2015 QCCQ 6707

 

Mujtaba c. Hébert

 

 

COUR DU QUÉBEC

Division administrative et d'appel

 

 

 

CANADA

 

PROVINCE DE QUÉBEC

 

DISTRICT DE

MONTRÉAL

 

« Chambre civile »

 

N° :

500-80-029308-146

 

 

DATE :

31 juillet 2015

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SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

MARTINE L. TREMBLAY, J.C.Q.

 

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SHAHEEN MUJTABA

 

 

Appelante

 

c.

 

 

 

PATRICK HÉBERT

 

Et

 

HÉLÈNE GAUVREAU

 

 

Intimés

 

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JUGEMENT EN APPEL D’UNE DÉCISION DE LA RÉGIE DU LOGEMENT

(Art. 98 de la Loi sur la Régie du Logement , RLRQ c. R-8.1.)

 

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[1]        Le Tribunal est saisi de l’appel de novo d’une décision de la Régie du logement [1] (la «  Régie  ») rendue le 5 septembre 2014, refusant la reprise de possession d’un logement aux motifs que le propriétaire et le locateur ne sont pas la même personne et que la reprise est un prétexte pour atteindre une autre fin.

QUESTIONS EN LITIGE

1)             Quelle est la norme de contrôle ?

2)             L’avis de reprise de possession est-il conforme à la loi ?

3)             L’Appelante a-t-elle prouvé les conditions requises pour permettre la reprise du logement ?

4)             Le cas échéant, quelles sont les conditions justes et raisonnables devant être imposées pour la reprise du logement ?

LES FAITS

[2]        Le Tribunal résume ainsi les faits pertinents qui se dégagent de l’ensemble de la preuve.

[3]        Le 16 novembre 2004, Ghulam Mujtaba («  M. Mujtaba  ») signe un bail avec M. Patrick Hébert («  M. Hébert  ») et Mme Annette Tremblay, cautionné par Mme Hélène Gauvreau («  Mme Gauvreau  ») pour le logement du […] de l’arrondissement de Lasalle à Montréal (le «  Logement  »), pour une période de 12 mois commençant le 1 er novembre 2004 et un loyer mensuel de 1 130 $ [2] . Ce bail est renouvelé annuellement jusqu’à sa résiliation pour non paiement du loyer par la Régie à l’automne 2007.

[4]        Le 1 er décembre 2007, plutôt que d’expulser M. Hébert et Mme Gauvreau (ci-après collectivement appelés les «  Locataires  ») en raison du jugement ayant résilié leur bail, M. Mujtaba leur consent un bail pour un même montant de loyer, mais pour une durée réduite à six mois [3] .

[5]        Le Logement est un 5½ pièces situé au rez-de-chaussée d’un duplex semi-détaché, avec sous-sol fini et un  garage. Un bachelor occupe l’autre partie du sous-sol. Il porte l’adresse civique […] (le «  Bachelor  »), et communique avec une chambre froide qui permet d’accéder à la cour arrière. Bien que la chambre froide fasse partie de l’espace loué par les Locataires, il s’agit d’une sortie d’urgence pour le locataire du Bachelor.

[6]        M. Mujtaba et sa famille occupent un logement identique au Logement dans le duplex semi-détaché mitoyen du même bâtiment, et propriété de la conjointe de M. Mujtaba, Mme Shaheen Mujtaba («  l’Appelante  »).

[7]        Le 29 décembre 2007, les Locataires se plaignent à M. Mujtaba de la violence et des menaces formulées à leur endroit par le locataire du Bachelor. Le 11 janvier 2008, ils déposent à la Régie une demande en diminution de leur loyer alléguant l’incapacité dans laquelle ils se trouvent de jouir paisiblement du Logement en raison du comportement de ce locataire. Ils obtiennent que cette demande soit entendue en urgence le 17 décembre 2008 [4] , mais la cause ne peut alors pas procéder en raison de l’encombrement du rôle. Les parties entament donc des négociations.

[8]        Entretemps, M. Mujtaba a demandé à la Régie de résilier le bail des Locataires pour défaut de payer les loyers de septembre et octobre 2008 et leurs fréquents retards à se faire. Le 4 novembre 2008, les Locataires ayant payé les loyers réclamés, la Régie leur  ordonne [5] tout de même de payer leur loyer le 1 er jour de chaque mois, à partir du 1 er décembre 2008. Les motifs de la décision précise d’ailleurs «  advenant le défaut des locataires de payer leur loyer le premier de chaque mois, le Tribunal, sur demande du locateur, résiliera le bail  ».

[9]        De plus, le 18 novembre 2008, M. Mujtaba a vendu l’immeuble où sont situés le Logement et le Bachelor [6] à l’Appelante, qui lui a accordé une procuration générale notariée [7] .

[10]     Suite à la rencontre du 17 décembre 2008, il y a échange de correspondances entre M. Mujtaba et l’Appelante, d’une part, et les Locataires [8] , d’autre part, qui se termine, le 20 juin 2009, par la signature d’un bail pour le Bachelor entre l’Appelante, représentée par M. Mujtaba, et Mme Gauvreau, d’une durée de 12 mois, à compter du 1 er juillet 2010, et pour un loyer mensuel de 370 $ [9] . Ce bail, cautionné par M. Hébert, stipule que le document du 31 mai 2009 [10] qui y est annexé, signé tant par l’Appelante que par M. Mujtaba, en fait partie intégrante. On y lit, notamment:

[…]

However, as discussed during our telephone conversation, it must be stated on the lease for the 1804A and 1804 that the animals are allowed or sign at the bottom of this letter the autorization to keep animals in the dwelling.

[…]

But as far as taxes retroactive to the signing of the lease, we are spending only half that of the invoice, the fees to be divided, the basement is not occupied by us but by another tenant »

(Reproduction exacte)

[11]         Mme Gauvreau explique qu’elle souhaite que le bail du Bachelor soit uniquement à son nom pour qu’elle puisse déduire le loyer du revenu de son entreprise d’entretien paysager.

[12]         À l’audience, M. Mujtaba décrit sa relation et celle de l’Appelante avec les Locataires comme étant a «  rocky relationship  » en raison des difficultés qu’ils éprouvent à obtenir le paiement du loyer. Plusieurs procédures identifiant M. Mujtaba comme locateur sont déposées au dossier de la Cour :

a)     Le 17 décembre 2010, demande en résiliation du bail du Bachelor pour non-paiement du loyer [11] .

b)     Le 9 mars 2012, requêtes en résiliation du bail du Logement et du Bachelor pour non-paiement du loyer, accueillies favorablement par décision en date du 8 juin 2012 [12] . Les Locataires évitent l’expulsion en payant les loyers avant la date du jugement [13] .

c)     Le 22 mars 2013, demande en résiliation du bail du Logement en raison d’une utilisation à des fins commerciales et non pas résidentielles, rejetée le 15 août 2013 [14] .

[13]         Par contre, cette demande du 22 mars 2013 est précédée d’un échange de correspondance, concernant le Bachelor [15] . Les Locataires transmettent une mise en demeure à l’Appelante et M. Mujtaba. Mme Gauvreau précise qu’elle signe comme locataire du Logement et du Bachelor. M. Mujtaba et l’Appelante signent tous les deux la réponse [16] .

[14]         De plus, alors que cette cause est pendante, l’Appelante ou M. Mujtaba porte plainte à la Ville de Montréal, alléguant l’insalubrité des lieux en raison, notamment, du nombre de chiens qui s’y trouvent. L’arrondissement émet un avis d’infraction [17] pour l’utilisation du Bachelor à des fins non-conformes, mais ne considère pas le logement insalubre [18] .

[15]         Le 23 mars 2013 et donc de manière contemporaine au dépôt de la requête en résiliation du bail du Logement, M. Mujtaba signe et transmet un Avis d’augmentation de loyer et modification des conditions pour le bail du Bachelor [19] .

[16]         De son côté, les Locataires parlent d’une relation conflictuelle avec le propriétaire depuis 2009 en raison de travaux que celui-ci ne veut pas effectuer.

[17]         Le 5 mars 2012, les Locataires ont transmis une lettre de mise en demeure à l’Appelante et à M. Mujtaba exigeant que des travaux soient faits dans le Logement [20] . Puis, ils entreprennent diverses procédures qui identifient le locateur comme étant M. Mujtaba :

a)             le 4 juillet 2013, une demande en diminution du loyer pour le Logement et dommages intérêts [21] ;

b)             le 8 janvier 2014, une demande pour exécution forcée de travaux dans le Logement [22] .

[18]         Le 1 er mars 2014, M. Mujtaba demande de faire les chèques en paiement du loyer pour le Logement et le Bachelor à l’ordre de l’Appelante [23] .

[19]         Le 3 avril 2004, les Locataires accusent réception d’un avis de reprise de possession du Logement [24] (l’«  Avis de reprise  ») signé par l’Appelante qui veut y loger ses parents, M. Mohamad Rahim et Mme Irshad Begum, à compter du 1 er juin 2014. Cette demande est transmise avec une lettre de l’Appelante qui offre aux Locataires, s’ils le désirent seulement, de résilier le bail du Bachelor également [25] .

[20]         Les Locataires refusant de quitter, l’Appelante s’adresse à la Régie le 8 avril 2014. Des audiences tenues le 12 mai et le 16 juin 2014 donnent lieu au Jugement dont appel.

 

 

ANALYSE

1)             Quelle est la norme de contrôle ?

[21]         Lorsque, dans le cadre d’un appel d’une décision de la Régie, la Cour du Québec entend à nouveau  la preuve, comme c’est le cas en l’instance, elle doit rendre sa propre décision [26] .

[22]         Les parties peuvent donc soumettre une preuve différente, plus ou moins complète, de celle présentée à la Régie. Cependant, cette décision doit être fonction des faits tels qu’ils existaient à la date de la mise en délibéré de l’affaire par la Régie.

[23]         Dans ce dossier, il n’y a donc pas lieu de considérer les faits postérieurs à cette mise en délibéré, surtout que certains d’entre eux ont entrainé le dépôt de nouvelles demandes par l’une ou l’autre des parties devant la Régie qui sont toujours pendantes.

2)            L’avis de reprise de possession est-il conforme à la loi ?

[24]         M. Hébert et Mme Gauvreau plaident que l’Avis de reprise n’est pas conforme à la loi, puisque :

a)     Il ne respecte pas le délai de six mois avant l’expiration du bail pour le Logement [27] ;

b)     il n’indique pas le nom de tous les bénéficiaires;

[25]         Le Tribunal est d’avis que le bail pour le Logement est d’une durée de six mois ou moins, de sorte que l’Avis de reprise a été reçu par les Locataires au moins un mois avant son expiration prévue pour le 31 mai 2014, soit à l’intérieur du délai prévu par la loi [28] .

[26]         Le Tribunal rejette l’argument des Locataires voulant que le bail du Bachelor est un accessoire du bail du Logement, de sorte qu’en le signant, les parties ont convenu de modifier la durée du bail pour le Logement.

[27]         Non seulement cet argument n’a pas été plaidé devant la Régie, mais dans leurs demandes du 4 juillet 2013 [29] et du 8 janvier 2014 [30] , tout comme dans leur requête du 24 juillet 2012 en opposition à un préavis d’expulsion, les Locataires affirment que leur bail pour le Logement est d’une durée de six mois.

[28]         Le Tribunal est également d’avis que l’Avis de reprise indique correctement le nom des bénéficiaires comme étant ceux des parents de l’Appelante.

[29]         Le fait que leur belle-fille aille s’installer avec les parents et que lorsqu’il arrivera du Pakistan, à une date qui dépend essentiellement de certaines règles en matière de droit de l’immigration, leur fils la rejoindra ne signifie pas que les bénéficiaires sont également le frère de l’Appelante et sa famille.

[30]         La loi exige que l’Avis de reprise mentionne le nom du bénéficiaire. Elle ne requiert pas d’indiquer le nom de toutes les personnes qui vivront avec lui [31] . Il suffit que le bénéficiaire soit l’une des personnes indiquées à l’article 1957 C.c.Q.

[31]         La juge Lavigne en est d’ailleurs venue à cette conclusion [32] dans le cas du père d’une enfant mineure qui souhaitait reprendre un logement pour y loger celle-ci. Les locataires plaidaient que la vraie locataire était plutôt la mère de l’enfant qui en avait la garde légale. La juge Lavigne écrit :

[13 ]             L'article 1957 du Code civil du Québec ne fait aucune distinction entre des descendants mineurs, mineurs autonomes, mineurs émancipés ou majeurs. Il n'appartient pas aux tribunaux d'ajouter des qualificatifs là où le législateur n'en a pas mis.  L'article 1957 du Code civil du Québec parle d'une reprise de possession "pour y loger ses descendants" sans plus. Dans le cas présent, l’enfant de Mathieu Morin sera logé dans l’appartement en cause.

[…]

[17 ]            Il ne s'agit pas ici d'appliquer une interprétation large ou une interprétation restrictive de l'article 1957 du Code civil du Québec. L 'enfant Lhasa habitera le logement en cause et elle y aura son domicile. Ces faits sont suffisants pour que l'article 1957 du Code civil du Québec trouve application.

(Référence omise)

[32]         Le père et la mère de l’Appelante sont des personnes retraitées. Le père présente certaines conditions médicales qui font en sorte que l’Appelante souhaite que ses parents vivent à proximité de chez elle. On ne peut pas, par ailleurs, lui reprocher de faire en sorte que ses parents puissent également bénéficier de l’aide de ses frères, que ce soit dans le paiement du loyer ou pour l’assister dans le cadre des déplacements et travaux d’entretien requis.

[33]         En termes de durée du préavis et de contenu, l’Avis de reprise est donc conforme à la loi.

3)            L’Appelante a-t-elle prouvé les conditions requises pour permettre la reprise du logement ?

[34]         En matière de reprise d’un logement, des droits importants se rencontrent et s’opposent. Celui du propriétaire de jouir de son bien comme bon lui semble et celui du locataire au maintien dans les lieux loués.

[35]         Le législateur impose donc certaines conditions au propriétaire désireux de reprendre son logement. Les Locataires plaident que deux de celles prévues aux articles 1957 et 1963 alinéa 2 du C.c.Q. sont absentes en ce que l’Appelante n’est pas la locatrice du Logement et que la reprise de possession est un prétexte.

[36]         Ces articles se lisent :

1957.  Le locateur d'un logement, s'il en est le propriétaire, peut le reprendre pour l'habiter lui-même ou y loger ses ascendants ou descendants au premier degré, ou tout autre parent ou allié dont il est le principal soutien.

Il peut aussi le reprendre pour y loger un conjoint dont il demeure le principal soutien après la séparation de corps, le divorce ou la dissolution de l'union civile.

1963.  Lorsque le locataire refuse de quitter le logement, le locateur peut, néanmoins, le reprendre, avec l'autorisation du tribunal.

Cette demande doit être présentée dans le mois du refus et le locateur doit alors démontrer qu'il entend réellement reprendre le logement pour la fin mentionnée dans l'avis et qu'il ne s'agit pas d'un prétexte pour atteindre d'autres fins.

L’Appelante est-elle à la fois locatrice et propriétaire du Logement ?

[37]         L’acte de vente notarié du 18 novembre 2008 [33] confirme que l’Appelante est propriétaire du Logement et du Bachelor.

[38]         Le Tribunal ne retient pas l’argument des Locataires voulant que cette transaction n’est qu’une simulation et que M. Mujtaba est encore le véritable propriétaire.

[39]         Non seulement, cet argument n’a pas été annoncé dans les procédures, mais les Locataires n’ont apporté aucune preuve pouvant le soutenir. Leur affirmation voulant que ce transfert ait eu lieu en 2008 pour permettre à l’Appelante de les évincer en 2014, est pour le moins frivole.

 

[40]         Par ailleurs, les Locataires plaident que l’Appelante a renoncé à exercer personnellement le droit à la reprise en donnant à M. Mujtaba une procuration générale [34] stipulant :

1.              To administer and manage all the property whether moveable or immoveable of the Mandator, with power but without limiting the generality of the foregoing :

[…]

b) To make, extend or modify any lease for such term, at such rental and upon such conditions as the Mandatary may think proper, and to rescind any lease or recover possession of the lease premises;

[41]         Le Tribunal ne croit pas que le jugement Ton c. Bourne [35] milite en faveur d’une telle conclusion. Par contre, le Tribunal convient que l’octroi d’un tel pouvoir par le propriétaire à un mandataire peut ajouter à la «  confusion dans l’identité des parties  » lorsque le mandataire est effectivement celui qui signe l’avis de reprise et ne dévoile pas le nom du véritable propriétaire. En l’espèce, c’est l’Appelante qui a signé l’Avis de reprise.

[42]         Le mandant qui confie à un tiers un pouvoir de le représenter dans l’exercice de ses droits, n’aliène pas ses droits en faveur de celui-ci [36] .

[43]         Le Tribunal retient que l’Appelante n’a pas avisé les Locataires, spécifiquement et par écrit, qu’elle était dorénavant la propriétaire et locatrice du Logement. Elle affirme le leur avoir dit lorsqu’ils ont négocié le bail pour le Bachelor. Ce que les Locataires nient.

[44]         Par contre, le Tribunal constate que l’ensemble des lettres ayant précédé la signature du bail pour le Bachelor [37] , qui traitent toutes des problématiques avec le Logement, sont signées par, ou adressées à M. Mujtaba et l’Appelante. Sous sa signature de celle du 28 mars 2009 [38] , M. Mujtaba indique « POA ».

[45]         Or, l’addendum du 31 mai 2009 [39] au bail du 20 juin 2009 [40] pour le Bachelor a été rédigé par les Locataires. Ils ont requis la signature de l’Appelante et de M. Mujtaba en deux endroits, tout en indiquant sous le nom de ce dernier «  represented by power of Attorney  ».

[46]         L’avocat des Locataires plaide que «  POA  » ne veut rien dire et qu’il est illogique d’écrire «  represented by power of Attorney  » sous le nom de quelqu’un qui signe en son nom.

[47]         Le Tribunal retient de sa lecture des écrits entre les parties, que leur maitrise respective de l’anglais écrit, en général, laisse à désirer. La mention «  represented by » est également l’expression utilisée au formulaire de bail lorsque le locateur agit par l’entremise d’un mandataire.

[48]         Le Tribunal est d’avis que l’application du principe voulant que dans le doute, un contrat s’interprète contre celui qui l’a rédigé, permet de déduire de ces lettres [41] que lorsque les Locataires rédigent l’addendum du 31 mai 2009 [42] , ils savent que M. Mujtaba agit alors pour la propriétaire, en l’occurrence, l’Appelante. Cet addendum, dont ils exigent la signature par l’Appelante également, s’il ne modifie pas la durée du bail pour le Logement, en modifie toutefois les termes en prévoyant la possibilité pour les Locataires d’y avoir des animaux et précisant leur refus de payer une partie des taxes.

[49]         De même, cette connaissance du titre de propriété de l’Appelante s’infère du fait que la lettre de mise en demeure datée du 3 novembre 2013 requérant des réparations dans le Logement, est adressée à M. Mujtaba et à l’Appelante [43] , tout comme celle du 12 mars 2012 répondant à celle de M. Mujtaba, pourtant uniquement signée par celui-ci [44] .

[50]         L’explication des Locataires voulant qu’ils adressent leurs lettres au couple Mujtaba, uniquement parce que celui-ci s’adresse à eux de la même manière, c’est-à-dire en signant tous les deux leurs lettres [45] , ne convainc pas le Tribunal. D’ailleurs, la lettre de mise en demeure des Locataires du 29 décembre 2007, et donc antérieure à la vente de la propriété à l’Appelante, qui se plaint du locataire du Bachelor et offre de louer celui-ci, est adressée uniquement à M. Mujtaba.

[51]         Si l’Appelante ne pouvait ignorer le droit des Locataires au maintien dans les lieux, elle n’était nullement obligée de signer un nouveau bail avec eux pour le Logement. Elle pouvait se contenter de les avertir de son acquisition. Ainsi, le Tribunal conclut qu’à compter d’au moins avril 2009, l’identité de l’Appelante en tant que locatrice et mandante de M. Mujtaba ne pouvait plus être considérée comme inconnue des Locataires et que sa signature de l’addendum du 31 mai 2009 [46] , un document qui amende le bail du Logement, formalise la qualité de locatrice de l’Appelante auprès des Locataires.

[52]         Les faits de ce dossier diffèrent de ceux étudiés par le juge Keable dans Bourgeois-Bridy c. Godin [47] , alors que les représentations faites à la locataire dont les propriétaires souhaitaient reprendre le logement avaient mené cette dernière à croire que la locatrice était la compagnie numérique québécoise à laquelle les propriétaires en avaient confié la gestion.

[53]         De même, le fait que suite au transfert de l’immeuble, M. Mujtaba ait continué d’agir pour l’Appelante devant la Régie n’en fait pas le locateur et ne déroge pas au principe établi par l’article 74 de la Loi sur la Régie du logement [48]   :

74.  Si une partie est représentée par un mandataire autre que son conjoint ou un avocat, ce mandataire doit fournir à la Régie un mandat écrit, signé par la personne qu'il représente et indiquant, dans le cas d'une personne physique, les causes qui empêchent la partie d'agir elle-même. Ce mandat doit être gratuit.

1979, c. 48, a. 74; 1981, c. 32, a. 5.

L’absence de prétexte

[54]         L’Appelante souhaite reprendre le Logement afin d’y loger ses parents vieillissant. Le Tribunal a entendu non seulement le père de l’Appelante, mais également sa belle-sœur et a pris connaissance d’un affidavit de preuve signé par le Docteur Abdoulnour [49] . Cette médecin n’est pas celle qui avait signé le rapport dont l’admissibilité en preuve a été refusée par la Régie [50] . Cependant, elle confirme suivre le père de l’Appelante depuis juillet 2013 et que la condition médicale de ce dernier s’est détériorée depuis.

[55]         Tel que déjà mentionné, il paraît légitime au Tribunal que l’Appelante souhaite aider ses parents à occuper un logement qui leur permettra d’obtenir un soutien adéquat par des aidants naturels, en l’occurrence, l’Appelante ou ses frères et belles-sœurs. La réalisation, faisabilité et le caractère certain de ce projet ne sont pas affectés par le fait que la belle-sœur ne puisse confirmer le moment auquel son mari arrivera au Canada.

[56]         Le seul fait qu’il existe un conflit ou une inimitié évidente [51] entre les Locataires, l’Appelante et M. Mujtaba ne signifie pas que la demande est un prétexte pour atteindre et obtenir l’éviction des Locataires.

[57]         L’Appelante a convaincu le Tribunal que la véritable raison l’incitant à reprendre le Logement n’est pas l’augmentation des demandes des Locataires, de plus en plus insistantes, pour qu’elle y effectue des réparations. En effet, la preuve révèle qu’en dépit du jugement du 4 novembre 2008, qui aurait pu permettre à l’Appelante de demander la résiliation du bail du Logement du simple fait que le loyer n’était pas payé le premier jour de chaque mois, elle ne l’a pas fait alors que les Locataires ont tardé à plusieurs reprises. Si le seul but était l’éviction des Locataires dérangeants, il aurait pu être atteint bien avant et plus facilement.

[58]         Le Tribunal conçoit que le témoignage de l’Appelante, de M. Mujtaba et de son père devant la Régie ont pu sembler confus, ne serait-ce qu’en raison de l’accent et de leur compréhension et maîtrise de la langue anglaise. Cela ne suffit par ailleurs pas à remettre en doute la légitimité, faisabilité et réalité du projet de vie mis en place par l’Appelante et ses frères pour ses parents.

[59]         Le Tribunal conclut donc que l’Avis de reprise n’est pas un prétexte de l’Appelante pour évincer les Locataires.

4)         Le cas échéant, quelles sont les conditions justes et raisonnables devant être imposées pour la reprise du logement ?

[60]         Les Locataires réclament la somme de 13 500 $ soit :

a)     700 $ pour frais de déménagement;

b)     500 $ pour frais de rebranchement divers et frais de transfert d’adresse;

c)     500 $ pour frais de transfert bancaire et divers de l’entreprise;

d)     2 500 $ pour les frais de peintures et les coûts d’achat de stores et rideaux nécessaires au nouveau logement;

e)     5 000 $ pour troubles moraux et inconvénients causés par la perte du Logement habité depuis dix ans et les difficultés éprouvées par les Locataires à se reloger considérant l’état du dossier à la Régie.

[61]         L’article 1967 C.c.Q. stipule :

1967.  Lorsque le tribunal autorise la reprise ou l'éviction, il peut imposer les conditions qu'il estime justes et raisonnables, y compris, en cas de reprise, le paiement au locataire d'une indemnité équivalente aux frais de déménagement.

[62]         Cet article permet donc au Tribunal d’énoncer des modalités d’exécution «  justes et raisonnables  » de sa décision d’évincer les Locataires [52] .  Ces modalités peuvent viser un délai pour quitter les lieux, une prolongation temporaire du bail et tout autre accommodement susceptible d’atténuer les effets négatifs de la reprise du logement, en fonction des circonstances particulières de chaque dossier [53] .

[63]         Il ne s’agit pas à ce stade-ci d’accorder des dommages intérêts, ce qui équivaudrait à pénaliser l’exercice d’un droit légitime [54] . De plus, pour ce qui est des motifs allégués pour obtenir des dommages moraux, le Tribunal précise que la difficulté pour les Locataires à se trouver un logement est atténuée par le délai qui leur est consenti par le présent jugement.

[64]         Si l’avenir devait confirmer les craintes des Locataires, à savoir qu’ils sont victimes d’une reprise de mauvaise foi,  ils auront leur recours [55] .

[65]         Les Locataires n’ont apporté aucune preuve de ce que pourraient être leurs frais de déménagement, rebranchement, transfert d’adresse et transfert bancaire. De la jurisprudence soumise par l’Appelante à l’audience, le Tribunal conclut que le pouvoir discrétionnaire dont il dispose lui permet d’accorder 3 000 $, considérant que les Locataires vivent depuis plusieurs années dans le Logement avec leur famille.

[66]         Par ailleurs, le Tribunal tiendra compte dans l’énoncé des conditions justes et raisonnables de l’offre formulée par l’Appelante, à l’audience, de résilier également le bail pour le Bachelor puisque les Locataires ont indiqué qu’ils le désirent et ce, même si le Bachelor n’est pas visé par l’Avis de reprise.

[67]         La reprise du Logement et du Bachelor ne pourra donc avoir lieu qu’au 31 octobre 2015, avec la faculté toutefois pour les Locataires de quitter ceux-ci en tout temps après le 31 août 2015, moyennant un préavis écrit de 15 jours  à l’Appelante conformément à l’article 1898 C.c.Q. qui se lit :

1898. Tout avis relatif au bail, à l'exception de celui qui est donné par le locateur afin d'avoir accès au logement, doit être donné par écrit à l'adresse indiquée dans le bail, ou à la nouvelle adresse d'une partie lorsque l'autre en a été avisée après la conclusion du bail; il doit être rédigé dans la même langue que le bail et respecter les règles prescrites par règlement.

L'avis qui ne respecte pas ces exigences est inopposable au destinataire, à moins que la personne qui a donné l'avis ne démontre au tribunal que le destinataire n'en subit aucun préjudice.

[68]         Le loyer pour le Logement et le Bachelor sera le même que celui en date des présentes et sera calculé au prorata des jours d’occupation par les Locataires.

[69]         Au sujet des frais, le Tribunal croit devoir utiliser sa discrétion pour condamner l’Appelante au paiement des frais de sténographie pour la transcription des extraits des audiences tenues les 12 mai 2014 et 16 juin 2014. La décision de ne pas retenir, devant la Régie, un interprète, dans un contexte où la maitrise de la langue par les témoins de l’Appelante n’était pas adéquat, a entraîné une confusion pouvant expliquer la décision des Locataires de continuer à contester le droit à la reprise du Logement par l’Appelante. Cette transcription a été utile à l’Appelante dans le cadre du présent recours.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

ACCUEILLE l’appel de Shaheen Mujtaba;

INFIRME la Décision de la Régie du logement dans le dossier portant le numéro 31 20140408 G prononcée le 5 septembre 2014;

AUTORISE la reprise du logement sis au […], dans l’arrondissement de Lasalle, à Montréal, par Shaheen Mujtaba, le 31 octobre 2015, moyennant paiement par Shaheen Mujtaba d’une indemnité de 3 000 $ à Patrick Hébert et Hélène Gauvreau, versée au plus tard le jour de leur départ.

PREND ACTE de et DÉCLARE bonne et valable pour valoir condition aux termes de l’article 1967 C.c.Q. l’offre formulée par Shaheen Mujtaba à l’audience et acceptée par Patrick Hébert et Hélène Gauvreau de résilier leur bail pour le […], dans l’arrondissement de Lasalle, à Montréal à compter du 31 octobre 2015 et ORDONNE aux parties de s’y conformer.

DÉCLARE que la relocation du logement du […], dans l’arrondissement de Lasalle, à Montréal ne nécessitera pas l’autorisation prévue à l’article 1970 C.c.Q.

AUTORISE Patrick Hébert et Hélène Gauvreau à quitter en tout temps, après le 31 août 2015, les logements sis au […] dans l’arrondissement de Lasalle, à Montréal, selon les modalités évoquées ci-dessus.

CONDAMNE Shaheen Mujtaba à payer à Patrick Hébert et Hélène Gauvreau les frais de transcription des extraits de témoignage rendus les 12 mai et 16 juin 2014 et déposés au dossier de la Cour.

 

____________________________

                                                                                      MARTINE L. TREMBLAY, J.C.Q.

 

 

Me Vrouyr Makalian

Avocat de l’Appelante

 

Me Jean-Marc Grenier

Avocat des défendeurs

 

Date d’audience : 6 mai 2015 et 6 juillet 2015.



[1]     Kausar c. Gauvreau , 2014 QCRDL 30924 .

[2]     Pièce D-9.

[3]     Pièce P-2.

[4]     Pièce D-10, en liasse.

[5]     Pièce P-13.

[6]     Pièce P-1.

[7]     Pièce P-3.

[8]     Pièce D-4, D-5 et D-6.

[9]     Pièce P-4.

[10]    Pièce P-5.

[11]    Pièce P-14.

[12]    Pièce P-15 pour le bail du […] et Pièce-D-7 pour le Logement.

[13]    Pièce D-8.

[14]    Pièce P-16.

[15]    Pièce D-13.

[16]    Idem .

[17]    Pièce P-18.

[18]    Pièce D-15.

[19]    Pièce D-14.

[20]    Pièce D-12.

[21]    Pièce D-16.

[22]    Pièce D-17.

[23]    Précité , note 17.

[24]    Pièce P-9.

[25]    Pièce D-21.

[26]    Perron c. Michaud , 2008 QCCQ 938 ; Chen c. Alexandre , 2011 QCCQ 4147 .

[27]    Art. 1960 al. 1 du Code civil du Québec («  C.c.Q.  »)

[28]    Idem.

[29]    Précité , note 21.

[30]    Précité , note 22.

[31]    Art. 1961 C.c.Q.

[32]    Laroche c. Morin , 2010 QCCQ 11636 , paragr. 13, 17 et 18.

[33]    Pièce P-1.

[34]    Pièce P-3, art. I.

[35]    2005 CanLII 20507 (QCCQ).

[36]    Art. 2730 C.c.Q.

[37]    Pièces D-4, D-5 et D-6.

[38]    Pièce D-4.

[39]    Pièce P-5.

[40]    Pièce P-4.

[41]    Pièces D-4, D-5 et D-6.

[42]    Pièce P-5.

[43]    Pièce D-17.

[44]    Pièces D-12, en liasse.

[45]    L’Appelante signe aussi la mise en demeure du 27 mars 2013 (Pièce D-13) qui concerne les deux logements.

[46]    Pièce P-5.

[47]    2008 QCCQ 11661 .

[48]    RLRQ c. R-8.1.

[49]    Pièce P-12.

[50]    Pièce P-30.

[51]    Mahood c. Ezril , 2006 QCCQ 11516 ; Donatelli c. Dubé , 2005 CanLII 45645 (QCCQ); Berelovich c. Weekes , 2004 CanLII 41247 (QCCQ); Rodica-Paraschiv c. Chiblak , 2006 QCCQ 12837 .

[52]    Mercier c. Desjardins , 2006 QCCQ 7050 ; Charbonneau  c. Beauvais , 2010 QCCQ 10330 .

[53]    Pilon c . Meunier , AZ-50278937 , paragr. 7; Charbonneau c. Beauvais, 2010 QCCQ 10360 .

[54]    Matijasevic c. Lowi, 2005 CanLII 58764 (QCCQ); Chen c. Alexandre , 2011 QCCQ 4147 .

[55]    Art. 1968 et 1970 C.c.Q.