Carrier c. Deslauriers

2015 QCCQ 6050

JV0516

 
COUR DU QUÉBEC

« Division des petites créances »

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

MONTRÉAL

« Chambre civile »

N° :

500-32-136739-135

 

 

 

DATE :

 25 juin 2015

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SOUS LA PRÉSIDENCE DE :

L’HONORABLE

SUZANNE VADBONCOEUR, J.C.Q.

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CÉCILE CARRIER

Demanderesse

c.

 

GILLES DESLAURIERS

Défendeur

 

 

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JUGEMENT

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[1]            Cécile Carrier réclame 4 395$ à Gilles Deslauriers à la suite de la découverte de vices cachés affectant l’immeuble résidentiel acquis de ce dernier le 1 er juin 2010.

[2]            Les vices, qui consistent en d’importantes infiltrations d’eau affectant la structure de bois des murs et du toit, de même que le sous-sol, sont découverts le 1 er août 2010 après de fortes pluies.

[3]            Gilles Deslauriers nie devoir ce montant, alléguant que le contrat de vente prévoyait une inspection préachat de l’immeuble, ce qui n’a pas été fait à l’exception de l’entretoit où tout était noirci. L’état de l’entretoit, poursuit-il, aurait dû susciter une certaine prudence de la part de madame Carrier et l’inciter à investiguer davantage.

 

Les questions en litige

[4]            Le Tribunal doit décider des questions suivantes :

·                Sommes-nous en présence de vices cachés?

·                Dans l’affirmative, les conditions d’exercice de la garantie de qualité ont-elles été respectées?

·                Si oui, à combien s’élèvent les dommages auxquels madame Carrier a droit?

LE CONTEXTE

[5]            Cécile Carrier achète l’immeuble résidentiel de Gilles Deslauriers le 1 er juin 2010 - un plein pied - sans toutefois faire faire d’inspection préachat sauf pour l’entretoit.

[6]            Il s’est avéré lors de cet examen que l’entretoit était complètement noirci et que sa ventilation était déficiente.

[7]            En août 2010, madame Carrier constate que le système d’alarme ne fonctionne pas et que deux fenêtres à manivelle ne s’ouvrent pas.

[8]            Par la même occasion, elle constate que l’eau s’infiltre par la fenêtre du sous-sol et sous l’escalier.

[9]            Les travaux correctifs sont effectués par le défendeur lui-même, l’ancien propriétaire, conformément à l’entente P-2 intervenue entre eux deux.

[10]         En février 2011, l’eau s’infiltre cette fois par la chambre à coucher de madame Carrier au rez-de-chaussée.  Il est impossible de monter sur le toit puisque celui-ci est glacé.

[11]         Une mise en demeure (P-9) est envoyée à monsieur Deslauriers le 18 février 2011.

[12]         Madame Carrier contacte son assureur (Missisquoi) qui, après enquête, mandate Restauration Express pour effectuer les travaux correctifs à l’intérieur.

[13]         Cet entrepreneur perce le plafond de la chambre et s’aperçoit qu’il y a un deuxième plafond et que la laine minérale est imbibée d’eau.

[14]         Il ouvre l’un des murs et constate la présence de doubles parois de même que de moisissures (voir photos P-11 prises en juin 2011).

[15]         Il évalue à 4 912,70$ les travaux à faire, selon l’estimation P-5.

[16]         Madame Carrier rencontre un expert en sinistre à qui elle fait une déclaration (P-4) et la signe le 23 février 2011.

[17]         Elle envoie le 22 juin 2011 une mise en demeure au défendeur (P-3) de venir constater les dégâts.  Monsieur Deslauriers y obtempère le 29 juin.

[18]         Après les travaux, l’assureur Missisquoi ne verse qu’une indemnité de 1 850$ à madame Carrier vu que l’ouvrier qui les a faits - son voisin, monsieur D’Amours - n’était qu’un simple artisan et non un professionnel (voir lettre du 28 septembre 2011 dans la liasse P-8).

[19]         Madame Carrier affirme avoir versé 3 500$ à son voisin mais elle n’a aucune preuve de paiement ni reçu.

[20]         Alors que murs et plafonds sont encore tout ouverts, madame Carrier fait faire une expertise visuelle de l’intérieur de la maison le 3 août 2011 par l’ingénieur Serge E. Lapierre de la firme Expertises S. E. L. Son rapport est produit comme pièce P-1 et sa facture comme pièce P-7.

[21]         Ce rapport constate des rénovations cosmétiques qui « masquent des malfaçons majeures pouvant porter atteinte à l’intégrité structurale du bâtiment ainsi qu’être la source de problèmes de salubrité. » [1]

[22]         Il fait également état de traces d’infiltration d’eau au sous-sol, au mur de fondation sous la porte d’entrée, de même que d’affaissements et/ou de déformations laissant voir des défauts apparents au niveau de l’intégrité de l’ossature de bois du bâtiment, notamment au niveau des murs et des fermes de toit.  De l’extérieur, monsieur Lapierre note des traces d’infiltration d’eau au pourtour des fenêtres du sous-sol.

[23]         Madame Carrier envoie une troisième mise en demeure à monsieur Deslauriers le 16 août 2011 par l’entremise de ses procureurs (P10), dénonçant les vices cachés de façon détaillée.

[24]         Enfin, le 10 décembre 2012, madame Carrier envoie une quatrième mise en demeure (P-13) où elle réclame la somme de 5 684,82$.

[25]         Selon son témoignage et sa demande introductive d’instance, sa réclamation de 4 395$ se détaille ainsi :

·                montant payé à son ouvrier :                                         3 500$

·                coût de la franchise d’assurance :                                   500$

·                coût de l‘expertise de Serge E. Lapierre (SEL) :          360$

·                le reste représente des frais d’envoi des mises en demeure.

[26]         Pour sa part, monsieur Deslauriers souligne n’avoir connu aucun problème d’infiltration durant la période où il a habité cette résidence.  Il déneigeait sa toiture régulièrement.

[27]         Il était présent lors de l’inspection de l’entretoit et c’est à ce moment, donc bien avant la vente, qu’il a constaté que tout était noirci; ceci reflétait la présence de moisissures causées par la ventilation quasi inexistante.

ANALYSE ET DISCUSSION

[28]         Dans tout recours en justice, la partie demanderesse doit démontrer au Tribunal, par une preuve prépondérante, le bien fondé de ses prétentions conformément aux articles 2803 et 2804 du Code civil du Québec , lesquels se lisent comme suit :

«  2803.    Celui qui veut faire valoir un droit doit prouver les faits qui soutiennent sa prétention.

                Celui qui prétend qu'un droit est nul, a été modifié ou est éteint doit prouver les faits sur lesquels sa prétention est fondée.

2804.       La preuve qui rend l'existence d'un fait plus probable que son inexistence est suffisante, à moins que la loi n'exige une preuve plus convaincante. »

[29]         La réclamation de madame Carrier est fondée sur la présence de vices cachés affectant l’immeuble acheté du défendeur Deslauriers en juin 2010.

[30]         L’article 1726 C.c.Q., relatif à la garantie de qualité à laquelle est tenu tout vendeur, énonce que :

«  1726.  Le vendeur est tenu de garantir à l'acheteur que le bien et ses accessoires sont, lors de la vente, exempts de vices cachés qui le rendent impropre à l'usage auquel on le destine ou qui diminuent tellement son utilité que l'acheteur ne l'aurait pas acheté, ou n'aurait pas donné si haut prix, s'il les avait connus.

Il n'est, cependant, pas tenu de garantir le vice caché connu de l'acheteur ni le vice apparent; est apparent le vice qui peut être constaté par un acheteur prudent et diligent sans avoir besoin de recourir à un expert. »

[31]         Pour que cette garantie puisse s’appliquer, certaines conditions doivent être remplies : 

·                Le vice doit être grave, c’est-à-dire comporter un déficit d’usage important;

·                Il doit être caché, donc non apparent;

·                Il doit être antérieur à la vente;

·                Et, enfin, être inconnu de l’acheteur.

[32]         De plus, l’article 1739 C.c.Q. prévoit que l’acheteur doit dénoncer le vice par écrit au vendeur :

«  1739.  L'acheteur qui constate que le bien est atteint d'un vice doit, par écrit, le dénoncer au vendeur dans un délai raisonnable depuis sa découverte. Ce délai commence à courir, lorsque le vice apparaît graduellement, du jour où l'acheteur a pu en soupçonner la gravité et l'étendue.

Le vendeur ne peut se prévaloir d'une dénonciation tardive de l'acheteur s'il connaissait ou ne pouvait ignorer le vice. »

[33]         Le Tribunal estime que la plupart des conditions sont remplies à l’exception de celle portant sur le caractère caché du vice.

[34]         En effet, non seulement madame Carrier a admis qu’elle n’avait pas fait faire d’inspection préachat de l’immeuble (sauf de l’entretoit) mais cette admission est confirmée par le courtier de madame, Patricia Murphy.  En soi, il s’agit là d’une première imprudence de sa part.

[35]         Mais il y a plus :  l’examen de l’entretoit a démontré que celui-ci était très noirci, signe d’un problème sérieux de ventilation déficiente causant de la condensation puis de la moisissure.

[36]         Ceci a été confirmé non seulement par monsieur Deslauriers mais aussi par son courtier, Yves Rivest, qui étaient tous deux présents lors de cet examen de l’entretoit fait par Normand René dont on ne tient aucun rapport écrit et qui n’a pas été appelé comme témoin.

[37]         L’expertise de monsieur Lapierre (P-1) qui s’est faite, elle, bien après l’achat de l’immeuble, a, d’une façon très éloquente, confirmé la présence de traces d’infiltration et de « défauts majeurs pouvant compromettre l’intégrité du bâtiment et rendre l’immeuble impropre à son usage. ».

[38]         Elle indique aussi que l’infiltration d’eau au sous-sol et au pourtour des fenêtres du sous-sol devait exister depuis longtemps et que les dommages en étaient prévisibles compte tenu de la ventilation insuffisante et d’un manque d’isolant dans l’entretoit.

[39]         Le Tribunal est d’avis qu’un inspecteur, lors d’une inspection préachat faite par un professionnel, aurait détecté non pas tous ces signes de défauts majeurs puisque lors de l’expertise de Expertises S. E. L. , murs et plafonds étaient ouverts et il était donc plus facile de les détecter, mais il en aurait certainement décelé un bon nombre et aurait sans doute avisé madame Carrier des risques associés à ces signes et de la nécessité d’investiguer davantage.

[40]         L’entretoit complètement noirci constituait, de fait, un signe de la présence probable d’un vice et aurait dû inciter madame Carrier à avoir recours à un expert pour pousser plus loin la recherche des causes de ce noircissement généralisé.

[41]         Selon la jurisprudence, un acheteur ne doit pas acheter à l’aveuglette, il doit se montrer prudent et diligent dans l’examen du bien qu’il désire acheter et être sensible à tout signal détecté qui peut traduire la présence d’un problème sérieux.

[42]         Dans Parent c. Boumansour [2] , le juge Pierre Labbé écrit :

« [86]    Les demandeurs ont-ils agi en acheteurs prudents et diligents? Le Tribunal doit répondre par la négative.  Il y avait suffisamment d’indices visibles, documentés par le rapport de l’inspecteur Ricard, pour inciter les demandeurs à faire preuve de prudence en faisant vérifier la situation de façon plus approfondie.  C’est aussi la conclusion à laquelle en est arrivé l’expert Alain Proteau. »

[43]         De même, dans St-Louis c. Morin [3] , la Cour d’appel écrit :

« Dans le cas où un immeuble présente des signes sérieux de vice potentiel, un acheteur prudent et diligent a d’ailleurs l’obligation de s’adjoindre un expert sinon il risque de se voir opposer le caractère apparent du vice :

[…]       L’obligation de recourir à un expert, aujourd’hui, ne pourrait se justifier d’après nous que dans des circonstances bien particulières, lorsque l’examen initial par l’acheteur révèle un indice sérieux de vice potentiel que seul un expert peut identifier : […].

En résumé, lorsque l’immeuble présente un indice permettant de soupçonner l’existence d’un vice potentiel, l’acheteur prudent et diligent, qui n’a pas fait appel à un expert, doit le faire ou vérifier autrement et de façon satisfaisante ce qui est suspect .  Dans le cas où l’acheteur a déjà fait appel à un expert, la présence de signes annonciateurs d’un vice potentiel oblige l’expert à faire une inspection plus approfondie.  S’il ne l’a fait pas et qu’un vice est mis à jour, la conclusion que le vice n’était pas caché s’imposera. »

(notre soulignement)

[44]         La Cour d’appel s’est également prononcée en ce sens dans Désourdy c. Lagacé [4] et a donné raison au juge de première instance :

« [12]    Par rapport aux fissures, le juge retient que l’existence de deux fissures apparentes aurait dû inciter les appelants à pousser leur enquête plus loin.  Il note qu’aucune inspection professionnelle n’a été faite avant l’achat et souligne qu’un acheteur prudent doit faire appel à un expert avant l’achat, si nécessaire.  Le juge conclut que les appelants devaient donc en assumer les risques et rejette leur réclamation sous ce chef.  En outre, il ajoute que les appelants n’ont pas rempli leur fardeau de preuve quant à la gravité des problèmes de fissures, d’infiltration d’eau et d’isolation. »

(notre soulignement)

[45]         Notre Cour a également suivi cet enseignement dans nombre de décisions dont notamment Janvier c. Lamoureux [5] où la juge Dominique Langis s’exprime ainsi :

« [31]    L’acheteur a un devoir de se renseigner sur la cause des problèmes révélés par des indices soumis, sous peine de voir son recours rejeté Ce devoir peut alors faire naitre de façon autonome une obligation ponctuelle et circonstancielle de recourir à un expert.

[33]       Le Tribunal est d’avis que les circonstances auraient dû inciter monsieur Janvier à pousser plus loin son investigation.  Ce devoir d’enquête emporte minimalement celui de faire effectuer une inspection préachat , ce qui lui aurait sans doute permis de connaitre la nature et l’ampleur du vice affectant le solage à l’intérieur. »

(nos soulignements)

[46]         Ne pas avoir procédé à une inspection préachat par un professionnel et ne pas avoir investigué davantage malgré l’entretoit tout noirci constituent des gestes d’autant plus imprudents de la part de madame Carrier qu’une inspection était prévue dans la promesse d’achat, à la clause B2.4 du formulaire AB 26900 (D-1).

[47]         Le Tribunal estime donc que le défaut de madame Carrier d’avoir agi en acheteur prudent et diligent fait que l’on doit conclure à l’absence de vices cachés et au rejet de sa réclamation.

PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL  :

REJETTE la demande de la demanderesse avec dépens.

 

 

 

 

 

SUZANNE VADBONCOEUR, J.C.Q.

 

 

 

Date d’audition :  23 février 2015

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[1]     P-1, page 5

[2]     Parent c. Boumansour , AZ-51141408 ; 2015 QCCQ 120

[3]     St-Louis c. Morin , 2006 QCCA 1643

[4]     Désourdy c. Lagacé , 2013 QCCA 1986

[5]     Janvier c. Lamoureux , 2013 QCCQ 3593