Section des affaires sociales

En matière de services de santé et de services sociaux, d'éducation et de sécurité routière

 

 

Date : 21 août 2015

Référence neutre : 2015 QCTAQ 08390

Dossier  : SAS-M-239080-1507

Devant le juge administratif :

CAROLINE GONTHIER

 

M... D...

Partie requérante

c.

SOCIÉTÉ DE L'ASSURANCE AUTOMOBILE DU QUÉBEC

Partie intimée

 

 


DÉCISION



 


[1]               Le Tribunal est saisi d’un recours logé par le requérant à l’encontre d’une décision rendue par le Service de la révision de la Société de l’assurance automobile du Québec (la Société), le 15 juillet 2015, laquelle maintient la suspension de son permis de conduire pour une période de 90 jours.

[2]               À l’audience du 4 août 2015, le requérant est présent et non représenté. L’intimée est représentée par Me François Desroches Lapointe.

 

[3]               Selon les informations rapportées au procès-verbal de la suspension du permis complété par l’agent de la paix, le 10 juillet 2015, le requérant s’est vu suspendre, sur-le-champ, son permis de conduire jusqu’au 8 octobre 2015 en raison de son refus d’obtempérer à un ordre d’un agent de la paix de fournir un échantillon d’haleine.

[4]               Ce pouvoir accordé à l’agent découle de l’application de l’article 202.5 du Code de la sécurité routière [1] (CSR) qui lui permet d’imposer une suspension de 90 jours prévue à l’article 202.4 à une personne qui omet d'obtempérer à un ordre que lui donne un agent de la paix en vertu de l'article 202.3 ou de l'article 254 du Code criminel [2] .

[5]               Précisons que l’article 202.3 du CSR prévoit que si l’agent a des raisons de soupçonner la présence d'alcool dans l'organisme d'une personne, il peut lui ordonner de fournir immédiatement un échantillon d'haleine à l’aide d’un appareil de détection.  

[6]               En l’espèce, selon les constatations sommaires rapportées par le policier au procès-verbal de suspension, lors de l’infraction, le requérant avait la garde ou le contrôle du véhicule et il a refusé d’obtempérer à l’ordre donné par l’agent de la paix de fournir un échantillon d’haleine conformément à l’article précité.

[7]               De son côté, au motif que les policiers ne lui ont pas donné l’occasion de souffler dans l’appareil,  le requérant nie avoir refusé de fournir un tel échantillon.

 

[8]               Témoignant à l’audience, le requérant précise que le 10 juillet 2015, vers 5 heures 15 du matin, il est en train de déjeuner assis au volant de son véhicule garé dans le stationnement du restaurant McDonald’s, lorsqu’une auto-patrouille se place derrière sa voiture.

[9]               L’un des deux policiers se présente près de sa portière et le somme de sortir de son véhicule.  Le policier l’avise qu’ils ont été informés par un individu qu’il aurait une arme et de la drogue en sa possession et qu’il est également en boisson au volant de son automobile.

[10]            Précisant que le policier a pointé son arme sur lui, le requérant dénonce haut et fort cette façon de faire.

[11]            Il est alors sorti du véhicule et le policier Hébert l’a aussitôt menotté. Le second policier est intervenu en tentant de calmer les agissements disproportionnés de son collègue.

[12]            Le requérant s’est retrouvé assis dans l’auto-patrouille. Les policiers ont fouillé son véhicule.

[13]             Après plus ou moins 20 minutes, les policiers sont revenus le rejoindre à bord du véhicule. Ces derniers ne voulaient rien entendre quant à ses demandes répétées de lui fournir les motifs de son arrestation et de lui faire passer le test d’alcoolémie.

[14]            L’agent Hébert était déjà à rédiger son rapport.

[15]            Voyant l’arrivée du camion-remorque, il a insisté une fois de plus auprès des policiers pour souffler dans l’appareil. Le policier Hébert n’a pas voulu, même que celui-ci refusait de s’identifier ou de lui montrer son badge de policier. C’est à la suite de la recommandation de son partenaire qu’il a fini par accepter de lui donner son nom.

[16]            Une fois leur rapport rédigé, ils l’ont reconduit près d’une station-service Esso. Il est alors retourné à pied au restaurant McDonald’s afin de demander aux gens présents lesquels d’entre eux avaient appelé les policiers à son sujet. Personne n’a répondu.

[17]            Le requérant affirme aussi que les policiers ne lui ont pas lu ses droits, ni fait passer les autres tests pour vérifier s’il avait les facultés affaiblies. Ces derniers ont été plutôt très brusques avec lui et n’ont pas respecté ses droits comme tout citoyen vivant au Québec.

[18]            Il termine en précisant qu’il n’a aucun antécédent judiciaire en matière de conduite d’un véhicule avec les facultés affaiblies. Comme il a déjà perdu un ami très proche en raison de l’alcool au volant, il est très sensibilisé à ne pas utiliser son véhicule lorsqu’il consomme de la boisson.

[19]            Les deux policiers impliqués dans cette affaire ont également témoigné à l’audience. Leurs témoignages se résument comme suit.

[20]            Le premier, l’agent M-A. Hébert, décrit les circonstances entourant son intervention du 10 juillet 2015.

[21]            À 5 heures 15 du matin, suite à un appel téléphonique logé par un employé du restaurant McDonald’s avisant qu’une personne est au volant de son véhicule alors qu’elle aurait les facultés affaiblies, les policiers ont mis 4 à 5 minutes pour se rendre sur les lieux.

[22]            Ils ont immédiatement repéré le véhicule en question et se sont garés derrière.

[23]            Le témoin s’est dirigé du côté conducteur où se trouvait le requérant, et son partenaire, du côté du passager, alors qu’une femme y était assise.

[24]            Le policier confirme que le requérant était au volant de son véhicule, la clé était dans le démarreur et le véhicule était en marche.

[25]            L’agent Hébert explique au requérant les raisons de son intervention et constate l’odeur d’alcool qui provient de son haleine.

[26]            Il lui demande de cesser de manger et de couper le contact de son véhicule, ce que le requérant refuse de faire. Le requérant qualifie leur intervention d’illégale en invoquant être victime de racisme et devient agressif envers eux. La passagère ne fait que renchérir les propos du requérant.

[27]            Les policiers ayant assez de soupçons pour procéder à l’épreuve de dépistage à l’aide de l’appareil de détection approuvé (ADA), l’agent Hébert fournit les explications au requérant et lui demande de sortir de son véhicule afin d’effectuer ce test.

[28]            Devant le refus du requérant, l’agent ouvre la portière du véhicule et le somme de sortir du véhicule. À ce moment, l’agent confirme qu’il a dégainé son arme et l’a pointé vers le requérant puisque le geste posé par ce dernier pouvait laisser croire à un danger. Dès qu’il a constaté que le requérant tentait plutôt de récupérer son appareil cellulaire sous la banquette du véhicule, l’agent a serré son arme.

[29]            Les policiers ont dû menotter le requérant en raison de son manque de collaboration.

[30]            Une fois assis dans l’auto-patrouille, le témoin a fait la lecture au requérant de ses droits quant au prélèvement d’un échantillon d’haleine. Il assure qu’il lui a clairement expliqué les conséquences d’un refus de souffler.

[31]            Le requérant a très bien compris ses droits et a répondu qu’il acceptait de souffler.

[32]            Il a aussi expliqué la procédure à suivre pour l’échantillon d’alcool.

[33]            Le requérant a effectué un premier test, mais devant le peu d’air qu’il a fourni dans l’appareil, le test n’a pu être complété.

[34]            Après de nouvelles explications sur le fonctionnement de l’appareil qui nécessite un souffle long et continu, ils ont procédé à un deuxième et troisième essais. Chaque fois, le requérant ne fournissait pas suffisant d’air.

[35]            Après la troisième tentative, la passagère qui accompagnait le requérant dans son véhicule, madame B., s’est mise à frapper sur les vitres de l’auto-patrouille et a crié qu’il s’agissait d’une arrestation illégale. Ces agissements nécessitent l’intervention d’autres policiers afin de contrôler cette dame et de continuer à procéder au test auprès du requérant.

[36]            À la quatrième tentative, au lieu de souffler dans l’appareil, le requérant inspire. Ensuite, s’éloignant de l’appareil, le requérant informe les policiers qu’il refuse de souffler.

[37]            Le témoin explique au requérant les accusations portées contre lui quant au refus de fournir un échantillon d’haleine et procède à la saisie du véhicule et à la suspension du permis.

[38]            Le témoin indique que l’arrivée du remorqueur se situe à 6 heures 17. Il n’a été appelé qu’après que le requérant ait signifié son refus de souffler, soit après le quatrième essai. Les policiers ont complété les différents formulaires dont le requérant a refusé de prendre copie. Ils l’ont reconduit ensuite à une station-service Esso près d’un métro.

[39]            Entre-temps, puisque madame B. s’était rendue dans le restaurant McDonald’s pour intimider les personnes qui ont appelé les policiers, les deux témoins rencontrés ont refusé de donner leur version. Madame B. a été accusée d’entrave au travail d’un agent de la paix.

[40]            Contre-interrogé, le témoin indique qu’il est policier depuis trois ans et qu’il est familier avec l’utilisation de l’appareil ADA.

[41]            Il explique chacune des étapes à suivre et confirme que le requérant a accepté de faire le test demandé qui s’est alors déroulé dans le véhicule de police en raison du comportement de la passagère et de la résistance du requérant lors de son arrestation.

[42]            Quant au témoignage de l’agent M.A. Croteau qui, durant le témoignage de l’agent Hébert était à l’extérieur de la salle d’audience, sa description des circonstances entourant l’arrestation du requérant concorde avec celles rapportées par l’agent Hébert.

[43]            Entre autres, il souligne le manque de collaboration du requérant, ainsi que son comportement agressif qui a nécessité le port des menottes.

[44]            Il confirme que le requérant a été amené à bord de l’auto-patrouille afin de procéder au prélèvement d’un échantillon d’haleine via l’appareil ADA, et que son partenaire, l’agent Hébert, a lu et a vulgarisé au requérant les conséquences d’un refus de fournir un échantillon d’haleine.

[45]            Il confirme aussi que le requérant était d’accord pour souffler dans l’appareil.

[46]            Alors qu’il s’était calmé et que le ton était moins agressif, le requérant a soufflé une première fois dans l’appareil.

[47]            Comme le test n’était pas concluant, l’agent Hébert a réexpliqué au requérant la procédure à suivre pour fournir l’échantillon.

[48]            Le requérant a demandé de souffler une seconde fois, ce que son partenaire lui  a d’ailleurs conseillé de faire plutôt que de signifier un refus.

[49]            Après le troisième essai échoué, madame B. s’est alors présentée en direction du requérant assis dans l’auto-patrouille et criant qu’elle connaissait les lois, elle lui conseille de ne pas souffler.

[50]            Malgré cela, le requérant a soufflé une quatrième fois. C’est après cette quatrième tentative que le requérant a verbalisé un refus de fournir un échantillon d’haleine.

[51]            À la suite de la manifestation de son refus, le procès-verbal de saisie du véhicule et de suspension du permis de conduire a été rédigé.

[52]            Le témoin corrobore la suite des événements tels que décrits par l’agent Hébert quant à la rencontre des témoins au restaurant McDonald’s, qu’ils ont reconduit le requérant à une station-service Esso et qu’il a refusé de prendre les documents qui le concernaient.

[53]            Enfin, il confirme également que son partenaire a dégainé son arme et l’a pointé dans la direction du requérant en raison de la menace qu’il présentait. Il termine son témoignage en précisant qu’à l’aide de son écran d’ordinateur à bord de son véhicule, il a lui-même montré au requérant le détail de l’appel reçu du 911.

 

[54]            Rappelons que le Tribunal est appelé à statuer sur le bien-fondé de la décision rendue en révision par la Société confirmant la suspension du permis de conduire du requérant, pour une période de 90 jours, au motif qu’il a refusé d’obtempérer à un ordre de l’agent de la paix de fournir un échantillon d’haleine.

[55]            Soulignons aussi que seules les situations énumérées à l’article 202.6.6 du CSR permettent à la Société de lever la suspension du permis de conduire, lesquelles se lisent comme suit :

« 202.6.6.  La Société lève la suspension du permis ou du droit d'en obtenir un si la personne concernée établit de façon prépondérante:

1° dans le cas d'une interdiction prévue à l'article 202.2, qu'il n'y avait pas présence d'alcool dans son organisme;

2° qu'elle conduisait le véhicule routier ou en avait la garde ou le contrôle sans avoir consommé une quantité d'alcool telle que son alcoolémie dépassait 80 milligrammes d'alcool par 100 millilitres de sang;

3° qu'elle avait une excuse raisonnable pour ne pas avoir obtempéré à un ordre donné par un agent de la paix en vertu des articles 202.3 ou 636.1 du présent code ou de l'article 254 du Code criminel;

4° qu'elle ne conduisait pas un véhicule routier ou n'en avait pas la garde ou le contrôle dans les cas prévus au présent article.

[…] »

[56]            Or, de l’avis du Tribunal, le requérant ne lui a pas fait la preuve que l’une de ses situations s’applique à lui.

[57]            En effet, le Tribunal a été à même d’entendre son témoignage, ainsi que ceux des policiers, et d’en apprécier la force probante pour conclure, enfin, qu’il ne retient pas la raison invoquée par le requérant voulant que les policiers ne lui aient pas donné l’occasion de fournir un tel échantillon.

[58]            Même s’il a soutenu la même version des faits, tant en révision que dans le cadre de son témoignage devant le Tribunal, et qu’il a témoigné avec un certain aplomb, le Tribunal estime que son seul témoignage ne peut servir à contredire la version donnée par les deux policiers.

[59]            Tout d’abord, bien qu’il y ait eu un témoin de la scène, soit la passagère, madame B., qui accompagnait le requérant non seulement lors de l’intervention des policiers, mais aussi tout au long des événements, le Tribunal s’étonne de son absence lors de l’audience du recours du requérant.

[60]            D’autant plus qu’étant intervenue à quelques reprises, ce qui lui a valu d’être accusée formellement d’avoir entravé le travail d’un agent de la paix, elle aurait joué un rôle actif lors du déroulement des événements.

[61]            Cela étant, il appartenait au requérant de tenter de contredire la version des policiers et, par le fait même, de corroborer la sienne.

[62]            Ensuite, le Tribunal s’en remet à la version des policiers puisque d’une part, elle est concordante et, d’autre part, elle est appuyée de nombreux détails, ce qui la rend plus probable.

[63]            En somme, c’est entre autres en raison de ce degré de précision lors de la séquence des événements entourant l’arrestation du requérant que le Tribunal lui accorde une plus grande force probante.

[64]            En fait, le Tribunal retient que malgré les explications fournies à maintes reprises au requérant par l’agent Hébert, celui-ci ne soufflait pas suffisamment pour permettre le prélèvement d’un échantillon.

[65]             Il retient aussi que le requérant a eu l’occasion de fournir à quatre reprises un échantillon d’haleine. Ce n’est qu’après avoir verbalisé son refus aux policiers, soit après le quatrième essai, que celui s’est vu suspendre son permis de conduire.

[66]            Dans ces circonstances, alors qu’il incombait au requérant de faire la démonstration, par une preuve prépondérante, qu'il avait une excuse raisonnable de ne pas avoir obtempéré à un ordre donné par un agent de la paix, le Tribunal conclut au bien-fondé de la décision rendue en révision par l’intimée quant au maintien de la suspension du permis de conduire pour une durée de 90 jours.

POUR CES MOTIFS , le Tribunal :

-         REJETTE le recours.


 

 

CAROLINE GONTHIER, j.a.t.a.q.


 

Dussault, Mayrand

Me François Desroches Lapointe

Procureur de la partie intimée


 

/jj



[1] RLRQ, chapitre C-24.2.

[2] Lois révisées du Canada (1985), chapitre C-46.