COMMISSION DES RELATIONS DU TRAVAIL |
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(Division des relations du travail) |
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Dossier : |
271438 |
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Cas : |
CM-2014-1502 et CM-2014-1785 |
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Référence : |
2015 QCCRT 0353 |
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Montréal, le |
2 juillet 2015 |
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DEVANT LA COMMISSAIRE : |
Mylène Alder, juge administrative |
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Christine Hahndorff
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et |
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George Karaglanis
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Plaignants |
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c. |
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Restaurant & Délicatesse Gerry's inc.
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Intimée |
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DÉCISION |
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[1]
Le 30 septembre 2013, prenant appui sur l’article
[2] L’employeur conteste les deux plaintes. Il plaide avoir congédié le plaignant pour vol, fraude et abus de confiance. Quant à la plaignante, il affirme l’avoir tout d’abord mise à pied pour manque de travail, pour s’apercevoir ensuite qu’elle n’avait pas travaillé pour lui et avait reçu sans droit un salaire pendant plusieurs années.
[3] Ces plaintes ont pour toile de fond une chicane de famille qui a manifestement laissé de profonds stigmates sur des membres de celle-ci. Tout au long de l’audience, des témoins ont fait des affirmations, voire des aveux, très surprenants sur l’existence de stratagèmes ayant eu pour effet, selon toute vraisemblance, de frauder les autorités fiscales, des programmes gouvernementaux ainsi que des créanciers à des faillites. L’analyse de la preuve révèle que chaque partie s’est présentée devant la Commission « les mains sales ». Elles ont malgré tout tenu à défendre leur thèse, ce qui a nécessité la tenue d’une audience de quatre jours.
[4] L’employeur est une compagnie dont l’unique actionnaire est Katerina Vamianakis. En 2006, il acquiert d’un syndic de faillite un restaurant ayant pignon sur rue depuis plusieurs années au 3982, rue Ontario, à Montréal (le restaurant ).
[5] Avant la faillite, le restaurant était exploité par une compagnie appartenant à Andromachi Karaglanis et Athanasios Karaglanis, respectivement la mère et l’oncle du plaignant. La faillite est survenue pendant une enquête de Revenu Québec concernant l’utilisation de camoufleurs de ventes permettant de ne pas remettre la totalité des taxes de vente perçues auprès des clients.
[6] George Manolikakis, comptable et homme d’affaires, est l’époux de madame Vamianakis. Il porte le titre de « Managing Director » au restaurant. Il explique qu’en réalité, c’est lui qui l’administre. Il exploite quatre autres restaurants à cette époque, en plus de diriger un cabinet de comptables. Il est aussi partenaire d’une entreprise de service de paie. Les bureaux administratifs de toutes ses compagnies sont situés sur le chemin Côte-de-Liesse, à Montréal. Il connaît bien la famille Karaglanis, car son cabinet de comptables fait leurs déclarations d’impôts depuis plusieurs années.
[7] Monsieur Manolikakis relate avoir négocié l’achat du restaurant avec le syndic et le bail avec le propriétaire de l’immeuble qui l’abrite. Ce propriétaire est une compagnie appartenant à une belle-sœur du plaignant, Nathalie Sanschagrin, à Dimitrios Karaglanis (dit Jimmy ), un cousin du plaignant qui est le fils d’Athanasios Karaglanis, ainsi qu’à un autre George Karaglanis, également cousin du plaignant (dit le cousin George ).
[8] Une fois ces transactions conclues, monsieur Manolikakis relate faire les démarches pour trouver le personnel du restaurant. Il communique avec Panagiotis Karaglanis (dit Peter ), le frère du plaignant. Celui-ci est l’époux de madame Sanschagrin. Il travaillait au restaurant avant la faillite et lui fournit une liste de postes et de noms d’employés. Monsieur Manolikakis embauche 35 personnes dont les noms apparaissent sur cette liste, incluant le plaignant à titre de gérant.
[9] Le restaurant est ouvert entre 6 h et 23 h, 7 jours sur 7. Son chiffre d’affaires est approximativement de 1,4 million de dollars par année, représentant entre 100 000 $ et 140 000 $ de ventes mensuelles avant taxes, déclare monsieur Manolikakis. Trois gérants y travaillent, se partageant les quarts de travail de jour et de soir. Les autres employés travaillent à la cuisine, à la salle à manger, au comptoir ou aux livraisons.
[10] Monsieur Manolikakis explique qu’il dirige le restaurant à distance, depuis les bureaux sur Côte-de-Liesse. Il s’occupe principalement de la gestion financière et de la comptabilité. Il supervise aussi le travail de ses gérants et voit à payer les principaux fournisseurs. Il a mis en place un système informatique enregistrant toutes les transactions du restaurant, ce qui lui permet de faire toutes les vérifications requises.
[11] Le restaurant dispose d’un bureau équipé d’un ordinateur et d’un coffre-fort. Les gérants ont accès à ce coffre-fort et doivent y déposer l’argent comptant reçu des clients. Lorsque l’argent cumulé dépasse 10 000 $, ils doivent préparer et faire un dépôt à la banque. C’est généralement le cas deux fois par semaine. Quant aux produits des ventes payées par cartes de crédit ou de débit, ils sont déposés directement à la banque. Monsieur Manolikakis, ou un employé du bureau sur Côte-de-Liesse, fait les vérifications en la matière. Le bureau reçoit directement de la banque tous les états de compte du restaurant.
[12] Monsieur Manolikakis relate qu’il visite le restaurant régulièrement, environ trois fois par mois, pour vérifier les chiffres et prendre les documents de nature financière. Parfois, il vérifie si l’argent contenu au coffre-fort correspond à ses calculs.
[13] À titre de gérant, les principales responsabilités du plaignant sont les suivantes : embaucher, superviser et congédier les employés du restaurant, faire les horaires de travail, tenir un registre des heures travaillées et l’envoyer au service de paie, compter les recettes, préparer et faire les dépôts bancaires, de même que tenir une petite caisse pour faire les petits achats qui ne sont pas directement acquittés par l’employeur. Ce sont aussi les gérants qui s’occupent de préparer les menus et de fixer les prix.
[14] Les paies des employés sont faites par l’entreprise de service de paie à laquelle est associé monsieur Manolikakis. Le gérant en devoir au restaurant le dimanche soir précédant une paie envoie directement à cette entreprise, par télécopieur, un registre dans lequel il inscrit les heures travaillées par chaque employé, pour la période de deux semaines visée par cette paie. Il inscrit aussi au registre, pour chaque serveur, les ventes et leurs pourboires. Cette même entreprise émet les relevés d’emploi et les T-4.
[15] Le registre de paie consiste en un formulaire où sont préimprimés les noms et numéros des employés du restaurant, leur poste et leur taux horaire. De plus, les heures de travail de certaines personnes, dont les gérants et caissières, sont aussi préimprimées sur ce formulaire. Ceci implique que le gérant qui le remplit doit parfois apporter des corrections à la main, lorsque les heures réellement travaillées par ces personnes ne correspondent pas à ce qui est préimprimé.
[16] Par ailleurs, monsieur Manolikakis laisse à la réception du restaurant un carnet de chèques déjà signés par sa conjointe à l’attention des fournisseurs qui se présentent directement au restaurant. Ce sont les gérants qui s’occupent de les remplir, les remettre, de conserver la facture pour ensuite rapporter le tout à monsieur Manolikakis.
[17] Les deux autres gérants qui travaillent avec le plaignant sont Jimmy et Peter. Ce dernier a été remplacé un certain temps par le cousin George.
[18] La plaignante a été embauchée au restaurant comme serveuse en 2002, par les anciens propriétaires.
[19] En 2003, elle épouse le plaignant. En mai de la même année, elle cesse de travailler, car elle est enceinte. Elle affirme avoir repris le travail au restaurant à la fin de l’été 2005. À cette époque, la mère du plaignant, Andromachi Karaglanis, est toujours copropriétaire du restaurant. Elle lui dit qu’il n’est pas approprié qu’elle retourne travailler au restaurant comme serveuse, qu’elle devrait rester à la maison pour s’occuper de son enfant et lui suggère d’aider son époux à faire son travail.
[20] Madame Karaglanis, de poursuivre la plaignante, lui précise qu’elle ne travaillera qu’entre 10 et 20 heures par semaine, tout en étant payée comme si elle en faisait 40. Ainsi, elle fera le même salaire qu’avant son congé de maternité. La plaignante est d’accord.
[21] La plaignante explique que ses tâches d’« assistante de George » sont les suivantes : elle recompte les factures des serveuses que le plaignant rapporte le soir à la maison « pour s’assurer que ça balance », vérifie si les montants payés par cartes de crédit ou de débit concordent, révise les relevés de paie des serveuses avec les horaires inscrits sur les registres de paie et, avec l’accord de son époux, suggère des modifications au menu. Elle fait aussi des petits achats de produits ménagers au supermarché ou à la pharmacie, qu’elle apporte à la maison. Son époux se charge ensuite de les livrer au restaurant. « Ça ne m’intéressait pas plus que ça d’y aller », dira-t-elle à l’audience. Elle ajoutera aussi que c’était pour « sauver du gaz ». Le plaignant corrobore ses explications.
[22] La plaignante affirme que, chaque soir, son époux lui rapporte à la maison l’argent comptant et les papiers pour le dépôt bancaire du lendemain. Il compte, puis elle compte à son tour. Elle estime passer 30 minutes par jour à compter de la sorte. Elle ajoute que les recettes quotidiennes du restaurant totalisent entre 5 000 $ et 10 000 $, dont entre 1 000 $ et 5 000 $ sont en argent comptant, le reste étant des reçus de cartes de débit ou crédit.
[23] La plaignante ajoute qu’entre 2005 et 2010, le restaurant fonctionne avec des factures manuscrites, car le gouvernement a saisi tous les ordinateurs. En 2010, le restaurant récupère ses ordinateurs et doit installer un module d’enregistrement des ventes (un MEV ). Cependant, les livraisons de nourriture ne sont pas enregistrées dans ce système, affirme-t-elle, et font toujours l’objet de factures manuscrites. Elle a donc toujours des factures manuscrites à vérifier.
[24] Par ailleurs, la plaignante déclare revoir les heures payées aux serveuses à toutes les paies, car sa belle-mère repasse sur le registre de paie et leur en ôte souvent. Lorsqu’elle aperçoit des erreurs, elle les écrit sur un autre papier qu’elle donne au plaignant en lui demandant d’arranger ça. Questionnée sur la façon dont elle a connaissance des heures véritablement travaillées par les serveuses, elle explique que celles-ci se plaignent auprès de son époux et lui fournissent l’information. Elle la compare avec celle contenue au registre corrigé par sa belle-mère. Le cas échéant, le plaignant verse directement aux serveuses le salaire manquant, en argent comptant et à l’insu de sa mère. Il ne veut pas que celle-ci soit fâchée, explique-t-elle.
[25] La plaignante estime donc avoir travaillé entre 10 et 20 heures par semaine à faire toutes ces tâches, et ce, jusqu’à sa fin d’emploi.
[26] Les extraits des registres de paie indiquent toutefois qu’en 2012, elle travaille comme caissière et reçoit un salaire horaire de 10 $, à raison de 80 heures par période de deux semaines. Puis, à partir de mai 2013, toujours inscrite comme caissière, son salaire monte à 10,15 $. Son époux lui apporte sa paie à la maison, toutes les deux semaines. Avant 2006, ses chèques de paie étaient signés par sa belle-mère ou par le frère de celle-ci. Depuis, c’est monsieur Manolikakis qui les signe.
[27] La plaignante relate qu’elle bénéficie de quatre semaines de vacances payées depuis qu’elle est la conjointe du plaignant. Ils les prennent l’été. Deux de ces semaines lui sont payées par un chèque encaissable en mai de chaque année et les deux autres, par un chèque de paie normal pendant ses vacances, affirme-t-elle.
[28] David Synnett, un serveur, et Sylvain Lacelle, un livreur, témoignent à l’audience. Tous deux affirment ne jamais avoir travaillé avec la plaignante depuis 2003. Ils l’ont vue quelques fois venir manger au restaurant ou visiter son époux. Monsieur Lacelle, qui travaille au restaurant depuis une douzaine d’années, ajoute que celui-ci n’a fermé qu’une ou deux journées en 2006, lors du changement d’administration. Le menu et le numéro de téléphone sont restés les mêmes.
[29] Peter, pour sa part, a travaillé comme gérant au restaurant entre avril 2011 et février 2013, puis à partir d’août 2013. Il affirme que la plaignante n’y a jamais travaillé. Il admet avoir vu son nom sur le registre de paie et savoir qu’elle reçoit une paie sans travailler. Il ne dit rien : « C’est comme ça. J’ai pensé que c’était correct, c’était mon frère . »
[30] Monsieur Manolikakis ne se souvient pas avoir vu la plaignante avant l’audience. Il a lu son nom à plusieurs reprises sur le registre de paie et a tenu pour acquis qu’elle travaille au restaurant comme caissière, comme indiqué. Il ne connaît pas les visages de tous les employés des restaurants qu’il dirige.
[31] La plaignante ajoute qu’elle ne se souvenait pas avoir vu monsieur Manolikakis avant l’audience. Le plaignant lui a cependant rappelé qu’il était présent au baptême de leur fille et elle l’a vu sur une photo. Par ailleurs, elle explique que, depuis son mariage avec le plaignant, c’est monsieur Manolikakis ou ses employés qui s’occupent de ses déclarations d’impôts. Au début, elle s’en est plainte à son époux qui lui a répondu : « C’est comme ça, c’est lui qui contrôle et qui fait les impôts de tous ceux de la famille qui travaillent au restaurant. »
[32] Le plaignant affirme que sa mère et son oncle sont les vrais propriétaires du restaurant. La compagnie mise sur pied par monsieur Manolikakis pour acheter le commerce du syndic est un prête-nom et le fonctionnement du restaurant est le même depuis des années. Il aurait été convenu qu’au terme d’un certain nombre d’années, le restaurant leur serait rétrocédé. Tout cela a fait l’objet d’une entente verbale entre les familles et monsieur Manolikakis et aucun document ne peut corroborer ce qu’il affirme.
[33] Il ajoute cependant que le restaurant roule de la même manière depuis 2000. Pour les employés, de poursuivre le plaignant, monsieur Manolikakis n’est que le comptable et tous pensent encore travailler pour sa mère et son oncle.
[34] Le plaignant précise que sa mère vient régulièrement au restaurant. Dans un premier temps, il dit qu’elle s’y présente à toutes les deux semaines, puis se ravise et indique plutôt deux à trois fois par semaine. Elle compte les heures travaillées, les ventes et les pourboires. Elle travaille un peu au téléphone et à la caisse. Elle reçoit une rémunération de 3 000 $ en argent comptant toutes les deux semaines. Tout comme son oncle d’ailleurs, qui lui vient travailler aux cuisines à l’occasion pour couper le « smoked meat ».
[35] Ainsi, le plaignant d’ajouter qu’à tous les quinze jours, lorsqu’il remplit le formulaire pour la paie, sa mère compte l’argent comptant gardé au restaurant. Elle met de côté ses 3 000 $ et ceux de son oncle. Il est présent lorsqu’elle le fait.
[36] Interrogé sur la provenance de cet argent comptant, le plaignant indique qu’il s’agit de produits de ventes non déclarées. Malgré l’installation du MEV, plusieurs ventes ne sont pas enregistrées, surtout celles provenant des livraisons. Il explique que le MEV permet l’impression de duplicata de factures. Ce qu’ils font pour ensuite utiliser ces duplicatas pour des livraisons futures. Ils peuvent ainsi garder l’argent comptant provenant de ces ventes sans laisser de trace. Le plaignant précise que l’ordinateur enregistrant les livraisons est contrôlé par lui, son frère Peter et son cousin Jimmy. Il estime que les ventes non déclarées représentent environ 6 000 $ par deux semaines. Il affirme que monsieur Manolikakis est au courant et que son travail est de s’assurer que tous les systèmes « balancent ».
[37] Enfin, le plaignant indique que monsieur Manolikakis est bien rémunéré pour son implication dans cette affaire. Il reçoit des honoraires gonflés pour ses services de comptabilité.
[38] La plaignante affirme aussi que madame Karaglanis est toujours restée sa patronne. C’est elle qui lui a demandé de faire le travail d’« assistante » à la maison et qui lui donne ses directives. La plaignante ne parle jamais à monsieur Manolikakis ni à la femme de celui-ci. Son époux lui a d’ailleurs confié que ceux-ci agissaient comme prête-noms pour éviter de payer les créanciers à la faillite.
[39] Monsieur Manolikakis nie formellement ces allégations. Il maintient que son épouse et lui gèrent cinq restaurants qui leur appartiennent. Madame Karaglanis et son frère ne travaillent plus pour le restaurant depuis la faillite et il ne les a jamais embauchés. Ils viennent parfois au restaurant visiter leurs enfants. Même si madame Karaglanis aide parfois bénévolement à faire de la paperasse, monsieur Manolikakis la laisse faire, car elle se sent utile. Il affirme avoir appris seulement à l’audience que ces deux-là se payaient un salaire en argent comptant, au vu et au su du plaignant.
[40] Peter, pour sa part, confirme que sa mère ne travaille pas au restaurant, mais leur rend visite régulièrement. Elle veut se sentir utile et « fait des choses de papier ». Elle aime ça et tous la laissent faire.
[41] Peter ajoute que son patron est monsieur Manolikakis. Il lui parle plusieurs fois au cours d’une semaine normale de travail, pour la gestion et la comptabilité du restaurant. Au jour le jour, ce sont les gérants qui sont responsables des opérations.
[42] Madame Karaglanis et son frère ne témoignent pas à l’audience.
[43] Vasiliki Eliopoulos est l’épouse du cousin George. Selon Peter, elle n’a jamais travaillé au restaurant. Pourtant, l’extrait du registre de paie de juillet 2012 indique qu’elle est alors en congé de maternité d’un emploi de caissière dont la rémunération est de 17,50 $ l’heure.
[44] Karina Aruda Mello est l’épouse de Jimmy. Peter témoigne qu’elle aussi ne travaille pas au restaurant. Toutefois, les extraits du registre de paie déposés à l’audience indiquent qu’elle y travaille comme caissière 40 heures par semaine et qu’elle est payée 10 $ l’heure en 2012, puis 10,15 $ en 2013. Peter n’en parle pas avec monsieur Manolikakis. La situation est difficile, dit-il, car il s’agit de la femme de son cousin. C’est la même chose pour la plaignante, la femme de son frère. Il n’en parlera pas à l’employeur avant septembre 2013, affirme-t-il.
[45] Quant au plaignant, il confirme n’avoir jamais vu mesdames Eliopoulos et Mello travailler comme caissière au restaurant. Il admet aussi avoir déclaré sur les formulaires du registre de paie que madame Eliopoulos gagnait un salaire de 17,50 $ l’heure, alors que le taux horaire d’une caissière est de 10 $, afin que celle-ci puisse « maximized her benefit when she went to CSST ». Il admet de plus que celle-ci n’a jamais travaillé au restaurant. En ce qui concerne madame Mello, il indique l’avoir vue à l’occasion prendre des photos et, environ deux fois par année, changer la décoration du restaurant. Il est conscient que ce n’est pas un travail hebdomadaire et qu’elle est payée comme tel, mais il n’a aucun problème avec cela, dit-il.
[46] Monsieur Manolikakis affirme à l’audience avoir appris que les registres de paie du restaurant étaient manipulés et contenaient de fausses informations. Il déclare avoir fait l’erreur de se fier aux informations que lui transmettaient les gérants, dont le plaignant.
[47] Tous les gérants ont les mêmes responsabilités. Curieusement, les registres de paie indiquent qu’ils ne reçoivent pas le même salaire. À l’été 2013, le plaignant et son cousin Jimmy sont payés 17,50 $ l’heure, alors que Peter en gagne 27,50 $.
[48] Peter explique que son salaire est plus élevé que celui du plaignant parce qu’il a plus d’expérience et s’occupe du marketing. De plus, Jimmy et le plaignant prennent des vacances à l’été 2013, ce qui a pour effet d’augmenter ses responsabilités. Quant au fait que son cousin George gagnait aussi 27,50 $ l’heure en 2012, à l’époque où sa femme était en congé de maternité, cela s’explique parce que « c’était le meilleur coupeur de smoked meat ».
[49] Peter affirme ignorer si le salaire de son frère, le plaignant, a pu être divisé entre ce dernier et la plaignante. Il ne sait pas non plus si un autre membre de sa famille a ce genre d’entente avec l’employeur. Pour sa part, il n’en a jamais eu. Sa propre femme a un emploi rémunéré ailleurs.
[50] Quant au plaignant, il affirme avoir les mêmes tâches et responsabilités que tous les autres gérants, incluant son frère Peter. Il ajoute que ce dernier a été payé « en dessous de la table » à son retour au restaurant vers 2010, puis a ensuite reçu des paies en utilisant le numéro d’assurance sociale d’une de leur tante, et ce, parce qu’il avait fait une faillite personnelle.
[51] Toujours est-il que le plaignant déclare que tous les gérants doivent en principe recevoir le même salaire. Il ne peut expliquer pourquoi Peter gagne plus que lui, d’autant plus qu’il estime avoir plus d’expérience que lui. Il ajoute que c’est sa mère et son oncle qui décident des salaires et avantages sociaux de tous les employés du restaurant.
[52] Interrogé à ce sujet, monsieur Manolikakis maintient que c’est l’employeur qui fixe les salaires des employés du restaurant. Il affirme, dans un premier temps, ignorer le salaire du plaignant et des autres gérants. Revenant témoigner à la fin de l’audience, il précise que c’est lui qui a établi la grille de salaire de tous les employés du restaurant. Il ne peut expliquer les différences salariales des gérants.
[53] Monsieur Manolikakis explique que tout va bien au restaurant jusqu’en avril 2013, alors que le plaignant vit des problèmes familiaux qui ont des répercussions au restaurant. Il indique, entre autres, que celui-ci s’est bagarré avec son frère Peter et qu’ils sont actuellement devant les tribunaux pour ça.
[54] Le plaignant, pour sa part, confirme s’être disputé avec son frère Peter cet été-là, parce que ce dernier refuserait de lui céder 25 % des parts de l’immeuble qui abrite le restaurant. Son frère, par l’entremise de sa femme, détient 50 % des parts. Il lui semble normal et juste que cela soit séparé également entre les deux. Le plaignant est fâché du refus de son frère et lui dit qu’il ne veut plus travailler avec lui. Il ajoute toutefois ne pas avoir le pouvoir de le congédier, sans obtenir l’autorisation préalable de sa mère et de ses cousins. Cela crée un froid entre les deux frères.
[55] À la même époque, le restaurant fait à nouveau l’objet d’une enquête de Revenu Québec qui suspecte que des ventes ne sont pas déclarées.
[56] Le plaignant affirme que sa famille et monsieur Manolikakis se rencontrent pour discuter d’un plan d’action. Jimmy aimerait mettre le restaurant en faillite, ce que refuse catégoriquement monsieur Manolikakis. Advenant l’émission d’un avis de cotisation de la part de Revenu Québec, il serait plutôt question d’emprunter de l’argent et d’hypothéquer l’immeuble logeant le restaurant.
[57] Quant à monsieur Manolikakis, il nie avoir eu cette rencontre avec la famille Karaglanis. Il affirme ignorer complètement que des ventes ne sont pas déclarées au restaurant. Il ajoute l’avoir appris à l’audience, par le témoignage du plaignant. Il se désole qu’on ait ainsi volé son épouse et que des activités « clandestines » se soient produites dans le restaurant de cette dernière. Il ajoute que ses livres ont toujours balancé.
[58] Récemment, d’ajouter monsieur Manolikakis, le restaurant a reçu un avis de cotisation de 175 000 $ de Revenu Québec, représentant des taxes sur des ventes non déclarées de 600 000 $ pour la période allant de 2009 à 2013. Il l’a contesté, croyant impossible que cela puisse être le cas. « Mes livres balancent à la cent », déclare-t-il à l’audience.
[59] Toujours est-il qu’au moment où débute cette enquête, monsieur Manolikakis affirme avoir constaté certaines irrégularités financières au restaurant.
[60] Monsieur Manolikakis explique qu’à l’été 2013, il observe certaines irrégularités concernant les paies et la gestion comptable quotidienne du restaurant. Par exemple, il manque des factures et les produits de ventes en argent comptant ne concordent pas toujours avec les dépôts à la banque.
[61] Il relate rencontrer ses gérants au restaurant pour clarifier ses directives, dans un premier temps. Puis, constatant que tous n’ont pas la même compréhension, il leur remet, le 22 juillet 2013, la note de service suivante :
Please be advised as Follows:
A- In view of some recent events that have occurred, I would like to bring to your attention, that effective immediately, we need to become very vigilant with our cash flow requirements. Namely our daily proceeds, minus COD payments will have to be accounted in writing and deposited ASAP to the bank.
B- The situation with the salaries will be rectified, or rolled back effective September 2, 2013.
C- No decisions of any kind shall be made without the consent of the director.
D- To the extent that these measures are not implemented or adhered to, there will be no other choice but to appoint a new General Manager.
Please guide yourselves accordingly
(reproduit tel quel)
[62] À la date de cette note de service, le plaignant est en vacances. L’employeur tente de la lui envoyer par courrier à sa résidence, sans succès. Selon le tampon encreur de Postes Canada, le courrier n’est pas réclamé. Le plaignant explique que le 23 juillet, lui et son épouse se préparent à partir. Il affirme ne voir l’avis du bureau de poste qu’à son retour, en août, après que la lettre ait été retournée à l’expéditeur. Toutefois, il voit plus tard la note de service affichée dans le bureau du restaurant, la lit, mais estime qu’elle vise les autres gérants.
[63] Quant à la rencontre tenue par monsieur Manolikakis au restaurant avec les gérants, le plaignant dira qu’elle a eu lieu, mais après son retour de vacances en août 2013. Il se souvient que monsieur Manolikakis leur dit de s’assurer que toutes les recettes du restaurant soient déposées à la banque au minimum deux à trois fois par semaine. Il leur indique aussi qu’il manque de l’argent dans le compte de banque du restaurant, selon ses documents financiers. Le plaignant lui répond avoir fait tous ses dépôts, au moins deux fois par semaine.
[64] Monsieur Manolikakis relate que lors d’une visite plus tôt cet été-là, il compte l’argent comptant du coffre-fort et estime qu’il manque 7 000 $ selon les calculs qu’il a faits à partir des données financières informatiques et des relevés bancaires du restaurant. Il affirme que le plaignant lui avoue alors avoir pris cet argent pour des raisons personnelles, mais avec l’intention de le lui remettre. Il lui promet de le faire. Monsieur Manolikakis relate que dans le souci de conserver l’harmonie chez ses employés et dans la famille Karaglanis, il accepte cette explication et cette promesse du plaignant.
[65] Monsieur Manolikakis ajoute qu’il ne porte pas plainte à la police. Il explique avoir appris à régler les problèmes autrement. C’est dans son éducation. Il est prêt à prendre le risque que le plaignant ait menti. Le cas échéant, ce sera sa perte.
[66] Quant au plaignant, il nie catégoriquement cette histoire des 7 000 $. À l’audience, il indique, dans un premier temps, ignorer d’où vient ce montant. Puis, il explique que ce serait son cousin Jimmy qui aurait pris l’argent dans le coffre-fort. Il relate que ce dernier lui aurait confié un plan visant à racheter le restaurant un an après qu’il soit à nouveau mis en faillite. À son avis, Jimmy prend des sous pour mettre son plan à exécution. Le plaignant affirme l’avoir dit à monsieur Manolikakis et lui avoir suggéré de le confronter au sujet de l’argent manquant.
[67] Monsieur Manolikakis explique qu’il calcule chaque année les « paies des vacances annuelles » de tous ses employés et leur verser celles-ci à la fin du mois de mai. Il affirme procéder de cette manière, car il a plus de 300 employés et ça devient difficile à suivre. En ce qui concerne les plaignants, ses documents indiquent en 2013 qu’ils ont chacun droit à 6 %. C’est ce que l’employeur leur verse le 20 mai 2013.
[68] Le plaignant affirme que tous les gérants ont droit à quatre semaines de vacances rémunérées par année, donc 8 %. Une partie lui est versée par une paie spécifique en mai et l’autre, sous forme de paie régulière pendant ses vacances. Ça a toujours fonctionné comme ça et il s’attend à avoir la même chose en 2013.
[69] Le livre des paies indique qu’en 2012, le plaignant reçoit effectivement une paie spécifique en mai équivalant à 6 % de son salaire ainsi qu’une paie régulière couvrant deux semaines de salaire pendant son mois de vacances à l’été. Quant à la plaignante, elle reçoit aussi, en mai, une paie spécifique équivalant à 6 % de son salaire, mais aucune paie régulière pendant ses vacances avec le plaignant.
[70] Du 27 juillet au 18 août 2013, les plaignants sont en vacances. Pendant ce temps, aucun ne reçoit une paie régulière. À son retour de vacances, le plaignant demande à son frère ce qui s’est passé. Il affirme que celui-ci lui aurait dit qu’il s’agit de la nouvelle manière de fonctionner.
[71] S’estimant lésé, le plaignant témoigne s’être rendu en personne au bureau de monsieur Manolikakis pour lui dénoncer la situation, autour du 26 ou du 27 août. Il affirme que celui-ci l’autorise à se payer par chèque pour compenser sa perte, en précisant qu’il arrangerait les déductions plus tard. Le plaignant retourne au restaurant, prend deux chèques dans le carnet destiné aux fournisseurs et, en date du 28 août 2013, en libelle un à son nom d’une somme de 1 066,33 $ et l’autre, au nom de son épouse, de 682,98 $. Leurs talons comportent la mention « (Payroll) ». Ces montants correspondent à leur paie nette respective pour 80 heures de travail (deux semaines).
[72] Peter a une autre version de cet événement. Il affirme avoir parlé au plaignant lorsqu’il découvre les talons de ces deux chèques. Il lui demande ce qu’il en est, mais ce dernier lui répond : « C’est pas tes affaires, c’est entre moi et monsieur Manolikakis. » Peter communique avec ce dernier, qui lui semble surpris et ne pas savoir de quoi il parle. Il prend une photo des talons de chèques et les lui envoie.
[73] Monsieur Manolikakis, pour sa part, nie avoir fait un arrangement avec le plaignant. Le 29 août 2013, lorsqu’il apprend de Peter que le plaignant s’est fait des chèques avec le carnet destiné aux fournisseurs, il communique avec la banque pour ordonner des arrêts de paiement. C’est pourquoi Peter a inscrit « cancel » sur les talons de chèques. Le même jour, il fait aussi changer la combinaison du coffre-fort.
[74] Monsieur Manolikakis relate qu’il invite le plaignant à venir le rencontrer à son retour de vacances, pour discuter avec lui de cette histoire de chèques. Celui-ci, affirme-t-il, lui assure qu’il va tout régler. Il le croit, en précisant : « If I loose faith in someone who’s handling cash, I can’t afford to keep him. »
[75] Par ailleurs, monsieur Manolikakis indique qu’il est impossible que le plaignant l’ait vu à son bureau le 26 ou le 27 août, puisqu’il est en Grèce à ce moment. Son passeport indique en effet qu’il est à l’extérieur du pays du 27 juillet au 2 septembre 2013. Confronté à cette situation, le plaignant revient sur ses déclarations et affirme qu’il a dû rencontrer monsieur Manolikakis le 2 septembre et mettre la date du 28 août sur les chèques parce que cela correspond à la date de la paie qu’il aurait dû recevoir.
[76] Le plaignant déclare qu’il ne tente pas d’encaisser les chèques puisque monsieur Manolikakis l’appelle pour l’informer qu’ils sont annulés. Il lui explique avoir changé d’avis parce que Peter estime qu’il n’a pas droit de recevoir cet argent. Il ajoute : « We will fix it later. » Le plaignant n’est pas content.
[77] Par ailleurs, les plaignants affirment qu’ils continuent de travailler après leur retour de vacances, et ce, jusqu’à ce qu’ils apprennent, le 20 septembre 2013, qu’ils sont congédiés.
[78] Le plaignant relate que monsieur Manolikakis l’appelle le matin du 20 septembre 2013 pour l’informer que lui et la plaignante sont congédiés immédiatement et ne doivent plus se présenter au restaurant. Il ne lui explique pas la raison, de préciser le plaignant. Toutefois, ce dernier affirme avoir reçu un message texte le même jour confirmant son congédiement. Il dépose une photographie d’un message où l’on peut lire : « Please be advised Despite my previous Directives to you I hereby fire you effective immediately I also urge you to return all funds that you have removed from the store Guide yourself accordingly. » (reproduit tel quel)
[79] Le plaignant est très fâché. Il tente de parler à sa mère et à son frère, puis joint finalement un de ses oncles. Il le rencontre le lendemain pour tenter de régler l’affaire, en vain. Il décide donc d’aller déposer une plainte à la Commission des normes du travail la semaine suivante.
[80] Le 24 septembre 2013, l’employeur émet, au nom de la plaignante, un relevé d’emploi indiquant « Manque de travail/Fin de saison ou de contrat ». Il coche la case « date non connue » dans la section relative à la date de rappel au travail. Monsieur Manolikakis affirme qu’à ce moment, l’employeur ignore que la plaignante ne travaille pas pour lui. Il indique que le relevé est émis de cette façon par l’entreprise de service de paie, selon les instructions qui apparaissent sur le registre qui leur a été télécopié par le gérant pour la période allant du 9 au 22 septembre 2013.
[81]
La plaignante obtient une copie de ce relevé par Internet vers la
mi-octobre 2013, lorsqu’elle dépose une demande pour recevoir de
l’assurance emploi.
[82] À la lecture de ce registre, le nom de la plaignante est barré au stylo rouge avec les mentions « UIC SHORTAGE OF WORK » et « LAST DAY WORKED SEPT 20/13 ». La lettre A suit, encadrée toujours au stylo rouge. Monsieur Manolikakis indique que ces inscriptions sont celles de Natacha, une employée du service de paie. Par ailleurs, le registre, tel qu’envoyé audit service, contient la mention manuscrite « TALK TO KATHY » à côté du nom de la plaignante. Monsieur Manolikakis indique que cette mention vient du plaignant qui, dans le cours normal des affaires du restaurant, a décidé de mettre à pied temporairement la plaignante. Il ajoute que Kathy réfère à sa propre épouse Katerina, la propriétaire du restaurant.
[83] Le plaignant nie avoir inscrit quoi que ce soit sur le registre de paie du 22 septembre, puisqu’il ne travaille plus au restaurant à ce moment. À son avis, c’est plutôt son frère qui l’a fait.
[84] Cela étant, monsieur Manolikakis témoigne qu’à partir du 22 septembre 2013, le plaignant est introuvable. Il affirme apprendre, entre le 25 et le 28 septembre 2013, que la plaignante n’a jamais travaillé au restaurant. C’est Peter qui le lui dit. Il est surpris, car il a bien vu son nom sur la liste des employés du restaurant. Il relate tenter de joindre les plaignants pour les confronter à cette affirmation, sans succès. Pour lui, cette histoire, s’ajoutant à celles des 7 000 $ volés et pas encore remboursés et des chèques du 28 août, est la goutte qui fait déborder le vase. Le 3 octobre 2013, il en a assez et décide de congédier le plaignant.
[85] Il dépose à l’audience un relevé d’emploi daté du 3 octobre 2013, indiquant que le plaignant est congédié et que sa dernière journée payée est le 22 septembre 2013.
[86] En ce qui concerne la plaignante, il indique que la situation est plus complexe. N’ayant pu la joindre pour la confronter aux dires de Peter, il ne sait pas avec certitude si elle a travaillé ou non au restaurant. Il relate que son épouse a lu que lorsqu’un employé est mis à pied pour manque de travail, il faut le rappeler à un certain moment. Le 6 décembre 2013, celle-ci envoie donc à la plaignante la lettre suivante :
Attention Mrs Christine Hahndorff
Subject : Employmen t at Gerry’s
Please be advised that we have been trying to reach you, to advise you, that your position at our business is available immediately. Your shift of Wednesday to Sunday from 4:00pm to midnight awaits you, please advise me when you can come.
Thank you and see you soon
Mrs Vamianakis
(reproduit tel quel)
[87] La plaignante confirme avoir reçu cette lettre. Elle estime que l’employeur l’a écrite seulement pour se donner raison. Elle n’a jamais travaillé comme caissière, et ce, malgré ce qui est écrit sur le registre de paie. De plus, il lui est impossible de travailler de soir, car elle a un enfant. Le but de cette lettre, dit-elle, c’est de la détruire et non de la rappeler au travail. Elle n’en parle pas à sa belle-mère, ni à personne chez l’employeur.
[88] Par ailleurs, Peter relate que le plaignant n’est revenu au restaurant après le 22 septembre 2013 qu’une fois, en janvier 2014, pour prendre des documents. C’est alors qu’ils se sont battus. Au moment de l’audience, des procédures judiciaires sont en cours à ce sujet et une ordonnance empêche le plaignant de s’approcher de Peter, de sa famille et du restaurant.
[89]
Les plaignants estiment avoir fait la preuve que tous les deux satisfont
les conditions d’ouverture de l’article
[90] En ce qui concerne la plaignante, la preuve révèle qu’elle a travaillé pour le restaurant à partir de sa résidence et qu’elle a reçu un salaire de l’employeur pour cela. De plus, elle a été congédiée sans motif en même temps que son époux, le plaignant. L’histoire de la mise à pied est invraisemblable et constitue une mise en scène de l’employeur, qui n’a jamais eu l’intention de la reprendre au restaurant.
[91] Quant au plaignant, il prétend avoir été congédié en raison de sa mésentente avec son frère. Il estime que l’employeur n’a pas fait la preuve prépondérante des prétendues fraudes et abus de confiance qu’il avance pour justifier son congédiement. À l’égard des 7 000 $ manquants, la preuve est contradictoire et indique au surplus que l’employeur n’estime pas, lorsqu’il le découvre, que cela constitue un motif de congédiement. Quant aux chèques du 28 août, la preuve indique que l’employeur devait de l’argent aux plaignants et il est plausible qu’il les ait autorisés à se payer. Au surplus, les plaignants n’ont pas encaissé ces chèques. À l’égard de la prétendue fraude relative au salaire versé à la plaignante, de l’aveu même de l’employeur, celui-ci l’ignorait le 20 septembre 2013. Or, les plaignants affirment avoir été congédiés à cette date.
[92] Enfin, les plaignants estiment que les principaux témoins de l’employeur sont peu crédibles : un, Peter, est un fraudeur avéré et l’autre, monsieur Manolikakis, est un comptable qui ne peut prétendre sérieusement ignorer l’existence de tous les stratagèmes mis en place au restaurant. De plus, celui-ci a décidé d’embaucher le premier, comme gérant sachant les fraudes qu’il aurait commises, et l’a maintenu dans son emploi par la suite.
[93] Les plaignants ne demandent pas la réintégration, estimant qu’elle serait difficile dans les circonstances. Tous deux demandent à la Commission de constater qu’il n’y a pas lieu de l’ordonner et de réserver compétence sur l’ensemble des mesures de réparation.
[94] L’employeur plaide que la preuve prépondérante indique une cause juste et suffisante ayant mené au congédiement du plaignant : celui-ci l’a fraudé et a abusé de sa confiance en lui volant plusieurs milliers de dollars. Il s’est approprié, sans autorisation, 7 000 $ en argent comptant et a omis de les lui remettre; il a signé, sans autorisation, des chèques pour lui et son épouse pour des paies auxquelles ils n’avaient pas droit; il a déclaré que cette dernière avait travaillé au restaurant, sachant que ce n’était pas le cas, et a autorisé ses paies.
[95] À l’égard de la plaignante, l’employeur estime que la preuve révèle qu’elle n’était pas une salariée à son emploi au sens de la LNT. Elle n’a jamais fourni de prestations de travail comme caissière et elle n’a jamais été embauchée par l’employeur pour être « assistante » depuis sa résidence. Le travail qu’elle affirme avoir fait relève en partie des tâches du gérant, et en partie de celles des employés du bureau administratif ou du service de paie.
[96] Par ailleurs, l’employeur estime que les témoignages des plaignants ne sont pas crédibles. Ils comportent des allégations rocambolesques qui ne sont pas supportées par la preuve documentaire. Au surplus, ils admettent avoir commis des fraudes qui compromettent l’intégrité de l’employeur, ce qui les discrédite complètement.
[97]
L’article
124. Le salarié qui justifie de deux ans de service continu dans une même entreprise et qui croit avoir été congédié sans une cause juste et suffisante peut soumettre sa plainte par écrit à la Commission des normes du travail ou la mettre à la poste à l'adresse de la Commission des normes du travail dans les 45 jours de son congédiement, sauf si une procédure de réparation, autre que le recours en dommages-intérêts, est prévue ailleurs dans la présente loi, dans une autre loi ou dans une convention.
[98] Les conditions d’ouverture de ce recours sont les suivantes : être un salarié au sens de la LNT, justifier de deux ans de service continu dans l’entreprise, être congédié ou croire l’avoir été, soumettre une plainte dans les 45 jours de ce congédiement et ne pas bénéficier d’une autre mesure de réparation équivalente.
[99] Lorsque ces conditions sont prouvées ou admises, il revient à l’employeur de démontrer une cause juste et suffisante justifiant le congédiement.
[100]
L’employeur
conteste que la plaignante soit une salariée au sens de la LNT et qu’elle
puisse, dès lors, recourir à l’article
[101]
La notion
de salarié est définie comme suit au paragraphe 10
o
de l’article
10° « salarié »: une personne qui travaille pour un employeur et qui a droit à un salaire ; ce mot comprend en outre le travailleur partie à un contrat en vertu duquel:
i. il s'oblige envers une personne à exécuter un travail déterminé dans le cadre et selon les méthodes et les moyens que cette personne détermine;
ii. il s'oblige à fournir, pour l'exécution du contrat, le matériel, l'équipement, les matières premières ou la marchandise choisis par cette personne, et à les utiliser de la façon qu'elle indique;
iii. il conserve, à titre de rémunération, le montant qui lui reste de la somme reçue conformément au contrat, après déduction des frais d'exécution de ce contrat;
(soulignement ajouté)
[102] La question qui se pose ici est de savoir si la preuve prépondérante indique que la plaignante a travaillé pour l’employeur. Qu’en est-il?
[103] De l’aveu même de la plaignante, elle n’a jamais travaillé comme caissière au restaurant. Ceci est d’ailleurs corroboré par messieurs Synnett et Lacelle, qui confirment n’avoir jamais travaillé au restaurant avec elle, à tout le moins depuis 2003.
[104] La plaignante affirme plutôt avoir occupé un poste d’ «assistante gérante» , et avoir travaillé entre 10 et 20 heures par semaine. Cette prétention ne résiste pas à l’analyse de la preuve.
[105] Premièrement, la Commission estime que le témoignage de la plaignante est peu crédible. Elle décrit ses tâches de manière vague et imprécise. Certaines de ses explications ne tiennent pas la route, par exemple l’histoire des achats de produits ménagers rapportés à sa résidence plutôt qu’au restaurant. De même, il est impossible qu’elle puisse vérifier l’argent des dépôts quotidiens, ceux-ci se faisant à une fréquence de deux fois par semaine de l’aveu même du plaignant.
[106] Deuxièmement, la plaignante admet ne jamais avoir parlé à monsieur Manolikakis et ne l’avoir jamais considéré comme son supérieur. Elle maintient que sa vraie patronne est sa belle-mère et que c’est cette dernière qui l’a embauchée et lui donnait ses directives. Cette affirmation n’est corroborée que par le témoignage du plaignant, qui est tout aussi peu crédible que celui de la plaignante. Nous y reviendrons plus loin.
[107] Enfin, il est difficile de comprendre pourquoi l'employeur n'a pas indiqué au registre de paie la véritable fonction et les heures réellement travaillées par la plaignante. Pourquoi inscrire qu’elle est caissière et travaille 40 heures par semaine si ce n'est pas la réalité?
[108] En fait, c'eût été le cas, le registre de paie aurait mis en évidence l’invraisemblance de cette affirmation de la plaignante : son taux horaire d’ «assistante gérante» aurait été plus élevé que celui de son mari, un gérant. Ainsi, elle recevait un salaire hebdomadaire brut de 400 $, pour 10 à 20 heures de travail, ce qui correspond à un taux horaire de 20 $ à 40 $. Or, son époux gagne 17,50 $ l’heure!
[109] Par ailleurs, de l’aveu même du plaignant et de son frère Peter, les épouses de leurs cousins George et Jimmy ont, elles aussi, été inscrites sur le registre de paie comme caissière, sans avoir fait ce travail. L’une était rémunérée pour 40 heures de travail par semaine, au même salaire que la plaignante, alors que son mari travaillait aussi comme gérant au même salaire que le plaignant. Pour l’autre, le registre indique qu’elle était en congé de maternité et que, pendant ce temps, le taux horaire de son mari, gérant lui aussi, était de 27,50 $.
[110] La seule explication plausible et probable dans cette affaire est que l'employeur a permis le fractionnement du revenu de ses gérants entre ceux-ci et leur épouse respective. En effet, lorsqu'on additionne le salaire du plaignant et celui de la plaignante, on arrive à un taux horaire équivalent à celui des gérants dont les femmes ne sont pas rémunérées par l’employeur (27,50 $ l’heure). Ainsi en est-il de Peter et du cousin George quand sa femme est en congé de maternité.
[111]
Par
conséquent, la Commission estime que la preuve prépondérante ne démontre pas
que la plaignante a travaillé au restaurant pour l’employeur. De ce fait, elle n’est
pas une salariée au sens du paragraphe 10
o
de l’article
[112] L’employeur affirme avoir congédié le plaignant pour fraude et abus de confiance, résultant des trois événements suivants : (1) la fausse déclaration que son épouse travaillait au restaurant et la perte d’argent que ceci a entraînée pour l’employeur, (2) le vol de 7 000 $ en argent comptant et l’omission de les remettre, de même que (3) la signature non autorisée de deux chèques le 28 août 2013 à son bénéfice et à celui de son épouse.
[113] Monsieur Manolikakis affirme que l’employeur ignorait que la plaignante ne travaillait pas pour lui et que le plaignant a abusé de sa confiance en déclarant le contraire et en lui autorisant des paies. Cette affirmation n’est pas du tout crédible, surtout venant d’un comptable et homme d’affaires qui gère plusieurs entreprises.
[114] D’une part, il admet avoir établi la grille des salaires de tous ses employés. Il est donc difficile de le croire lorsqu’il affirme ignorer les salaires de ses gérants. D’autre part, il déclare avoir mis en place des systèmes de vérification rigoureux pour la gestion financière et comptable du restaurant. Comment peut-il alors expliquer le fait que certains gérants gagnent un salaire 57 % plus élevé que d’autres? Son témoignage est d’ailleurs demeuré très laconique et évasif sur ce sujet.
[115] Comme indiqué précédemment, l’analyse de la preuve amène la Commission à conclure que l'employeur permettait le fractionnement du revenu de ses gérants entre ceux-ci et leur épouse respective. Cela apparaît évident à l’examen des extraits du registre de paie déposés en preuve, juxtaposés à certains aveux des gérants entendus à l’audience. Ainsi, l’employeur ne peut reprocher au plaignant ce qu’il a lui-même permis, et ne peut non plus se plaindre d’avoir perdu de l’argent, puisque le salaire payé à la plaignante constituait, ni plus ni moins, une partie du salaire du plaignant.
[116]
L’employeur
affirme aussi que le plaignant lui a volé 7 000 $ en argent comptant
dans le coffre-fort et que, contrairement à sa promesse, il a omis de les lui
remettre. Le plaignant le nie formellement, puis y va d’une explication
percutante et non corroborée pour expliquer la disparition d’argent comptant au
restaurant, soit l’allégation de
prête-nom.
[117] Rappelons que l’employeur a le fardeau de prouver la cause juste et suffisante. Or, la seule preuve administrée par celui-ci sur le motif du vol consiste en le témoignage de monsieur Manolikakis, contredit par celui du plaignant. De l’avis de la Commission, aucun d’eux n’est apparu crédible à l’audience. Ils ont relaté à tour de rôle une version des événements comportant de nombreuses invraisemblances. Ils sont aussi revenus sur des affirmations antérieures pour les ajuster après avoir été confrontés par différents éléments de preuve.
[118] De plus, le plaignant a témoigné connaître et participer à la perpétration de plusieurs fraudes, dont les fausses déclarations relatives au travail des femmes de ses cousins, la hausse d’un salaire lié à un travail fictif pour permettre à l’une d’elles de recevoir « plus d’argent de la CSST », de même que l’émission de fausses factures de livraison pour encaisser des revenus non déclarés. De tels comportements avoués n’invitent pas à accorder beaucoup de valeur probante au témoignage de leur auteur.
[119] Cela étant, il est difficile de passer sous silence le fait que monsieur Manolikakis admet lui-même ne pas avoir considéré, au moment où se serait produit ce « vol », que cela constituait un motif de congédier le plaignant. Rien n’indique non plus qu’il ait sanctionné ce dernier de quelque manière que ce soit, à ce moment. Ce n’est que deux mois plus tard qu’il décide de s’y référer pour motiver son congédiement. Ce délai n’accrédite pas la thèse de la survenance d’un vol.
[120] Bref, la preuve administrée à l’audience n’établit pas que ce vol ait eu lieu, et qu’il ait été commis par le plaignant, selon la prépondérance des probabilités. Ce motif doit donc être écarté.
[121] Le dernier incident reproché par l’employeur au plaignant pour justifier son congédiement est l’affaire des chèques du 28 août 2013. La preuve non contredite indique que le plaignant a pris deux chèques dans le carnet destiné aux fournisseurs et qu’il les a libellés à son nom et à celui de sa femme, pour des montants correspondants à deux semaines de paie nette pour chacun d’eux.
[122] Là où les versions des parties se contredisent, c’est sur les questions à savoir si cet argent était dû au plaignant et si celui-ci avait l’autorisation de prendre ces chèques.
[123] Le plaignant affirme que cet argent lui était dû, alors que monsieur Manolikakis le nie.
[124] Le plaignant déclare aussi que ce dernier l’a autorisé à prendre ces chèques, lors d’une rencontre en personne, au bureau sur Côte-de-Liesse, le 26 ou le 27 août. Monsieur Manolikakis nie l’avoir autorisé à se payer de la sorte. Il apporte d’ailleurs son passeport à l’audience pour démontrer qu’il est en Grèce tout le mois d’août, et ce, jusqu’au 2 septembre. Le plaignant revient sur son témoignage pour évoquer la possibilité qu’il se soit trompé et que leur rencontre ait eu lieu le 2 septembre. Il aurait alors probablement indiqué la date du 28 août sur les chèques, dit-il, car cela correspond à une date de paie. Il s’agit encore une fois d’un changement de version du plaignant, bien commode, mais peu crédible.
[125]
En fait,
la preuve révèle que le plaignant lui-même reconnaît devoir obtenir
l’autorisation préalable de monsieur Manolikakis avant de prendre ces chèques.
Et il appert impossible qu’il l’ait obtenue dans les circonstances qu’il
invoque : il ne peut effectivement avoir rencontré son patron au bureau
sur Côte-de-Liesse alors que
celui-ci se trouve en Grèce.
[126] Le plaignant prétend qu’il doit être accordé plus de crédibilité à sa prétention qu’à celle de l’employeur, notamment parce qu’il a clairement indiqué sur les talons des chèques qu’ils représentaient du salaire : « Payroll ». Cet argument ne tient pas la route. Le plaignant est certain d’être dans son droit et c’est la raison pour laquelle il fait cette inscription. Même si cet argent lui est dû, ce qui est loin d’être établi, il ne peut se faire justice lui-même et se payer, à même des carnets de chèques déjà signés à l’attention des fournisseurs.
[127] Ce faisant, le plaignant a fait preuve d’une témérité et d’un abus de confiance qui constituent, dans les circonstances, une faute grave. Rappelons qu’il occupait un poste de cadre. À titre de gérant, l’employeur lui a confié d’importantes responsabilités, allant de l’embauche et la discipline du personnel à la gestion quotidienne des opérations du restaurant. Dès lors, il assumait des obligations plus lourdes de loyauté, de diligence et d’exemplarité.
[128]
Le lien de
confiance qui doit exister entre un employeur et son cadre est un élément
important à considérer, tant lors de l’examen de l’existence et la gravité de
la faute que pour l’application du principe de la progression des sanctions. La
malhonnêteté et l’abus de confiance sont des fautes graves, de nature à briser
ce lien de confiance. Lorsque commises par un cadre ayant des responsabilités
comme celles du plaignant, elles justifient à un employeur de procéder
immédiatement au congédiement, sans passer par la progression des sanctions (
Collin
c.
ArcelorMittal Montréal inc.
,
[129] La Commission conclut que la preuve prépondérante démontre qu’en prenant sans autorisation les chèques du 28 août 2003, le plaignant a commis une faute grave, de nature à briser le lien de confiance devant exister entre lui et l’employeur, même dans une entreprise gérée de la sorte.
EN CONSÉQUENCE, la Commission des relations du travail
REJETTE les plaintes.
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__________________________________ Mylène Alder |
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M e Isabelle Gauthier |
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RIVEST, TELLIER, PARADIS |
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Représentante des plaignants |
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M e Georgios Kyritsis |
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Représentant de l’intimée |
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Date de la dernière audience : |
31 mars 2015 |
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/jt