COMMISSION DES RELATIONS DU TRAVAIL |
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(Division des relations du travail) |
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Dossier : |
AM-1002-4986 |
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Cas : |
CM-2014-7266 et CM-2014-7275 |
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Référence : |
2015 QCCRT 0423 |
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Montréal, le |
19 août 2015 |
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DEVANT LE COMMISSAIRE : |
André Bussière, juge administratif |
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S.O.S. Violence conjugale
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Requérante-intimée |
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c. |
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Syndicat des travailleuses de SOS violence
conjugale - CSN
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Intimé-requérant |
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DÉCISION |
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[1]
La Commission est saisie de deux plaintes croisées qui lui ont été soumises le 12 décembre 2014, pour contravention à l'article
[2] S.O.S. Violence conjugale (l' Employeur ) reproche essentiellement au Syndicat des travailleuses de SOS violence conjugale - CSN (le Syndicat ) d'avoir voulu lui imposer comme condition préalable à la poursuite des négociations la présence à la table de négociation de deux salariées récemment congédiées pour des motifs sérieux. L'employeur estime qu'en posant cette exigence, le Syndicat a cherché à « créer un malaise », donc à nuire au bon déroulement des négociations.
[3] Dans sa plainte, l'employeur invoque également la clause de la convention collective portant sur les libérations syndicales pour en tirer l'argument que seules les salariées encore à son emploi peuvent faire partie du comité syndical de négociations. Cet argument ne sera toutefois pas repris lors de l'audience.
[4] Le Syndicat, lui, soutient que c'est l'Employeur qui a contrevenu à son obligation de négocier de bonne foi, en refusant de reconnaître deux de ses représentantes et de poursuivre les négociations en leur présence. Selon sa prétention, en agissant de la sorte, c'est plutôt l'Employeur qui aurait posé une condition préalable à la poursuite des négociations, une condition illégale de surcroît, puisqu'il lui appartient de choisir ses représentantes.
[5] Le Syndicat concède d'emblée que l'ajout d'au moins une des deux salariées congédiées au comité de négociations était destiné à faire comprendre à l'Employeur qu'il les appuyait et que ces congédiements ne passeraient pas comme une lettre à la poste. Selon lui, il ne serait toutefois pas illégal de « passer des messages » à la table de négociation.
[6] L'Employeur est un organisme sans but lucratif qui, comme son nom l'indique, offre des services aux victimes de violence conjugale. Il emploie une douzaine de salariées. Le Syndicat est accrédité depuis le 20 janvier 1995 pour représenter ce groupe de salariées.
[7] La dernière convention collective négociée par les parties est échue depuis le 31 mars 2013. Après son expiration, les parties s'engagent dans un processus de négociations basées sur les intérêts. Du 28 octobre 2013 au 7 mars 2014, une dizaine de rencontres sont tenues entre les parties, dans le cadre de ce processus. Au cours du mois de mai 2014, le Syndicat informe l'Employeur de sa décision de s'en retirer et de demander la conciliation.
[8] Depuis le début de ces négociations, le comité syndical est composé de madame Narcisa Ioanide, conseillère syndicale, et de quatre salariées : mesdames Lucie Blouin, Susan De Vito, Karène St-Pierre et Marie-Claude Lemire. Le comité patronal, lui, est composé de la directrice générale, madame Joanne Turgeon, de son adjointe, madame Jocelyne Colin, et de deux membres de son conseil d'administration : mesdames Chantal Tanguay et Camille St-Denis. Plus tard, après l'élection d'un nouveau conseil d'administration, sa nouvelle présidente, madame Sylvie Morin, remplacera madame St-Denis. Et, à l'étape de la conciliation, s'ajoutera à ce comité un consultant externe, monsieur Jean-Yves Tardif. Soulignons qu'il n'y eut apparemment aucune entente préalable sur un nombre maximum de membres des comités de négociations respectifs des parties.
[9] Le 11 juin 2014, une rencontre introductive est tenue dans les locaux du ministère du Travail, en présence de la conciliatrice. Un échéancier des prochaines rencontres est alors établi. Pour diverses raisons sur lesquelles il ne serait pas utile de s'attarder, la première rencontre véritable de conciliation n'aura lieu que le 23 octobre suivant. Dès le 11 juin 2014, monsieur Tardif agit en tant que porte-parole du comité patronal.
[10] Par courriel daté du 18 juin 2014, madame Ioanide informe la conciliatrice et l'Employeur que madame Linda Houle fera dorénavant partie du comité syndical de négociations, « en remplacement de Karène St-Pierre qui sera absente lors des séances de conciliation déjà prévues à l'automne », précise-t-elle.
[11] Madame St-Pierre est alors présidente du syndicat. Elle a succédé à madame Houle, qui était présidente à l'époque des négociations de la convention collective précédente. Apparemment, après qu'on lui eut refusé un congé sans solde, madame St-Pierre a renoncé à son statut d'employée permanente pour voir son nom inscrit sur la liste de rappel, afin de pouvoir s'absenter du travail. Selon toute vraisemblance, au plus tard le 18 novembre suivant, madame St-Pierre était soit de retour au travail, soit de nouveau disponible pour travailler. En effet, comme on le verra, elle a assisté à la rencontre de conciliation tenue ce jour-là.
[12] Malgré les termes non équivoques de ce courriel du 18 juin, le Syndicat tentera d'établir que madame Houle s'est jointe à son comité non pas en remplacement temporaire de madame St-Pierre mais de façon permanente. Dans la même veine, le Syndicat expliquera l'absence de madame Houle à la rencontre de conciliation du 18 novembre 2014 non pas par le retour de madame St-Pierre mais par l'état d'esprit dans lequel se trouvait madame Houle, quelques jours à peine après son congédiement.
[13] En interrogatoire principal, madame Ioanide déclare avoir d'ailleurs avisé un représentant de l'Employeur présent à la rencontre de conciliation du 18 novembre que madame Houle n'était pas en état d'y assister. Elle ne se souvient plus avec quel représentant de l'Employeur elle aurait abordé le sujet. En contre-interrogatoire, madame Ioanide déclare qu'elle « ne pense pas qu'il ait été question que madame Houle reviendrait ».
[14] Pour leur part, monsieur Tardif et madame Turgeon déclarent qu'il ne fut pas question de l'absence de madame Houle à cette occasion. Et, lors de la rencontre de conciliation du 1 er décembre suivant, le Syndicat expliquera la présence tant de madame Houle que de l'autre salariée récemment congédiée, madame Michelle Provost, par le même motif, à savoir une « réaction [ de sa part ] aux congédiements », pour reprendre les propos de madame Ioanide.
[15] Vu la teneur de ce courriel du 18 juin et cette explication donnée le 1 er décembre, les témoignages de monsieur Tardif et de madame Turgeon sur le déroulement de la rencontre de conciliation du 18 novembre doivent être préférés à celui de madame Ioanide. Cela dit, comme il n'y avait pas eu entente préalable sur le nombre de membres des comités de négociations, qu'il y ait eu adjonction d'un ou de deux membres au comité syndical ne change fondamentalement rien à l'affaire.
[16] La rencontre de conciliation du 23 octobre est suivie d'une deuxième, tenue le 30 octobre 2014. Madame Houle assiste à ces deux rencontres. La conseillère syndicale, madame Ioanide, agit en tant que porte-parole du comité syndical. Une troisième rencontre doit être tenue le 18 novembre suivant. Entre-temps, c'est-à-dire le 13 novembre, l'Employeur signifie par huissier à madame Houle sa lettre de congédiement, où il est précisé que cette mesure prend effet le jour même. On y invoque, entre autres motifs, « des propos méprisants et dénigrants à l'endroit de la direction » qui auraient été tenus lors de réunions d'équipe.
[17]
Le lendemain, le syndicat conteste ce congédiement par grief et par plainte présentée en vertu des articles
[18] Comme prévu, une troisième rencontre de conciliation est tenue le 18 novembre. Comme nous l'avons déjà mentionné, madame Houle n'y assiste pas, madame St - Pierre ayant réintégré le comité syndical. Celle-ci se déroule normalement. À la fin de la rencontre, une des membres du comité syndical interpelle la nouvelle présidente du conseil d'administration, madame Morin, pour lui remettre une pétition d'appui à madame Houle.
[19] La prochaine rencontre de conciliation doit être tenue le 1 er décembre 2014. Le 28 novembre 2014, l'Employeur signifie par huissier à madame Michelle Provost sa lettre de congédiement. À la lecture de celle-ci, on constate que l'Employeur lui adresse des reproches de même nature que ceux invoqués au soutien du congédiement de madame Houle, c'est-à-dire d'avoir véhiculé « des propos faux, méprisants et dénigrants au sujet de la direction », visant plus particulièrement la directrice générale, madame Turgeon.
[20] Le 1 er décembre 2014, le Syndicat conteste par grief ce congédiement. Ce sera le seul recours exercé pour contester cette mesure, madame Provost n'ayant pas exercé de droits lui résultant du Code de façon concomitante de son congédiement, doit-on présumer.
[21] Comme prévu, une rencontre de conciliation est tenue le même jour. Les membres du comité syndical de négociations s'y présentent, accompagnés de mesdames Houle et Provost, sans en avoir informé au préalable monsieur Tardif ou quelque autre représentant de l'Employeur. À cet égard, le Syndicat fera valoir qu'avant la rencontre du 30 octobre, l'Employeur ne l'avait pas plus avisé que madame Morin remplacerait madame St-Denis au sein de son comité de négociations.
[22] De fait, monsieur Tardif et les autres membres du comité patronal apprennent de la conciliatrice ce changement à la composition du comité syndical. « On trouve que ça n'a pas de bon sens, vu les motifs de congédiement », de déclarer madame Turgeon, ajoutant qu'à la suggestion de la conciliatrice, il y eut rencontre entre celle-ci et les deux porte-parole pour tenter de tirer les choses au clair.
[23] Monsieur Tardif déclare qu'à l'occasion de cette rencontre à trois avec la conciliatrice, madame Ioanide lui a expliqué « que c'était une stratégie syndicale pour mettre de la pression sur le comité patronal, sur l'employeur, et que c'était une condition sine qua non [ de la poursuite des négociations ] ». En contre-interrogatoire, monsieur Tardif ajoute que madame Ioanide a aussi mentionné que « les statuts et règlements du syndicat lui permettait de nommer qui il voulait ».
[24] Madame Ioanide, elle, déclare que monsieur Tardif l'a d'abord informée du refus de la partie patronale de poursuivre les négociations en présence de mesdames Houle et Provost, après quoi il a demandé une pause pour consulter ses avocats. « J'avais assuré l'employeur que nous n'étions pas là pour faire un débat sur les griefs. Je l'ai dit avant qu'il consulte ses avocats », ajoute-t-elle. Cette affirmation de madame Ioanide ne sera pas contredite.
[25] Interrogée sur ses explications fournies à monsieur Tardif, madame Ioanide répond ce qui suit : « J'ai dit que c'était en réaction aux deux congédiements que l'employeur avait fait en moins de deux semaines, de deux salariées parmi les plus anciennes. » En contre-preuve, madame Ioanide concède avoir possiblement parlé de « moyen de pression » de la part du Syndicat et précisé à son interlocuteur que, selon les statuts et règlements du Syndicat, « une personne congédiée demeurait membre ».
[26] Vu ce refus de l'Employeur de poursuivre les négociations en présence des salariées congédiées, la conciliatrice propose la formation d'un comité restreint, composé uniquement des porte-parole des parties. L'Employeur accepte mais, après y avoir réfléchi le reste de la journée, le Syndicat refuse. Soulignons que, depuis le dépôt des plaintes, il y eut dans les faits reprise des négociations en comité restreint.
[27] Par lettre adressée à toutes les salariés le 12 décembre 2014, madame Turgeon remet en question la décision du Syndicat de tenter d'imposer à l'Employeur « la présence de deux ex-salariées qui ont fait l'objet d'un congédiement au cours des dernières semaines, contrairement à ce que prévoient les articles 3.01 et 6.09 de notre convention collective . »
[28] Depuis le dépôt de sa plainte et cette lettre de sa directrice générale adressée aux salariées le même jour, l'Employeur semble avoir réalisé qu'il ne pouvait pas invoquer les clauses de la convention collective portant sur les libérations syndicales pour s'immiscer dans le choix des représentantes du syndicat à la table de négociation. Il a raison. En effet, ce n'est pas parce que les parties ont convenu de certaines modalités de libération de salariées pouvant éventuellement être appelées à représenter le Syndicat pendant les négociations que ce dernier doit forcément choisir ses représentantes parmi celles-ci. À la limite, sous réserve de ses statuts et règlements, qui ne concernent en rien l'Employeur, il pourrait désigner uniquement des représentants de l'extérieur.
[29] À l'étape des plaidoiries, l'Employeur paraît bien conscient qu'en règle générale, tel qu'il ressort de la jurisprudence de la Commission, le refus de poursuivre les négociations en présence d'un représentant en particulier de l'autre partie constitue un manquement à l'obligation de négocier de bonne foi. Il invite toutefois la Commission à retenir comme tempérament à cette règle que chaque partie doit d'abord exercer sa prérogative de désigner ses représentants de bonne foi et non pas dans le but de nuire au bon déroulement des négociations, comportement qui dénoterait l'absence d'une intention véritable d'en arriver à une entente.
[30] Prenant appui sur l'arrêt Royal Oak Mines inc . c. Canada (C.R.T.), [1996] 1 R.CS. 369 (par. 41), l'employeur insiste sur l'obligation des parties de « se présenter à la table des négociations avec de bonnes intentions ». Or, dans le cas qui nous occupe, le Syndicat a reconnu qu'il cherchait à faire pression sur l'Employeur, donc à envenimer les relations entre les parties, ce qui ne pouvait que nuire aux négociations, de plaider l'Employeur, qui assimile la décision du Syndicat à l'imposition d'une condition déraisonnable comme préalable à la poursuite des négociations.
[31] Soit dit avec égards, on ne peut souscrire à cette proposition de l'Employeur voulant que la bonne foi des parties dans l'exercice du droit de choisir ses représentants puisse faire l'objet d'un examen au cas par cas. Il apparaît en effet que, dans plusieurs situations, cette possibilité donnerait lieu à des procès d'intention sans fin, qui auraient pour effet de paralyser les négociations. À titre d'illustration, qu'il nous suffise d'évoquer le débat que ne manquerait pas de provoquer la désignation au sein d'un comité patronal d'un contremaître ayant eu maille à partir avec les délégués syndicaux pendant la durée de la convention collective précédente.
[32] Ce qui importe, en définitive, c'est que les parties elles-mêmes soient animées de la volonté de conclure une entente, non pas l'identité de leurs représentants. Dans le cas qui nous occupe, par exemple, il faut accorder tout son poids à ce témoignage non contredit de madame Ioanide voulant qu'elle ait précisé à son interlocuteur qu'il ne serait pas question des griefs lors de la rencontre, pour conclure que le Syndicat n'avait aucune intention d'imposer à l'Employeur quelque condition préalable à la poursuite des négociations.
[33] Si ce n'était peut-être pas l'idée du siècle pour le Syndicat de modifier la composition de son comité pour y ajouter deux salariés récemment congédiées, et ce, non pas pour une seule rencontre, afin de « passer un message », comme il l'a plaidé, mais de façon permanente, l'Employeur a exagéré la portée de ce geste en présumant que le Syndicat n'avait plus véritablement l'intention de conclure une entente. Ce n'était clairement pas ce que madame Ioanide avait signifié à monsieur Tardif.
[34] Dans ces circonstances, la plainte de l'Employeur doit être rejetée, et celle du Syndicat, accueillie, puisque c'est l'Employeur qui a refusé de poursuivre les négociations en présence des représentantes désignées par le Syndicat. Ce dernier a donc droit aux ordonnances remédiatrices qu'il demande. Cela dit, dans la mesure où le mode de négociations en comité restreint auquel il a fini par consentir porte des fruits, le Syndicat aurait peut-être intérêt à revoir sa position, le « message » qu'il a voulu passer l'ayant été avec succès, mais cette décision lui appartient et l'Employeur devra la respecter, quelle qu'elle soit.
EN CONSÉQUENCE, la Commission des relations du travail
REJETTE la plainte de S.O.S. Violence conjugale (Cas : CM-2014-7266);
ACCUEILLE la plainte du Syndicat des travailleuses de SOS violence conjugale - CSN (Cas : CM-2014-7275);
DÉCLARE
que
S.O.S. Violence conjugale
a manqué à son obligation de négocier de bonne foi et ainsi contrevenu à l'article
ORDONNE à S.O.S. Violence conjugale de poursuivre les négociations de bonne foi et de cesser de refuser de négocier en présence de mesdames Houle et Provost;
INVITE le Syndicat des travailleuses de SOS violence conjugale - CSN à examiner la possibilité de poursuivre les négociations en comité restreint, à la lumière du bilan qu'il fait de l'expérience vécue au cours des derniers mois.
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__________________________________ André Bussière |
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M e Valérie Gareau-Dalpé |
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FASKEN MARTINEAU DU MOULIN |
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et M e Carole Samuel |
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CLYDE & CO. Représentantes de la requérante-intimée
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M me Shanou Desilets |
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Représentante de l'intimé-requérant |
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Date de l'audience : |
5 juin 2015 |
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