COMMISSION DES RELATIONS DU TRAVAIL

 

 

Dossier :

209579

Cas :

CQ-2015-2357

 

Référence :

2015 QCCRT 0365

 

Québec, le

10 juillet 2015

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DEVANT LES COMMISSAIRES :

Hélène Bédard, juge administratif

 

Raymond Gagnon, juge administratif

 

Bernard Marceau, juge administratif

 

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Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ-Construction)

Requérante

c.

 

C.S.N. - Construction

Intimée

et

 

Construction énergie renouvelable, s.e.n.c.
Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ)
C.E.R. (LFG-EBC-TCI)

Mises en cause

 

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DÉCISION

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[1]            Le 23 avril 2015, la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ - Construction), ci-après la FTQ , demande la révision d’une décision interlocutoire rendue par la Commission le 23 mars 2015 ( 2015 QCCRT 0161 ). Sa demande prend appui sur le paragraphe 3º du premier alinéa de l’article 127 du Code du travail , RLRQ, c. C-27 (le Code ).

[2]            Cette décision accueille la demande de réamendement de la plainte de la CSN Construction, ci-après la CSN, faite le 27 octobre 2014, plainte initialement déposée le 9 mai 2011.

[3]            Les conclusions de la requête en révision de la FTQ sont ainsi formulées :

ACCUEILLIR           la présente requête;

CONSTATER          l’absence de plaignant à la plainte du 9 mai 2011;

DÉCLARER              irrecevable la plainte du 9 mai 2011;

RENDRE                   toute autre ordonnance jugée utile et nécessaire.

le contexte

[4]            Le 9 mai 2011, la CSN dépose une plainte relative à l’exercice de la liberté syndicale visant Construction énergie renouvelable, s.e.n.c. ( C.E.R. ), messieurs Pierre Beauchamp et Norbert Morency, ses représentants, de même que la FTQ.

[5]            La plainte prend appui sur les articles 101.1 et suivants de la Loi sur les relations du travail, la formation professionnelle et la gestion de la main-d'oeuvre dans l'industrie de la construction, RLRQ, c. R-20, ci-après la Loi R-20 ) :

101.1. Une association de salariés ne peut, à l'égard des salariés qu'elle représente, agir de manière arbitraire ou discriminatoire dans les références qu'elle fait à des fins d'embauche.

102. Une association de salariés ne peut exercer des mesures discriminatoires contre un salarié pour la seule raison qu'il s'abstient d'adhérer à une association.

104. Il est interdit à une association de salariés de refuser d'accepter comme membre un salarié parce que ce dernier n'a pas été embauché par l'entremise de cette association.

105. Une personne intéressée peut soumettre à la Commission des relations du travail une plainte portant sur l'application des dispositions du présent chapitre dans les 15 jours qui suivent la date à laquelle a eu lieu le fait ou la connaissance du fait dont elle se plaint.

106. Si le plaignant établit à la satisfaction de la Commission des relations du travail qu'il exerce un droit lui résultant du présent chapitre, il incombe à la personne ou à l'association visée par la plainte, suivant le cas, de prouver qu'elle avait un motif juste et suffisant de faire ce qui lui est reproché.

107. Les dispositions du Code du travail (chapitre C-27) qui sont applicables à un recours relatif à l'exercice par un salarié d'un droit lui résultant de ce code s'appliquent, compte tenu des adaptations nécessaires, au regard d'une plainte soumise à la Commission des relations du travail en vertu de l'article 105 de la présente loi.

L'ordonnance de versement d'une indemnité visée au paragraphe a de l'article 15 du Code du travail peut aussi s'appliquer à toute personne ou association autre que l'employeur. La Commission des relations du travail peut aussi ordonner le paiement de dommages-intérêts punitifs par les personnes ou associations qui auraient contrevenu à une disposition du présent chapitre, ordonner à une association représentative ou de salariés de réintégrer un salarié dans ses rangs avec le maintien des avantages dont il a été privé illégalement et rendre toute autre ordonnance qu'elle estime appropriée.

[6]            Dans cette plainte, signée par monsieur Alain Bédard, le représentant de la CSN, sont relatés les faits et événements qui motivent la plainte et est précisée la solution recherchée :

SECTION II : DESCRIPTION DES FAITS

Le 9 et 10 février 2011, j’ai fait parvenir par fax à plusieurs personnes responsables de la cie C.E.R. (LFG-EBC-TCI), plusieurs fax, les informant que j’avais des travailleurs de disponibles comme des manœuvres spécialisés, des arpenteurs, des aides-monteur, opérateurs, des conducteurs de camion et des menuisiers, sans aucun retour d’appel. J’ai communiqué à plusieurs reprises avec M. Norbert Morency qui me reportait l’embauche, me disant qu’il était dans le déneigement des chemins et qu’il avait embauché les mêmes personnes que l’année dernière.

Le 2 mai dernier en avant-midi, je me suis présenté sur le chantier des éoliennes du Plateau, j’ai rencontré dans un premier temps Pierre Beauchamp dans son bureau et après plusieurs demandes de ma part, il m’a remis une liste des travailleurs sur le chantier et j’ai constaté que seulement (1) CSN, 4 inter et (54) FTQ étaient sur cette liste, je lui demande de remédier à la situation et de faire l’embauche de travailleurs CSN. Il m’informe qu’il ne fera pas de mise à pied pour permettre d’embaucher des CSN. Cela je le comprends très bien et je l’informe que je vais faire une plainte pour discrimination et que je vais faire intervenir le CCQ pour vérifier le chantier.

SECTION III : SOLUTION RECHERCHÉE

Ces agissements sont gravement répréhensibles puisqu’ils vont à l’encontre d’un droit fondamental prévu à la Loi, soit celui du droit d’appartenir à l’association représentative de son choix.

Les faits et gestes reprochés à l’employeur, soient M. Norbert Morency et M. Pierre Beauchamp, sont tout à fait contraire à la Loi R-20, entre autres aux articles 97-100-101 et 103 de cette loi

Nous demandons l’embauche des travailleurs et aussi la récupération des salaires perdus. Aussi faire ne sorte que la loi soit respectée par cet employeur et nous demandons des dommages exemplaires et moraux pour la CSN.

[7]            Au formulaire utilisé pour déposer la plainte est jointe une lettre envoyée le même jour à la Commission de la construction du Québec. En plus de reprendre les événements se rapportant aux 9 et 10 février 2010 et au 2 mai 2011 relatés dans la plainte, monsieur Bédard fait état d’une visite effectuée sur le même chantier le 15 novembre 2010. On lui a alors remis une liste des travailleurs sur le chantier lui permettant de constater que se trouvaient sur cette liste les noms d’un travailleur membre de la CSN, 4 de l’INTER et 54 de la FTQ.

[8]            L’affaire en reste là puisque ces mêmes personnes allaient incessamment être mises à pied, jusqu’à la reprise des travaux en avril 2010.

[9]            Par la suite, le 31 octobre 2011, la CSN demande à amender sa plainte. Elle demande que la FTQ y soit aussi visée en raison des agissements de ses représentants provenant de différentes sections locales et qui mettent en œuvre un système de discrimination à l’encontre des travailleurs qui ne sont pas ses membres.

[10]         La demande d’amendement fait aussi état qu’en juin 2010, monsieur Bédard a fait parvenir à C.E.R. des listes de travailleurs disponibles, que certains ont été contactés par un contremaître de C.E.R. et que, finalement, aucun de ces travailleurs n’a été appelé. Elle recherche donc une condamnation solidaire de la FTQ et de la C.E.R. à payer les salaires perdus de même que le paiement de dommages moraux et exemplaires.

[11]         Le 5 septembre 2014, la Commission rend une première décision interlocutoire ( 2014 QCCRT 0483 ). Elle rejette toutes les objections préliminaires présentées par C.E.R. et la FTQ portant sur ces cinq éléments :

1.       la prescription du recours, ce dernier ayant été intenté le 9 mai 2011, soit plus de quinze jours après les faits à l’origine de la plainte;

2.       la plainte du 31 octobre constitue une toute nouvelle demande et est elle-même prescrite puisque déposée plus de cinq mois après la connaissance des faits à l’origine de la plainte initiale du 9 mai;

3.       la FTQ n’est aucunement responsable de la fermeture du chantier Le Plateau en octobre 2011;

4.       la CSN plaide pour autrui et ne peut réclamer des dommages pour les salariés;

5.       la CSN veut mettre en preuve des faits antérieurs et postérieurs aux événements survenus sur le chantier Le Plateau et la preuve de l’existence d’un système de discrimination n’est pas admissible et n’a aucune valeur probante.

[12]        Après avoir rejeté ces objections, la Commission convoque les parties pour la continuation des audiences à compter du 31 octobre 2014.

[13]         Le 27 octobre, la CSN présente une deuxième demande d’amendement afin que soient visées par la plainte C.E.R., à la fois comme société commerciale (inc.) et comme société en nom collectif (s.e.n.c.) et, partant, qu’elles répondent toutes deux des dommages réclamés de même que les intérêts et l’indemnité additionnelle y reliés. Elle demande aussi que soient expressément identifiés messieurs Morency et Beauchamp en raison de leurs agissements comme représentants de C.E.R..

[14]         La CSN apporte aussi quelques modifications à la description des faits, essentiellement pour préciser qu’elle a fait parvenir à C.E.R., au cours de l’été 2010, des listes de travailleurs disponibles et qu’aucun d’eux n’a été embauché en raison des pressions exercées par les agents d’affaires de la FTQ, suivant en cela les pratiques déjà suivies sur le chantier Gaspésia. Elle n’entend plus faire la preuve d’un système de discrimination mis en place par la FTQ, mais plutôt de « faits similaires » survenus sur d’autres chantiers, dont celui de Gaspésia.

[15]         Par la même demande d’amendement, la FTQ n’est plus nommément visée par la plainte.

[16]         Cette deuxième demande d’amendement, dans le cadre d’une conférence de gestion, est plaidée profusément le 31 octobre. Il est cette fois question de l’identification des plaignants. Pour C.E.R. et la FTQ, le défaut des travailleurs de s’identifier nommément à la plainte en affecte la recevabilité et le fait d’être disponibles pour travailler n’est pas suffisant pour en faire des plaignants que la CSN peut représenter. Cette dernière répond que le nom des salariés apparaît aux listes de disponibilité qui ont été acheminées à C.E.R. et que le rejet du moyen préliminaire portant sur sa qualité de représentante des travailleurs a déjà été tranché par la décision interlocutoire du 5 septembre 2014.

[17]         Ces moyens préliminaires sont pris en délibéré le 23 décembre suivant.

[18]         Le 23 mars 2015, la Commission rend une deuxième décision interlocutoire, ici visée par la demande de révision.

[19]         La Commission y réitère ses conclusions au regard du premier amendement visé par la décision interlocutoire du 5 septembre 2014. Elle conclut que ce deuxième amendement ne fait qu’apporter les corrections résultant de la renonciation à invoquer la mise en place d’un système de discrimination. Ainsi, la plainte du 9 mai 2011 demeure donc recevable. L’amendement de la CSN annonce la preuve qu’elle entend présenter au profit de ses membres pour établir les agissements fautifs des représentants de la FTQ et pour justifier l’octroi des dommages réclamés. Finalement, la Commission autorise ce deuxième amendement et confirme la recevabilité de la plainte.

la demande de révision

[20]         La FTQ plaide que la décision interlocutoire du 25 mars 2015 est atteinte d’un vice de fond de nature à l’invalider du fait que la Commission n’a pas décidé :

1-     de son moyen préliminaire portant sur l’absence de plaignant à la plainte du 9 mai 2011, le dépôt de listes de disponibilité de travailleurs membres de la CSN ne pouvant y suppléer;

2-     de la recevabilité de l’amendement proposé par la CSN portant sur des faits similaires à ce qui a pu se passer au chantier Le Plateau;

3-     de l’objection préliminaire de la FTQ relative au rejet de la plainte de la CSN.

les motifs

[21]         La révision pour vice de fond d’une décision rendue par la Commission en application du 3 e paragraphe du premier alinéa de l’article 127 du Code n’est applicable que s’il y a une erreur manifeste, de droit ou de fait, ayant un effet déterminant sur l’issue du litige dont elle est saisie.

[22]         La révision ou la révocation d’une décision rendue en cours d’instance est de portée encore plus limitée. Selon la jurisprudence de la Commission, une décision, prise dans le cadre de la gestion de l’audience, n’est normalement pas susceptible de révision, à moins de circonstances exceptionnelles.

[23]         Dans l’affaire Syndicat des employés(es) des Centres Marronniers (CSN) c. Gagnon ( 2006 QCCRT 0337 ), la Commission écrit :

[79]      Seront donc prématurées, règle générale, toutes les demandes de révision de décisions rendues dans le cadre de la gestion d'un dossier ou en regard de l'administration de la preuve. Il convient en effet d’éviter que l’exercice d’un tel recours vienne empêcher que l’affaire dont est saisie la Commission soit menée avec efficacité et diligence tel que le prévoit l’article 114 du Code ou encore qu’il soit utilisé à des fins dilatoires.

[80]      Par ailleurs, les moyens d'irrecevabilité rejetés par un premier commissaire ne seront susceptibles de révision, avant décision finale, que dans les seuls « cas manifestes d'irrecevabilité » .  La décision d’un commissaire de rendre une décision interlocutoire étant elle-même discrétionnaire, dans tous les cas, la formation de révision fera preuve d'une grande retenue à l'égard de la première décision avant de décider qu'il est opportun de l'examiner plutôt que d'attendre la décision finale.

[24]         Dans la présente affaire, aucune circonstance exceptionnelle ne permet de déroger à ce principe.

[25]         L’amendement autorisé par la décision du 25 mars 2015 porte sur les démarches du conseiller Bédard faites à l’été et à l’automne 2010 alors qu’il s’enquiert auprès des représentants de C.E.R. des possibilités d’emploi et présente aux représentants de C.E.R. des listes de disponibilité de ces mêmes travailleurs. Ces représentants ne les ont pas considérées en raison des agissements des agents d’affaires de la FTQ. Elle permet l’amendement recherché par la CSN le 27 octobre 2014, soit de désigner C.E.R., à la fois comme société commerciale et comme société en commandite, de même que leurs dirigeants. La plainte est considérée recevable telle qu’ainsi réamendée.

[26]         Cette décision interlocutoire est rendue dans le contexte de la gestion du dossier.

[27]         En acceptant ce réamendement, la Commission permet simplement d’identifier les parties visées par le recours. Elle permet aussi de cerner le contexte que la CSN entend mettre en preuve. Celui-ci s’ajoute aux éléments déjà annoncés, soit tout particulièrement la visite que le conseiller Bédard a faite le 2 mai dernier 2011 sur le chantier des éoliennes Le Plateau. Non satisfait de ce qu’il a vu, entendu et compris, il a cru nécessaire d’introduire devant la Commission la présente affaire en application de l’article 105 de la Loi R-20, précité. Finalement, l’amendement autorisé confirme la renonciation par la CSN à invoquer la mise en place d’un système de discrimination ou d’intimidation à l’encontre des travailleurs membres de la CSN.

[28]         La Commission y décide que la plainte peut être soumise par une « personne intéressée », ce que fait le conseiller Bédard pour la CSN le 9 mai 2011. Elle porte sur des faits survenus dans les 15 jours précédents. Elle concerne des membres de la CSN dont les services n’ont pas été retenus par C.E.R. à la reprise des travaux sur le chantier Le Plateau en mai 2011.

[29]         Toutes ces questions sont reliées soit au mandat de représentation de la CSN, soit à sa capacité de déposer une plainte portant sur l’application des dispositions du chapitre IX - Liberté syndicale de la Loi R-20, soit encore, par un plaignant, de la preuve de l’exercice d’un tel droit ou, par la partie intimée, de la présence d’un motif juste et suffisant pour avoir fait ce qui lui est reproché. Ils doivent faire l’objet d’une décision de la Commission après qu’elle ait entendue les parties sur tous ces aspects.

[30]         Contrairement à ce que prétend la FTQ, la Commission, en autorisant le deuxième amendement, dispose par sa décision interlocutoire des moyens préliminaires qu’elle lui a présentés.

[31]         Celle-ci pourra se faire entendre dans le cadre de l’audience sur le fond et présenter à cette occasion toute preuve sur la plainte telle que réamendée.

EN CONSÉQUENCE, la Commission des relations du travail

REJETTE                      la demande de révision .

 

 

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Hélène Bédard, présidente de la formation

 

 

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Raymond Gagnon

 

 

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Bernard Marceau

 

M e Julie Boyer

Représentante de la requérante

 

M e Dany Milliard

MÉNARD MILLIARD CAUX, S.E.N.C.

Représentant de l’intimée

 

M e Jean-Sébastien Cloutier

NORTON ROSE FULBRIGHT CANADA S.E.N.C.R.L., S.R.L.

Représentant de la mise en cause C.E.R.

 

 

M e Christian Tétreault

BOURQUE, TÉTREAULT & ASSOCIÉS

Représentant de la mise en cause (C.E.R.) (LFG-EBC-TCI)

 

Date de la mise en délibéré :

22 juin 2015

 

/nm