Taschereau c. Abraham (Escale Beauté)

2015 QCCQ 7577

COUR DU QUÉBEC

« Division des petites créances »

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

TERREBONNE

LOCALITÉ DE

SAINT-JÉRÔME

« Chambre civile »

N° :

700-32-028740-130

 

 

 

DATE :

4 AOÛT 2015

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SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

JIMMY VALLÉE, J.C.Q.

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ANDRÉ TASCHEREAU

Demandeur

c.

MARIE-CLAUDE ABRAHAM faisant affaires sous le nom de ESCALE BEAUTÉ

-et-

COMPAGNIE D’ASSURANCE INTACT

Défenderesses

 

 

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JUGEMENT

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[1]            Monsieur André Taschereau réclame 7 000 $ à madame Marie-Claude Abraham, faisant affaires sous le nom de Escale Beauté, ainsi qu’à son assureur Intact, en raison des dommages qui lui ont été occasionnés par une faute commise par madame Abraham lors d’un traitement au laser effectué le 21 octobre 2010.

[2]            Madame Abraham réfute toute responsabilité, refuse de payer la somme réclamée et prétend ne pas avoir commis de faute.

Les faits pertinents à la solution du litige

En demande

[3]            Taschereau [1] se présente au commerce d’Abraham le 21 octobre 2010 afin d’y subir une séance d’épilation au laser dans le dos. Il a déjà subi de telles séances à au moins cinq reprises auparavant.

[4]            Il s’aperçoit dès le début de cette séance que la douleur est plus intense qu’aux occasions précédentes. Il se fit cependant aux recommandations et instructions d’Abraham qui lui dit, après avoir arrêté un peu et appliqué de la glace, qu’elle pouvait continuer. Elle lui dit de lui faire confiance.

[5]            La douleur est de plus en plus intense. À son retour à la maison le soir même, apparaissent d’importantes marques rouges de brûlure partout dans son dos. Il devra y apposer des crèmes anti-inflammatoires. La douleur l’empêche de dormir pendant plusieurs jours. Des cloches et même des gales sont par la suite apparues. Les photos prises à l’époque illustrent bien les brûlures en question.

[6]            Il fait état des souffrances qu’il a dû endurer ainsi que du préjudice esthétique toujours présent aujourd’hui.

[7]            Sa conjointe, madame Eugénie Miron, est également entendue. Elle est présente le 21 octobre 2010 et elle confirme son témoignage voulant que les douleurs semblent alors beaucoup plus intenses qu’à l’habitude. Elle voit des marques rouges apparaître dans son dos. Elle mentionne à au moins trois reprises à Abraham qu’il fallait arrêter ce traitement mais celle-ci lui répond de lui faire confiance.

[8]            La preuve en demande est complétée par les rapports du docteur Jean Côté, dermatologue. Ce dernier mentionne :

À l’examen, toute la surface dorsale est atteinte de zones hypo pigmentées sous forme de carrés représentant la tête du laser. Ayant un phototype cutané foncé (type IV), le contraste est assez frappant. La surface corporelle atteinte est d’environ 10 %. Par surcroît, monsieur Taschereau est extrêmement gêné de se montrer torse nu.

En conclusion, ce patient présente une hypo pigmentation résiduelle et permanente (plus de deux ans) post photo thermolyse au laser accompagné de séquelles psychologiques.

[9]            Il indique également qu’un laser d’épilation, si utilisé selon les règles de l’art, ne cause pas de brûlure. Dans ce cas précis, il est clair selon lui qu’il y a eu une mauvaise manipulation du laser.

En défense

[10]         Abraham fait des traitements au laser depuis 2001, après avoir suivi la formation requise en ce sens. L’appareil laser qu’elle utilise ne lui appartient pas. Sur au moins 1 000 clients traités par elle, il n’y a jamais eu de brûlure.

[11]         Elle a d’abord traité monsieur Taschereau en 2005 et 2006, avant de le voir revenir en 2010. À son avis, le problème est dû à une hyper pigmentation. Monsieur a le dos bronzé cette journée-là, ce qui est à proscrire dans les circonstances.

[12]         Il n’y a eu selon elle aucun problème technique, que ce soit avec la machine ou la façon dont elle l’a utilisée. Elle constate les brûlures mais prétend qu’elles sont dues au fait que monsieur a la peau bronzée.

[13]         Elle dépose en preuve un document par lequel Taschereau accepte les risques de ce traitement, notamment dans un paragraphe qui précise : « la nature et les effets de cette intervention, les risques, ramifications et complications impliqués (hypo pigmentation, hyper pigmentation et brûlure), ainsi que les méthodes alternatives à ce traitement m’ont été expliqués en détail et je les comprends complètement

[14]         Ce document a été signé par Taschereau en 2005, soit cinq ans avant le traitement d’octobre 2010.

Analyse et décision

Le fardeau de preuve

[15]         Afin de faciliter la compréhension du présent jugement par les parties, le Tribunal croit important de reproduire les articles du Code civil du Québec qui reçoivent ici application.

[16]         L'article 2803 C.c.Q énonce:

« Celui qui veut faire valoir un droit doit prouver les faits qui soutiennent sa prétention.

Celui qui prétend qu'un droit est nul, a été modifié ou est éteint doit prouver les faits sur lesquels sa prétention est fondée. »

[17]         Cet article impose au demandeur le fardeau de prouver les allégations contenues dans sa demande, et ce, par prépondérance de preuve.

[18]         L'article 2804 C.c.Q. ajoute:

« La preuve qui rend l'existence d'un fait plus probable que son inexistence est suffisante, à moins que la loi n'exige une preuve plus convaincante. »

[19]         Ce dernier article permet au Tribunal d'apprécier la preuve présentée de part et d'autre par les parties, afin de déterminer si, effectivement, l'existence d'un fait est plus probable que son inexistence.

Nature du recours

[20]         Les parties sont ici liées par un contrat de service, et ce, conformément aux dispositions de l’article 2098 du Code civil du Québec .

[21]         Abraham était tenue d’agir au meilleur des intérêts de son client, avec prudence et diligence. Elle devait agir conformément aux usages et règles de son art et ainsi s’assurer que le service fourni est conforme au contrat. [2]

[22]         De son côté, l’article 1458 du Code civil du Québec nous apprend que t oute personne a le devoir d'honorer les engagements qu'elle a contractés. Elle est, lorsqu'elle manque à ce devoir, responsable du préjudice, corporel, moral ou matériel, qu'elle cause à son cocontractant et tenue de réparer ce préjudice.

Application

[23]         Le témoignage de Taschereau, et surtout les photos qu’il produit qui, en l’espèce, valent mille mots, convainquent le Tribunal que le résultat obtenu lors de cette journée n’est pas du tout conforme à l’entente intervenue entre les parties.

[24]         Un résultat comme celui-là ne peut d’aucune façon être considéré comme normal. Il apparaît clair que chacune des interventions avec le laser a causé une importante brûlure dans le dos de Taschereau.

[25]         Les faits de la présente affaire ressemblent beaucoup à ceux du dossier Kononova c. Académie internationale compétence beauté inc. [3] . Voici ce que conclut le juge Claude Laporte dans son jugement :

[ 25 ]             Le Tribunal n'est pas convaincu que le résultat direct et immédiat du traitement subi par Kononova, tel que vécu par cette dernière, s'inscrit dans le cours normal des choses, bien au contraire.

[ 26 ]             Aux yeux du Tribunal, il est inconcevable que telles brûlures soient considérées normales.

[ 27 ]             Dans une telle situation il appartient à la partie défenderesse de démontrer pourquoi elle ne devrait pas être tenue responsable du préjudice subi par Kononova [4] :

«Quand, dans le cours normal des choses, un événement ne doit pas se produire, mais arrive tout de même, et cause un dommage a autrui, et quand il est évident qu'il ne serait pas arrivé s'il n'y avait pas eu de négligence, alors, c'est à l'auteur de ce fait à démontrer qu'il y a une cause étrangère, dont il ne peut être tenu responsable et qui est la source de ce dommage »

(soulignement ajouté)

[ 28 ]             La défenderesse n'a pas déchargé son fardeau à cet égard.

[ 29 ]             De plus, la défenderesse n'a pas démontré que les brûlures subies par Kononova furent causées par une réaction au soleil ou en raison d'une allergie, tel qu'elle le prétend.

[ 30 ]             Si ce qu'a vécu Kononova est "normal" - comme le soutient la partie défenderesse - encore aurait-il fallu que la demanderesse ait été informée de cette éventualité : là aussi la partie défenderesse a fait défaut de faire la preuve de l'éclairage apporté à la demanderesse à cet égard. 

[ 31 ]             Le consentement signé par Kononova ne traite pas d'une situation comme celle qu'elle a vécue.

 

[26]         Telle est aussi la situation en l’espèce.

[27]         Abraham a tenté d’expliquer que le dos de monsieur Taschereau était probablement trop bronzé et qu’il avait pris du soleil préalablement au traitement.

[28]         De l’avis du Tribunal, elle a échoué dans cette tentative. Elle est la professionnelle en la matière et elle se devait de s’assurer que monsieur respectait les normes, qu’il n’avait pas pris de soleil et que son dos n’était pas bronzé avant de procéder au traitement.

[29]         Par ailleurs, le document d’information et d’acceptation des risques signé par Taschereau 5 ans plus tôt ne peut pas, de l’avis du Tribunal, couvrir des dommages de l’ampleur de ceux qu’il a subis en l’espèce.

[30]         Pour ces motifs, la responsabilité de madame Abraham est retenue.

 

Les dommages

[31]         Qu’en est-il des dommages réclamés ? Ils se chiffrent à 7 000 $ mais ne sont pas vraiment détaillés à l’audience.

[32]         Le Tribunal retient la conclusion du dermatologue qui parle d’une hypo pigmentation résiduelle et permanente post photo thermolyse au laser sur une surface d’environ 10% du corps de monsieur accompagnée de séquelles psychologiques. Il retient également le témoignage de monsieur en ce qui a trait aux souffrances vécues dans les jours et semaines qui ont suivi le traitement en question.

[33]         Par ailleurs, le Tribunal constate qu’aujourd’hui, les marques en question se sont estompées et sont beaucoup moins apparentes. Cela appert non seulement d’une photo prise au mois de mai 2015, mais aussi du constat de visu fait par le soussigné de l’état du dos de monsieur Taschereau le jour de l’audience.

[34]         Tenant compte de tous ces éléments, le Tribunal, usant de la discrétion judiciaire dont il bénéficie, octroie à monsieur Taschereau des dommages de l’ordre de 3 000 $.

[35]         POUR TOUS CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[36]         ACCUEILLE en partie la demande;

[37]         CONDAMNE Marie-Claude Abraham faisant affaires sous Escale Beauté et Intact Assurance à payer à monsieur André Taschereau la somme de 3 000 $ avec intérêts au taux légal de 5% l’an majoré de l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 C.c.Q. à compter du 18 octobre 2013 ainsi que les frais judiciaires de 167 $.

 

 

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JIMMY VALLÉE, J.C.Q.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Date d’audience :

14 JUILLET 2015

 



[1]     L'utilisation des seuls noms de famille dans le présent jugement a pour unique but d'alléger le texte et ne doit aucunement être interprétée comme un manque de courtoisie à l'égard des personnes concernées.

[2]     Article 2100 C.c.Q.

[3]     2011 QCCQ 14452

[4]     [1952] 1 RCS 376, page 381