Centre de la petite enfance Allô mon ami et Syndicat de La Nouvelle Union (CSQ) (Mélissa Gauthier)

2015 QCTA 749

TRIBUNAL D’ARBITRAGE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

n o de dépôt :

2015-7790

 

Date :

9 juillet 2015

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DEVANT L’ARBITRE :

ME DENIS TREMBLAY

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Le Centre de la petite enfance Allô mon ami

 

 

Et

 

Le Syndicat de La Nouvelle Union (CSQ)

 

 

 

Plaignante : Mélissa Gauthier

 

 

 

Grief :

G65-AQ-2000-8306-2013-02

 

Nature du litige : Suspension

 

 

 

 

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SENTENCE ARBITRALE

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I- LES PRÉLIMINAIRES

[1]    Le 12 septembre 2013, la direction du CPE Allô mon ami adressait à la plaignante la lettre disciplinaire suivante :

Après avoir pris connaissance des événements survenus le 4 septembre 2013, un avertissement est porté à votre dossier. Cet avertissement est accompagné d’une suspension d’une journée. Suite à votre discussion sur Facebook, des commentaires préjudiciables pour le CPE et une menace ont été proférés par vos amies. Tous ces commentaires portent préjudice à la directrice adjointe et au CPE Allô mon ami.

Il s’agit d’un geste d’insubordination qui a conduit à des préjudices et une menace.

Nous avons pris connaissance, le jeudi 5 septembre 2013, des commentaires que vous avez mis sur votre Facebook, malgré un premier avertissement verbal.

Voici une partie de la discussion :

Vous :

« Chers amis de vanier je serai de retour parmi vous le 16 septembre dans les ouistitis…j’ai hâte de vous revoir! »

Personne 1 :

« Tu t’es tannée vite de Lebourgneuf?

Ou ben y en a une qui a décidé de te faire chier coûte que coûte […] » (Vous avez mis J’aime sur ce commentaire.)

« Dans le mille!! Wahouhou!! Ma mère m’a toujours dit : crache en l’air et ça va te retomber sur le nez plus fort encore…Fac faudra que la vache fasse attention où elle met les pieds si elle veut pas rester prise dans sa marde hihi »

Vous :

« Disons que je ne me sentais plus à l’aise à cet endroit…je retourne par choix Personne ne m'a fait chier directement c’est un sentiment de malaise voilà tout »

Personne 2 :

« C’est ben correct ça!!! Je te comprends…Chaque installation à sa façon de fonctionner pis ça ne te convient pas…Go »

Vous :

« C’est en plein ça personne 2, je vais retourner dans mes vieilles pantoufles. »

Le 5 avril 2013, vous avez reçu un avertissement verbal vous demandant de cesser d’écrire des commentaires sur Facebook concernant votre milieu de travail, qu’ils soient positifs ou négatifs. Nous exigeons à nouveau que vous ne fassiez plus allusion ou écriviez des commentaires concernant votre milieu de travail sur votre Facebook, sans quoi d’autres mesures seront prises.

Facebook est un média social. Nous vous demandons de faire preuve de professionnalisme et de respect pour l’employeur (S-2).

[2]    Le 19 septembre, cette dernière déposait un grief demandant que l’on retire cette lettre de son dossier et que l’on annule la suspension qu’on lui avait imposée.

EXPOSÉ DU GRIEF

Le 12 septembre 2013, l’employeur à remis une mesure disciplinaire écrite accompagnée d’une suspension d’une journée à Mme Mélissa Gauthier suite à une discussion sur Facebook.

Nous contestons la décision de l’employeur et considérons que l’employeur à agit de façon illégale à l’égard de l’article 5-8.00 de la convention collective.

Nous considérons le geste de l’employeur comme étant abusive, injustifiée et non conformes à la convention collective.

CORRECTIFS REQUIS

Nous demandons au tribunal d’arbitrage :

1.     De constater que l’employeur a exercé ses fonctions de direction de façon déraisonnable, abusive et contraire à la convention collective;

2.     De déclarer la décision de l’employeur comme étant injustifié et non fondé en faits et en droit;

3.     D’ordonner à l’employeur de retirer la mesure disciplinaire du dossier de Mme Mélissa Gauthier ainsi que tout document y référent.

4.     D’ordonner à l’employeur le remboursement à Mme Mélissa Gauthier, la journée de salaire perdu, le tout augmenté des intérêts et indemnités prévus au Code du travail du Québec.

5.     De rendre toute ordonnance propre à sauvegarder les droits des parties (S-3) (texte intégral).

[3]    Ce grief fut par la suite référé en arbitrage et confié au soussigné (S-4).

[4]    Dès l’ouverture de l’audience où celui-ci fut débattu, les parties ont admis qu’il avait été fait conformément à la convention collective et que le soussigné en était valablement saisi.

[5]    Comme il s’agissait d’une mesure disciplinaire, et vu la clause 10-2.12 de la convention collective, le fardeau de la preuve incombait à l’employeur.

 

II- LA PREUVE

[6]    Trois témoins ont été entendus dans le cadre de la preuve, ils ont substantiellement dit ceci.

Témoignage de Manon Giguère

[7]    Elle est directrice adjointe du Centre Le Petit Bourg, l’un des trois (3) étblissements du CPE Allô mon ami.

[8]    Le centre Le Petit Bourg compte 17 employés, soit : 14 éducatrices, 1 éducateur spécialisé, 1 responsable de l’alimentation et 1 préposé à la désinfection.

[9]    Au moment des évènements sous étude, la plaignante faisait partie de cette équipe. Elle y était depuis le 18 mars 2013.

[10]         Le CPE Allô mon ami est chapeauté par un conseil d’administration et est dirigé par un directeur général (Louis Morin) lequel se trouve à être son supérieur immédiat.

[11]         Elle est la signataire de l’avis disciplinaire du 12 septembre 2013 (S-2). Avant de l’expédier, elle l’avait fait autoriser par le directeur général du CPE.

[12]         Le tout avait débuté par un avis verbal à la plaignante donné le 5 avril 2013 alors que cette dernière avait écrit sur son Facebook « Foutu journée de marde » (E-1) et qu’un parent s’en était plaint. Celui-ci s’inquiétait de ce qui s’était passé parce que sa fille faisait partie du groupe d’enfants sous la responsabilité de la plaignante.

[13]         Elle a rencontré cette dernière à ce sujet. Étaient présents à cette rencontre à titre de témoin Lyne Lavallée la directrice adjointe du centre Le Petit Domaine et Valérie Grenier, présidente du syndicat.

[14]         Elle a alors montré à la plaignante la page Facebook (E-11) où apparaissait son commentaire «  Foutu journée de marde » et lui a dit qu’à partir de maintenant, il lui était interdit d’écrire des commentaires sur son travail qu’ils soient positifs ou négatifs (E-2) parce que ceux-ci sont vite reliés à leur milieu de travail et peuvent inquiéter dans certains cas.

[15]         La plaignante a reconnu avoir écrit ce commentaire et a expliqué que c’était parce qu’elle s’était engueulée avec son « chum » et sa fille le matin.

[16]         Suite à cela, il ne s’est rien passé jusqu’au 4 septembre alors qu’une de ses amies lui a dit qu’elle se faisait « traiter de vache » sur Facebook sans toutefois mentionner qu’il s’agissait de la plaignante.

[17]         Elle est allée voir ce qui en était, elle l’a lu la page Facebook en question et l’a imprimé. La voici :

Mélissa Gauthier

Chers amis de vanier je serai de retour parmi vous le 16 septembre ds les ouistitis…j’ai hâte de vous revoir!!!

Josée Lemay

Comment ca??

Josée Labrie

Tu t’es tannée vite de Lebourgneuf !?!

Marie-Christine Garneau

Comment ça?? T t’ennuie de ta gang??

Josée Labrie

Ou ben y en a une qui a décidé de te faire chier coûte que coûte …

Josée Labrie

Dans le mille!! Wahouhou!! Ma mère m’a toujours dit : « crache en l’air ça va te retomber sur le nez plus fort encore »…Fac faudra que la vache fasse attention où elle met les pieds si elle veut  pas rester prise dans sa marde hihi

Mélissa Gauthier

Disons que je ne me sentais plus à l’aise à cet endroit…je retourne par choix

Mélissa Gauthier

Personne ne ma fait chier directement c un sentiment de malaise voilà tout

Josée Labrie

OK, c’est la bonne décision dans ce cas-là

Marie-Christine Garneau

C’est ben correct ça !!! Je te comprend…Chaque installation a sa façon de fonctionner pis si ça ne te convient pas…Go (E-3)

[18]         Marie-Christine Garneau est une ancienne adjointe administrative du Centre Le Petit Domaine. Elle ne connaissait ni Josée Lemay ni Josée Labrie.

[19]         Elle a rencontré la plaignante à ce sujet le 12 septembre 2013 pour lui remettre l’avis disciplinaire S-2 et lui annoncer sa suspension d’une journée. Cette dernière n’a pas nié être l’auteur de certains de ces commentaires.

[20]         Postérieurement à ces évènements, Josée Labrie a écrit une lettre ouverte au sujet de ce qui s’est passé le 12 septembre 2013 (E-4). Quant à elle, elle y a fait le lien avec E-3 puisque Josée Labrie y tenait les mêmes propos et demandait le retrait des accusations portées « contre la plaignante ». Il s’agissait, pour elle, clairement de S-2.

[21]         Aucun reproche n’a été fait à la plaignante à ce sujet. Cependant, elle y a vu comme une conséquence du message Facebook.

[22]         Contre-interrogée, elle a mentionné que, même si le commentaire de la plaignante d’avril avait été fait à l’heure du souper, pour elle, il était en lien avec le travail de cette dernière au CPE. En E-3, cette dernière avait d’ailleurs mentionné qu’elle travaillait au CPE Allô mon ami.

[23]         Elle ne lui reprocha pas ses commentaires, mais le fait d’avoir fait un commentaire.

[24]         Interrogée à savoir lesquels commentaires lui portaient préjudice parmi ceux faits en E-3, elle a mentionné les deux de Josée Labrie. C’était ce qui était dérangeant là-dedans, a-t-elle dit. Les autres pouvaient cependant porter à confusion, a-t-elle ajouté.

[25]         En ce qui concerne la lettre de Josée Labrie (E-4), elle n’a pas craint pour sa sécurité; toutefois son conjoint voulait qu’elle aille à la police. Voici un extrait marquant de E-4 :

Comme ma mère m’a toujours dit : « si tu craches en l’air, ça va te retomber sur le nez plus fort encore ». Pour simplifier, la loi du retour est la même pour tout le monde : on récolte ce que l’on sème! Si on passe notre temps à chercher le trouble et à écœurer le peuple pour obtenir ce qu’on veut, on finit par trouver le trouble…ou c’est le trouble qui nous trouve. Et souvent, on récolte plus gros que ce qu’on a semé! Donc, à cette personne qui cherche le trouble, si tu l’as pas encore trouvé, t’en fais pas, il tardera pas…Il s’en vient au galop! »

[26]         Dans les semaines qui ont suivi ces évènements, le CPE s’est doté d’une politique sur les médias sociaux. À l’époque, il n’y en avait pas.

Témoignage de Louis Morin

[27]         Il est directeur général du CPE Allô mon ami depuis son ouverture en 1990.

[28]         C’est lui qui a pleine autorité en matière disciplinaire. Cependant, il l’exerce en collaboration avec le comité de gestion du CPE.

[29]         En l’espèce, il a autorisé l’avis disciplinaire S-2 signée par Manon Giguère parce qu’il visait une employée dont elle était la supérieure immédiate.

[30]         Il a autorisé une (1) journée de suspension parce que la plaignante avait eu un avertissement verbal à l’effet de ne plus faire sur Facebook de commentaires positifs ou négatifs relatifs à son travail. Il craignait les dérapages. Une discussion sur Facebook n’est pas comparable à une discussion de deux personnes en privé, a-t-il dit. Pour un CPE, les conséquences peuvent être très graves parce qu’on leur confie de très jeunes enfants en toute confiance.

[31]         En agissant envers la plaignante comme ils ont agi, c’était par souci de protéger la réputation du CPE.

[32]         Il n’y avait pas de politique concernant l’usage des médias sociaux à l’époque n’ayant eu jusque-là aucun problème semblable.

[33]         Postérieurement au présent évènement, lors des réunions mensuelles avec les éducatrices, il leur a demandé de ne pas parler du CPE sur Facebook.

[34]         En ce qui concerne la suspension de la plaignante, elle fut justifiée par le fait que cette dernière a passé outre à l’avertissement verbal reçu. Il s’agissait d’un geste d’insubordination face à un enjeu qu’est la réputation du CPE.

Témoignage de Mélissa Gauthier

[35]         Elle est éducatrice depuis 1999.

[36]         En rapport avec la présente affaire, elle a reconnu avoir fait le 1 er commentaire E-1 en avril 2013. Elle l’a écrit à 22h30. Elle a deux filles de 7 et 11 ans et ce jour-là, la journée avait mal débuté alors qu’elle s’était engueulée avec son conjoint au sujet de la plus jeune de ses deux filles.

[37]         Après sa journée de travail, ce fut avec sa plus vieille qu’elle a eu des difficultés.

[38]         Le « conflit » s’est continué en soirée. Le commentaire « foutu journée de marde » n’était pas lié à son travail.

[39]         En ce qui concerne les commentaires de septembre, elle a voulu manifester le fait qu’elle était très contente de revenir au CPE de Vanier où elle avait commencé à travailler comme éducatrice. C’est pourquoi elle a écrit « chers amis de Vanier ». Comme elle est très anxieuse, elle n’avait pas été capable de s’adapter au Centre Le Petit Bourg. Elle ne s’y était pas sentie bien. Elle a écrit  sur Facebook « …disons que je ne me sentais plus à l’aise à cet endroit » pour le manifester.

[40]         Elle y a aussi écrit « personne ne m’a fait chier directement… », elle aurait pu écrire « pas du tout »,  a-t-elle dit.

[41]         Il s’agissait de difficultés d’adaptation. Elle retournait donc là où elle se sentait bien.

[42]         Elle avait à l’époque 250 à 300 amis Facebook. Seulement ses amies avaient accès à ses commentaires.

[43]         En ce qui concerne Josée Labrie, elle est l’ex-conjointe de son conjoint. Elle ne lui parlait que des enfants. Elle ne lui a jamais rien dit de son travail.

[44]         Elle a supprimé Josée Labrie de son compte Facebook après les commentaires qu’elle a faits en E-3.

[45]         Elle n’avait jamais vu E-4 avant l’arbitrage.

[46]         Elle a toujours montré du respect envers son employeur et lui a toujours été loyale, a-t-elle conclu.

Contre-interrogée , elle a ajouté à son témoignage principal ce qui suit.

[47]         Elle n’a jamais eu vent de l’existence de la pièce E-4. On ne le lui a jamais reproché.

[48]         En S-3, elle écrivait à l’ensemble de ses amis Facebook. En écrivant « chers amis de Vanier », c’était plus personnalisé. C’était des collègues ou ex-collègues et peut-être des parents de cette ville. Elle a trouvé bizarres les commentaires de Josée Labrie en E-3. Cette dernière référait à son travail alors qu’elle ne lui avait jamais dit qu’elle avait des problèmes au travail. Elle en fût choquée et elle a alors cru bon écrire que personne ne « la faisait chier directement ».

[49]         Quand elle a parlé de « ses vieilles pantoufles », elle parlait de son travail comme dans le cas de son 1 er commentaire.

[50]         En ce qui concerne l’avis verbal d’avril 2013, selon elle, on lui aurait seulement interdit de faire sur Facebook des commentaires négatifs sur son travail.

[51]         Elle ne voyait pas pourquoi, elle n’aurait pas pu y parler de choses positives.

[52]         De toute façon, pour elle, les commentaires de septembre (E-3) n’étaient nullement négatifs.

III- EXPOSÉ SOMMAIRE DES PARTIES

a) de la part de l’employeur

[53]         À la suite d’un commentaire négatif fait à ses amis Facebook en avril, et susceptible d’être lié à son travail, la plaignante a fait l’objet d’une interdiction claire, simple et légitime. Elle ne devait plus en faire, ni positif, ni négatif. C’était une mesure raisonnable. Ce n’était pas une atteinte à sa liberté d’expression. Un employeur est en droit d’interdire tous commentaires sur son entreprise.

[54]         La plaignante a été par la suite silencieuse jusqu’en septembre 2013 alors qu’elle a oublié l’interdiction qu’on lui avait faite en avril.

[55]         En effet, en septembre, elle a clairement fait allusion à son travail à ses 200 à 300 amis Facebook. Ce ne fut pas une faute majeure. Cependant, ses commentaires ont ouvert la porte à des commentaires dédaigneux de Josée Labrie et à des interrogations de Marie-Christine Garneau lues par tous et qui ont fait jaser.

[56]         La plaignante n’a peut-être pas voulu les commentaires de Josée Labrie, mais elle les a suscités.

[57]         En ne suivant pas la consigne qu’on lui avait imposée, la plaignante a ouvert la porte à du dérapage. Elle a provoqué involontairement ce qui est survenu.

[58]         Un CPE est un milieu sensible où la confiance doit être inébranlable. Facebook est lu par les parents et tous les commentaires négatifs les inquiètent. Si une éducatrice écrit « foutu journée de marde », ceux-ci peuvent lier ces propos au travail de cette dernière et s’alarmer. Une éducatrice est une personne importante dans ce milieu. Elle se doit d’être prudente. Le « verbal » peut jouer des tours. La plaignante n’a pas été sanctionnée très sévèrement en l’espèce. Ce fut plutôt symbolique alors qu’elle a désobéi à un ordre précis et provoqué le dérapage que l’on a pu constater lors de l’arbitrage.

b) de la part du syndicat

[59]         Il a été admis qu’il n’y a pas eu de geste intentionnel de la plaignante en l’espèce. Elle n’a même rien fait de répréhensible. Ses propos sur Facebook ne l’étaient pas.

[60]         En lui imposant un silence total sur son travail, l’employeur a porté atteinte à sa liberté d’expression. Le devoir de loyauté ne permet pas de réduire les employés au silence.

[61]         Dans cette affaire, ce sont les propos d’une tierce (Josée Labrie) qui sont en cause. La provenance du « J’aime » après le commentaire « ou ben y en a une qui a décidé de te faire chier » n’a pas été mise en preuve. Quant au commentaire « foutu journée de marde », il ne visait que son « vécu familial» et l’employeur ne pouvait censurer cela. Si elle avait dit « belle journée », l’employeur ne s’en serait certainement pas plaint.

[62]         La plaignante ne contrôlait pas les commentaires des autres sur Facebook.

[63]         Avec l’interdiction de son employeur, il aurait quasiment fallu que la plaignante ferme sa page Facebook.

[64]         L’employeur n’a subi aucun préjudice suite à ce qui est survenu en l’espèce. S’il avait jugé la chose si importante, il aurait interdit à tout son personnel dès avril 2013 tous commentaires sur son entreprise.

[65]         Quant au reste, passer d’un avis verbal à une suspension ne respectait pas la nécessaire gradation de sanctions dans un tel cas.

IV- ANALYSE ET DÉCISION

[66]         Dans l’affaire Ginette Landry et Provigo Québec inc. [1] , le commissaire Richard Hudon de la commission des lésions professionnelles a écrit ceci :

« Ce qui se trouve sur un compte Facebook ne fait pas partie du domaine privé compte tenu de la multitude de personnes qui peuvent avoir accès à ce compte ».

[67]         C’est un avis que je partage.

[68]         Certes, toute personne bénéficie de la liberté d’expression prévue à la charte des droits et libertés de la personne. Cependant, les obligations de respect et de loyauté envers son employeur doivent guider l’employé sur le point d’exercer ce privilège.

[69]         Aussi, lorsque quelqu’un utilise son compte Facebook, il doit être prudent quant aux propos qu’il y tiendra et, dans le cas d’un salarié, il devra s’abstenir de tous commentaires qui pourraient nuire aux intérêts légitimes de son employeur.

[70]         En l’espèce, la plaignante n’a pas directement critiqué son employeur, ni tenu de propos diffamatoires ni manqué de respect à ce dernier. Elle a tout simplement désobéi à l’ordre qu’on lui avait donné de ne plus écrire de commentaires sur son travail, provoquant alors le dérapage que l’on connaît.

[71]         Le tout avait débuté en avril par le commentaire « foutu journée de marde » fait par la plaignante sur Facebook.

[72]         Informé à ce sujet, son employeur a tenu une rencontre où il lui a reproché ses propos parce que ceux-ci pouvaient laisser entendre aux parents que ça n’avait pas bien été au CPE ce jour-là et les inquiéter.

[73]         La plaignante s’est défendue en disant que ceux-ci ne visaient pas son travail, mais des problèmes vécus à la maison. Elle s’est expliquée en arbitrage et ses explications étaient crédibles. L’employeur n’a d’ailleurs pas insisté sur le caractère fautif de ce commentaire bien qu’il avait eu raison de s’inquiéter de l’impact du court commentaire de son éducatrice.

[74]         L’employeur a profité de l’occasion pour interdire à la plaignante de ne plus faire à l’avenir quelques commentaires que ce soit concernant son travail sur Facebook (E-2).

[75]         Selon la plaignante, l’interdiction ne visait que les commentaires négatifs. Elle ne voyait d’ailleurs pas pourquoi, a-t-elle témoigné, elle ne pourrait pas parler de « choses positives » relatives à son travail.

[76]         Pour le syndicat, cela constituait clairement une atteinte de la part de l’employeur à la liberté d’expression de son personnel.

[77]         Selon moi, l’employeur pouvait établir des règles pour éviter que, volontairement ou pas, un employé porte atteinte à sa réputation en révélant certaines choses sur Facebook. Il pouvait exiger de ses éducatrices d’être discrètes par rapport à leur travail et leur imposer un devoir de réserve.

[78]         En avril 2013, en demandant à la plaignante de ne plus faire de commentaires sur son travail aussi bien positifs que négatifs, c’est clairement ce que l’employeur visait. Je suis par ailleurs d’avis qu’il est allé trop loin. Je n’ai pas vu la politique qu’il a adoptée par après, mais je serais surpris que ce soit énoncé de cette façon.

[79]         Ce que l’interdiction de l’employeur devait viser, ce sont les commentaires susceptibles de déranger et de susciter de la controverse. L e milieu de la petite enfance est un milieu très sensible où certains propos peuvent être mal compris, inquiéter et entacher le lien de confiance qui doit exister entre les parents et le CPE.

[80]         La plaignante s’est conformée à la consigne d’avril 2013 pendant plusieurs mois. En septembre, comme elle quittait le centre Le Petit Bourg, elle a senti le besoin d’annoncer sur Facebook son retour à Vanier. Il n’y a rien à redire à cela. Cependant, lorsqu’elle a parlé de son travail de même que des motifs de son départ, même si ses propos n’étaient pas désobligeants envers son employeur, il contenait quelques sous-entendus portant à interprétation comme « personne ne m’a fait chier directement ».. et un « J’aime » douteux de sorte que l’on doit considérer que ce message entrait clairement dans la catégorie des messages en relation avec son travail que l’employeur ne voulait pas qu’elle fasse sur Facebook.

[81]         En effet, ce « J’aime » dont on ne connaît pas la provenance, mais que les amis Facebook de la plaignante pouvaient lui attribuer a eu pour effet d’ouvrir la porte à Josée Labrie qui en a profité pour tenir des propos plus que désobligeants envers Manon Giguère.

[82]         Évidemment, la plaignante n’est pas responsable de ce qu’a écrit Josée Labrie. Ce n’est pas elle qui le lui a suggéré. Elle ne pouvait absolument pas prévoir une telle réaction de celle-ci. Quelque part, elle en fut la victime. D’ailleurs depuis, elle a rayé cette dernière de sa liste d’amis Facebook.

[83]         Ceci dit, en allant à l’encontre de l’ordre qu’elle avait reçu en avril 2013, ordre  raisonnable quant aux commentaires négatifs s’il ne l’était pas quant à ceux positifs, elle a permis les propos totalement grossiers et impertinents de Josée Labrie.

[84]         Les parents et les collègues qui ont lu ce qu’a écrit cette dernière dans la page Facebook de la plaignante, et plus tard en E-4 (reçu en preuve sous réserve) ont dû avoir un certain choc et pour celle clairement visée par ces propos, Manon Giguère, le choc à dû être encore plus important.

Conclusion générale

[85]         Dans la présente affaire, l’on ne peut toutefois pas parler ici d’insubordination qui suppose un acte ferme et volontaire de ne pas se conformer à un ordre de son employeur.

[86]         En l’espèce, la plaignante n’a pas manqué de respect envers ce dernier. Suite au questionnement de ses amis Facebook, elle s’est ouverte sur les causes de son départ du centre Le Petit Bourg sans n’en tenir personne responsable. Cependant, par ses propos, au risque de me répéter, elle a soulevé des doutes et a provoqué le dérapage mis en preuve dans le présent dossier. C’est ce que l’employeur voulait éviter en lui interdisant de parler de son travail sur sa page Facebook.

[87]         Elle devait être sanctionnée pour cette faute. Toutefois, quant à moi, dans le contexte de la présente affaire, le passage d’un avis verbal à une suspension d’une journée pour ce manquement était disproportionné.

 

 

EN CONSÉQUENCE , pour tous ces motifs, l’arbitre soussigné;

FAIT partiellement droit au grief de la plaignante;

ANNULE la suspension d’une journée qui lui fut imposée le 19 septembre 2013 et y substitue une réprimande écrite à être versée dans son dossier;

ORDONNE à l’employeur de lui rembourser la journée de suspension qu’on lui a imposée le  12 septembre 2013, plus les intérêts légaux;

CONSERVE juridiction en cas de désaccord quant au quantum des sommes à verser à la plaignante.

 

 

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Me Denis Tremblay, arbitre

 

 

Procureur de l’employeur : Me François Barbeau

Procureur du syndicat :Me Marc Daoud

 



[1] 2011 QCCLP P.1802