Lecomte c. Québec (Ville de)

2015 QCCQ 8233

COUR DU QUÉBEC

« Division des petites créances »

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

Québec

LOCALITÉ DE

Québec

« Chambre civile »

N° :

200-32-059587-138

 

 

DATE :

17 septembre 2015

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SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

DANIEL BOURGEOIS, J.C.Q.

 

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Christiane Lecomte & Martin Benoit

[…] Québec (Québec)   […]

 

Demandeurs

c.

Ville de Québec

2, rue des Jardins, bureau RC-05

C. P. 700, succursale Haute-Ville

Québec (Québec)  G1R 4S9

 

Défenderesse

 

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JUGEMENT

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Le litige

[1]            Les demandeurs, Christiane Lecomte (ci-après «  Lecomte [1]   ») et Martin Benoit (ci-après «  Benoit  ») réclament à la défenderesse, la Ville de Québec (ci-après «  la Ville  ») 7 000 $ à titre de dédommagement à la suite de travaux que les demandeurs ont fait faire sur leur propriété dans le but de procéder au raccordement de la conduite d’égout jusqu’aux infrastructures appartenant à la Ville, en bordure du boulevard Ste - Anne.

[2]            En défense, la Ville nie toute responsabilité et invoque la faute d’un tiers, en l’occurrence la firme Expert Drainage Québec inc. (ci-après «  Drainage  ») laquelle a été mandatée par les demandeurs pour effectuer des travaux de remplacement de leurs conduites d’eau et d’égouts.

Le contexte

[3]            Le 4 mai 2013, les demandeurs constatent qu’il y a un bris d’eau à l’avant de leur terrain, en bordure du trottoir du boulevard Ste-Anne.

[4]            Ils communiquent alors directement avec la Ville pour que des vérifications soient faites. Quelques jours plus tard, après la visite d’un employé de la ville, cette dernière confirme aux demandeurs que le bris provient non pas du côté des infrastructures de la Ville mais bien du terrain des demandeurs.

[5]            Après avoir analysé quelques soumissions, les demandeurs mandatent Drainage afin de réparer et refaire la canalisation d’eau. Étant donné que Drainage devait creuser aux abords du solage de la résidence jusqu’au boulevard Ste-Anne, les demandeurs en profitent alors pour mandater Drainage pour refaire également le sanitaire (égout) ainsi que le «  pluvial  ».

[6]            Le 29 mai 2013, Benoit ainsi qu’un représentant de Drainage discutent avec un employé de la Ville afin de déterminer où se trouvait le raccord sanitaire. En effet, la Ville devait venir fermer la conduite d’eau à cet endroit afin que Drainage puisse entreprendre les travaux.

[7]            Après quelques vérifications, des employés de la Ville indiquent que le raccord se trouve approximativement à quatre (4) pieds de la prise d’eau, le tout étant confirmé par un ordinateur opéré par un employé de la Ville.

[8]            Puis, les 30 et 31 mai 2013, Drainage tente tant bien que mal de trouver l’endroit exact du raccord sanitaire. En fait, selon les demandeurs et Richard Ouellet (ci-après «  Ouellet  »), directeur technique chez Drainage, ils sont incapables de trouver le raccord sanitaire sur la conduite principale de la Ville.

[9]            Compte tenu de ce qui précède, Drainage referme l’excavation sur le terrain des demandeurs et avise ces derniers qu’ils sont incapables de terminer les travaux puisqu’ils n’ont pas trouvé le raccord pour la conduite sanitaire des demandeurs et son raccordement aux infrastructures de la Ville.

[10]         Les demandeurs réclament de la Ville le coût des heures supplémentaires facturées par Drainage pour trouver le branchement aux installations de la Ville, soit 1 802 $.

[11]         Les demandeurs réclament également la différence entre cette somme, soit 1 802,01 $ et 7 000 $, à titre de dommages puisque selon les demandeurs, la Ville ne leur donne pas un service d’égout auquel ils ont droit. Ils invoquent en effet que leur nouveau tuyau sanitaire n’a pu être branché au réseau public d’égouts.

[12]         Lors de l’audition, Benoit et Ouellet ont témoigné qu’après plusieurs recherches et après avoir passé une caméra dans le sanitaire qui sortait de la résidence des demandeurs, ils ont été en mesure de déterminer que le tuyau du sanitaire ne sortait pas vers l’avant de la maison en direction du boulevard Ste-Anne. En fait, la caméra a permis de constater, à la stupéfaction de demandeur et de Ouellet, que le sanitaire rejoint une autre conduite située à vingt cinq (25) pieds de la maison, vers l’arrière, et contourne cette dernière par le côté. En somme, Ouellet confirme qu’il est incapable de trouver le raccordement du sanitaire aux installations de la Ville.

[13]         En défense, Félix Grenier (ci-après «  Grenier  »), contremaître en travaux publics à la ville, affirme que la maison des demandeurs est branchée aux égouts de la Ville puisqu’il a lui-même fait des tests afin de s’en assurer. Il affirme à la Cour qu’il a fait des tests de couleur soit des pastilles rouges pour la conduite sanitaire et des pastilles bleues pour la conduite d’eau. Selon ces tests, et ses constatations, il a été en mesure de valider que la maison était branchée sur les installations de la Ville.

[14]         Grenier ne dépose aucun document à cet égard, mais témoigne sur ses constatations personnelles à partir de son dossier.

analyse

[15]         En ce qui concerne le régime général de la preuve prévu au Code civil du Québec ( «  C.c.Q . ») il est opportun d’identifier les dispositions précédentes applicables en l’espèce :

LIVRE SEPTIÈME 

DE LA PREUVE

TITRE PREMIER 

DU RÉGIME GÉNÉRAL DE LA PREUVE

CHAPITRE PREMIER 

DISPOSITIONS GÉNÉRALES

2803 . Celui qui veut faire valoir un droit doit prouver les faits qui soutiennent sa prétention.

Celui qui prétend qu'un droit est nul, a été modifié ou est éteint doit prouver les faits sur lesquels sa prétention est fondée.

2804 . La preuve qui rend l'existence d'un fait plus probable que son inexistence est suffisante, à moins que la loi n'exige une preuve plus convaincante.

[…]

CHAPITRE DEUXIÈME 

DU TÉMOIGNAGE

[…]

2845 . La force probante du témoignage est laissée à l'appréciation du tribunal.

[16]         En l’instance, la preuve démontre que la conduite sanitaire de la maison, dont la construction remonte à 1933, était dirigée vers l’arrière de la maison, et rejoint une conduite principale qui elle va rejoindre, plus loin, les infrastructures de la Ville situées aux abords du boulevard Ste-Anne.

[17]         En fait, bien que la nouvelle conduite sanitaire des demandeurs, installée par Drainage, n’ait pu être raccordée au réseau public d’égouts de la Ville, il n’en demeure pas moins que la maison des demandeurs est desservie par les services publics à cet égard puisque l’ancienne conduite sanitaire est fonctionnelle.

[18]         Selon la Ville, et avec l’information qu’elle détenait, Drainage aurait dû être en mesure de trouver le raccord puisque ce dernier se trouvait aux abords de la conduite d’eau.

[19]         Les photos déposées en preuve par les demandeurs démontrent cependant que Drainage a été incapable de retrouver et de localiser le réseau public d’égouts de la Ville.

[20]         En défense, la Ville prétend que les dommages subis résultent uniquement de l’incompétence et la négligence de Drainage.

[21]         En ce qui concerne le contrat d’entreprise ou de service, le C.c.Q. prévoit ce qui suit :

CHAPITRE HUITIÈME  

DU CONTRAT D'ENTREPRISE OU DE SERVICE

SECTION I  

DE LA NATURE ET DE L'ÉTENDUE DU CONTRAT

2098.  Le contrat d'entreprise ou de service est celui par lequel une personne, selon le cas l'entrepreneur ou le prestataire de services, s'engage envers une autre personne, le client, à réaliser un ouvrage matériel ou intellectuel ou à fournir un service moyennant un prix que le client s'oblige à lui payer.

2099.  L'entrepreneur ou le prestataire de services a le libre choix des moyens d'exécution du contrat et il n'existe entre lui et le client aucun lien de subordination quant à son exécution.

2100.  L'entrepreneur et le prestataire de services sont tenus d'agir au mieux des intérêts de leur client, avec prudence et diligence. Ils sont aussi tenus, suivant la nature de l'ouvrage à réaliser ou du service à fournir, d'agir conformément aux usages et règles de leur art, et de s'assurer, le cas échéant, que l'ouvrage réalisé ou le service fourni est conforme au contrat.

Lorsqu'ils sont tenus du résultat, ils ne peuvent se dégager de leur responsabilité qu'en prouvant la force majeure .

(Soulignement du Tribunal)

[22]         En l’instance, Drainage avait une obligation de résultat, c’est-à-dire qu’il devait trouver le branchement exact où le sanitaire des demandeurs se raccordait aux infrastructures de la Ville. Or, malgré les tranchées importantes pratiquées afin de découvrir ce branchement (voir photos P-5) Drainage est incapable de localiser la sortie du réseau public d’égouts de la Ville.

[23]         Y avait-il, dans les circonstances, une situation de force majeure qui pourrait dégager Drainage de sa responsabilité contractuelle ?

[24]         L’article 1470 C.c.Q. précise que la force majeure est un événement imprévisible et irrésistible.

[25]         Le Tribunal doit donc déterminer si les demandeurs ont prouvé l’existence d’une force majeure pouvant exonérer Drainage de son obligation de résultat.

[26]         D’une part, le représentant de la Ville affirme que le raccord sanitaire se trouvait effectivement à environ quatre pieds de la prise d’eau (voir entre autres le paragraphe 11 de la contestation écrite).

[27]         Les photos déposées en preuve démontrent que Drainage a pratiqué une importante tranchée à cet endroit. Cependant, les photos ne démontrent pas que Drainage a libéré une section de quatre pieds, tout autour de la prise d’eau. Certes, l’espace qui se trouve au-dessus de la prise d’eau et sur les rebords a été exposée, mais aucune photo ne démontre que Drainage a creusé également à quatre pieds en dessous de la prise d’eau. Le raccord sanitaire de la Ville se trouvait-il à cet endroit? le Tribunal l’ignore.

[28]         En l’instance, et compte tenu de ce qui précède, le Tribunal arrive à la conclusion que les demandeurs ont été incapables de prouver la responsabilité de la Ville et que Drainage a été empêchée, en prouvant la force majeure, d’accomplir son mandat.

PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL   :

            rejette la demande;

le tout sans frais.

 

 

 

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DANIEL BOURGEOIS, J.C.Q.

 

 

 

Date d’audience :

31 août 2015

 



[1]     Cette identification vise uniquement à alléger le texte et ne constitue en rien un manque de respect.