans compter que ceux-ci pouvaient difficilement travailler avec les dossiers dont la plaignante avait la charge, notamment en raison des carences importantes de celle-ci dans le suivi des dossiers et la rédaction de notes significatives.

[304]     Bref, alors que la nature du travail à l’Accueil-Crise nécessitait la collaboration de toute l’équipe, il était devenu impossible, pour les collègues de la plaignante, de lui faire confiance.

[305]     Devant l’incapacité de la plaignante à rencontrer les exigences reliées à son poste de travail et à corriger les lacunes qui persistaient malgré la mise en place de mesures d’aide et de soutien, l’employeur a dû envisager de procéder à son congédiement administratif.

[306]     Madame Théorêt, au cours de son témoignage, a bien résumé la démarche suivie par l’employeur dans ce dossier.

[307]      Selon madame Théorêt, «  cela faisait plus de six mois depuis son embauche qu’on lui amenait des choses à améliorer, elle voulait s’améliorer, mais elle ne semblait pas pouvoir le faire  ». Dans les circonstances, l’employeur a décidé d’emprunter la voie administrative plutôt que disciplinaire avec la plaignante. Il a donc été décidé de faire le point avec elle, pour lui soumettre un plan de redressement et lui souligner les conséquences si elle ne s’améliorait pas. Il y a eu une rencontre le 15 juin 2010 pour lui soumettre le plan de redressement.

[308]      Selon madame Théorêt, l’employeur devait s’assurer que la plaignante connaissait bien ses difficultés, et que ses lacunes lui avaient été clairement expliquées, en soulignant ce qui n’allait pas. L’employeur devait aussi lui signifier clairement ses attentes, et ce qu’elle devait améliorer devait être clair et sans ambiguïté. Il était également nécessaire de lui donner un délai raisonnable pour apporter les améliorations et s’assurer de lui donner tout le support requis, la formation nécessaire pour s’améliorer. Enfin, l’employeur devait informer la plaignante qu’elle risquait un congédiement administratif si elle n’atteignait pas les objectifs de l’employeur.

[309]      Il a été convenu que monsieur Barbeau rencontrerait la plaignante au retour de ses vacances le 13 août 2010. Madame Théorêt n’était pas présente à cette rencontre, car compte tenu du risque de fin d’emploi, monsieur Barbeau lui avait demandé de rencontrer la plaignante seul, pour lui faire part du processus formel. Monsieur Barbeau a donc rencontré la plaignante seul, puis a mentionné à madame Théorêt que celle-ci prendrait deux semaines pour réfléchir à la question de savoir «  si elle reste ou si elle quitte  ». Elle a donné sa réponse à son retour de vacances, vers le 21 août 2010. Elle avait décidé de rester en emploi et elle était prête à entamer le plan de redressement avec lui.

[310]      Une rencontre a donc été convoquée avec le syndicat le 13 septembre 2010 (pièce E-11) pour expliquer clairement à la plaignante ses lacunes au travail et ce qu’elle devait améliorer. On a par ailleurs indiqué à la plaignante le support qui lui serait fourni durant le plan de développement. Au cours de cette rencontre, la plaignante avait été avisée que si elle ne s’améliorait pas, il y avait un risque de congédiement administratif (pièce E-11, à la page 4). Selon madame Théorêt, la plaignante a posé des questions et disait comprendre les attentes de l’employeur. «  Elle était volontaire à s’améliorer et n’avait aucune réticence à ce qui était proposé . » Un échéancier a été fixé (pièce E-11, à la page 4). L’employeur accordait un délai de deux mois à la plaignante pour s’améliorer.

[311]      La plaignante a de nouveau été rencontrée 18 octobre 2010, et l’employeur l’a alors référée à des dossiers spécifiques. Madame Théorêt a affirmé qu’elle n’évaluait pas le contenu des dossiers, mais plutôt certaines lacunes, telles des notes manquantes au dossier de façon évidente. Au cours de cette rencontre, la plaignante a pu s’expliquer, et elle a même fait retirer un dossier de l’évaluation parce qu’elle l’avait bien complété.

[312]      La rencontre du 18 octobre 2010 a été consignée dans une lettre qui a été remise à la plaignante en date du 9 novembre 2010 (pièce E-14), parce que celle-ci a été absente du travail, en assurance salaire, à compter du 25 octobre et ce, jusqu’au 7 novembre 2010. Il a donc été convenu de refaire le calendrier des prochaines rencontres de suivi, pour tenir compte de l’absence de la plaignante.

[313]     Or, le suicide d’un usager à la fin du mois de novembre a précipité les événements (dossier 778). Madame Théorêt a insisté pour souligner «  qu’on n’attribuait pas du tout ça à une erreur de la plaignante  ». Cependant, on avait constaté d’importantes lacunes qui persistaient dans le suivi de ce dossier, dans la rédaction des notes et dans la tenue du dossier de l’usager, qui étaient attribuables à la plaignante. Dans cette perspective, l’employeur lui a remis un avis de terminaison administrative d’emploi. Madame Théorêt a ajouté qu’il s’agissait d’une situation difficile, parce que la plaignante voulait vraiment s’améliorer, elle n’avait pas un caractère rebelle.

[314]     Madame Delorme a également témoigné à l’effet que la plaignante collaborait bien lors de leurs rencontres, qu’elle était ouverte à la critique, consciente de ses lacunes et « très collaborante ».

[315]     Ce n’est donc pas l’attitude de la plaignante qui posait problème ici, mais bien son incompétence, qui a été définie par les auteurs Bernier, Blanchet, Granosik et Séguin, dans leur ouvrage Les mesures disciplinaires et non disciplinaires dans les rapports collectifs du travail , précité, 2009, m. à j. 1 er juillet 2013, à la page III/4-53, au paragraphe 4.025, comme étant « un manquement indépendant de la volonté du salarié qui affecte sa capacité de fournir une prestation normale de travail ».

[316]     Or, dans un contexte où la plaignante devait travailler avec une clientèle extrêmement vulnérable, l’employeur ne pouvait laisser en poste une personne qui n’avait pas les compétences ni les capacités requises pour répondre à une situation de crise. Il a d’ailleurs fait mention de cet aspect dans le compte-rendu daté du 16 septembre 2010 (pièce E-11) :

« […] Considérant la clientèle très vulnérable qui reçoit les services de l’accueil-crise, aucune erreur dans la pertinence de l’orientation n’est acceptable.

Les usagers se fient sur la personne professionnelle qui les accueille. Dans certains établissements du réseau, nous vous exposons un exemple, le coroner est catégorique sur l’obligation de l’établissement de santé à bien évaluer le niveau de risque, orienter dans les services adéquats et s’assurer du suivi des usagers. Monsieur Barbeau vous informe qu’il a reçu des plaintes de la part d’usagers et aussi de la part de vos collègues. »

[317]     Dans son témoignage, monsieur Barbeau a par ailleurs insisté pour souligner que l’analyse, effectuée par madame Gallant, de la qualité des évaluations faites par la plaignante (pièce E-10) l’avait amené à conclure à une marge d’erreur de 24 % dans l’évaluation du risque de dangerosité d’un client, et de 21 % dans les orientations des clients vers les services appropriés.

[318]     Or, le rôle principal de la personne à l’Accueil-Crise est d’évaluer le risque. Par conséquent, la marge d’erreur de la plaignante, qui revient à une erreur par quatre cas, est beaucoup trop élevée dans un contexte où il s’agit d’évaluer des personnes qui sont en crise suicidaire ou homo suicidaire, et qui sont à risque pour elles-mêmes ou pour autrui. En raison de la nature de ses fonctions, la marge d’erreurs de la plaignante est énorme et inacceptable, selon monsieur Barbeau.

[319]     Compte tenu de la démarche suivie par l’employeur dans le traitement du présent dossier et de la preuve de l’incompétence de la plaignante à assumer les fonctions liées à son poste, malgré les mesures d’aide et de soutien mises en place, je suis d’avis que le critère de la bonne foi de l’employeur est ici rempli.

Conclusion sur la justesse du congédiement administratif de la plaignante

[320]     L’application des six critères d’analyse de la justesse d’une mesure administrative aux faits de l’espèce m’amène à conclure que dans le présent dossier, l’employeur a rempli le fardeau qui lui incombait de démontrer que les motifs allégués au soutien du congédiement administratif de la plaignante existent et sont réels.

[321]     En effet, il a été établi de façon prépondérante que la plaignante n’avait pas les compétences nécessaires pour remplir les exigences de base du poste occupé, ni la capacité de corriger ses lacunes, bien qu’elle ait déployé des efforts pour y parvenir et que l’employeur ait mis en place différentes mesures pour l’aider à s’améliorer.

[322]     À cet égard, je partage le point de vue exprimé par l’arbitre Me Gabriel-M. Côté, dans l’affaire Syndicat des employés et employées du Centre hospitalier Robert Giffard et annexes et Centre hospitalier Robert Giffard , T.A. 2000A-184 (telle que rapportée dans l’affaire Centre jeunesse de Montréal et Syndicat des travailleuses et travailleurs du Centre jeunesse de Montréal (Personnel clinique) (CSN) , précitée), dans laquelle il mentionne que la personne salariée doit répondre aux exigences de base du poste pour pouvoir être gardée à l’emploi :

« Il est de jurisprudence constante - le tribunal n’a pas, croit-il, à citer ici de jurisprudence, tellement la règle est bien connue - que la personne salariée ne peut exiger une période de formation afin d’acquérir les connaissances requises par le poste. En outre, la personne salariée doit répondre préalablement aux exigences de base dudit poste avant de pouvoir réclamer le bénéfice d’une période d’essai […].

[…]

[…] Mais pour être choisie, la personne salariée doit pouvoir satisfaire aux exigences normales de la tâche. Sa compétence doit être réelle, être actuelle, elle doit exister comme état de fait, au moment même de l’octroi du poste, préalablement, tel que déjà dit, à toute période d’initiation et d’essai. Bref, ce n’est pas le potentiel (une compétence qui pourrait se développer par un entraînement ou un apprentissage) qui est pris en considération, mais la compétence, encore une fois, réelle. »

[323]     Par ailleurs, je crois pertinent de rapporter les conclusions de l’arbitre Me Nathalie Faucher, dans l’affaire CSSS du Nord de Lanaudière , précitée,  concernant l’incompétence d’une personne salariée à agir à titre de travailleuse sociale, poste comparable à celui de la plaignante en l’espèce, dont les lacunes ressemblent également à celle constatées dans le dossier présentement sous étude :

« [286] L’analyse des motifs invoqués pour mettre fin à l’emploi de Mme Rose amène le tribunal à conclure qu’il ne s’agit pas d’une mesure disciplinaire mais plutôt d’une mesure administrative. En effet, il ressort de la lettre de terminaison d’emploi que l’essence des reproches porte sur l’incapacité de la plaignante à effectuer son travail que ce soit tant au niveau de l’évaluation des clients, de leurs situations et des risques pour leur sécurité qu’au niveau de l’identification de leurs besoins et de l’élaboration et du suivi de plans d’intervention psychosociale. Il lui reproche également son incapacité à passer à l’action et à poser des gestes de nature à favoriser la protection et le mieux être de la clientèle. De l’avis de la soussignée, cette insuffisance professionnelle ne résulte pas de la négligence, ni de l’insouciance de la plaignante mais revêt plutôt un caractère involontaire.

[…]

[292] Après analyse de la preuve, l’arbitre soussignée considère que l’employeur a bel et bien fait la preuve des nombreuses lacunes et insuffisances professionnelles de la plaignante. Tous les experts, incluant l’expert syndical, ont fait le constat qu’il existait des déficiences tant au niveau de l’analyse, de l’évaluation que de l’intervention. Le constat est pour le moins sévère : absence complète d’analyse, manque de jugement, absence d’évaluation, absence d’opinion professionnelle, absence de plan d’intervention, absence d’action, absence d’autonomie professionnelle, cueillette incessante d’informations. Au surplus, les notes évolutives sont incomplètes, voire même erronées dans certains cas, comportant moult mentions inutiles et des informations nominatives concernant des tiers en plus d’être très souvent en retard. Ces lacunes ont eu pour résultat de priver une clientèle vulnérable de services auxquels ils avaient droit en plus de maintenir des personnes dans des situations à risque. Il est certain que certaines interventions de Mme Rose étaient adéquates et appropriées. Toutefois, ce qui se dégage de l’ensemble des dossiers soumis à notre attention est que les actes professionnels accomplis par Mme Rose dans le cadre de son travail contreviennent à plusieurs des valeurs, principes et finalités définis dans le Référentiel des compétences des travailleurs sociaux . De toute évidence, celle-ci éprouve des difficultés à effectuer une évaluation psychosociale, à planifier une intervention sociale et à réaliser une intervention sociale. Elle éprouve également des difficultés à mettre l’usager au centre de sa démarche. »

[324]     La question qu’il faut se poser en l’espèce consiste à savoir si, compte tenu de ses compétences et du support fourni par l’employeur, la plaignante avait la capacité d’assumer les tâches requises par sa fonction d’agente de relations humaines et d’ainsi assurer la sécurité et le suivi de la clientèle vulnérable qui consultait à l’Accueil-Crise. En d’autres termes, la plaignante avait-t-elle la capacité, la compétence et les autres qualités nécessaires pour être maintenue dans son poste ?

[325]     Compte tenu de l’ensemble de la preuve présentée devant moi, je dois répondre par la négative.

[326]     Dans un tel contexte, l’employeur avait le droit, en vertu de ses pouvoirs généraux de gestion qui visent à restaurer l’efficacité et l’efficience au sein de son organisation, de procéder au congédiement administratif de la plaignante, dans la mesure où cette décision n’était pas abusive, discriminatoire ou arbitraire.

[327]     À cet égard, je réfère à la définition de ces concepts donnée par les auteurs Bernier, Blanchet, Granosik et Séguin, dans leur ouvrage Les mesures disciplinaires et non disciplinaires dans les rapports collectifs du travail (tel que rapporté dans l’affaire CSSS des Aurores-Boréales , précitée) :

« [178] […]

« … Il y a situation abusive lorsque l’employeur agit de mauvaise foi, c’est-à-dire sans aucune justification sur le plan opérationnel au regard de son entreprise. Il y a situation discriminatoire lorsque la mesure non disciplinaire de l’employeur vise en réalité des fins illégales reliées à un motif de discrimination interdite. Enfin, une décision déraisonnable ferait appel aux critères d’un employeur « compétent qui agit avec bon sens et dans le respect de l’équité », qui n’aurait pas pris la même décision dans les circonstances. »

[328]     Je suis d’avis qu’en l’espèce, la partie syndicale ne s’est pas déchargée de son fardeau de démontrer que la décision de procéder au congédiement administratif de la plaignante avait été prise de mauvaise foi par l’employeur, pour des motifs qui n’auraient rien à voir avec l’efficacité du service à l’Accueil-Crise. La preuve est plutôt très prépondérante à l’effet contraire.

[329]     De même, aucune preuve n’a été présentée à l’effet que le congédiement administratif de la plaignante reposait sur un motif interdit de discrimination.

[330]     Enfin, la partie syndicale ne m’a pas convaincu que compte tenu de l’ensemble de la preuve, un employeur compétent, qui agit avec bon sens et dans le respect de l’équité, aurait agi autrement. Je ne peux donc conclure qu’en l’espèce, la décision de procéder au congédiement administratif de la plaignante était déraisonnable, bien au contraire.

[331]     Pour terminer, je souligne que je convoque les parties, dans le grief numéro 2010-11-A27, concernant l’évaluation de rendement de la plaignante, uniquement pour donner suite à l’entente des procureurs de parties au début de l’audience qui désiraient attendre la décision concernant le grief de congédiement de la plaignante, avant d’entreprendre l’audience du grief de l’évaluation de rendement de la plaignante qui, selon toute probabilité, serait réglé par le sort réservé au grief de congédiement.  

POUR TOUS CES MOTIFS, L’ARBITRE :

REJETTE le grief numéro 2010-12-A34 du syndicat contestant le congédiement de la plaignante; et

CONVOQUE les parties, concernant le grief numéro 2010-11-A027 relatif à l’évaluation de rendement, afin d’en disposer, le cas échéant.

 

 

Montréal, ce 25 juin 2015

 

 

 

 

________________________________ __

Me François Blais, arbitre

 

 

 

Pour l’employeur :

Me Suzie Chouinard

 

 

 

Pour le syndicat :

Me Sophie Cloutier

 

 

 

Dates d’audience :

31 octobre 2011, 2, 18, 23 avril et 3 décembre 2012, 1 er , 4 février, 22 avril, 13 mai, 7 et 27 juin, 9 juillet 2013 et 17 janvier 2014

 

 

 

Dernières notes et autorités déposées au dossier le 30 mars 2015

 

En délibéré à compter du 1 er avril 2015