Tremblay c. Immeubles des Moulins inc.

2015 QCCQ 7946

COUR DU QUÉBEC

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

MONTRÉAL

« Chambre civile  »

N° :

500-22-204420-130

 

 

 

DATE :

28 août 2015

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SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

BRIGITTE CHARRON, J.C.Q.

 

 

 

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CLAUDE TREMBLAY

et

BOUTIQUE C. TREMBLAY INC.

Demandeurs

c.

LES IMMEUBLES DES MOULINS INC.

Défenderesse

 

 

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JUGEMENT

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[1]            La Cour est saisie d’une requête introductive d’instance en vertu de laquelle le demandeur, Claude Tremblay, un golfeur professionnel, réclame à la défenderesse, Les Immeubles Des Moulins Inc., exploitant le Club de golf Le Boisé, la somme de 38 758 $ en dommages pour perte de salaire , suite à la rupture unilatérale d’une entente liant les parties.

[2]            À titre subsidiaire, la demanderesse, Boutique C. Tremblay Inc., réclame à la défenderesse la somme de 33 758 $ pour dommages suite à la résiliation d’une entente sous un faux prétexte, allant à l’encontre des motifs de résiliation prévus à cette entente.

[3]            Le demandeur ventile ses dommages comme suit :

« Rémunération jusqu’au terme du contrat (période du 31 octobre 2012 au 31 décembre 2013) :  90 958 $

Diminuée de

Rémunération gagnée au cours de la période du 15 janvier 2013 au 31 décembre 2013 dans le cadre de son nouvel emploi au Club de Golf Le Versant, tel qu’il appert des relevés de paye du demandeur pour l’année 2013, pièce P-10 :  57 200 $. »

[4]            Claude Tremblay réclame également la somme de 5 000 $ à titre de dommages pour troubles et inconvénients.

[5]            Boutique C. Tremblay Inc. ventile ses dommages de la même manière, à l’exception du chef de réclamation pour les troubles et inconvénients qu’elle ne réclame pas.

[6]            En revanche, la défenderesse allègue ne devoir aucune somme qui soit aux demandeurs, puisque l’entente sur laquelle est fondée la réclamation ne peut être qualifiée de contrat de travail, mais bien de contrat d’entreprise et qu’il était tout à fait loisible pour Les Immeubles Des Moulins Inc. de résilier unilatéralement le contrat d’entreprise la liant à Boutique C. Tremblay Inc., tel que le prévoit l’article 2125 du Code civil du Québec .

[7]            Subsidiairement, si l’entente intervenue se devait d’être résiliée conformément au libellé de son article 12, la défenderesse soumet que cette entente a été résiliée en respect des modalités énoncées, à savoir que le « directeur golf » ne remplissait pas adéquatement ses fonctions et qu’il en a été avisé au moyen d’un écrit au moins trois mois avant la date d’annulation de la convention.

[8]            Plus spécifiquement, les lacunes invoquées par la défenderesse à l’égard de l’accomplissement des fonctions du « directeur golf » visent notamment :

-        La gestion du personnel;

-        La gestion des dépenses reliées à l’exploitation du terrain de golf;

-        La gestion des patrouilleurs golf (Marshall);

-        La gestion des préposés au départ (Starter);

-        La gestion des membres et de leur expérience client;

-        La diminution du nombre de tournois;

-        La gestion des départs sur le terrain de golf;

-        La gestion de la capitainerie.

[9]            La Cour doit donc examiner si c’est à bon droit que la défenderesse s’est départie de son « directeur golf ».

[10]         Le 15 novembre 2010, Éric Vandal, propriétaire de Les Immeubles Des Moulins Inc., et Claude Tremblay, représentant Boutique C. Tremblay Inc., signent une « convention » se déclinant en 15 paragraphes (pièce P-4).

[11]         La Cour retient comme pertinents les articles suivants :

« 1.       LE GOLF retient les services de Boutique C. Tremblay Inc., pour exercer les fonctions de directeur golf pour une période de trois (3) ans à compter du 1 er janvier 2011 jusqu’au 31 décembre 2013 inclusivement.

12.        L’engagement du DIRECTEUR GOLF , en vertu de la présente convention, est pour un terme de trois (3) ans, commençant le 1 er janvier 2011 et se terminant le 31 décembre 2013 inclusivement, le GOLF conservant cependant le droit d’annuler la présente convention en tout temps si LE CONSEIL juge que le DIRECTEUR GOLF ne remplit pas adéquatement ses fonctions ou que ses faits et gestes causent ou ont causé préjudice au GOLF .  Si LE CONSEIL décide d’annuler la présente convention le GOLF devra, dans ce cas :

-  donner un avis écrit au moins trois (3) mois avant la date d’annulation de la convention excepter (sic) dans le cas de vol ou de fraude.

15.        La présente convention expirera le 31 décembre 2013.  La continuation de l’emploi du DIRECTEUR GOLF après cette date est subordonnée à la signature par les parties avant le 30 octobre 2013 d’un nouveau contrat d’engagement ou d’un document ayant pour effet de prolonger et renouveler la présente convention. »

[12]         Le 1 er août 2012, Éric Vandal, au nom de Les Immeubles Des Moulins Inc. Golf Le Boisé, s’adresse à Boutique C. Tremblay Inc. comme suit :

« Le GOLF LE BOISÉ désire signifier son désir de mettre fin et d’annuler la convention intervenue entre elle et BOUTIQUE C. TREMBLAY INC. le 31 octobre 2012. » (pièce P-5).

[13]         En septembre 2012, sans date précise, Claude Tremblay accuse réception de la lettre du 1 er août en termes suivants :

« J’accuse réception de votre lettre du 1 er août aux termes de laquelle vous souhaitez mettre fin à mon contrat d’emploie (sic), sans en préciser les motifs.  On me suggère d’y répondre par écrit, pour protéger mes droits.

Je crois que la qualité de mon travail et mon dévouement ne sont pas en cause.  Il s’agit peut-être d’une réorganisation.  Je n’en sais rien.  Le contrat ne contient pas de clause d’annulation pour ce motif.

Comme vous le savez, la convention se termine le 31 décembre 2013.  Je préférerais de beaucoup poursuivre mon mandat au Boisé, mais si vous ne le souhaitez pas, il faudra forcément en arriver à une entente à l’amiable de préférence, notamment pour tenir compte des pertes et dommages liés à l’annulation avant terme de l’entente.  Je suis prêt à vous rencontrer et à négocier de bonne foi, mais je ne veux pas laisser traîner les choses.  Pourrions-nous prévoir une rencontre le plus tôt possible? » (pièce P-6).

[14]         Le 4 octobre 2012, Éric Vandal s’adresse à Claude Tremblay en termes suivants :

« La lettre qui vous a été remise, le 1 er août dernier, fait suite à une rencontre préalable durant laquelle les motifs de fin et d’annulation de votre contrat vous ont étés (sic) très clairement expliqués.

Cette annulation de contrat fait suite à de longues réflexions, rencontres et discussions et fut très difficile compte-tenu du respect et de l’estime que j’ai envers vous.

Tel que mentionné, cette annulation de contrat selon l’article 12 est liée à votre incapacité de remplir adéquatement vos fonctions de directeur golf.

Espérant le tout conforme. » (pièce P-7).

[15]         La Cour note ici qu’Éric Vandal s’adresse indistinctement à l’une ou l’autre des parties, bien que la défenderesse ait fait grand état à l’audition de la distinction entre les entités juridiques Claude Tremblay et Boutique C. Tremblay Inc., pour fins de qualification du contrat (pièce P-4).  La Cour y reviendra.

[16]         À l’audition, Éric Vandal relate que, préalablement à la décision ultime de mettre fin à la relation d’affaires avec son « directeur golf », plusieurs rencontres, plusieurs discussions ont eu lieu entre lui et Claude Tremblay ayant trait à son insatisfaction ressentie.

[17]         Se fréquentant au quotidien, les rencontres et les discussions s’effectuaient de manière informelle à l’exception d’une rencontre en juin 2012 plus officielle traitant spécifiquement de l’incapacité de gestion du « directeur golf ».

[18]         Éric Vandal parle de la bonne réputation de golfeur de Claude Tremblay, de la bonne personne qu’est Claude Tremblay, confirme l’absence de mauvaise volonté, mais considère que sa capacité de gestion s’avère nulle à long terme, notamment, compte tenu de son incapacité à titre de « directeur golf » à dire « non » dans maintes situations impliquant le personnel ou les membres, agissant alors à l’encontre des intérêts du Golf.

[19]         À titre d’exemple, il est arrivé qu’un membre se comporte de manière agressive auprès d’un autre membre, il a été rencontré et avisé qu’en cas de récidive, il serait renvoyé.  Il a récidivé, mais le « directeur golf » l’a suspendu contrairement à ce qui avait été convenu.

[20]         En ce qui concerne un employé qui a eu un accident impliquant une voiturette dont le toit a été arraché par un arbre, le « directeur golf » camoufle l’incident.

[21]         En ce qui a trait à un préposé aux bâtons qui se devait d’être congédié, il lui offre une promotion.

[22]         Les anecdotes se cumulent ainsi au fil du temps, mais il en va d’une plus grande importance, le « directeur golf » négocie constamment à la baisse, offrant des tarifs préférentiels à certains membres, en ignorant d’autres, alors que tout se sait dans le domaine du golf.  Cette attitude lui fait perdre de la crédibilité quant à son honnêteté, ce manque d’uniformité, de rigueur nuit à sa capacité de gestionnaire.

[23]         Éric Vandal lui reproche également de ne pas être rapide quant au retour d’appels des clients ou du personnel.  Il lui reproche également de ne pas être présent aux tournois de golf, en plus de les organiser à la dernière minute, de 22 tournois réduits à 11.  Quant à la capitainerie, il la décrit comme étant toute croche.

[24]         Éric Vandal réfère à une mauvaise organisation des départs qui ne sont pas prêts où des membres ne peuvent jouer faute d’employés disponibles ou que des activités tombent à l’eau pour les mêmes motifs telle la journée du dimanche pour les couples.

[25]         Conséquemment, Éric Vandal se devait d’assumer les responsabilités négligées par le « directeur golf ».

[26]         À l’audition, Claude Tremblay, en réaction aux lacunes invoquées par la défenderesse en sa procédure à l’égard de l’accomplissement des fonctions de « directeur golf », y va d’une dénégation générale, déclarant qu’il n’y a rien de vrai là-dedans, Éric Vandal a tout énuméré, ça n’a aucun sens.

[27]         Claude Tremblay ajoute qu’on ne lui a jamais fait de reproches, qu’il y a eu effectivement des discussions qu’il qualifie d’ « améliorations de services ».  Il reproche plutôt à Éric Vandal de n’avoir aucune habileté côté deal , côté compromis, précisant que, selon lui, ce n’est pas normal que ce soit uniforme pour l’ensemble des membres.

[28]         La Cour note que ce témoignage est livré avant celui d’Éric Vandal, ce qui rend vraisemblable qu’un reproche sur le manque d’uniformité dans sa gestion puisse lui avoir été signifié.

[29]         La Cour est à même de constater le positionnement des parties dans le présent dossier.  Éric Vandal va même dire qu’il aurait dû mettre fin à l’entente un an plus tôt.  Pour lui, la décision du 1 er août 2012 est irrévocable.  Il en va autrement de Claude Tremblay qui veut négocier, tel qu’il appert du troisième paragraphe de sa lettre d’accusé réception déjà reproduite (pièce P-6).

[30]         Quant au faux prétexte invoqué en demande référant à une raison économique, bien que des témoins aient tenté d’en faire la preuve, Claude Tremblay lui-même, à l’audition, a avoué qu’Éric Vandal ne lui avait pas parlé d’un tel motif, ce qui corrobore les dires d’Éric Vandal qui nie s’être départi de son « directeur golf » pour ce motif, mais bien pour une incapacité d’agir à titre de gestionnaire.

[31]         À la lumière de ce qui précède, la Cour privilégie la version d’Éric Vandal à celle de Claude Tremblay pour sa crédibilité, vraisemblance, fiabilité, notamment quant aux explications fournies quant au cumul d’événements impliquant des employés ou des membres ayant amené Les Immeubles Des Moulins Inc. à considérer que le « directeur golf », aux prises avec de sérieuses lacunes, n’accomplissait pas adéquatement ses fonctions de gestionnaire, et ce, en toute connaissance de cause.

[32]         En ce qui a trait aux distinctions apportées quant à la qualification du contrat liant les parties, contrat de travail ou contrat d’entreprise ou de services, en l’espèce, elles s’avèrent académiques, puisque la finalité ici s’avère la même :  que l’on se place du point de vue de l’employé, au final, il ne remplissait pas adéquatement ses fonctions de gestionnaire, que l’on se place du point de vue du prestataire de services, les services de gestion n’étaient pas rendus adéquatement, bref, le « directeur golf » n’accomplissait pas adéquatement ses fonctions.  Or, dans ce contexte, la convention (pièce P-4) en son article 12 prévoyait expressément l’annulation de celle-ci, en autant qu’un avis écrit soit donné trois mois avant la date de l’annulation.

[33]         Conséquemment, les modalités prévues à l’article 12 de la convention (pièce P-4) ayant été respectées, c’est donc à bon droit que Les Immeubles Des Moulins Inc. s’est départie de son « directeur golf ».

POUR TOUS CES MOTIFS, LA COUR :

REJETTE la requête introductive d’instance,

LE TOUT, sans frais.

 

 

 

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BRIGITTE CHARRON, J.C.Q.

 

Me Jean-François Demers

Joli-Coeur Lacasse s.e.n.c.r.l.

Procureurs des demandeurs

 

Me Mathieu Ayotte

Beauvais Truchon, s.e.n.c.r.l.

Procureurs de la défenderesse

 

Dates d’audience :

29 et 30 octobre 2014