Agrégats Saguenay--Lac-St-Jean inc. c. Construction J. & R. Savard ltée |
2015 QCCQ 7031 |
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COUR DU QUÉBEC |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
CHICOUTIMI |
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« Chambre civile » |
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N° : |
150-22-009689-149 |
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DATE : |
28 juillet 2015 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE |
L’HONORABLE |
RICHARD P. DAOUST, J.C.Q. |
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AGRÉGATS SAGUENAY─LAC-ST-JEAN INC.
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Demanderesse
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c.
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CONSTRUCTION J. & R. SAVARD LTÉE
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Défenderesse |
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JUGEMENT |
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[1] Sous-traitant de l’entrepreneur général Construction J. & R. Savard Ltée (Construction JRS) pour le concassage de pierre dynamitée sur le chantier Stoneham du ministère des Transports du Québec (MTQ) de la route 175, Agrégats Saguenay─Lac-St-Jean inc. (Agrégats) réclame un solde de 39 099,73 $ alléguant une transaction intervenue.
[2] Bien que ce dossier soit institué depuis le 11 novembre 2013, six jours avant le début du procès au fond, Construction JRS produit une demande reconventionnelle réclamant 51 248,45 $ à Agrégats.
[3] Deux questions sont soulevées par le litige :
1) Agrégats a-t-elle fait une preuve prépondérante qu’une transaction est intervenue le 24 mai 2011 ?
2)
La
demande reconventionnelle produite quelques jours avant le procès
constitue-t-elle un abus de procédure suivant les articles
LE CONTEXTE
[4] Construction JRS obtient un contrat du MTQ pour la construction d’une portion de l’autoroute 175 dans le secteur de Stoneham en 2010.
[5] Le 22 octobre 2010, Construction JRS confie à Agrégats par contrat écrit le concassage d’approximativement 68 000 tonnes de gravier MG-20 à 4,60 $ la tonne et approximativement 190 000 tonnes de gravier MG-80 à 3,75 $ la tonne.
[6] D’octobre 2010 à février 2011, Agrégats réalise son contrat de gravier MG-80, le gravier MG-20 faisant au départ l’objet de commentaires négatifs du MTQ.
[7] Toutes les semaines, Agrégats fournit un document qui confirme le tonnage produit mesuré directement sur la pelle de son équipement, système de pesée calibré avant le début des opérations.
[8] Ce qui est transmis jusqu’à janvier, c’est un document maison reprenant le tonnage produit sans que ne soit remis à Construction JRS le relevé provenant de la pesée de la pelle.
[9] À compter de janvier 2011, Agrégats fournit avec moins d’assiduité le tonnage produit chaque semaine, ce que ne lui reproche alors pas Construction JRS.
[10] Les factures de production sont analysées par l’ingénieur Bruno Perron à l’emploi de Construction JRS tout au long des travaux, ce dernier établissant de façon générale la conformité des mesures avec la surveillance faite par les employés sur place de Construction JRS.
[11] Des factures sont transmises chaque mois, Construction JRS se conservant une retenue de l’ordre de 10 %.
[12] La dernière facture pose problème. Selon une preuve non contredite, les relevés de pesée ne sont généralement pas reconnus par l’industrie comme étant suffisants aux fins de facturation. Agrégats fournit donc à Construction JRS des relevés de mesure après la réalisation des travaux, mesures effectuées par deux firmes spécialisées soit Lasertech et Qualitas.
[13] L’ingénieur Mustapha El dhimni est professionnel sénior chez Qualitas depuis plus de 13 ans. Il explique que les mesures de la masse volumique de la pierre concassée par Agrégats ont été établies par lui en mai après le dégel. Il est certain que cela n’a pu être fait en mars pour trois raisons :
1) Le gel affecte la densité des sols auquel cas, des mesures prises pendant le gel ne sont pas très crédibles;
2) Avec la neige, on ne voit pas le sol;
3) Après le 15 décembre 2010, il a envoyé deux planches d’essai à son client de 4 mètres par 40 mètres sur le terrain.
[14] Le technicien Marc Lafrenière travaille pour Lasertech. Il a reçu mandat d’Agrégats de calculer les quantités volumiques des réserves.
[15] L’ingénieur Bruno Perron qui fait procéder à des calculs par ses propres experts n’arrive pas au même résultat des quantités de pierre concassée par Agrégats.
[16] Essentiellement, Construction JRS conclut à l’aide de son laboratoire à une masse volumique de 1,775 T/M 3 applicable à l’ensemble de la réserve.
[17] Selon les experts d’Agrégats, la mesure est plutôt de 2,23 T/M 3 . Là se situe le problème.
[18] Les parties se rencontrent le 24 mai 2011 afin de trouver une solution à leur différend et pour ce faire, Bruno Perron expose ses chiffres, Florent Côté représentant Agrégats propose également ses chiffres dans le but d’en arriver à une entente.
[19] Selon Bruno Perron, cette entente ne survient pas. Selon Florent Côté, il y a eu transaction alors.
[20] La valeur de la pierre concassée facturée l’est suivant les montants du contrat intervenu. Seules les quantités de pierre concassée sont en litige.
[21] Le lendemain de la rencontre du 24 mai 2011, Agrégats transmet le crédit numéro 564 de 63 980,67 $ (P-7), Construction JRS transmettant quant à elle ce 25 mai 2011 un chèque (P-4) fait à l’ordre d’Agrégats de 90 537,70 $.
[22] Le 25 mai également, la contrôleuse de Construction JRS transmet une correspondance électronique à Agrégats qui semble faire référence à une entente (P-8).
[23] Puisque les deux parties sont au cœur de leur saison de production, Construction JRS ne revient pas sur ces discussions avant décembre suivant, Agrégats en faisant de même puisque pour elle, en plus de sa saison de production, elle attendait le signal pour compléter le concassage de la pierre MG-20.
[24] Le 7 décembre 2011, Bruno Perron transmet une correspondance à Agrégats niant toute entente qui serait survenue le 24 mai 2011 et prétendant lui avoir payé en trop 41 354,67 $.
[25] Puisqu’il n’y a pas d’entente, le 11 novembre 2013, Agrégats entreprend ses procédures judiciaires sur compte contre Construction JRS qui produit ses moyens de défense le 14 février 2014.
[26] Alors que le procès est fixé au 12 décembre 2014, le 19 novembre 2014 se tient un interrogatoire au cours duquel les représentants de Construction JRS prennent 17 engagements de produire des documents.
[27] Le 20 novembre 2014, en raison de cet interrogatoire et d’une demande reconventionnelle à être produite par Construction JRS, le soussigné accorde la remise du procès fixé au 12 décembre 2014 notamment en mentionnant :
Vu qu’une demande reconventionnelle est imminente qui fait suite à la tenue d’un récent interrogatoire;
Vu cet interrogatoire tenu hier le 19 novembre et l’impossibilité de produire les 17 engagements promis d’ici le procès;
[28] Le procès est par la suite fixé au 15 juin 2015.
[29] Le 5 juin 2015, Agrégats signifie une requête introductive d’instance amendée par laquelle elle précise que le compte réclamé l’est en vertu d’une transaction, celle du 24 mai 2011.
[30] Le 10 juin 2015, Construction JRS timbre sa défense amendée et demande reconventionnelle au montant de 51 248,45 $ soit 41 354,67 $ en trop payé comme il était précisé dans la lettre du 7 décembre 2011 (D-1) en sus 9 893,78 $ en raison d’une erreur de calcul.
[31]
Le
10 juin 2015, Agrégats produit et signifie une requête en abus de procédure
suivant l’article
[32] Cette requête est présentable le matin du procès le 15 juin 2015.
[33] Au cours de l’audience devant le soussigné, puisque la demande reconventionnelle n’est pas à sa face même frivole ou mal fondée, le Tribunal a scindé l’instance.
[34] En fait, puisque les parties étaient prêtes à procéder le 15 juin 2015 et que le débat ne se limitait qu’à l’existence ou non d’une transaction, le Tribunal a considéré que la défense sur les quantités et la demande reconventionnelle ne seraient entendues que si Agrégats n’était pas en mesure de faire une preuve prépondérante d’une transaction.
[35] En fait, s’il y a transaction, la défense sur les quantités et la demande reconventionnelle n’ont plus lieu d’être puisqu’elles ne sont soumises qu’à défaut de transaction.
[36] Si le Tribunal ne retient pas qu’il y a eu transaction, il convoquera les parties à nouveau pour établir un calendrier des échéances afin de fixer la continuation de procès concernant le différend sur le tonnage ou la masse volumique et la demande reconventionnelle. Il faudrait alors permettre à Agrégats de faire valoir tous ses droits sur cette demande entièrement nouvelle et notamment de produire une défense.
[37]
Puisque
la demande reconventionnelle a été produite fort tardivement bien qu’annoncée
depuis longtemps, lors de l’audience, Agrégats a présenté sa requête suivant
l’article
L’ANALYSE
[38] 1) Agrégats a-t-elle fait une preuve prépondérante qu’une transaction est intervenue le 24 mai 2011 ?
[39] Construction JRS fait grand état que le contrat prévoyait qu’Agrégats devait fournir le tonnage produit chaque semaine à partir de son système de pesée calibré et non des calculs de masse volumique à la fin du contrat. Elle soutient également qu’Agrégats devait fournir chaque semaine les relevés de tonnage provenant de la pesée dans la pelle de l’équipement.
[40] Au-delà du fait que cet argument a peu de pertinence puisque seule la preuve qu’il y a eu ou non une transaction est pertinente à ce stade-ci, cela surprend un peu.
[41] En fait, le contrat spécifie que c’est un tonnage produit qui doit être fourni. La preuve révèle − sous réserve de la quantification − que le tonnage a effectivement été produit à partir d’un système de pesée qui fut calibré avant le début des opérations selon le témoignage non contredit de Florent Côté.
[42] Aussi, la pièce D-1 du 7 décembre 2011 traite abondamment de masse volumique et ne requiert pas de pesée en tonnage comme Construction JRS semble vouloir le soutenir au procès.
[43] Pour l’ingénieur Bruno Perron d’ailleurs, une technique vaut l’autre.
[44] Dans les faits, il ne s’est jamais plaint pendant les opérations qu’on ne lui ait pas fourni de documents suffisants, ses calculs globaux avec son personnel en place le portaient d’ailleurs à penser que la facturation jusqu’à la dernière était dans l’ordre de ce qui était concassé.
[45] La preuve non contredite révèle que c’est l’ingénieur Perron qui avait demandé le calcul en masse volumique qui, au demeurant, correspond généralement aux chiffres des relevés de pesée facturés. La preuve non contredite révèle également que le calcul des masses volumiques est une méthode généralement utilisée dans l’industrie compte tenu de la marge d’erreur trop importante de la pesée du tonnage lors de l’exécution des travaux.
[46] Tant Agrégats que Construction JRS étaient satisfaites de la méthode de calcul sauf que les résultats ne sont pas les mêmes.
[47] À tout événement, peu importe le contentieux sur la méthode de calcul, l’élément pertinent est de déterminer si Agrégats a fait une preuve prépondérante qu’une transaction est intervenue le 24 mai 2011 pour 129 637,43 $ (90 537,70 $ payés par chèque et 39 099,73 $ réclamés) après qu’un crédit de 63 980,67 $ ait été émis.
[48] L’ingénieur Bruno Perron nie qu’une entente est intervenue le 24 mai 2011.
[49] Cependant, pour huit principales raisons, le Tribunal considère qu’une preuve largement prépondérante a été faite qu’une telle entente est intervenue entre Florent Côté et Bruno Perron.
[50] Premièrement . Le témoignage de Florent Côté est crédible et sans ambigüité. Pour lui, il devait régler cette situation litigieuse. Son témoignage suit également l’ordre naturel des choses soit l’émission d’une note de crédit importante et d’un chèque de 90 537,70 $ le lendemain. D’ailleurs, son témoignage est d’autant plus crédible que la preuve révèle que les factures sont établies avec une masse volumique de 2,00 T/M 3 , ce qui constitue une mesure arbitraire se situant entre le calcul de ses experts notamment Qualitas à 2,23 T/M 3 et la mesure du laboratoire de Construction JRS à 1,775 T/M 3 .
[51] Deuxièmement . La note de crédit est émise par Agrégats et reçue par Construction JRS, l’étampe «entré» ayant été apposée par la comptabilité de Construction JRS.
[52] Cette note de crédit (P-7) ne contient qu’une seule inscription pour la justifier qui ne souffre pas d’ambigüité, elle règle le contentieux comme ceci :
Entente prise pour l’acceptation des productions.
[53] Aussi, cette note de crédit contient l’étampe «payé le 26 mai 2011» référant au chèque portant le numéro 30090, lequel est précisément celui émis par Construction JRS le 25 mai 2011 pour 90 537,70 $.
[54] Au-delà du fait que le crédit contienne cette mention du 26 mai 2011 elle-même consécutive à la transmission d’un chèque la veille, il n’y aurait aucune raison valable pour Agrégats de transmettre une note de crédit de cette ampleur alors qu’aurait subsisté un litige sur les quantités et donc, sur les sommes dues par Construction JRS.
[55] Il est vrai que la note de crédit porte la date du 31 mars 2011 mais Florent Côté a expliqué qu’il s’agissait d’une erreur de date de sa comptabilité. Cela est probable notamment vu la preuve offerte par le témoignage de l’ingénieur El dhimini à l’effet que ses calculs ne peuvent avoir été faits qu’en mai 2011 et que c’est nécessairement après que la note de crédit a été émise. Aussi, cette note de crédit porte une mention de la date du chèque lui-même daté du 25 mai 2011.
[56] Troisièmement . Le chèque de 90 537,70 $ émis le 25 mai 2011 suit immédiatement la rencontre de la veille. Pourquoi Construction JRS − qui, selon le témoignage de Bruno Perron, ne devait pas d’argent à Agrégats − lui aurait émis un chèque d’une telle ampleur à cette date ? Ce paiement rend probable qu’une transaction est intervenue la veille.
[57] Quatrièmement . Alors que l’ingénieur Perron témoigne à l’effet qu’il n’y a eu aucune entente le 24 mai 2011, le lendemain, la contrôleuse aux finances de Construction JRS transmet une correspondance électronique à Agrégats (P-8) laquelle contient le texte suivant :
Je vous transmets ma conciliation afin de vous démêler dans votre comptabilité. Veuillez me faire parvenir le plus rapidement un crédit au montant 56 160,34 $ plus taxes (total de 63 980,67 $) pour l’ajustement des quantités selon entente prise hier . J’attends votre crédit afin de le comptabiliser dans mes livres. J’émettrai par la suite le chèque et je vous enverrai par courriel une copie de ce dernier afin de préparer la quittance partielle pour un cumulatif de 720 109,95 $. Notez que le chèque sera remis seulement en échange de la quittance. Je n’ai toujours pas reçu les deux dernières quittances partielles concernant les deux derniers paiements effectués (50 000 $ et 200 000 $). La retenue de 5 % sera incluse dans le paiement qui s’élève à 90 537,68 $ lequel tient compte de la déduction du carburant pour janvier, février et mars.
(nous emphase)
[58] Bien que cette correspondance électronique ne mentionne pas le montant des 39 099,73 $ actuellement réclamés, elle réfère à une entente sans en préciser les termes bien qu’elle mentionne précisément un crédit de 63 980,67 $ émis par Agrégats et un chèque de 90 537,68 $ émis par Construction JRS.
[59] Aussi, ce courriel du 25 mai qui réfère à un crédit à venir de 63 980,67 $ corrobore la thèse de l’erreur de date sur le crédit puisqu’à l’évidence, le 25 mai 2011, la contrôleuse aux finances n’avait toujours pas reçu ce crédit.
[60] Puisque Construction JRS prétend qu’il n’y a pas eu d’entente et que selon Bruno Perron, la somme en trop payé lui est toujours due, elle ne peut soutenir qu’une entente est intervenue par l’échange le 25 mai 2011 du chèque et du crédit. Personne ne soutient que ce serait l’entente survenue alors. L’ensemble de la preuve démontre que l’entente est celle expliquée par Florent Côté, celle dont la facturation est établie sur la base de la masse volumique convenue avec le calcul arbitraire à 2.00 T/M 3 .
[61] Cinquièmement . La lettre du 7 décembre 2011 (D-1) mentionne :
Dans le cadre du contrat de sous-traitance que vous avez réalisé pour le projet en titre, je vous avise que nous ne pouvons régler la facturation finale selon les termes que vous présentez.
(…)
Suite à une rencontre en début d’été 2011, nous avons discuté de ces différences. Une facture avec un crédit de $ 56 16,34 (sic) [1] a été transmise par votre administration. Or, je tiens à mentionner que lors de cette rencontre, nous n’étions pas disposés à fermer le dossier sur ces bases.
[62] Cette lettre réfère à une rencontre du 30 novembre 2011 de laquelle ne se souvient pas Bruno Perron. Elle est la première manifestation écrite du refus d’une transaction. Cette lettre fait également référence au crédit accordé plusieurs mois plus tôt.
[63] Il semble que cette lettre revisite les termes d’une entente réalisée au préalable. Elle remet en cause le règlement intervenu comme s’il n’était justement pas intervenu en référant au même problème qui avait été discuté plusieurs mois plus tôt. Son texte se colle aux discussions qu’avaient tenues les parties le 24 mai 2011 et confirme le témoignage de Florent Côté.
[64] En fait, il semble qu’on remette en cause une entente déjà intervenue et pour laquelle certains éléments de cristallisation lient les parties notamment le crédit important qui n’a pu être accordé sans motif.
[65] Sixièmement . Les expertises de Qualitas et Lasertech confirment les propos de Florent Côté et corroborent la facturation transmise. Essentiellement, les factures préalablement transmises par Agrégats et qui ont fait l’objet d’un règlement le 24 mai 2011 correspondent essentiellement aux mesures faites a posteriori par les professionnels retenus par Agrégats.
[66] Septièmement . Selon le témoignage de Bruno Perron, l’objectif de la rencontre du 24 mai 2011 était clairement de régler le litige sur la facturation et les masses volumiques. En cela, il corrobore le témoignage de Florent Côté.
[67] Huitièmement . Certains extraits de l’interrogatoire de Bruno Perron tenu le 19 novembre 2014 laissent perplexe :
Q. Qu'est-ce que vous voulez dire par là ?
R. Qu’il devait rester, à l’époque il devait rester des montants à régler dans le dossier.
Q. Mais là, vous dites, il y a un crédit accordé de 56 000 $ ?
R. Puis la phrase veut dire que pour nous, le dossier n’était pas encore prêt à être fermé, il y avait encore des affaires à régler.
Q. Qu'est-ce qu’il y avait à régler ?
R. Je ne m’en rappelle plus . Probablement…probablement encore des questions de quantité puis de… il ne faut pas comprendre que le crédit de 56 000 $ correspondait à la fin de … à une fin dans le contrat, là.
Q. O.K. Puis vous vous avez accordé un paiement en contrepartie de ce crédit là ?
R. Je ne m’en rappelle pas.
Q. Vous ne vous rappelez pas s’il y a un paiement qui a été fait en contrepartie du 56 000 $ ?
R. Bien, vous savez, il y a eu plusieurs factures, hein, puis ça, c’est là… [2]
(notre emphase)
[68] En fait, contrairement à ce qu’il dit au procès et dans sa lettre du 7 décembre 2011, lorsqu’il est interrogé, Bruno Perron ne se souvient pas de ce qui s’est passé le 24 mai 2011 sauf pour dire que rien n’a alors été réglé. Il dit que le problème était probablement en lien avec des quantités mais il ne se rappelle pas qu’un paiement a été accordé en contrepartie d’un crédit. En somme, le témoignage qu’il rend à l’audience est peu fiable puisqu’il semble avoir un meilleur souvenir de la rencontre du 24 mai 2011, du crédit et du chèque émis qu’il n’en avait lorsqu’il fut interrogé sept mois plus tôt.
[69] Le témoignage de Bruno Perron au procès laisse perplexe également puisqu’il précise que c’est plutôt Agrégats qui devait de l’argent à Construction JRS après la rencontre du 24 mai 2011, ce qui est contredit par le chèque de 90 537,70 $ émis le lendemain. Ce témoignage contredit également la correspondance électronique transmise le 25 mai 2011 par la contrôleuse aux finances de Construction JRS qui fait état également qu’une entente est intervenue le 24 mai 2011 sans en définir les termes. Il aurait été intéressant d’entendre M me Fortin au procès mais les parties n’ont pas jugé bon de la faire témoigner. Le Tribunal ne peut donc déduire ce qu’elle aurait pu dire sans tomber dans les conjectures.
[70] Ce que je retiens cependant, c’est que le témoignage de Bruno Perron contredit certains faits clairs.
[71] Aussi, sa lettre du 7 décembre 2011 ne réussit pas à défaire la transaction intervenue plusieurs mois plus tôt. Peut-être Construction JRS a-t-elle changé d’idée mais à l’évidence, une transaction était intervenue.
[72] D’ailleurs, cette lettre fait référence à une rencontre du 30 novembre 2011 de laquelle ne se souvient absolument pas Bruno Perron. Cette lettre précise sept mois après la rencontre que l’entreprise pour laquelle il travaille n’est pas prête à régler sur les bases soumises par Florent Côté. Pourtant, le crédit, lui, avait été accepté dès sa transmission avec l’inscription : «Entente prise pour l’acceptation des productions».
[73] Par ailleurs, la lettre constitue le premier avis écrit d’une non-conformité en regard de la pierre concassée de type MG-20.
[74] Au procès, Roch Savard a témoigné. C’est le -directeur général de l’entreprise qui dira qu’il décide seul chez Construction JRS. Or, il ne se souvient pas du crédit produit sous P-7. Le fait qu’il y a eu une entente est sans équivoque notamment lorsqu’on prend connaissance de la pièce P-8. C’est une évidence que sa contrôleuse aux finances et l’ingénieur chargé de projet dans le dossier d’Agrégats avaient l’autorité suffisante pour lier l’entreprise.
[75] Partant, preuve prépondérante a été faite qu’une transaction est intervenue le 24 mai 2011 et que suite à cette transaction sont toujours dus par Construction JRS à Agrégats 39 099,73 $. La somme réclamée correspond au solde dû lorsque la facturation est ajustée à une masse volumique de 2,00 T/M 3 comme l’entente le prévoyait.
[76]
2)
La demande reconventionnelle produite quelques jours avant
le procès constitue-t-elle un abus de procédure suivant les articles
[77]
L’article
[78] Agrégats soutient notamment que la demande reconventionnelle produite six jours avant le procès peut avoir un effet dilatoire.
[79] Construction JRS soutient par ailleurs que cette demande reconventionnelle fait suite à la requête introductive d’instance amendée de Agrégats datée du 5 juin 2015.
[80] Il n’en est rien. L’amendement n’a pas de lien avec cette demande reconventionnelle puisqu’il ne fait qu’alléguer une transaction précisant le compte qui lui est dû. Le fait qu’un compte soit dû en raison d’une transaction intervenue − ce dont l’interrogatoire du 19 novembre 2014 traite abondamment − ne fait pas en sorte que subitement, il faille en conséquence qu’on réclame un trop payé. Il n’y a aucun lien entre ces deux prétentions.
[81] Construction JRS fait également grand état qu’il lui a fallu plusieurs semaines sinon plusieurs mois pour préparer des engagements suite à l’interrogatoire du 19 novembre 2014. Cela ne change rien au dépôt tardif de la demande reconventionnelle.
[82] Enfin, Construction JRS dira qu’elle a attendu jusqu’à la date du procès pour obtenir d’Agrégats une copie des relevés de tonnage, ce qu’elle n’a dans les faits demandé la première fois que le 28 mai 2015.
[83] Cette demande du 28 mai 2015 était elle-même tardive et à tout prendre, ces relevés de tonnage n’empêchaient pas Construction JRS d’évaluer sa demande reconventionnelle qui, faut-il le rappeler, était annoncée au sou près depuis le 7 décembre 2011 comme on peut le lire précisément au sixième paragraphe de la deuxième page de D-1.
[84] Au-delà par ailleurs du fait que cette demande reconventionnelle était chiffrée et annoncée depuis le 7 décembre 2011, elle a fait l’objet d’une déclaration de production imminente au soussigné pour justifier une demande de remise à laquelle il a été répondu le 20 novembre 2014.
[85] Or, Construction JRS a attendu six jours avant la tenue du procès pour signifier et produire cette demande reconventionnelle.
[86] Puisque rien n’empêchait Construction JRS de signifier sa demande reconventionnelle depuis novembre 2014 − peut-être même depuis le 7 décembre 2011 − et qu’elle a choisi de le faire presque la veille du procès, même si cette procédure n’a pas les attributs de la frivolité que la jurisprudence définit, elle ne pouvait provoquer que des effets dilatoires.
[87] Le Tribunal précise par ailleurs que dans des lettres du 13 février 2015 et du 27 mars 2015, l’avocate d’Agrégats s’est enquise auprès de celui de Construction JRS afin de savoir quand serait produite la demande reconventionnelle. Aucune suite n’a été donnée à ces demandes.
[88] Si le dossier n’avait pas été scindé, le procès aurait dû être remis pour permettre à Agrégats de soutenir son dossier, produire une défense à la demande reconventionnelle et procéder aux interrogatoires qu’elle souhaitait faire.
[89] C’est uniquement en raison du fait qu’Agrégats plaidait transaction que le dossier a pu être scindé.
[90] Le Tribunal est donc d’opinion que cette demande reconventionnelle produite tardivement, bien qu’annoncée depuis plusieurs années, possédait un effet dilatoire qui permettait à Agrégats de pouvoir prétendre à son rejet tel qu’elle le soutient dans sa requête écrite présentable le 15 juin 2015. Malgré son dépôt tardif et son caractère abusif pour ce motif, sous réserve de la prescription, rien n’empêcherait Construction JRS par ailleurs de reprendre cette demande reconventionnelle dans une autre instance puisqu’elle n’est pas manifestement mal fondée ou frivole. C’est son caractère dilatoire abusif qui cause problème et non sa valeur au fond.
[91] Cet acte de procédure est tardif et fort dilatoire, ce qui permet d’ordonner une sanction.
[92] Comme le dit la Cour d’appel, «lorsque la partie défenderesse agit avec une certaine désinvolture à l’égard de l’échéancier et cherche à faire reporter un interrogatoire après défense sans pour autant refuser de se soumettre à cet interrogatoire, la sanction appropriée n’est pas le rejet de la défense et de la demande reconventionnelle, mais plutôt l’obtention d’un engagement de la défenderesse quant à la bonne marche de l’instance, une modification par le tribunal de l’échéancier convenu par les parties afin de prévoir la date de l’interrogatoire et une condamnation de la défenderesse aux frais et débours engagés inutilement par la partie adverse [3] ».
[93] Dans cette affaire donc, la Cour d’appel n’a pas rejeté la procédure mais a entre autres condamné la défenderesse aux frais engagés inutilement.
[94] Dans une autre affaire, la Cour supérieure qui a accepté une demande de renvoyer les parties devant la Cour du Québec alors qu’elles étaient préalablement devant la Cour supérieure injustement a tout de même précisé que la demande faite la veille du procès n’avait qu’un caractère dilatoire réservant au demandeur son droit de soulever les articles 54.1 et suivants C.p.c. [4] .
[95] Partant, la demande reconventionnelle n’a pas à être rejetée à ce stade-ci d’autant plus que ce serait théorique vu la conclusion à laquelle en vient le Tribunal concernant le recours fondé sur une transaction. Mais, puisqu’elle a été produite tardivement, cette façon de procéder est considérée comme étant abusive donnant droit à Agrégats à l’indemnisation de son dommage pouvant équivaloir aux honoraires extrajudiciaires rendus nécessaires pour la préparation de sa requête en rejet de demande reconventionnelle que le Tribunal estime et arbitre à 500 $. Il faut admettre que cette somme est bien inférieure aux dommages qu’auraient subi les deux parties s’il avait fallu continuer les procédures et reprendre le débat pour une seconde manche si le recours sur transaction avait été rejeté.
[96] Compte tenu des objectifs de proportionnalité, même si Agrégats s’était réservé le droit lors d’une seconde étape de préciser ses dommages, le Tribunal les arbitre. Dans les faits, le principal dommage a été évité puisque la cause n’a pas été remise et des frais additionnels n’ont pas été rendus nécessaires en raison du dépôt tardif de la procédure sauf en ce qui a trait à la rédaction et à la préparation de la requête en rejet de demande reconventionnelle.
* * *
[97] Puisqu’une transaction est intervenue entre les parties, la défense amendée et la demande reconventionnelle ayant trait à des calculs de tonnage et de masse volumique n’ont pas à faire l’objet d’une audition, le dossier se terminant avec le présent jugement.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[98] CONDAMNE Construction J. & R. Savard Ltée à payer 39 099,73 $ à Agrégats Saguenay─Lac-St-Jean inc. avec intérêts au taux légal en sus l’indemnité additionnelle prévue à 1619 C.c.Q. et ce, à compter de l’assignation le 15 novembre 2013.
[99]
CONDAMNE
Construction J. & R. Savard Ltée à payer 500 $ à Agrégats Saguenay─Lac-St-Jean
inc. pour valoir ses dommages suivant l’article
[100] CONDAMNE Construction J. & R. Savard Ltée aux entiers dépens.
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RICHARD P. DAOUST, J.C.Q. |
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M e Julie Dorion |
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BCF Avocats |
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Avocate de la demanderesse |
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M e Sylvain Truchon |
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Avocat de la défenderesse |
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Date d’audience : |
15 juin 2015 |
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[1] On comprend aisément que le chiffre est erroné et qu’on réfère ici au crédit accordé de 56 160,34 $ plus taxes.
[2] Notes sténographiques de l’interrogatoire après défense de M. Bruno Perron tenu le 19 novembre 2014, page 53
[3] Coopérative d’habitation «La porte du bourg» c. Cosoltec inc. , EYB-2010-182774 (C.A.)
[4]
Syndicat de copropriété La Caserne c. Ruiz
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