Centre de réadaptation Lucie-Bruneau et Syndicat régional des professionnelles en santé du Québec (FIQ) (M me A) |
2015 QCTA 712 |
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ARBITRAGE DE GRIEF EN VERTU DU CODE DU TRAVAIL DU QUÉBEC (L.R.Q., c. C-27)
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N o de dépôt : 2015-6189 |
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ENTRE : |
CENTRE DE RÉADAPTATION LUCIE-BRUNEAU |
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L’ « EMPLOYEUR » |
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ET : |
SYNDICAT RÉGIONAL DES PROFESSIONNELLES EN SANTÉ DU QUÉBEC (FIQ) |
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LE « SYNDICAT » |
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ET : |
MADAME A. |
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LA « PLAIGNANTE » |
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GRIEFS NOS : 647523, 647526, 647527, 620981, 620984 |
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SENTENCE |
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Tribunal : |
M. René Beaupré, cria |
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Comparution pour l’Employeur : |
Me René Paquette,
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Comparution pour le Syndicat : |
Me Yves Clermont, FIQ |
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Lieu d’audience : |
Montréal |
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Dates d’audience : |
28 avril et 14 octobre 2014, 31 mars 2015 |
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Date de la sentence : |
30 juillet 2015 |
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Dossier n o RB-1212-10189-QP Sentence n° 233-15 |
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[1] Le tribunal est saisi de cinq griefs entourant la fin d’emploi de la plaignante le 11 novembre 2011. L’Employeur allègue un taux d’absentéisme trop élevé et un mauvais pronostic de présence au travail. Le Syndicat et la plaignante contestent cette fin d’emploi. Ils contestent aussi la durée de l’analyse du dossier par l’Employeur, la retenue de sommes d’argent lors du versement des sommes dues à la plaignante et la non remise au Syndicat des documents adressés à la plaignante.
[2] En début d’audience, les parties admettent que les griefs sont soumis conformément à la convention collective, que le soussigné est valablement saisi des griefs et a compétence pour en décider.
[3] Le tribunal fait le choix de ne pas divulguer le nom de la plaignante, étant donné les informations à caractère médical qui sont relatées dans la présente décision.
[4] L’Employeur est un centre de réadaptation physique ayant pour mission de favoriser l’intégration sociale des personnes handicapées. Cette intégration se fait notamment en milieu résidentiel, dans des ilots, et permet à la clientèle de demeurer dans la société où le personnel leur fournit les services médicaux, infirmiers et sociaux dont ils ont besoin.
[5] La plaignante est infirmière, travaille chez l’Employeur depuis 1986 et offre les services infirmiers dans ces résidences. Elle aime beaucoup ce travail, dit-elle, en raison de la dynamique de travail dans le milieu de vie de la clientèle et de pouvoir lui apporter un support concret. Elle est salariée à temps complet et travaille donc cinq jours par semaine, du lundi au vendredi.
[6] La plaignante a vécu un drame alors qu’elle avait cinq ans, lors d’un incendie survenu à la maison familiale, ayant provoqué le décès de sa mère, de quatre frères et deux sœurs. Elle a survécu, de même que son père, un frère et une sœur. Aucun suivi post traumatique n’a été effectué conséquemment à cette tragédie.
[7] Les premières années de travail chez l’Employeur se déroulent sans anicroche. La plaignante semble être appréciée de ses collègues et de ses supérieurs et maintient un taux d’assiduité dans les limites de la normale.
[8] La première période d’invalidité de longue durée a lieu en 1990, alors que la plaignante doit s’absenter pour une période de huit à dix mois avec un diagnostic de dépression majeure et de trouble d’anxiété à la suite du décès d’un client au travail. Un deuxième épisode d’absence survient en mai 1994, à la suite de sa séparation avec son conjoint. Le diagnostic posé en est un de dépression majeure.
[9] En novembre 1995, la plaignante doit s’absenter à nouveau pour maladie, alors qu’un diagnostic de dépression majeure et de trouble panique est posé par le docteur Ronald Goulet, psychiatre traitant. Elle s’absente jusqu’au 16 septembre 1996.
[10] Elle doit s’absenter à nouveau, de juin 2002 à mai 2004 pour dépression majeure avec anxiété. Elle est examinée par la docteure Suzanne Paquette, psychiatre, le 5 novembre 2002. À la suite de son examen, la Dre Paquette pose l’impression diagnostique suivante :
« Axe 1 : Dépression majeure en rémission surajoutée sur une dysthymie chronique avec réponse partielle à la médication.
Antécédents de trouble panique avec agoraphobie en rémission.
Éléments d’état de stress post-traumatique sans tous les critères pour le diagnostic.
Pas d’évidence de maladie affective bipolaire.
Axe II : Nil
Axe III : Migraines récurrentes
Axe IV : Multiples pertes en bas âge dont sa mère et six autres membres de sa fratrie lors d’un incendie, conflit avec son conjoint et remise en question de la relation.
Axe V : Fonctionnement moyen. »
[11] La plaignante se prévaut d’un congé à traitement différé du 20 juillet 2008 au 19 juin 2009. Par contrat, signé le 23 juin 2008, la plaignante s’engage à rembourser l’Employeur, à même son salaire applicable, en recevant un montant correspondant à 81,66 % de sons salaire pour la période du 20 juillet 2008 au 19 juillet 2013.
[12] Le même contrat prévoit la disposition suivante en cas de bris de contrat :
«10. Bris de contrat :
En cas de bris de contrat, les sommes dues à l’employeur sont remboursables en un seul versement dans les trente (30) jours suivant l’avis de désistement du régime, à moins d’entente particulière entre les parties sur un mode de remboursement différent.
En cas de remboursement exigible de la personne salariée à l’établissement lors de bris de contrat pour raison de cessation d’emploi, retraite, désistement ou expiration du délai de sept (7) ou de six (6) ans selon le cas, celle-ci autorise l’établissement à prélever ce remboursement ou partie de ce remboursement à même les sommes qui lui sont dues lors de son départ.
[…] » [1] [Reproduit tel quel]
[13] La plaignante s’absente, dans le cadre de l’invalidité ayant mené à sa fin d’emploi, à compter du 13 octobre 2009, avec des diagnostics de dépression majeure et de trouble anxieux, posés par son médecin traitant, le Dr André Rachiele.
[14] Le médecin examinateur de l’Employeur, le Dr Michel Desrosiers produit une évaluation le 23 mars 2010, dans laquelle il considère que l’encadrement thérapeutique est inadéquat. Le Dr Desrosiers pose le diagnostic suivant :
« a) Trouble d’adaptation avec humeur mixte, plus dépressive qu’anxieuse, maintenant résolu, toujours sans évidence de rechute de dépression majeure ,
b) Traits de caractère sous-jacents à l’Axe II avec éléments de Groupe C (dépendance affective, passivité et immaturité) qui modulent à mon avis l’évolution de la condition de a). » [Reproduit tel quel]
[15] Il consolide la condition de la plaignante en date de son examen sans atteinte fonctionnelle bien caractérisée. Il juge donc la plaignante apte à reprendre son poste d’infirmière sans restriction de tâches. Il ajoute :
« La prolongation de la présente invalidité n’est ni nécessaire, ni médicalement justifiée, voire même non souhaitable pour madame pour éviter qu’elle ne s’enlise dans une attitude régressive ce qui je crains est en train de s’installer.
Par prudence, cependant, je recommande que ce retour prenne une forme progressive, échelonné sur environ neuf semaines, en débutant par un jour/semaine pour les trois premières semaines, et en augmentant la cadence d’un jour/semaine à toutes les semaines de sorte que madame devrait pouvoir réintégrer son horaire habituel; quatre jours/semaine le ou vers le 25 mai 2010. » [2]
[16] Le Dr Chamberland, médecin expert désigné par le Syndicat, examine la plaignante le 27 mars 2013 et dépose son expertise le 6 mai 2013. Il juge sévèrement cette évaluation du Dr Desrosiers. Il note dans le cadre de son témoignage, que la description de l’examen objectif de ce dernier révèle plusieurs symptômes de dépression majeure. Le Dr Chamberland estime donc que la plaignante est encore très symptomatique à cette époque et la tentative de retour au travail, dans un tel contexte, est vouée à l’échec.
[17] Le Dr Rachiele, médecin traitant, dans une note du 26 mars 2010, autorise tout de même un essai de retour progressif au travail. Cette tentative de retour au travail à compter du 5 avril 2010 se révèle infructueuse, la plaignante ne réussissant à travailler que l’équivalent de 2 ½ jours sur une période de trois semaines. Le 7 mai, le Dr Rachiele produit un certificat médical d’arrêt complet du travail et précise que la plaignante est toujours en attente d’une consultation en psychologie au CLSC.
[18] La plaignante reproche à l’Employeur de ne pas avoir encadré suffisamment ce retour progressif. Elle témoigne ne pas se souvenir avoir parlé avec sa chef d’unité préalablement à son retour et avoir simplement reçu une feuille de consignes, mentionnant un certain nombre de tâches à accomplir.
[19] Mme St-Amour, chef de service de cette dernière, rapporte avoir tenté de joindre la plaignante la veille de son retour, avoir parlé avec cette dernière le matin de son retour au travail et lui a demandé de consulter les dossiers et mettre les cartables des patients à jour. Elle considère qu’il s’agit d’une tâche simple pour une personne ayant la compétence et l’expérience de la plaignante et que cela était approprié dans le cadre d’un retour au travail progressif.
[20] L’Employeur demande une première expertise au docteur René Laperrière, psychiatre. Ce dernier rencontre la plaignante le 19 mai 2010.
[21] Dans ses conclusions, le Dr Laperrière note les éléments suivants :
« Conclusion
Questions
1. Le diagnostic?
Axe I : Trouble d’anxiété généralisée actuellement peu symptomatique.
Trouble dépressif majeur de type récurrent, trois épisodes dans le passé, actuellement en rémission.
Axe II : Trait de caractère du groupe C, sinon trouble du caractère.
Axe III : Plaintes en regard de migraines, de céphalées, problème d’asthme sous traitement, possibilité de reflux gastro-oesophagien et maladie fibrokystique au niveau des seins.
Axe IV : Liés essentiellement à son trouble d’anxiété généralisée et la présence de traits, sinon de troubles de caractère.
Axe V : Madame est autonome pour les activités de vie de tous les jours. Je n’ai pu mettre en évidence d’atteinte au niveau des fonctions mentales supérieures et cognitives. Elle semble avoir peu de vie sociale d’après ses dires, s’adapterait péniblement au quotidien. Elle ne présente aucun phénomène d’évitement et jusqu’ici n’a pas entrepris de traitement actif pour sa condition, soit depuis plus de sept mois, malgré sa connaissance du milieu de la santé, sa fréquentation pendant une très longue période du centre hospitalier Pierre-Legardeur.
2. La date prévue de retour au travail?
La problématique chez madame ne consiste pas à fixer une date de retour au travail étant donné, comme cela s’est passé récemment, soit en quelques jours, quelques semaines ou quelques mois, madame allègue à nouveau des symptômes de la lignée anxieuse ou dépressive et s’absente à nouveau pour des périodes tout aussi longues en raison de la réapparition d’une symptomatologie de nature invalidante.
Le médecin conseil avait recommandé un retour au travail face à un examen objectif peu révélateur et madame a quitté le travail après seulement quelques jours d’un retour au travail.
Actuellement madame ne présente pas de symptomatologie de nature totalement invalidante.
[…]
3. La nature des limitations fonctionnelles, s’il en est?
Madame est porteuse d’une pathologie dite endogène, c’est-à-dire d’une maladie chronique, récidivante pouvant se compliquer comme amplement noté au dossier par des épisodes dépressifs majeurs. Ce ne sont pas des modifications aux tâches de travail, lieu de travail, collègue de travail, horaires de travail qui peuvent avoir un effet déterminant sur l’apparition, le maintien ou la disparition d’une symptomatologie de nature invalidante. Je ne recommande pas de limitation fonctionnelle.
[Reproduit tel quel]
[22] La plaignante commence des séances avec un psychologue le 30 juin, au CLSC, et continue à être suivie par le Dr Rachiele aux six semaines.
[23] La plaignante revoit, à compter du 13 septembre 2010, la Dre Paquette, psychiatre, qu’elle avait consultée lors de son invalidité, en 2002. Ses notes de consultations sont déposées [3] .
[24] Son impression diagnostique est la suivante, en date du 13 septembre 2010 :
« Axe I : Dépression majeure compliquant un trouble d’adaptation avec humeur anxiodépressive.
Dysthymie de fond.
Trouble d’anxiété généralisée.
Attaques de panique sans agoraphobie.
Pas d’éléments de SPT [4] au questionnaire.
Axe II : Nil, sauf traits de dépendance affective.
Axe III : Migraines.
Axe IV : Relations conflictuelles avec conjoint avec propos dénigrants et menaçants de la part de ce dernier.
Décès d’une bonne amie.
Surcharge au travail avec réorganisation au sein de son poste, ce qui peut lui faire peur de reprendre le travail.
Axe V : EFG à 55, c’est-à-dire patiente très symptomatique présentement. » [Reproduit tel quel]
[25] La Dre Paquette assure un suivi régulier de la plaignante, ajuste sa médication et cette dernière assiste à des séances de psychothérapie hebdomadaires.
[26] Le 3 mai 2011, la psychiatre note une amélioration du trouble d’anxiété généralisé et ne constate plus de symptômes de dépression majeure. Elle propose un retour au travail progressif à compter du 6 juin 2011.
[27] L’Employeur désire soumettre la plaignante à une expertise avec le Dr Laperrière avant de la réintégrer au travail.
[28] Le 14 juin 2011, Mme Charbonneau, chef de la santé sécurité chez l’Employeur, écrit la lettre suivante à la plaignante :
« Madame,
Pour faire suite à l’étude de votre dossier, nous vous informons que nous autorisons une période d’absence pour invalidité à compter du 13 octobre 2011 (sic) au 31 juillet 2011, et ce malgré la recommandation d’un retour progressif au travail à partir de la semaine du 6 juin 2011 de votre médecin traitant, le Dr Suzanne Paquette.
Comme je vous l’ai mentionné lors de notre conversation téléphonique de la semaine dernière, nous aimerions que vous puissiez revoir le Dr René Laperrière, psychiatre avant votre retour. Vous ayez (sic) un rendez-vous en gynécologie prévu le 28 juillet prochain. Il sera donc important de faire le point sur votre santé globale et votre capacité à reprendre le travail à ce moment.
Nous joignons le formulaire de « Réclamation d’assurance-salaire » à faire compléter par votre médecin traitant si vous ne pouvez reprendre le travail après le 31 juillet 2011. Dès réception du formulaire « Réclamation d’assurance-salaire » dûment complété, nous réévaluerons votre éligibilité.
Pour toute question relative à la présente, veuillez communiquer directement avec la soussignée.
[…] »
[29] Le Dr Laperrière revoit donc la salariée le 19 juillet 2011.
[30] Les conclusions de son rapport, remis le 28 juillet, sont les suivantes :
« Conclusion
Questions
1. Le diagnostic?
Axe I : Il persiste actuellement des symptômes compatibles avec un trouble d’anxiété généralisée s’accompagnant de crises de panique.
Trouble d’anxiété généralisée, trouble panique actuellement symptomatique.
Trouble dépressif majeur de type récurrent, trois épisodes dans le passé, actuellement en rémission quoique madame relate la présence d’une symptomatologie résiduelle.
Son médecin a ajouté le diagnostic de trouble de déficit de l’attention, mais la médication prescrite ne semble plus donner les effets bénéfiques escomptés.
Axe II : Traits de caractère du groupe C, sinon trouble de caractère
Axe III : Plaintes en regard de migraines, de céphalées, problème d’asthme sous traitement, possibilité de reflux gastro-oesophagien et maladie fibrokystique au niveau des seins. Madame présente un problème de dysménorrhée sous traitement.
Axe IV : Liés essentiellement à une symptomatologie encore présente de trouble d’anxiété généralisée, de trouble panique et d’une symptomatologie résiduelle d’un épisode dépressif majeur lié à un trouble dépressif majeur de type récurrent. De plus, au fur et à mesure des traitements et considérant l’aspect réfractaire de la symptomatologie, on doit émettre le diagnostic de trouble de caractère.
Axe V : Madame est autonome pour les activités de tous les jours. Je n’ai pu mettre en évidence d’atteinte au niveau des fonctions mentales supérieures et cognitives. Elle semble avoir peu de vie sociale mais bien s’adapter à son quotidien actuellement. Elle se plaint depuis deux ou trois semaines de réveils nocturnes. Il y a aussi une très légère perte de poids. Sans présenter comme tel d’évitement, elle fréquenterait les endroits clos et ouverts uniquement lorsqu’elle y est obligée. Elle semble avoir entrepris depuis la dernière évaluation du 19 mai 2010 un traitement suivi auprès d’un médecin-psychiatre ainsi que d’une collaboratrice de cette psychiatre.
2. La date prévue de retour au travail?
La problématique chez madame ne consiste pas à fixer une date de retour au travail. En juin 2010, elle a développé en quelques jours, comme d’ailleurs je l’avais démontré dans mon rapport précédent, des symptômes de la lignée anxieuse ou dépressive et s’est absentée à nouveau en raison de la réapparition d’une symptomatologie de nature invalidante. Malheureusement, j’avais déjà dicté ces conclusions dans mon rapport du 25 mai 2010.
Actuellement, madame ne présente pas de symptomatologie de nature invalidante.
3. La nature, la durée, la nécessité et la suffisance des traitements ou des examens prescrits?
Madame rencontre un psychiatre dument certifié, bénéficie d’une médication tout à fait bien indiquée en lien avec la symptomatologie alléguée et de plus, elle bénéficie d’une psychothérapie hebdomadaire auprès d’une autre professionnelle.
Madame semble motivée maintenant à recevoir un traitement actif en psychiatrie, mais, malgré ce traitement, il est possible qu’à l’orée d’un retour au travail, il y ait réapparition d’une symptomatologie atteignant le sommeil, l’appétit et une forte appréhension.
4. La nature des limitations fonctionnelles, s’il en est?
Madame est porteuse d’une pathologie dite endogène, c’est-à-dire d’une maladie chronique, récidivante pouvant se compliquer comme amplement noté au dossier par des épisodes dépressifs majeurs. Ce ne sont pas des modifications aux tâches de travail, lieu de travail, collègue de travail, horaires de travail qui peuvent avoir un effet déterminant sur l’apparition, le maintien ou la disparition d’une symptomatologie de nature invalidante. Comme tel, je ne peux recommander de limitation fonctionnelle. Au fur et à mesure du passage des mois et des années et malgré tous les traitements prodigués, les médecins-psychiatres ont retenu les diagnostics de dépression majeure, trouble panique, trouble d’anxiété généralisée, dysthymie et maintenant, le psychiatre traitant retient le diagnostic de trouble de déficit de l’attention.
Force est de constater qu’au fur et à mesure du passage des mois et des traitements, la condition de la travailleuse semble se détériorer progressivement alors qu’il y a multiplication de diagnostics. De plus, il y a persistance d’une symptomatologie qui, sans être totalement invalidante, a amené son médecin-psychiatre à la replacer en arrêt de travail depuis plus d’un an.
Malheureusement, l’évolution au cours de la dernière année vient confirmer entièrement les conclusions de mon rapport d’évaluation médicale indépendante du 26 mai 2010.
5. La personne salariée est-elle apte à exercer les tâches décrites?
Je ne ferai ici que répéter les conclusions de mon rapport du 26 mai 2010 et malheureusement, depuis les choses se sont déroulées exactement comme je l’avais mentionné. Je réitère que madame est apte actuellement à exercer les tâches mentionnées, mais que dans quelques jours, quelques semaines, elle peut développer ou alléguer à nouveau une symptomatologie de nature invalidante, de nature anxieuse ou dépressive, ou d’évitement. Il apparait plus que probable que dans l’avenir, madame devra s’absenter pour des périodes tout aussi fréquentes et tout aussi longues, sinon encore plus, en raison de la réapparition d’une symptomatologie invalidante.
Lors du dernier essai de retour au travail, madame, après quelques jours, s’est absentée en alléguant une symptomatologie de nature invalidante confirmée par son psychiatre traitant.
6. La personne salariée est-elle en mesure de nous fournir une prestation normale de travail comparable à l’ensemble de nos employés?
Non. Pour les motifs déjà mentionnés. Il est plus que probable que madame, dans l’avenir, ne puisse donner une véritable prestation de travail soutenue et régulière en raison de la réapparition d’une symptomatologie liée à son problème de comorbidité, c’est-à-dire la présence de plusieurs pathologies au niveau psychique. » [Reproduit tel quel]
[31] Le 25 octobre 2011, le Dr Laperrière remet un rapport d’expertise complémentaire à la suite de la réception de différents documents médicaux en provenance du CSSS du Sud de Lanaudière. Il maintient essentiellement les mêmes conclusions, ajoutant qu’en ce qui concerne le trouble dépressif majeur, la personne a 90 % des chances de présenter à nouveau un épisode dépressif. Dans le cadre son témoignage, il dépose l’extrait du DSM IV à l’appui de cette statistique.
[32] Entretemps, la plaignante revoit régulièrement la Dre Paquette qui réitère son impression de trouble d’anxiété généralisé amélioré, de dépression majeure résolue et maintient sa suggestion de retour progressif au travail. Dans sa note du 15 septembre 2011, la Dre Paquette mentionne avoir reçu copie de l’expertise du Dr Laperrière. Elle ne commente ni ne répond à celle-ci.
[33] Un grief est également déposé le 12 octobre 2011, contestant le fait que l’Employeur considère toujours la plaignante comme étant invalide et refuse de la réintégrer au travail.
[34] Le Dr Chamberland, se référant aux documents médicaux écrits par le Dr Rachiele et la Dre Paquette, témoigne et conteste les conclusions du Dr Laperrière.
[35] D’une part, il remet en question l’opinion émise dans l’expertise du médecin expert de l’Employeur de 2010, dans laquelle celui-ci émet des doutes quant à la motivation de la plaignante à se prendre en main et à suivre une thérapie. Se référant aux notes du médecin traitant, le Dr Chamberland conclut plutôt que la plaignante était en attente d’un appel du CLSC pour être prise en charge par un psychologue. On ne peut donc, à son avis, imputer à cette dernière les délais importants de prise en charge dans le réseau de la santé.
[36] Le Dr Chamberland conteste également la conclusion du Dr Laperrière à l’effet que la dépression majeure était en rémission, lors de son examen de 2010. Que ce soit dans l’évolution de la situation décrite par le médecin expert de l’Employeur ou dans son examen objectif, le Dr Laperrière décrit des symptômes de dépression majeure chez la plaignante. De plus, il affirme qu’il n’est pas possible lors de la première entrevue, d’identifier un trait de caractère du groupe C chez une personne.
[37] L’affirmation d’un tel trait de caractère est très lourde de conséquence pour un individu et il ne faut pas poser de tels diagnostics sans une étude approfondie et un accès à des informations objectives sur l’ensemble de la vie de l’individu.
[38] Le Dr Chamberland affirme que le Dr Laperrière minimise les facteurs stresseurs auxquels est confrontée la plaignante, en 2010 : conflit avec son conjoint, difficultés avec son fils, problèmes financiers. Ces facteurs ne sont pas mentionnés dans l’expertise du Dr Laperrière, selon le Dr Chamberland.
[39] Il est par ailleurs inexact, selon le médecin expert du Syndicat, d’affirmer, qu’en mai 2010, la plaignante est apte au travail.
[40] Ce n’est, selon le Dr Chamberland, qu’à partir du moment où la plaignante est prise en charge par la Dre Paquette, en septembre 2010, que l’on peut constater une amélioration progressive de la condition de Mme A.. Le psychiatre traitant a ajusté la médication, offert un suivi psychologique et psychiatrique. En mai 2011, la Dre Paquette propose un retour au travail progressif à compter du 6 juin 2011.
[41] Analysant le rapport d’expertise du Dr Laperrière de juillet 2011, le Dr Chamberland y voit certaines inexactitudes, alléguant qu’il n’y a pas eu de tentative de retour au travail progressif en 2010 et que la plaignante n’a pas dit qu’elle devrait retourner au travail mais plutôt que l’Employeur devrait la reprendre au travail un jour. Il y voit un biais du médecin expert contre la plaignante.
[42] Le Dr Chamberland conteste également les diagnostics de trouble d’anxiété généralisé et de trouble panique retenus par le Dr Laperrière, la plaignante n’ayant plus aucun symptôme selon la psychiatre traitante.
[43] Le médecin expert du Syndicat remet également en question l’opinion du Dr Laperrière selon laquelle la condition de la plaignante est d’origine endogène car cette notion n’est plus utilisée et n’est pas répertoriée dans le DSM IV.
[44] Le Dr Chamberland réitère son commentaire quant à la désignation d’un trait de caractère du groupe C repris dans l’expertise du Dr Laperrière de 2011.
[45] Quant aux facteurs de stress, le Dr Chamberland souligne que le principal stresseur auquel était confrontée la plaignante, soit le conflit avec son conjoint, est éliminé en 2011, à la suite de sa séparation avec celui-ci. Ceci améliore donc le pronostic et minimise les risques de rechute à court terme.
[46] Reprenant son expertise, le Dr Chamberland rappelle avoir rencontré la plaignante le 29 mars 2013. Il reprend le drame vécu par cette dernière en bas âge sans qu’une prise en charge ne soit faite à l’époque.
[47] Quant à sa condition actuelle, il émet notamment les opinions suivantes dans son expertise :
« Diagnostic :
Axe I : Dépression majeure récurrente avec rémission complète inter-épisode, dernier épisode d’intensité modérée en rémission complète.
Trouble d’anxiété généralisée en rémission.
Axe II : Aucun trouble de personnalité pathologique. Possibilité de trait de personnalité dépendante.
Axe III : Au niveau des maladies physiques pouvant avoir un impact psychiatrique, Madame fait mention de migraines.
Axe IV : Les facteurs de stress précipitant le dernier épisode de dépression se rapportent à la fin de l’emploi de madame.
Axe V : Le fonctionnement social global selon l’échelle EFG se situe présentement à 75.
RÉPONSE AUX QUESTIONS
[…]
Question 3- Les limitations fonctionnelles
Au moment de notre évaluation, nous ne retrouvons chez Mme A. aucune limitation de quelque nature que ce soit. Madame est tout à fait en mesure d’occuper un poste d’infirmière à temps plein.
Question 4 - Mme A. est-elle apte à exercer les tâches décrites?
Tel que mentionné, Madame est en rémission complète des diagnostics psychiatriques dont elle a souffert dans le passé. La médication est bien tolérée et stable. Les suivis sont adéquats. Madame ne présente aucune limitation ni restriction de quelque nature que ce soit.
Il n’y a aucune raison qu’elle ne puisse pas effectuer les tâches liées au poste qu’elle a occupé pendant plusieurs années.
On doit aussi mentionner que Madame adore son travail et les personnes qu’elle y côtoie. Il s’agit d’un facteur d’excellent pronostic pour une reprise du travail réussie.
Question 5 - Mme A. est-elle en mesure de fournir une prestation nouvelle de travail
Mme A. est porteuse d’un trouble dépressif qui peut être qualifié de récurrent. Il est vrai que le fait d’avoir souffert de plusieurs épisodes dépressifs augmente le risque de voir apparaître un épisode subséquent. Certaines études font même mention d’un risque de 90% après quatre épisodes dépressifs.
Il faut cependant être très prudent avec ce type d’études qui ne représentent qu’un risque statistique.
C’est pour cette raison que des évaluations psychiatriques spécifiques sont nécessaires pour déterminer les facteurs de bon et de mauvais pronostic de façon à pouvoir personnaliser le risque.
Dans le cas de Mme A., on retrouve une multitude de facteurs de bon pronostic. Il faut commencer par le fait que Madame est très observante à son traitement autant pharmacologique que psychothérapeutique. Madame est prise en charge par des professionnels en qui elle a pleine confiance. Madame ne souffre pas d’une problématique de consommation d’alcool ou de drogues. On ne retrouve pas chez elle de trouble de personnalité pathologique. Elle a un mode de vie sain. Elle peut bénéficier d’un bon réseau de soutien. Elle a aussi pu bénéficier des traitements reçus jusqu’ici en psychothérapie qui lui permettent de mieux identifier ses fragilités et de détecter les symptômes précocement lors de leur apparition. Madame a aussi appris à mieux gérer les relations interpersonnelles qui peuvent être difficiles.
Finalement, on doit noter la motivation indéniable de madame de reprendre son travail. Après avoir passé plus de vingt-cinq ans auprès du même employeur et avoir travaillé aux différentes expansions qui se sont ajoutées au fil des années, ce travail fait partie de l’identité de madame et elle est fière de ce qu’elle a accompli.
L’ensemble de ces facteurs de bon pronostic vient très fortement nuancer les statistiques qui pourraient s’appliquer à Madame.
Mentionnons de plus que les statistiques se rapportent à un risque de rechute sans que ne soit spécifié le type de rechute de la période pendant laquelle la personne pourrait être inapte au travail. Dans le cas de Mme A., compte tenu de l’ensemble des facteurs de bon pronostic, même si une telle rechute devait survenir, l’impact pourrait en être grandement minimisé par la qualité du suivi dont Madame bénéficie, l’ajustement précis de sa médication et l’autocritique face à sa condition que les différentes psychothérapies lui ont permis d’acquérir.
Globalement, nous sommes d’avis que madame est en mesure d’offrir une prestation de travail tout à fait adéquate dans son nouvel emploi, tout comme elle aurait pu en offrir une dans son ancien travail.
[…]
Question 7 - Le pronostic à court, moyen et long terme?
Le pronostic à court terme doit être considéré comme bon compte tenu de l’état de stabilité actuel de Madame. À moyen et long terme, le pronostic pourrait être considéré comme réservé quant à un risque de récidive de dépression majeure, ce qui n’implique cependant pas nécessairement une absence prolongée du travail en cas de récidive. » [Reproduit tel quel]
[48] M. Benoit Favreau est agent de gestion du personnel chez l’Employeur en 2011. Il a travaillé dans le dossier de la plaignante et a élaboré les tableaux résumant les absences de cette dernière depuis son embauche.
[49] Il a établi une proportion des jours d’absence de la plaignante au cours des 5, 10 et 21 dernières années pour établir le taux d’absentéisme de celle-ci dû à l’invalidité.
[50] Selon ces données, le taux d’absentéisme de la plaignante s’établit ainsi pour les années 1990 à 2011 :
21 dernières années : 37 %
10 dernières années : 47 %
5 dernières années : 51 %
[51] Pour arriver à ces données, il a utilisé les fiches salariales de la plaignante et a décortiqué les périodes d’absence et leur motif. Il n’a conservé, aux fins du taux d’absentéisme, que les périodes d’absence pour maladie ou en assurance salaire par rapport au nombre de jours de travail attendus pour chacune des années.
[52] Il témoigne avoir remis la synthèse des données au directeur des ressources humaines, M. Gohier, avant que la décision de mettre fin à l’emploi de la plaignante ne soit prise, en novembre 2011. Il explique les disparités entre les taux d’absentéisme mentionnés à la lettre de fin d’emploi et les tableaux déposés devant le tribunal par le fait qu’il a peaufiné, en prévision de l’arbitrage, les données afin de s’assurer qu’il déposait les taux exacts devant le tribunal.
[53] M. Gohier, directeur des ressources humaines, explique les raisons ayant mené à la décision de mettre fin à l’emploi de la plaignante.
[54] Il compare le taux d’absentéisme de la plaignante avec celui de l’ensemble des employés et constate un écart très important. Le taux moyen d’absentéisme chez l’Employeur pour l’ensemble des employés est de 7 % si on tient compte des jours de maladies et des périodes d’assurance salaire.
[55] Il considère le taux d’absentéisme de la plaignante très impressionnant, d’autant qu’il s’établit sur une longue période. Il constate donc qu’il ne peut plus se fier sur la présence de la plaignante auprès de la clientèle.
[56] Contre-interrogé, il ne remet pas en question les motifs pour lesquels la plaignante s’est absentée au cours de ces années mais ne fait que constater que cette dernière n’est pas en mesure d’offrir une prestation de travail régulière à long terme.
[57] Il n’a pas jugé bon de permettre le retour au travail progressif en juin 2011 parce qu’il jugeait important d’avoir une analyse globale de la situation et d’obtenir l’opinion de son médecin expert sur le pronostic avant de permettre un retour au travail, étant donné une absence de plus de 20 mois pour une invalidité de nature psychologique.
[58] Il prend connaissance de l’expertise du Dr Laperrière de juillet 2011 et de son complément d’expertise, reçu en octobre 2011.
[59] Le 11 novembre 2011, M. Gohier remet à la plaignante la lettre suivante, en présence de son représentant syndical :
« Madame A.,
La présente fait suite à la réflexion que nous avons dû menée (sic) en lien avec les développements survenus dans votre dossier depuis l’été dernier. Nous avons dans ce contexte dû remettre en perspective l’orientation de votre médecin traitant qui prescrivait un retour au travail progressif.
Considérant nos réticences face à un tel retour, nous avons cru bon de remonter l’historique de votre assiduité afin d’objectiver nos perceptions et obtenir un éclairage sur vos capacités futures.
Rappelons ici que vous avez été embauchée le 24 mars 1986 à titre d’infirmière. Malheureusement, dès 1990 vous avez dû vous absenter de façon importante et ce, principalement en raison de problèmes de santé mentale. En effet, vos absences découlant des diagnostics de dépression majeure et réaction anxio-dépressive ou troubles anxieux ont débuté le 5 mars 1990.
Un recensement de vos absences long terme depuis votre embauche nous a conduit à l’historique qui se détaille comme suit :
5 mars 1990 au 13 juillet 1991 : dépression majeure
15 mai 1994 au 10 juin 1994 : réaction anxio-dépressive
29 novembre 1995 au 16 septembre 1996 : dépression majeure
17 septembre 1996 au 23 juin 1997 : troubles anxieux généralisé
23 avril 1998 au 7 aout 1998 : dépression majeure
3 juin 2002 au 30 mai 2004 : trouble d’adaptation généralisé et dysthymie
13 octobre 2009 à maintenant : trouble d’anxiété généralisé et dépression majeure
Vous avez eu également des absences pour d’autres diagnostics durant cette période :
7 décembre 1999 au 28 janvier 2000 : bronchite asthmatique
15 décembre 2000 au 13 janvier 2001 : migraines et DIM
8 janvier 2002 au 28 janvier 2002 : labyrinthite cervicale et sinusite
3 janvier 2005 au 23 janvier 2005 : sinusite et migraine
7 novembre 2006 au 17 décembre 2006 : mastectomie partielle bilatérale
Bien que ce ne soit pour des périodes d’invalidité, nous n’avons pu recourir à vos services pendant les périodes ci-après :
8 aout 1998 au 25 décembre 1998 : maternité
29 janvier 1999 au 23 juin 2000 : parental
20 juillet 2008 au 19 juin 2009 : congé RCSTD
Nous avons fait l’étude de votre dossier et nous constatons que votre taux d’absentéisme s’élève à environ 40 % dans les 21 dernières années et s’est accru à environ 50 % dans les 10 dernières années et à environ 60 % dans les 5 dernières années, en ne tenant pas compte de vos absences pour congé maternité, congé parental et congé à traitement différé. Nous estimons que ces taux d’absentéisme sont largement au-delà de ce qui est raisonnablement acceptable.
Conformément à notre convention collective, vous avez été rémunérée en assurance-salaire à chacune de ces absences pour maladie.
Vous comprendrez aisément qu’analyser en rétrospective votre très faible assiduité nous a fait réaliser à quel point vous ne vous êtes pas acquittée des obligations sous-jacentes à votre contrat de travail. Bien que ce constat soit saisissant, nous avons tenté d’anticiper ce dont serait fait l’avenir.
Vous avez été examinée par notre expert psychiatre, le Dr Laperrière, à plusieurs reprises. Ce dernier est d’avis qu’en raison de nombreuses récidives d’épisodes psychiques, de trouble dépressif et de trouble d’anxiété généralisée, il est plus que probable, que dans l’avenir, vous ne puissiez pas donner une prestation de travail régulière .
Il écrit :
« Il apparait probable que dans l’avenir, madame devra s’absenter pour des périodes tout aussi fréquentes et tout aussi longues, sinon encore plus fréquentes et plus longues en raison de la réapparition ou d’allégation d’une symptomatologie de nature invalidante. »
« Considérant un taux de récidive de 90 % après un troisième épisode dépressif majeur, la présence de comorbidité nous amène à conclure à un pronostic encore plus sombre. »
Malheureusement, il est d’avis que ce ne sont pas des modifications de lieux, de tâches ou de collègues de travail qui peuvent avoir un effet déterminant sur l’apparition, le maintien ou la disparition d’une symptomatologie de nature invalidante. Il constate que l’employeur ne peut vous offrir aucun accommodement possible pour améliorer le pronostic.
À la lumière de ces constats, nous sommes dans l’obligation de conclure que vous ne pourrez pas, dans l’avenir, nous offrir une prestation régulière et soutenue de travail que nous sommes en droit d’attendre de chacun de nos employés.
Ainsi donc, nous n’avons d’autre option, que de mettre fin à votre lien d’emploi avec notre établissement à compter du 4 novembre 2011.
La directrice du programme multiclientèles, Le directeur des ressources humaines
(s) Marcelle Lajoie) (s) Gaétan Gohier »
[Reproduit tel quel]
[60] La plaignante conteste cette lettre et la fin de son emploi par grief le 2 décembre 2011. Elle dépose également un grief, le 1 er décembre 2011, contestant le fait que l’Employeur n’a pas agi avec diligence dans le traitement de son dossier d’invalidité entre le 6 juin 2011 et le 13 octobre 2011.
[61] À la suite de la rencontre de remise de la lettre de congédiement, M. Favreau a des échanges avec la plaignante relativement aux sommes qui lui sont encore dues. Cette dernière a également une dette envers l’Employeur à la suite de son congé à traitement différé qu’elle n’a pas encore remboursé en totalité.
[62] Le 19 décembre 2011, M. Gohier écrit à la plaignante pour l’informer qu’elle doit encore 18 217,68 $ à l’Employeur.
[63] M. Favreau soutient avoir tenu plusieurs conversations avec la plaignante afin de déterminer la meilleure façon d’effectuer compensation entre les sommes dues par l’Employeur à la plaignante et la dette découlant du congé à traitement différé. M. Favreau dépose un document résumant la situation. L’Employeur doit à la plaignante un montant de 10 275,70 $ alors que cette dernière lui doit un montant de 18 217, 68 $.
[64] M. Favreau rapporte aussi avoir eu une discussion téléphonique avec la plaignante, le 24 avril 2012, pour faire à nouveau le point sur les sommes dues et il se rappelle que cette dernière lui demande alors de conserver les sommes qui lui sont payables à la suite de son départ pour diminuer le montant qu’elle doit rembourser pour le congé à traitement différé. La plaignante ne se rappelle pas de cette conversation mais M. Favreau dépose la note manuscrite qu’il a prise à l’occasion de cet appel téléphonique [5] .
[65] Un grief est déposé par le Syndicat le 23 février 2012 contestant que les montants de vacances accumulés et de temps à reprendre sont retenus par l’Employeur depuis la rupture du lien d’emploi de la plaignante.
[66] La plaignante témoigne avoir eu une rechute de dépression majeure à la suite de l’annonce de sa perte d’emploi pendant une période d’un mois. Elle a, par la suite, effectué des recherches d’emploi, a travaillé une semaine dans un CHSLD mais a constaté qu’elle avait besoin de mise à jour de ses techniques infirmières. Elle s’inscrit donc à un cours d’actualisation en sciences infirmières au Cégep Bois-de-Boulogne, d’octobre 2013 à avril 2014. Elle effectue, par la suite, des recherches d’emploi dans la région de Lanaudière mais n’a pas encore trouvé de travail au moment de son témoignage.
[67] Le Syndicat fait témoigner l’agent syndical, M. Vinh Tran, qui explique avoir eu des discussions avec la plaignante concernant une correspondance du 14 juin 2011, que le Syndicat n’a pas reçue. Il constate, par la suite, que plusieurs lettres envoyées à la travailleuse ne sont pas expédiées au Syndicat. Un grief est déposé le 11 novembre 2011, concernant la non remise au Syndicat de la lettre du 14 juin 2011.
[68] Il témoigne que la pratique chez l’Employeur est de faire parvenir au Syndicat toute correspondance envoyée aux membres de l’unité d’accréditation.
[69] Contre-interrogé, il ne peut préciser en vertu de quel article de la convention collective, une telle obligation est faite à l’Employeur mais précise que cela est le cas depuis au moins 2005, à sa connaissance.
[70] Les dispositions de la convention collective pertinentes à la solution des griefs soumis au présent tribunal sont les suivantes :
ARTICLE 3
ACCRÉDITATION ET CHAMP D’APPLICATION
[…]
3.11 Mesures administratives
L’Employeur qui applique une mesure administrative ayant pour effet d’affecter le lien d’emploi de la salariée de façon définitive ou temporaire, autrement que par mesure disciplinaire ou par mise à pied, doit dans les quatre (4) jours subséquents de calendrier, informer par écrit la salariée des raisons et de l’essentiel des faits qui ont provoqué la mesure.
L’Employeur avise par écrit le Syndicat de la mesure imposée dans le délai prévu à l’alinéa précédent.
[…]
ARTICLE 5
RETENUES SYNDICALES
[…]
5.01 Période de retenue et délai de remise
L’Employeur s’engage, pour la durée de la présente convention collective, à retenir sur le chèque de paie de chaque salariée ayant quinze (15) jours d’emploi, la cotisation syndicale fixée par le Syndicat ou un montant égal à celle - ci et à en faire remise dans les quinze (15) premiers jours de la fin de la période comptable, au Syndicat à sa dernière adresse connue.
Cette déduction est également faite, le cas échéant, sur la paie de vacances de la salariée ainsi que sur les montants versés à titre de bourse d’études, de remboursement des congés de maladie et de rétroactivité.
À la demande du Syndicat, le dépôt des cotisations syndicales est effectué directement à la banque identifiée par le Syndicat.
Lors de cette remise, l’Employeur fournit à la Fédération Interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ), un état détaillé mentionnant :
a) le nom et le prénom des salariées cotisées;
b) leur numéro d’assurance sociale;
c) leur numéro d’employée;
d) leur adresse;
e) leur numéro de téléphone;
f) leur statut d’emploi et titre d’emploi;
g) leur date d’embauche;
h) leur(s) centre(s) d’activités et l’installation lorsque l’affichage en fait mention et que l’information est disponible sur support informatique;
i) le montant du salaire régulier versé;
j) les montants retenus;
k) le nom des nouvelles salariées et leur date d’embauche;
l) le nom des salariées qui ont quitté;
m) la date du départ;
n) l’indication des absences temporaires pour toute la durée de la période comptable. Sur demande écrite du Syndicat, l’Employeur fournit la nature du motif de l’absence temporaire;
o) l’indication de tout changement de nom ou d’adresse que l’Employeur a reçu des salariées.
La transmission des informations se fait par support informatique, dans la mesure où cela est disponible chez l’Employeur, et les frais afférents sont à la charge de la FIQ. Le caractère confidentiel des renseignements doit être assuré par la FIQ et le Syndicat.
L’Employeur et le Syndicat peuvent convenir localement des modalités de mise en œuvre et d’application du présent article.
[…]
ARTICLE 11
ARBITRAGE
[…]
11.09 Juridiction relative aux mesures administratives
Dans tous les cas de mesure administrative prévue au paragraphe 3.11, l’arbitre peut :
1. réintégrer la salariée avec pleine compensation;
2. maintenir la mesure administrative
[…]
E) FRAIS D’ARBITRAGE
11.38 Les honoraires et les frais de l’arbitre de grief sont assumés par la partie qui a soumis le grief si celui-ci est rejeté ou par la partie à qui le grief a été soumis si celui-ci est accueilli. Dans le cas où le grief est accueilli en partie, l’arbitre détermine la proportion des honoraires et des frais que doit assumer chacune des parties.
Cependant, dans le cas d’un arbitrage soumis selon la procédure de règlement d’un litige relatif à une invalidité prévue au paragraphe 23.27 de la convention collective et dans le cas d’un arbitrage relatif à un congédiement, les honoraires et les frais de l’arbitre, à l’exception de ceux prévus au paragraphe 11.39, ne sont pas à la charge de la partie syndicale.
[…]
ARTICLE 23
RÉGIME D’ASSURANCE VIE, MALADIE ET SALAIRE
[…]
D) RÉGIME D’ASSURANCE SALAIRE
23.17 Subordonnément aux dispositions des présentes, une salariée a droit pour toute période d’invalidité durant laquelle elle est absente du travail:
a) jusqu’à concurrence du moindre du nombre de jours de congés de maladie accumulés à son crédit ou de cinq (5) jours ouvrables, au paiement d’une prestation équivalente au salaire qu’elle recevrait si elle était au travail.
Cependant, si une salariée doit s’absenter de son travail pour une cause de maladie, sans avoir à son crédit un nombre de jours suffisants pour couvrir les cinq (5) premiers jours ouvrables d’absence, elle peut utiliser par anticipation les jours qu’elle accumulera jusqu’au 30 novembre de l’année en cours. Toutefois, en cas de départ, avant la fin de l’année, elle doit rembourser l’Employeur au taux courant lors de son départ, à même sa dernière paie, les jours de congés de maladie pris par anticipation et non encore acquis;
b) à compter de la sixième (6 e ) journée ouvrable et jusqu’à concurrence de cent quatre (104) semaines, au paiement d’une prestation d’un montant égal à 80 % du salaire.
Le salaire de la salariée aux fins de calcul de la prestation est le taux de salaire de l’échelle applicable à la salariée à la date où commence le paiement de la prestation visée à b) ci-dessus incluant, le cas échéant, les suppléments rattachés au titre d’emploi et la rémunération additionnelle prévue à l’article 2 de l’annexe 3 et à l’annexe 11. Pour les salariées autres que celles engagées à temps complet dans un emploi permanent, le montant est réduit au prorata sur la base du temps travaillé au cours des douze (12) dernières semaines de calendrier pour lesquelles aucune période de maladie, de congé de maternité, de paternité, d’adoption ou de congé annuel n’a été autorisée par rapport au montant de la prestation payable sur la base du temps plein. Toutefois, dans le cas d’une salariée titulaire d’un poste à temps partiel, ce montant ne peut correspondre à un nombre de jours inférieurs à celui prévu à son poste.
Le calcul de la prestation est ajusté par la suite, le cas échéant, du taux de croissance de l’échelle de salaire aux dates prévues à la présente convention collective et/ou en fonction de l’avancement d’échelon prévu à son échelle de salaire, si cet avancement était prévu dans les six (6) mois suivant le début de son invalidité. Toutefois, une salariée invalide ne peut bénéficier d’un tel avancement d’échelon qu’une fois au cours d’une même invalidité.
Réadaptation
À compter de la huitième (8 e ) semaine d’invalidité au sens du paragraphe 23.03, une salariée qui reçoit des prestations d’assurance salaire peut, sur recommandation du médecin désigné par l’Employeur ou à sa demande et sur recommandation de son médecin traitant, bénéficier d’une (1) ou plusieurs période(s) de réadaptation à l’intérieur d’un délai d’une durée maximale de trois (3) mois consécutifs, tout en continuant d’être assujettie au régime d’assurance salaire. Cette réadaptation est possible avec l’accord de l’Employeur et pourvu qu’elle puisse permettre à la salariée d’accomplir toutes les fonctions reliées au poste qu’elle occupait avant le début de son invalidité. Les prestations payables au cours de cette période de réadaptation sont équivalentes aux prestations d’assurance salaire, qu’elle recevrait si elle n’était pas en période de réadaptation, réduites d’un montant équivalent à 80 % du salaire brut qu’elle reçoit pour le travail effectué au cours de cette période de réadaptation. Le paiement de cette prestation s’effectue à la condition que le travail continue d’être en fonction de la réadaptation de la salariée à son poste et que son invalidité persiste.
L’Employeur peut, sur recommandation de son médecin désigné, prolonger une période de réadaptation pour une durée maximale de trois (3) mois consécutifs. L’Employeur et la salariée peuvent aussi convenir, sur recommandation du médecin traitant, de prolonger une période de réadaptation pour cette même durée. Toute période de réadaptation ne peut avoir pour effet de prolonger la période de paiement des prestations, complètes ou réduites, d’assurance salaire, au-delà de cent quatre (104) semaines de prestations pour cette invalidité.
[…]
23.23 Quelle que soit la durée de l’absence, qu’elle soit indemnisée ou non et qu’un contrat d’assurance soit souscrit ou non aux fins de garantir le risque, l’Employeur, ou bien l’assureur ou l’organisme gouvernemental choisi par la partie patronale comme représentant de l’Employeur à cette fin peut vérifier le motif de l’absence et contrôler tant la nature que la durée de l’invalidité.
23.24 De façon à permettre cette vérification, la salariée doit aviser son Employeur sans délai lorsqu’elle ne peut se présenter au travail en raison d’invalidité et soumettre promptement les pièces justificatives requises visées au paragraphe 23.22; l’Employeur ou son représentant peut exiger une déclaration de la salariée ou de son médecin traitant sauf dans le cas où, en raison des circonstances, aucun médecin n’a été consulté; il peut également faire examiner la salariée relativement à toute absence, le coût de l’examen n’étant pas à la charge de la salariée et les frais de déplacement raisonnablement encourus sont remboursés selon les dispositions de la convention collective.
23.25 La vérification peut être faite sur base d’échantillonnage de même qu’au besoin lorsque compte tenu de l’accumulation des absences l’Employeur le juge à propos. Advenant que la salariée ait fait une fausse déclaration ou que le motif de l’absence soit autre que la maladie de la salariée, l’Employeur peut prendre les mesures disciplinaires appropriées.
IV. PLAIDOIRIES
[71] L’Employeur allègue, dans un premier temps, que la plaignante souffre d’une maladie récurrente et chronique qui l’empêche de travailler et, dans un deuxième temps, que cette dernière ne veut pas travailler et utilise tous les prétextes pour se soustraire du travail.
[72] Cette situation fait en sorte que la plaignante est constamment absente et ne remplit donc pas son contrat de travail.
[73] Les deux experts qui ont témoigné sont opposés tant sur le fond que dans le style et la forme. Le Dr Laperrière a examiné la salariée à deux reprises, d’abord en 2010, puis en juillet 2011, lors de sa demande de retour au travail. Il consulte les notes médicales relatives à la plaignante depuis ses premiers arrêts de travail, en 1990, et conclut que, si elle est en rémission de la dépression majeure et du trouble d’anxiété, le risque de récidive à court, moyen et long terme est très important.
[74] Le Dr Chamberland, témoignant pour la partie syndicale, traite avec mépris le Dr Desrosiers, médecin évaluateur de l’Employeur, et le Dr Laperrière, médecin expert, Il voit la plaignante en mai 2013, soit plus de deux ans après la demande de retour au travail et son expertise est donc tardive et n’illustre pas la situation au moment où l’Employeur a pris la décision de mettre fin à l’emploi de la plaignante. Le tribunal doit évaluer la situation au moment de la prise de décision de l’Employeur et ne peut se fier à une preuve postérieure aux évènements.
[75] Quant aux faits, la lettre de fin d’emploi ne blâme pas la plaignante mais fait le constat que cette dernière est constamment absente et ne peut faire le suivi de la clientèle dont l’Employeur a la responsabilité.
[76] M. Favreau a produit le tableau d’absentéisme de la plaignante et celui-ci démontre que le taux d’absence de cette dernière est de 51 % depuis 5 ans, 47 % depuis 10 ans et de 43 % depuis 21 ans. Ce taux d’absence est très élevé depuis une très longue période, si on le compare au taux moyen d’absentéisme qui se situe entre 4 % et 7 %.
[77] L’Employeur a eu un comportement exemplaire envers la plaignante pendant toutes ces années et a continué à verser les prestations d’assurance salaire mais, il doit, au moment où la plaignante désire reprendre le travail après une absence de près de deux ans, évaluer la capacité de celle-ci à fournir une prestation régulière de travail et s’assurer que le pronostic est positif et assurera à la clientèle une offre de service constante.
[78] La plaignante, pour sa part, n’a pas fourni d’effort réel pour se trouver un nouvel emploi. Le procureur interprète cela comme un manque de motivation, probablement lié au fait qu’elle ne se sent pas capable de fournir une prestation régulière de travail.
[79] Concernant le grief contestant la récupération salariale, M. Favreau a témoigné avoir eu une discussion avec la plaignante qui l’a autorisé à retenir les sommes qui lui étaient dues afin de compenser la dette qu’elle avait envers l’Employeur à la suite de son congé à traitement différé. M. Favreau a déposé une note confirmant cette conversation avec la plaignante, alors même que cette dernière nie une telle discussion. La plaignante n’est pas crédible et l’Employeur a agi avec le consentement de la plaignante.
[80] Concernant la remise de la correspondance au Syndicat, aucune disposition de la convention collective n’oblige l’Employeur à transmettre celle-ci au Syndicat.
[81] À l’appui de ses prétentions, l’Employeur dépose les autorités suivantes, traitant d’une part du moment où l’arbitre doit se placer pour évaluer la décision de l’Employeur et d’autre part, de la non - pertinence de l’expertise déposée par le Dr Chamberland parce que postérieure au congédiement.
Centre hospitalier de l’Université de Montréal
et
Syndicat des employées et employés du CHUM-CSN
, Me Michel Bolduc, arbitre,
Syndicat des professionnelles et professionnels
en soin de santé du Centre hospitalier de l’Université de Montréal (FIQ)
et
Centre hospitalier de l’Université de Montréal - Hôtel-Dieu
, Me Pierre
Laplante, arbitre,
Syndicat du personnel de bureau du CHRTR-FSSS-CSN
et
Centre hospitalier régional de Trois-Rivières
, Me Nathalie
Faucher, arbitre,
Centre hospitalier de l’Université de Montréal
(Pavillon Hôtel-Dieu)
et
Syndicat des infirmières et infirmiers de
l’Hôtel-Dieu (FIIQ
), Me Gilles Trudeau, arbitre,
Pointe-Claire (Ville de)
et
Syndicat
national des employés municipaux de Pointe-Claire (CSN),
Me Marc
Boisvert, arbitre,
Compagnie minière Québec-Cartier
c.
Métallurgistes unis d’Amérique, section locale 6869,
et
René Lippé
,
[82] Le procureur syndical trouve contradictoire l’argument de l’Employeur qui affirme que la plaignante est malade mais qu’elle ne veut pas travailler parce qu’elle n’est pas motivée.
[83] La partie syndicale propose les critères applicables pour évaluer un dossier d’absence chronique : il faut d’une part que l’absentéisme soit excessif et d’autre part, que le salarié ne soit pas en mesure d’offrir une prestation de travail régulière dans un avenir rapproché.
[84] Reprenant les éléments factuels, le procureur rappelle que la plaignante travaille à partir de 1986 pour l’Employeur et n’a aucun problème d’assiduité jusqu’en 1990. Elle devra toutefois s’absenter pour différentes périodes à partir de cette année-là. Elle est, par ailleurs, une excellente infirmière et n’a aucun antécédent disciplinaire ou déontologique.
[85] La plaignante subit un drame atroce en bas âge quand sa mère et plusieurs frères et sœurs décèdent dans un incendie. Cela sera la source importante d’insécurité et d’anxiété. De plus, sa relation amoureuse est dysfonctionnelle compte tenu d’un conjoint violent verbalement. À cela s’ajoute un enfant ayant des difficultés d’apprentissage. L’ensemble de ces éléments a contribué à la maladie de la plaignante.
[86] Contrairement aux prétentions de l’Employeur, la partie syndicale juge que ce dernier n’a pas été facilitant et supportant au cours des absences de la plaignante et lors de sa tentative de retour au travail, en 2010. La manière dont Mme St-Amour a reçu la plaignante par un appel téléphonique la veille de son retour au travail n’était pas respectueux pour cette dernière et ne peut être considéré comme un véritable accueil après une absence de plus de six mois. Cela a provoqué une rechute qui a augmenté la période d’absence en invalidité. En ce sens, pour le Syndicat, l’Employeur est l’artisan du malheur de la plaignante lors de sa rechute de 2010.
[87] En 2011, la plaignante se prend en main et consulte une psychiatre, une psychologue, une ergothérapeute, en plus de son médecin de famille et participe à de nombreux ateliers pour l’aider à mieux gérer son stress et son acceptation de soi. Cela est en contradiction avec l’argument de l’Employeur qui prétend que la plaignante n’est pas motivée et ne veut pas travailler.
[88] Toutes ces démarches témoignent qu’elle s’est prise en main et veut offrir une bonne prestation de travail.
[89] On ne peut évidemment pas prédire l’avenir mais l’argument du Dr Laperrière voulant que le passé soit garant de l’avenir n’est pas très utile. Le Dr Chamberland a fourni plusieurs éléments objectifs qui permettent de proposer une perspective plus positive et un pronostic plus favorable que ce qu’a vécu la plaignante au cours des années antérieures. Bien que le Syndicat reconnaisse que la plaignante a dû s’absenter à de nombreuses reprises au cours des années antérieures, le tableau déposé par l’Employeur ne tient pas compte de certaines réalités et gonfle le taux d’absentéisme de façon abusive.
[90] Toute la période de flottement entre le moment où la psychiatre de la plaignante propose un retour progressif au travail, en juin 2011, et le moment où l’Employeur prend sa décision de fermer le dossier de celle-ci démontre encore une fois le peu de considération de l’Employeur envers la plaignante.
[91] Concernant l’expertise du Dr Chamberland, la teneur scientifique de ses propos impressionne et se démarque de l’attitude du Dr Laperrière qui a démontré peu de rigueur dans son analyse. La thèse du Dr Chamberland quant au pronostic favorable à court terme et plus réservé à moyen et long terme quant à la présence au travail de la plaignante doit être retenue par le tribunal.
[92] Sur les autres éléments contestés par grief, le procureur suggère que la récupération effectuée sur les sommes dues à la plaignante semble illégale.
[93] À l’appui de ses prétentions, le procureur soumet les autorités suivantes :
M.T.
c
. Ville de Saint-Bruno-de-Monta
rville,
CRT, Mme Louise Verdone, juge administrative,
Ducharme, Léo, L’administration de la preuve , 4 e Édition, Wilson et Lafleur Ltée Éditeurs, 2010, p. 226 à 235;
Royer, Jean-Claude, Lavallée, Sophie,
Snyder, Royal M., Collective agreement arbitration in Canada , 5 th Edition, LexisNexis, p. 676-697;
Béliveau, Nathalie-Anne, Lebel, Sébastien, La conjugaison de l’obligation d’accommodement de l’employeur et de son droit de congédier pour absentéisme : l’arrêt Hydro-Québec, in Développements récents en droit du travail 2009 , Éditions Yvon Blais, 2009;
Bernier, Linda, Blanchet, Guy, Granosik, Lukasz, Séguin, Éric, Les mesures disciplinaires et non disciplinaires dans les rapports collectifs du travail , 2 e Édition, Vol II;
Laflamme, Anne-Marie et Bégin-Robitaille, Maude, « La santé mentale et les accommodements raisonnables au travail : mythe ou réalité? », in Les cahiers de droit , vol. 54, no 2-3, 2013, p. 389-411;
Desjardins, Annick et Giguère, Céline , « Santé mentale : l’échec du droit à épouser une approche systémique » , in Les cahiers de droit , vol. 54, no 2-3, 2013, p. 359-388.
[94] Le Syndicat dépose cinq griefs à l’encontre des décisions de l’Employeur. Reprenons chacun des gestes contestés par le Syndicat :
· Grief 647523 déposé le 12 octobre 2011 : conteste le fait que l’Employeur considère toujours la plaignante en invalidité et ne la réintègre pas au travail;
· Grief 647526, déposé le 11 novembre 2011 : conteste la non remise au Syndicat de la lettre du 14 juin 2011, adressée à la plaignante;
· Grief 647527, déposé le 1 er décembre 2011 : conteste le manque de diligence de l’Employeur dans le traitement du dossier d’invalidité de la plaignante;
· Grief 620984, déposé le 2 décembre 2011 : conteste la fin d’emploi de la plaignante et la lettre du 11 novembre 2011;
· Grief 620981, déposé le 23 février 2012 : conteste la retenue de sommes dues à la plaignante par l’Employeur.
[95] Les procureurs ont très peu argumenté les griefs autres que celui contestant la fermeture de dossier et la lettre du 11 novembre 2011 (grief 620984). Le tribunal doit tout de même décider de ces autres griefs en tenant compte des faits mis en preuve et de la convention collective applicable.
[96] Comme l’ont toutefois faits les procureurs, le tribunal n’entend pas s’étendre sur ces griefs outre mesure, l’élément principal intéressant les parties étant la rupture du lien d’emploi de la plaignante.
[97] Nous allons donc décider dès à présent de ces quatre autres griefs.
[98] Par le grief 647523, le Syndicat conteste que l’Employeur considère toujours la plaignante en invalidité en octobre 2011 et refuse de la réintégrer au travail. De plus, par le grief 647527, le Syndicat conteste le manque de diligence de l’Employeur dans le traitement du dossier d’invalidité de la plaignante.
[99] Rappelons que la Dre Paquette a émis un certificat médical autorisant un retour progressif au travail le 6 juin 2011. Devant ce certificat, l’Employeur a jugé bon, compte tenu de l’historique d’absence de la plaignante, de la faire évaluer par son médecin expert avant d’autoriser un tel retour au travail. Le 14 juin 2011, Mme Charbonneau écrit à la plaignante pour l’informer de cette décision.
[100] La convention collective, au paragraphe 23.17, soumet le retour au travail en réadaptation, à la suite d’une invalidité, à une entente entre l’Employeur et le Syndicat. La convention collective prévoit également, au paragraphe 23.23, le droit de l’Employeur de faire examiner la salariée lors de toute absence pour invalidité.
[101] Certes, le droit pour l’Employeur de refuser un retour au travail progressif n’est pas absolu et ce dernier doit avoir des motifs sérieux pour refuser un tel retour au travail, mais, dans le présent dossier, compte tenu du taux d’absentéisme antérieur et de la nature et de la durée de la dernière absence de la plaignante, il était raisonnable pour l’Employeur d’exiger une expertise médicale le rassurant quant à la capacité future de la plaignante de fournir une prestation régulière de travail avant de permettre un retour progressif au travail.
[102] La convention collective autorise l’Employeur à agir ainsi et ce dernier n’a pas fait preuve d’arbitraire, de discrimination ou de mauvaise foi en se prévalant des droits qui lui sont reconnus dans le cadre du présent dossier et il n’a pas non plus agi trop tardivement. Faut-il rappeler que le rapport complémentaire du Dr Laperrière, commentant les notes médicales provenant du CSSS du Sud de Lanaudière, est daté du 25 octobre 2011.
[103] De plus, M. Gohier a témoigné de la démarche suivie par l’Employeur et du sérieux qu’il y a mis afin d’évaluer globalement la situation de la plaignante, étant donné sa longue ancienneté et les conséquences d’une décision de mettre un terme à l’emploi de la plaignante, tant pour cette dernière que pour l’Employeur.
[104] Dans ce contexte, pendant la période où l’Employeur attend les conclusions finales du médecin expert et pendant la période d’évaluation du dossier de la plaignante, il est conforme à la convention collective que l’Employeur continue à verser les prestations d’assurance salaire et considère toujours la plaignante en invalidité.
[105] Pour ces motifs, les griefs 647523 et 647527 sont rejetés.
[106] Par ce grief, le Syndicat conteste que l’Employeur ne lui ait pas remis les lettres datées du 14 juin 2011, adressées à la plaignante. De fait, une seule lettre remise à cette date est mise en preuve. Cette lettre du 14 juin 2011, signée par Mme Évelyne Charbonneau, chef de la santé sécurité au travail, informe la plaignante que l’Employeur reconnait une période d’absence pour invalidité jusqu’au 31 juillet 2011, malgré la recommandation du Dre Paquette de procéder à un retour progressif au travail, et indique à la plaignante l’intention de l’Employeur de la soumettre à une expertise médicale avec le Dr Laperrière avant son retour au travail.
[107] La convention collective prévoit au paragraphe 5.01, une liste des informations que doit remettre l’Employeur au Syndicat. L’échange de correspondance entre une salariée et l’Employeur quant à son invalidité ne fait pas partie de cette liste. Par ailleurs, aucune clause de la convention collective n’oblige l’Employeur à remettre ce type de correspondance au Syndicat.
[108] Cela est d’ailleurs normal, compte tenu de la dimension souvent confidentielle des informations contenues dans ces échanges entre l’Employeur et la salariée sur la condition de santé de cette dernière. C’est à la plaignante, si elle le juge opportun, de prendre la décision de remettre ces documents au Syndicat afin de le tenir informé de l’évolution de son dossier et obtenir les conseils pertinents.
[109] L’agent syndical a témoigné d’une vague pratique chez l’Employeur de remettre ce type de documents depuis 2005. Toutefois, cette prétention n’est pas appuyée par la preuve.
[110] L’Employeur n’ayant aucune obligation de remettre la lettre du 14 juin 2011, le grief 647526 est donc rejeté.
[111] Par ce grief, le Syndicat conteste la retenue par l’Employeur des montants correspondant aux vacances accumulées et au temps à reprendre auxquels avait droit la plaignante à la suite de sa fin d’emploi, en novembre 2011.
[112] Sur cette question, le témoignage de M. Favreau est éloquent quant aux échanges qu’il aurait eus avec la plaignante sur les sommes dues par l’une et l’autre des parties. Il dépose un tableau précisant que l’Employeur doit à la plaignante une somme de 10 275,70 $ alors que la plaignante, en vertu du contrat de congé à traitement différé doit la somme résiduelle de 18 217, 68 $ à la suite de la prise de sa période de congé de juin 2008 à juin 2009.
[113] Le Syndicat prétend que l’Employeur ne pouvait se rembourser des sommes que lui devait la plaignante sans son consentement explicite.
[114] Or, la preuve révèle qu’un tel consentement a été donné par la plaignante, plutôt deux fois qu’une. En effet, par la signature de son contrat de congé à traitement différé, la plaignante consent, en cas de rupture du lien d’emploi, que l’Employeur conserve les sommes dues afin de compenser la dette accumulée par la salariée pendant la période de congé sans solde.
[115] Ce paragraphe du contrat se lit comme suit :
« 10. Bris de contrat :
En cas de bris de contrat, les sommes dues à l’employeur sont remboursables en un seul versement dans le trente (30) jours suivant l’avis de désistement du régime, à moins d’entente particulière entre les parties sur un mode de remboursement différent.
En cas de remboursement exigible de la personne salariée à l’établissement lors de bris de contrat pour raison de cessation d’emploi , retraite, désistement ou expiration du délai de sept (7) ou de six (6) ans selon le cas, celle-ci autorise l’établissement à prélever ce remboursement ou partie de ce remboursement à même les sommes qui lui sont dues lors de son départ. » [Nos soulignés]
[116] La plaignante consent donc, en signant le contrat de congé à traitement différé, à ce que l’Employeur se rembourse des sommes qui lui sont dues à même les sommes qu’elle devait recevoir à la suite de sa cessation d’emploi.
[117] Mais il y a plus. Le témoignage de M. Favreau quant aux discussions qu’il a eues avec la plaignante à l’hiver et au printemps 2012 est crédible et corroboré par la note manuscrite déposée par ce dernier. M. Favreau affirme que la plaignante lui a spécifiquement demandé de retenir ces sommes pour compenser sa dette envers l’établissement.
[118] Le témoignage de la plaignante, à cet égard, est confus et elle affirme simplement ne pas se souvenir de telles discussions avec M. Favreau.
[119] Devant ces éléments, le tribunal, même si cela n’était pas nécessaire compte tenu de la signature par la plaignante du contrat de congé à traitement différé autorisant spécifiquement l’Employeur à retenir les sommes pour compenser sa dette envers l’Employeur, conclut que la plaignante a également donné un consentement à M. Favreau de conserver ces sommes aux fins de réduire la dette contractée lors du congé sans solde à traitement différé.
[120] Pour ces motifs, le grief 620981 est rejeté.
[121] Par ce grief, le Syndicat conteste la fin d’emploi de la plaignante, décidée par l’Employeur et confirmée par la lettre du 11 novembre 2011. Il s’agit là, à n’en pas douter, de l’élément majeur du présent dossier.
[122] Afin de trancher ce litige le tribunal entend, dans un premier temps, statuer sur le fardeau de preuve que devait assumer l’Employeur dans le cas d’un congédiement administratif, décider, dans un deuxième temps, de la prétention patronale concernant la pertinence de l’expertise du Dr Chamberland, déposée en 2013 et évaluer si l’Employeur s’est déchargé de son fardeau de preuve.
[123] La jurisprudence a déjà défini les obligations que l’Employeur doit assumer et l’étendue des pouvoirs d’intervention du tribunal à l’égard d’un congédiement pour un motif non disciplinaire et, notamment, lors d’une rupture du lien d’emploi pour absentéisme excessif.
[124] Dans notre dossier, il est clairement établi que la décision de l’Employeur n’a aucune connotation disciplinaire ou reliée à la performance de la plaignante, le motif du congédiement étant l’incapacité alléguée de cette dernière à fournir une prestation régulière de travail.
[125] L’arbitre Gilles Trudeau, dans la décision Centre hospitalier universitaire de Montréal (Hôtel-Dieu) , précitée, précise le fardeau que l’Employeur doit rencontrer en pareil cas :
« Comme déjà mentionné, dans le présent cas, l’Employeur doit d’abord démontrer que la prestation de travail de monsieur St-Pierre, vu son taux d’absentéisme excessif était devenue insatisfaisante. De plus, l’Employeur doit établir que la situation n’est pas susceptible de revenir à la normale dans un futur prévisible. L’arbitre quant à lui doit s’assurer que la décision de l’Employeur, au moment où il l’a prise, n’était ni arbitraire injuste, déraisonnable ou discriminatoire. »
[126] Cet extrait révèle donc un triple fardeau pour l’employeur, devant, d’une part, démontrer l’insuffisance de la prestation de travail du salarié résultant d’un taux d’absentéisme élevé et, d’autre part, un pronostic que cette prestation n’est pas susceptible de s’améliorer dans un avenir prévisible.
[127] De plus, l’arbitre doit s’assurer que la décision prise par l’Employeur n’est pas arbitraire, injuste, déraisonnable ou discriminatoire. Sur ce dernier aspect, le tribunal doit donc vérifier, selon les enseignements de la Cour suprême, si l’Employeur a fait les efforts sérieux, sans contrainte excessive, pour tenter d’accommoder la plaignante compte tenu de son handicap.
[128] Il va de soi que cette évaluation du tribunal doit se faire au moment où l’Employeur a pris la décision de se départir des services de la plaignante.
[129] L’arbitre Nathalie Faucher, dans la décision Centre hospitalier régional de Trois-Rivières (CHRTR) , précitée, statue de la manière suivante sur le moment où doit se placer l’arbitre pour trancher un grief de la même nature que celui soumis au présent tribunal :
« [48] Dans un premier temps, il importe de rappeler que l’arbitre appelée à réviser la décision de l’Employeur doit se situer au moment où ce dernier a pris sa décision. C’est pourquoi l’on exige généralement qu’il ne statue qu’en fonction des faits survenus antérieurement à la décision. »
[130] Avant d’apprécier la décision de l’Employeur à la lumière de ces critères, il y a lieu de décider de la prétention patronale relativement à la pertinence de l’expertise du Dr Chamberland. Rappelons que le procureur patronal prétend que ladite expertise n’est pas pertinente car effectuée deux ans après la fin d’emploi de la plaignante.
[131] Lors de sa plaidoirie, l’Employeur conteste la pertinence de l’expertise produite par la partie syndicale, celle-ci ayant été rédigée le 6 mai 2013, alors que la fin d’emploi de la plaignante s’est produite en novembre 2011.
[132] Comme nous venons de le mentionner, l’analyse de la décision patronale doit se faire au moment où celle-ci a été prise et les faits analysés doivent donc s’être produits antérieurement à la prise de décision.
[133] La Cour suprême, dans l’arrêt Québec Cartier [6] , a établi les balises quant à la considération de faits postérieurs au grief. La juge L’Heureux-Dubé se prononce ainsi sur cette question :
« Ceci m’amène à la question que j’ai soulevé plus tôt quant à savoir si un arbitre peut prendre en considération la preuve d’évènements subséquents lorsqu’il statue sur un grief relatif au congédiement d’un employé par la compagnie. À mon avis, un arbitre peut se fonder sur une telle preuve, mais seulement lorsqu’elle est pertinente relativement à la question dont il est saisi. En d’autres termes, une telle preuve ne sera admissible que si elle aide à clarifier si le congédiement en question était raisonnable et approprié au moment où il a été ordonné . Par conséquent, dès qu’un arbitre conclut que la décision de la compagnie de congédier un employé était justifiée au moment où il l’a prise, il ne peut plus annuler le congédiement pour le seul motif que des évènements subséquents rendent, à son avis, cette annulation juste et équitable. »
[Nos soulignés]
[134] La preuve postérieure est donc généralement inadmissible à moins que celle-ci permette d’éclairer le tribunal sur la situation au moment du congédiement. Elle ne peut toutefois servir d’assise afin de modifier la décision de l’Employeur si ces faits n’étaient pas présents au moment de congédier l’employé.
[135] Dans notre dossier, ces principes se traduisent par l’acceptabilité de l’expertise et de l’opinion du Dr Chamberland quant à l’analyse qu’il fait des opinions du Dr Laperrière ou du médecin traitant, la Dre Paquette. L’expertise produite par le Syndicat ne peut toutefois être pertinente pour analyser la condition de la plaignante au moment où le Dr Chamberland l’a rencontrée, en mai 2013.
[136] Ma collègue Nathalie Faucher traduit bien cette perspective dans la décision CHRTR :
« [54] Dans un premier temps, le tribunal estime qu’une expertise médicale visant à déterminer la capacité de la plaignante à effectuer son poste ou tout autre poste vacant au moment de la prise de décision est indubitablement pertinente puisqu’elle permet de clarifier si la décision de mettre fin au lien l’emploi était ou non appropriée et si un accommodement raisonnable était ou non possible. Le dépôt d’une telle expertise est donc permis.
[…]
[56] Dans ce contexte particulier, permettre la production d’une expertise médicale pouvant potentiellement modifier rétroactivement les limitations fonctionnelles de Mme Labranche sur la base d’une amélioration survenue postérieurement à son congédiement est susceptible de modifier substantiellement la trame factuelle par rapport à la situation qui existait au moment de la prise de décision ayant conduit à la terminaison d’emploi. Une telle preuve ne permettrait donc pas à l’arbitre de juger de l’état de santé de la plaignante au moment de la terminaison d’emploi mais plutôt de juger selon l’état actuel, plus d’un an après les faits.
[…] C’est pourquoi ce type de preuve n’a pas été permis et l’objection de l’employeur fut par conséquent accueillie. »
[137] Le soussigné souscrit à cette opinion.
[138] Le tribunal en vient donc à la conclusion d’accepter l’expertise du Dr Chamberland dans la mesure où celle-ci analyse les faits, les expertises ou examens médicaux effectués antérieurement au congédiement.
[139] Le tribunal n’entend toutefois pas tenir compte des conclusions basées sur l’examen médical effectué par le Dr Chamberland en mai 2013 dans l’analyse du bienfondé de la décision de l’Employeur de mettre fin à l’emploi de la plaignante.
[140] Comme déjà établi plus haut, le tribunal doit évaluer si l’Employeur a rencontré son fardeau de démontrer :
· Une prestation de travail insatisfaisante due à un taux d’absentéisme excessif;
· La situation n’est pas susceptible de revenir à la normale dans un avenir prévisible;
· La décision de l’Employeur, au moment où il l’a prise, n’est pas arbitraire, injuste, déraisonnable ou discriminatoire. De plus, il doit démontrer qu’il n’est pas possible d’accommoder la plaignante sans subir une contrainte excessive.
[141] La preuve de l’Employeur quant au taux d’absentéisme est éloquente et non contestée.
[142] Sur une période de 20 ans, le taux d’absentéisme de la plaignante s’élève à près de 40 % et depuis 10 ans, celui-ci atteint environ 50 %. Ce taux d’absentéisme n’inclut pas, faut-il le préciser, les absences pour congé sans solde, comme le congé à traitement différé dont a bénéficié la plaignante au cours de l’année 2008. Si l’on ajoutait ce type de congés, le taux d’absentéisme de la plaignante serait encore plus élevé.
[143] Est-il nécessaire de mentionner que la présence au travail constitue un élément fondamental du contrat de travail entre un employeur et une salariée. Un employeur doit pouvoir compter sur la présence de son employé afin de remplir les obligations pour lesquelles ce dernier a été embauché.
[144] Mes collègues Trudeau, Bolduc et Laplante ont déjà jugé comme excessif des taux d’absentéisme variant de 36 % à 40 %.sur une période de 5 ans. Dans le présent dossier, le taux d’absentéisme de la plaignante est de 50 % sur une période de 10 ans.
[145] Le présent tribunal n’a donc aucune difficulté à juger que le taux d’absentéisme de la plaignante, pour le seul motif des absences maladie, est excessif à sa face même. Cela devient encore plus évident si on compare ce taux à celui de 7 % correspondant au taux d’absentéisme de l’ensemble du personnel de l’Employeur.
[146] Ces absences sont hors du contrôle de la plaignante, malgré une certaine tentative de l’Employeur de prétendre que cette dernière manque de motivation pour exercer son emploi et tente donc par tous les moyens de se soustraire à ses obligations professionnelles.
[147] Sur cette question, la preuve médicale démontre clairement que les absences de la plaignante sont involontaires et découlent de problèmes de nature psychologique et psychiatrique sur lesquels elle avait peu ou pas de contrôle. Les longs délais avant que son dossier ne soit pris en charge par les établissements de santé, en 2010 et 2011 ne peuvent lui être imputés, pas plus que les épisodes de dépression majeure ou de crise d’angoisse. Les notes des médecins traitant de la plaignante, et notamment celles du Dre Paquette [7] , sont éloquentes sur cette question, et le tribunal ne peut retenir quelque responsabilité que ce soit à la plaignante pour ses absences du travail.
[148] Ceci dit, le caractère non volontaire de ces absences ne minimise pas le taux d’absentéisme démontré par l’Employeur et, sur cette question, ce dernier a pleinement assumé le fardeau de preuve qui est le sien.
[149] Concernant cette question, le tribunal est confronté aux expertises des docteurs Laperrière et Chamberland. Ce dernier a vu la plaignante près de deux ans après la décision de l’Employeur mais, comme mentionné plus haut, son appréciation de la situation telle qu’elle se présentait en novembre 2011 est recevable.
[150] L’Employeur, lorsque confronté à la demande de retour au travail de la plaignante, décide de vérifier la capacité de cette dernière d’offrir une prestation de travail normale dans un délai prévisible. Il demande donc au Dr Laperrière, qui a déjà examiné la plaignante une première fois en 2010, de donner son opinion de psychiatre sur cette question.
[151] L’opinion du Dr Laperrière est claire et sans ambigüité :
« […] Je réitère que madame est apte actuellement à exercer les tâches mentionnées, mais que dans quelques jours, quelques semaines, elle peut développer ou alléguer à nouveau une symptomatologie de nature invalidante, de nature anxieuse ou dépressive, ou d’évitement. Il apparait plus que probable que dans l’avenir, madame devra s’absenter pour des périodes tout aussi fréquentes et tout aussi longues, sinon encore plus, en raison de la réapparition d’une symptomatologie invalidante . »
[152] Il appuie son opinion sur le fait que la plaignante a déjà subi au moins trois épisodes de dépression majeure et que, selon le DSM IV, les risques de récidive sont d’au moins 90 % dans un tel cas. Il ajoute que le diagnostic associé de trouble d’anxiété généralisée augmente encore plus les possibilités de voir la plaignante devoir s’absenter, à court, moyen ou long terme pour des périodes toutes aussi longues.
[153] La Dre Paquette, médecin traitant de la plaignante, ne se prononce pas sur le pronostic de rechute de cette dernière. Elle recommande, en juin 2011, un retour progressif au travail, jugeant la dépression majeure consolidée et l’amélioration du trouble d’anxiété généralisée. Personne ne l’a questionnée sur son appréciation du risque de rechute de la plaignante. Lorsqu’elle reçoit le rapport d’expertise du Dr Laperrière, elle ne juge pas opportun de le commenter ou de le contester.
[154] Le Dr Chamberland est, par ailleurs, beaucoup plus optimiste relativement au pronostic de maintenir la plaignante au travail. Admettant que le DSM IV prévoit un taux de rechute de 90 % dans des dossiers de dépression majeure récurrents, il tient toutefois à nuancer cette statistique en insistant sur l’importance d’évaluer les facteurs de bons et mauvais pronostics dans chaque cas individuel.
[155] Ainsi, dans le cas de la plaignante, il énumère plusieurs facteurs de bon pronostic. :
« Dans le cas de Mme A., on retrouve une multitude de facteurs de bon pronostic. Il faut commencer par le fait que Madame est très observante à son traitement autant pharmacologique que psychothérapeutique. Madame est prise en charge par des professionnels en qui elle a pleine confiance. Madame ne souffre pas d’une problématique de consommation d’alcool ou de drogues. On ne retrouve pas chez elle de trouble de personnalité pathologique. Elle a un mode de vie sain. Elle peut bénéficier d’un bon réseau de soutien. Elle a aussi pu bénéficier des traitements reçus jusqu’ici en psychothérapie qui lui permettent de mieux identifier ses fragilités et de détecter les symptômes précocement lors de leur apparition. Madame a aussi appris à mieux gérer les relations interpersonnelles qui peuvent être difficiles.
Finalement, on doit noter la motivation indéniable de madame de reprendre son travail. Après avoir passé plus de vingt-cinq ans auprès du même employeur et avoir travaillé aux différentes expansions qui se sont ajoutées au fil des années, ce travail fait partie de l’identité de madame et elle est fière de ce qu’elle a accompli.
Question 7 - Le pronostic à court, moyen et long terme?
Le pronostic à court terme doit être considéré comme bon compte tenu de l’état de stabilité actuel de Madame. À moyen et long terme, le pronostic pourrait être considéré comme réservé quant à un risque de récidive de dépression majeure, ce qui n’implique cependant pas nécessairement une absence prolongée du travail en cas de récidive. »
[156] Dans son témoignage, le Dr Chamberland insiste sur l’élimination de la principale source de stress ayant mené à l’épisode de dépression majeure de 2009, soit le conflit avec son conjoint.
[157] Force est de constater que plusieurs des facteurs de bon pronostic mentionnés par le Dr Chamberland, étaient également présents lors des épisodes antérieurs de dépression majeure et de trouble d’anxiété généralisée qu’a subis la plaignante.
[158] Ainsi, cette dernière n’a jamais souffert de problématique de consommation de drogue ou d’alcool, n’a jamais eu de trait de personnalité pathologique, avait un mode de vie sain et bénéficiait d’un bon réseau de soutien. Elle avait également la même motivation face à son travail et à ses collègues de travail.
[159] Elle a également été suivie par la Dre Paquette lors d’épisodes antérieurs d’invalidité. On doit toutefois noter que la psychothérapie dont elle a bénéficié à partir de septembre 2011 semble avoir été bénéfique par rapport à d’autres traitements qu’elle a pu subir dans le passé.
[160] Cependant, outre cette thérapie, les autres facteurs de bon pronostic présents dans le passé, n’ont pas empêché la plaignante de devoir s’absenter à plusieurs reprises lorsque confrontée à un nouveau stress dans sa vie personnelle ou professionnelle.
[161] Le Dr Chamberland a mis en lumière plusieurs carences dans l’expertise du Dr Laperrière notamment dans l’expertise de 2010 sur la capacité de la plaignante de reprendre un travail progressif à cette époque ou lorsque ce dernier identifie chez la plaignante la présence d’un trait de personnalité du groupe 3, ce qui ne semble pas avoir été établi selon les règles de l’art.
[162] Le tribunal considère toutefois que l’opinion du Dr Laperrière sur le pronostic de rechute à court, moyen et long terme est plus probant et doit être retenu par le tribunal.
[163] Comme mentionné plus haut, le soussigné doit se placer au moment où l’Employeur a pris sa décision pour apprécier le risque de récidive d’une dépression majeure ou d’un trouble d’anxiété généralisée.
[164] L’arbitre Gilles Trudeau, dans la décision CHUM (Hôtel-Dieu) , précitée, s’exprime ainsi quant à l’appréciation qui doit être faite dans une situation similaire à celle à laquelle le présent tribunal est confronté :
« Il est toujours délicat de se prononcer sur la capacité de travail d’un individu puisque nul ne peut prédire le futur avec certitude. Quand la preuve est contradictoire, comme dans le présent grief, il faut retenir la version qui apparait la plus probable, la plus convaincante.
Au risque de me répéter, la certitude n’est malheureusement pas disponible en une telle matière. »
[165] Le présent tribunal est confronté à la même réalité et se doit de retenir la version la plus probable tout en étant conscient que la certitude n’existe pas sur une telle question.
[166] Or, en novembre 2011, l’Employeur est confronté à une situation où la plaignante est absente depuis plus de deux ans pour invalidité. Celle-ci avait été précédée d’un congé sans solde à traitement différé d’une année. De plus, l’expert consulté par l’Employeur l’informe que la probabilité d’une rechute à court terme est importante et le médecin traitant propose un retour progressif au travail en constatant que les signes de dépression majeure sont disparus mais en notant, par ailleurs, une amélioration du trouble d’anxiété généralisée. Ce dernier diagnostic n’est donc pas complètement disparu.
[167] Le Dr Chamberland voit la plaignante près de deux ans plus tard. Il peut constater une amélioration de la condition de la plaignante et noter des facteurs de bons pronostics qui n’étaient pas nécessairement présents en 2011. Mais, son opinion quant au pronostic est évidemment teintée par l’examen mental effectué en 2013, qui n’était évidemment pas disponible lors de la prise de décision de l’Employeur.
[168] L’opinion du Dr Laperrière, en ce sens, apparait plus probable et plus convaincante, compte tenu du caractère contemporain de celle-ci et qu’il s’appuie à la fois sur le risque de rechute établi par un organisme scientifique reconnu, sur l’historique d’absence de la plaignante et sur les diagnostics posés depuis plusieurs années. De plus, le psychiatre traitant, la Dre Paquette, ne conteste pas le pronostic suggéré par le Dr Laperrière malgré qu’elle ait reçu son expertise du 19 juillet 2011.
[169] Dans un tel contexte, le tribunal considère que la probabilité d’une rechute à court ou moyen terme est importante et que le pronostic est sombre par rapport à la capacité de la plaignante d’offrir une prestation de travail régulière dans un avenir prévisible.
[170] Le constat de l‘Employeur qu’il n’est pas probable que la prestation de travail de la plaignante soit régulière dans un avenir prévisible n’est donc pas arbitraire, injuste ou déraisonnable.
[171]
Reste à
évaluer si ce dernier a rempli son obligation d’accommodement car le motif du
congédiement est relié au handicap de la plaignante, ce qui constitue un des motifs
de discrimination au sens de l’article
[172] Dans un tel contexte, où le motif de congédiement est lié à un des motifs de discrimination prévus à la Charte des droits et libertés de la personne, la Cour suprême a établi l’obligation pour l’Employeur de démontrer que la fin d’emploi est justifiée. Pour établir cette démonstration, la Cour a élaboré, dans l’arrêt Meiorin [8] , un test en trois volets pour déterminer si une norme donnée constitue une exigence professionnelle justifiée :
· La norme a été adoptée dans un but rationnel lié à l’exécution du travail;
· Il croyait sincèrement que la norme est nécessaire pour réaliser un but légitime lié au travail;
· La norme est raisonnablement nécessaire pour réaliser ce but légitime lié au travail. Pour ce faire, l’Employeur doit démontrer qu’il ne peut composer avec les employés qui ont les mêmes caractéristiques que la plaignante sans que l’Employeur subisse une contrainte excessive.
[173] Ce troisième volet correspond à l’obligation d’accommodement raisonnable.
[174] Dans le présent dossier, l’Employeur a mis fin à l’emploi de la plaignante alléguant l’incapacité de cette dernière de remplir son obligation d’offrir une prestation de travail régulière. Il faut donc analyser si la norme établie par l’Employeur a un but rationnel et si elle est nécessaire pour réaliser le but légitime lié au travail. Dans un troisième temps, il faut analyser si l’Employeur a rempli son obligation d’accommodement.
[175] Les deux premiers volets ne posent pas véritablement de problèmes, la présence au travail de façon régulière constitue manifestement une norme raisonnable, adoptée de manière rationnelle par l’Employeur pour permettre d’accomplir la mission de son établissement et offrir les services à la clientèle dont il a la responsabilité.
[176] Il est également manifeste que cette norme a été adoptée de bonne foi par l’Employeur, la présence au travail étant l’élément fondamental du contrat de travail entre un salarié et son employeur.
[177] Reste à déterminer si l’Employeur pouvait composer avec le handicap de la plaignante en établissant un accommodement raisonnable sans que cela ne lui fasse subir une contrainte excessive.
[178] La Cour suprême s’est à nouveau penchée sur la notion d’accommodement raisonnable dans l’arrêt Hydro-Québec [9] .
[179] Les auteurs Nathalie-Anne Béliveau et Sébastien Lebel, dans un article analysant cet arrêt [10] , commentent de la manière suivante les obligations découlant de la décision de la Cour :
« En d’autres mots, lorsque l’absentéisme du salarié est en cause et qu’il résulte de son état de santé, l’employeur doit faire la preuve qu’il ne peut composer avec le salarié, et donc qu’il ne peut aménager le poste de travail, les tâches ou l’horaire de travail du salarié afin de lui permettre de fournir la prestation de travail convenue ans que cela ne lui cause une contrainte excessive .
La Cour Suprême, dans l’arrêt Hydro-Québec, s’est exprimée comme suit relativement à la nature et l’objet de l’obligation d’accommodement qui incombe à l’employeur :
[…] Les mesures d’accommodement ont pour but de permettre à l’employé capable de travailler de le faire. En pratique, ceci signifie que l’employeur doit offrir des mesures d’accommodement qui, tout en n’imposant pas à ce dernier de contrainte excessive, permettront à l’employé concerné de fournir sa prestation de travail. L’obligation d’accommodement a pour objet d’empêcher que des personnes par ailleurs aptes ne soient injustement exclues, alors que les conditions de travail pourraient être adaptées sans créer de contraintes excessives.
L’obligation d’accommodement n’a toutefois pas, selon la Cour Suprême, dans l’arrêt Hydro-Québec, pour objet de dénaturer le contrat de travail. L’obligation qui incombe à l’employeur est donc celle d’aménager le poste de travail de l’employé ou ses tâches pour lui permettre de fournir sa prestation de travail. Toute règle rigide en cette matière serait par ailleurs à éviter, la Cour Suprême ayant clairement indiqué que l’obligation d’accommodement revêt un caractère individuel et doit être envisagé selon les circonstances particulières à chaque cas. »
[180] Plus loin, les auteurs s’attardent sur le moment de l’évaluation de la suffisance des mesures d’accommodement :
« La Cour Suprême s’est par ailleurs prononcée, dans l’arrêt Hydro-Québec, sur la question du moment de l’évaluation de la suffisance des mesures d’accommodement. La Cour d’appel s’était précédemment dite d’avis que l’obligation d’accommodement devait être évaluée au moment de la décision e congédier la salariée. Cette approche dite « compartimentée », a été rejetée par le plus haut tribunal du pays. Cette question avait antérieurement été abordée dans l’arrêt Centre universitaire de santé McGill (Hôpital général de Montréal) c. Syndicat des employés de l’hôpital général de Montréal. La Cour Suprême avait alors opté pour une « évaluation globale de l’obligation d’accommodement qui tient compte de l’ensemble de la période pendant laquelle l’employé s’est absentée », conception qu’elle a réaffirmée dans l’arrêt Hydro-Québec. L’appréciation de l’existence d’une contrainte excessive doit par conséquent être envisagée dans un continuum plutôt que d’être limitée au moment du congédiement. Ce qui veut dire que les accommodements offerts par l’employeur dans le passé doivent être pris en considération afin de déterminer si l’employeur a satisfait à son obligation à l’égard du salarié. La Cour Suprême s’est en effet exprimée comme suit dans l’arrêt Hydro-Québec :
« La décision de congédier un employé parce qu’il ne peut fournir sa prestation de travail dans un avenir raisonnablement prévisible doit nécessairement reposer sur une évaluation de l’ensemble de la situation. Lorsque, comme en l’espèce, une maladie a causé des absences dans le passé, que l’employeur a pris des mesures d’accommodement en faveur de l’employé pendant plusieurs années et que le pronostic des médecins est peu optimiste en ce qui a trait à une amélioration de l’assiduité au travail, ni l’employeur ni l’employé ne peuvent faire abstraction du passé pour évaluer la contrainte excessive. »
Ainsi, les tentatives antérieures de l’employeur d’accommoder le salarié conservent leur pertinence. Ces mesures d’accommodement passées peuvent d’ailleurs être invoquées par l’employeur afin de démontrer que le salarié ne sera pas en mesure de fournir une prestation de travail régulière dans un avenir raisonnablement prévisible. » [11]
[181] De ces enseignements, le tribunal retient, dans un premier temps, que l’Employeur a déjà accommodé la plaignante tout au long de ses périodes d’incapacité au cours des années antérieures et lors de sa dernière période d’invalidité, en lui conservant son emploi, en lui versant des prestations d’assurance-salaire et en lui permettant un retour progressif au travail, lorsque proposé par les médecins traitants.
[182] Le tribunal doit, en effet, comme l’enseigne la Cour dans l’arrêt Hydro-Québec , évaluer la décision de l’Employeur dans un continuum et tenir compte de l’ensemble de la situation, notamment lorsque la décision de l’Employeur repose sur des absences réparties sur de longues années et que le pronostic des médecins est pessimiste sur la capacité de la personne d’offrir une prestation régulière de travail dans un avenir raisonnablement prévisible.
[183] Obliger l’Employeur à reprendre la plaignante et devoir, dans un avenir raisonnablement prévisible, verser à nouveau des prestations d’assurance salaire pour de longues périodes sans bénéficier de la présence au travail de la plaignante dans son emploi, constitue, de l’avis du tribunal, une contrainte excessive si l’on tient compte de l’ensemble des mesures prises à l’égard de la plaignante jusqu’à la date de son congédiement.
[184] L’arbitre Pierre Laplante, dans la décision CHUM (Hôtel-Dieu) , précitée, se prononce ainsi sur cette question :
« [92] Vu sous un autre angle et compte tenu du handicap dont souffre le plaignant, le seul accommodement possible consiste en ce que l’employeur continue de tolérer les éventuelles absences du plaignant tout en continuant de lui verser des prestations d’assurance-salaire et ce, comme il l’a fait pendant de nombreuses années. Ce qui serait assurément une contrainte excessive. »
[185] Le présent tribunal est confronté à la même réalité et partage le point de vue de l’arbitre Laplante qu’un tel accommodement constituerait également, dans le présent dossier, une contrainte excessive.
[186] Par ailleurs, la preuve révèle que ce n’est pas par un aménagement de la charge de travail, de l’horaire ou de tout autre changement dans l’organisation du travail ou du poste de la plaignante que la présence au travail s’en trouverait améliorée et permettrait à cette dernière d’offrir une prestation de travail régulière dans un avenir raisonnablement prévisible.
[187] Les causes d’absence de la plaignante sont extérieures aux conditions de travail qui sont les siennes. Selon la preuve prépondérante, le trouble d’anxiété généralisée ou la dépression majeure risque de refaire surface à tout moment lorsque la plaignante sera confrontée à une source de stress nouvelle dans sa vie personnelle sans que l’aménagement de son poste puisse diminuer le pronostic réservé quant à son taux d’assiduité.
[188] En conséquence, malgré la sympathie que le tribunal éprouve pour la plaignante, il apparait que l’Employeur ne pouvait accommoder cette dernière, sans subir une contrainte excessive, afin de lui permettre de conserver son emploi et fournir une prestation régulière de travail.
[189] Pour ces motifs, après analyse de la preuve, du droit applicable, de la jurisprudence et sur le tout délibéré, le tribunal :
REJETTE le grief 620984.
REJETTE les griefs 647523, 647526, 647527 et 620981
ORDONNE, selon le paragraphe 11.38 de la convention collective, le partage des frais d’arbitrage dans une proportion de 25 % pour le Syndicat et 75 % pour l’Employeur.
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Montréal, le 30 juillet 2015 |
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________________________________ __ René Beaupré, arbitre |
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Pour l’EMPLOYEUR : Me René Paquette
Pour le SYNDICAT : Me Yves Clermont
Ministère du Travail
Dossier n o RB-1212-10189-QP
Sentence n° 233-15
[1] E-23
[2] É valuation du 23 mars 2010, in E-10
[3] S-11
[4] Stress post traumatique
[5] E-26
[6] [1995] 2 RCS 1095
[7] S-13
[8]
Colombie Britannique
v
BCGSEU
[9]
Hydro-Québec
c.
Syndicat des
employé-e-s de techniques professionnelles et de bureau d’Hydro-Québec, section
locale 2000 (SCFP-FTQ),
[10] Béliveau, Nathalie-Anne, Lebel, Sébastien, La conjugaison de l’obligation d’accommodement de l’employeur et de son droit de congédier pour absentéisme : l’arrêt Hydro-Québec, in Développements récents en droit du travail 2009 , Éditions Yvon Blais, 2009, p. 13
[11] Ibid, p. 15-16