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Syndicat de l'enseignement Val-Maska et Commission scolaire de Saint-Hyacinthe (Linda Vadnais) |
2015 QCTA 774 |
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TRIBUNAL D’ARBITRAGE
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CANADA |
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QUÉBEC |
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N o de dépôt : |
2015-8683 |
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Date : 28 septembre 2015 |
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DEVANT L’ARBITRE : MARTIN RACINE, avocat |
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SYNDICAT DE L’ENSEIGNEMENT VAL-MASKA le « Syndicat » |
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Et |
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COMMISSION SCOLAIRE DE SAINT-HYACINTHE « l’Employeur » |
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Plaignante : M me LINDA VADNAIS |
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GRIEF N O : 2010-0004390-5110 |
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S E N T E N C E A R B I T R A L E I N T É R I M A I R E Demandes d’interventions de Mesdames Julie Savignac, Joanne Hénault,
Sophie Vallée et Isabelle
Parenteau
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[1] Le Tribunal est saisi d’un grief dans lequel la Plaignante allègue avoir fait l’objet de harcèlement psychologique de la part de M me Chantal Carufel et prétend que l’Employeur n’a pas pris les moyens nécessaires pour empêcher ce harcèlement psychologique ni pour le faire cesser.
[2] Ce grief contient les demandes suivantes :
« 1. Qu’il soit reconnu que la plaignante a fait et fait l’objet de harcèlement psychologique au sens de la loi de la part de Madame Carufel et d’autres membres du personnel de l’école René-St-Pierre;
2. Qu’il soit reconnu que l’employeur, par son inertie face à des comportements, paroles, actes et gestes répétitifs, impose à la plaignante un milieu de travail néfaste;
3. Que la commission prenne, sans délai, les moyens pour que cesse ce harcèlement psychologique à l’égard de la plaignante;
4. Qu’il soit déterminé une compensation, plus les intérêts prévus au Code du travail, pour les préjudices et inconvénients causés à la plaignante par des agissements répréhensibles d’employés de la commission. »
[3] À l’occasion de l’audience tenue le 6 juin 2014, qui a donné lieu à une ordonnance de divulgation des faits [1] , M e Jacques Lamoureux a comparu au nom de M me Chantal Carufel et annoncé qu’il avait mandat de présenter une demande d’intervention que le Syndicat a déclaré avoir l’intention de contester.
[4] Dans une décision rendue le 28 novembre 2014 [2] , le Tribunal a autorisé l’intervention de M me Chantal Carufel pour les motifs suivants:
« [34] En l’espèce, le Tribunal est d’avis que le fait que Mme Carufel soit nommée dans le grief et l’existence d’une demande de conclusion à l’effet que l’Employeur prenne les moyens pour que cesse le harcèlement à l’égard de la plaignante ne peuvent l’amener à lui accorder plus de droits que ceux généralement reconnus par la jurisprudence, notamment par Me Lyse Tousignant dans l’affaire Commission scolaire Marguerite-Bourgeois qui a d’ailleurs été suivie récemment par le présent Tribunal dans une affaire similaire.»
[5] Le 7 mai 2015, M e Jacques Lamoureux communique avec le Tribunal pour l’aviser qu’il a reçu le mandat de représenter M me Julie Savignac, une enseignante qu’il considère visée par la demande de M me Linda Vadnais. C’est ce qui l’amène à demander d’autoriser M me Savignac à participer aux auditions suivant les mêmes paramètres que ceux qui ont été établis dans la décision précitée.
[6] Dans une lettre du 8 mai 2015, le procureur de l’Employeur informe le Tribunal qu’il n’a aucune objection à la requête de M e Lamoureux.
[7] De son côté, le procureur du Syndicat écrit ce qui suit, le 27 mai 2015, en ce qui a trait à la demande du procureur de M me Savignac :
« (…) En ce qui concerne la présence de Mme Julie Savignac afin de participer aux auditions suivant les mêmes paramètres que ceux établis dans votre décision relativement à la présence de Mme Chantal Carufel, nous constatons plusieurs différences entre la situation de Mme Carufel par rapport à celle de Mme Savignac. Dans le cas de Mme Carufel, le formulaire S-4 démontre que la personne à qui l’acte était reproché était Mme Chantal Carufel. D’ailleurs, dans le document qui vous a été transmis en novembre 2014 intitulé « Description des reproches », le nom de Mme Carufel apparaît à plusieurs endroits alors que celui de Mme Savignac n’apparaît qu’à quelques reprises, notamment en lien avec un incident survenu le 15 janvier 2010. Dans ce contexte, nous nous questionnons donc sur la pertinence de permettre à Mme Savignac d’assister à tout le processus d’audition. Nous tenons cependant à vous informer que nous avons le mandat de nous en remettre à votre décision relativement à la demande de Mme Savignac. (…) »
[8] En réponse à ces commentaires, le procureur de M me Savignac indique, dans une lettre du 27 mai 2015, avoir révisé la Description des reproches déposée le 26 novembre 2014 et attire l’attention du Tribunal sur les paragraphes 32, 49, 50, 51 et 77 qui sont ainsi rédigés :
« [32] L’élève prépare la liste d’invitations qui comprend le personnel travaillant auprès de lui. Celle-ci inclut notamment Mme Julie Savignac (responsable de la cuisine), Mme Marie-Noël Laporte (surveillante au dîner) et Mme Ève-Lyne Lalanne. La plaignante, qui lui enseigne la motricité, n’est pas invitée. [3]
[49] Le 15 janvier 2010, alors que la plaignante effectue de la surveillance au Carrefour, Mme Savignac vient lui parler. Elle lui montre un « feuillet pouvant servir aux élèves pour le Défi Sportif ». Mme Savignac mentionne que c’est elle qui l’a préparé, que cela lui a pris deux ou trois heures à le faire.
[50] La plaignante devine que la demande venait de Mme Carufel. Mme Savignac confirme, ajoutant toutefois : « Nous en avons discuté en équipe ». La plaignante n’avait jamais été consultée, ni avisée, bien qu’elle soit spécialiste en motricité.
[51] Le même jour , Mme Vallée dépose une copie du feuillet sur le bureau de la directrice. La directrice convoque la plaignante pour en discuter et celle-ci lui explique qu’elle l’a elle-même reçu de Mme Savignac. La directrice parle à Mme Savignac puis informe la plaignante que celle-ci compte aller la voir pour s’expliquer. Deux semaines plus tard, n’ayant pas eu de nouvelles, la plaignante retourne voir la directrice, qui lui dit qu’elle compte relancer Mme Savignac à ce sujet. Finalement, la directrice recontacte la plaignante un ou deux jours plus tard pour l’aviser que Mme Savignac n’a rien à lui dire à ce sujet et que la rencontre n’aura pas lieu.
[77] La plaignante est mécontente. Elle dit que la décision de lui retirer les groupes 212 et 213 est injuste et discriminatoire en comparaison du traitement que reçoit Mme Savignac. La plaignante soutient qu’il faut respecter les critères de « stabilité » et de « continuité ». »
[9] Dans un document intitulé Réponse aux reproches , l’Employeur ignore le paragraphe 32 alors qu’il admet le paragraphe 49 et prend acte de l’admission à l’effet que c’est M me Savignac qui a pris l’initiative. Il nie le paragraphe 50 et ignore le paragraphe 51. Quant au paragraphe 77, il le nie en ajoutant que les périodes ont été équitablement réparties avec les groupes 212 et 213.
[10] De façon plus générale, l’Employeur soumet que la Plaignante n’a pas été victime de harcèlement, et que l’ensemble des éléments reprochés sont « de nature de peccadilles et d’événements qui ont cours dans le cadre normal du travail ». Elle ajoute que les reproches faits à certains membres du personnel de l’école relèvent de l’interprétation erronée des faits par la Plaignante.
[11] Le 3 juin 2015, le Tribunal a décidé de suspendre sa décision sur la demande d’intervention de M me Julie Savignac et de la convoquer à l’audience devant être tenue le 17 septembre 2015.
[12] Le 27 juillet 2015, M e Ronald Cloutier, procureur du Syndicat Canadien de la Fonction Publique, section locale 3259, qui représente les employés de soutien de la Commission scolaire, demande d’obtenir le statut de partie intervenante dans le dossier et de permettre à l’association accréditée d’être entendue.
[13] Dans une lettre du 17 août 2015, il indique que la demande d’intervention porte essentiellement sur les mêmes motifs que ceux qu’a déjà fait valoir M e Lamoureux au nom de M me Savignac soit :
· Que nous avons de sérieuses divergences avec l’ensemble des parties;
· Que deux ou trois des membres du syndicat que nous représentons sont nommés et visés par la plainte de M me Vadnais.
[14] Le 25 août 2015, M e Jacques Lamoureux produit une nouvelle demande d’intervention afin de représenter une autre enseignante, soit M me Joanne Hénault.
[15] Lors d’une conférence téléphonique tenue avec l’ensemble des procureurs, il a été convenu que l’audience du 17 septembre ne porterait que sur la question de l’ensemble des interventions précitées et qu’une décision écrite serait rendue à ce sujet, de sorte que l’audition prévue le 18 septembre a été annulée.
[16] Selon la nouvelle représentante de Mesdames Savignac et Hénault, M e Valérie Lafortune, la description des reproches déposés par le Syndicat au nom de la Plaignante justifie l’intervention de ses clientes considérant que leur réputation est en jeu. À son avis, même si ces reproches n’ont pas la portée et l’importance de ceux visant M me Carufel, à qui le Tribunal a déjà permis d’intervenir, il y a tout de même un « potentiel d’atteinte » qui doit être pris en compte.
[17] Elle considère que ses clientes ne peuvent être considérées comme de simples témoins mais plutôt comme de « présumés harceleurs » et qu’en conséquence, il importe qu’elles puissent assister à l’audience afin, le cas échéant, de rectifier des choses pouvant être dites à leur sujet.
[18] Elle ajoute également que certains allégués, qui visent plus particulièrement M me Hénault, ne concernent pas directement M me Carufel, ce qui démontre son intérêt distinct.
[19] Tout en référant à la jurisprudence déjà soumise par M e Lamoureux au soutien de l’intervention de M me Carufel [4] , elle ajoute qu’au-delà de la question de la réputation, on doit aussi tenir compte du risque d’imposition de mesures disciplinaires à l’égard de ses clientes, ce qui fait en sorte qu’elles n’ont pas le même intérêt que l’Employeur dans le dossier.
[20] Enfin, selon M e Lafortune, les règles régissant l’exclusion des témoins ne peuvent être utilisées pour contourner les principes fondamentaux quant au droit d’être entendu.
[21] Quant à M e Cloutier, il indique avoir demandé une intervention après avoir étudié la description des reproches et il fait valoir qu’il en ressort que de nombreux paragraphes visent spécifiquement les deux techniciennes en éducation spécialisée qu’il représente. D’ailleurs, elles sont identifiées comme faisant partie du clan de M me Carufel, de sorte que leur droit d’intervenir ne fait pas de doute.
[22] Pour le procureur du Syndicat, qui réfère le Tribunal à la décision qu’il a déjà rendue concernant M me Carufel, il y a encore lieu de craindre que d’autres personnes faisant partie du personnel enseignant désirent intervenir, de sorte qu’il incite le Tribunal à la prudence, vu le risque d’alourdir les débats.
[23] Soulignant la particularité du milieu scolaire visé, soit une école spécialisée pour des enfants porteurs d’un handicap, il incite l’arbitre à trouver une solution adaptée à cette réalité qui fait en sorte que la Plaignante a été en contact avec de nombreuses personnes faisant partie, notamment, de divers comités.
[24]
C’est ce qui
l’amène à souligner le rôle dévolu à l’arbitre par l’article
[25] Pour le procureur du Syndicat, étant donné que l’Employeur a fait une enquête complète à l’époque, et même une nouvelle enquête selon ce qu’il allègue, et que sept années se sont écoulées depuis les événements, il n’y a aucun risque que les personnes concernées se voient imposer des mesures disciplinaires.
[26] Par ailleurs, il fait valoir que les auditions visent la recherche de la vérité et que les règles applicables font en sorte, tel que le rappelle une décision récente [5] , que les témoins doivent être exclus afin de ne pas mettre en cause l’intégrité du processus. C’est ce qui risque d’arriver si on permet à des témoins, qui sont seulement susceptibles d’être intéressés, d’être présents tout au long des audiences.
[27] Référant aux principes établis par la jurisprudence, il fait valoir que Mesdames Savignac et Hénault n’ont pas un intérêt juridique suffisant pour intervenir.
[28] Cependant, le Syndicat informe le Tribunal qu’il s’en remet à sa décision en ce qui a trait aux deux employées de soutien, puisqu’il ressort de la description des reproches qu’elles travaillaient en équipe au sein de la classe spécialisée de M me Carufel et que la relation de la Plaignante avec cette dernière était tendue, en référant au mot « clan ».
[29] Le procureur de l’Employeur s’en remet aussi au Tribunal en ce qui a trait à l’intervention des deux techniciennes en éducation spécialisée mais il s’oppose à la participation des deux enseignantes. À cet égard, il soumet que ce n’est qu’exceptionnellement [6] que l’arbitre, au terme de l’exercice de sa discrétion judiciaire, peut permettre l’intervention de tiers au litige impliquant le Syndicat et l’Employeur.
[30] Dans une décision rendue récemment [7] , l’arbitre Christian Brunelle [8] , résume ainsi le contexte juridique particulier de la « tierce intervention » dans l’arbitrage d’un grief portant sur le harcèlement psychologique:
A) La tierce intervention
23. Dans son essence, le processus d’arbitrage de grief s’inscrit dans une « dialectique bipolaire » qui met en présence deux parties, l’employeur et le syndicat. C’est ainsi que « la présence du syndicat forme écran entre l’employeur et les salariés ». En fait, « la quiddité même de notre régime des rapports collectifs est le bipartisme », de telle sorte que l’intervention d’un tiers dans ce processus est même parfois décrite comme un « élément perturbateur ».
24. Cela étant, le
législateur n’exclut pas pour autant cette tierce intervention. D’ailleurs,
suivant l’article
(…)
B) Le cas particulier du harcèlement psychologique
26. S’il faut convenir que la tierce intervention demeure « une situation particulière ou d’exception », force est d’admettre que les cas d’exception tendent à se multiplier depuis la mise en place de la protection législative contre le harcèlement psychologique.
27. Au moins deux facteurs me semblent pouvoir expliquer cette tendance. D’une part, la source du harcèlement subi par un salarié peut ainsi être le fait d’un supérieur, d’un collègue de travail, d’un élève, d’un parent d’élève, d’un fournisseur, etc. En outre, le harceleur peut agir seul, certes, mais aussi de concert avec d’autres, accentuant ainsi les effets négatifs sur la personne ciblée. Dans ce contexte, le nombre de personnes susceptibles de s’adresser au Tribunal d’arbitrage afin d’être admis à intervenir demeure potentiellement appréciable .
28. D’une part, le terme « harcèlement » est en lui-même fortement connoté, à tel point qu’un vocabulaire, habituellement réservé au droit criminel, est régulièrement employé pour en décrire la réalité dans les milieux de travail. Ainsi, même si l’approche retenue par le législateur ne se veut pas punitive mais en appelle plutôt à la responsabilité de l’employeur, on dira d’une personne qu’elle est « accusée » de harcèlement psychologique, « ce qui constitue une accusation très grave ». Je note que dans ses observations écrites, le procureur de madame Bisaillon écrit : « Seule notre cliente est en mesure de se défendre à de pareilles accusations » (mes italiques). Certains n’ont d’ailleurs pas manqué d’évoquer « …les stigmates qui peuvent résulter du simple fait d’une allégation de harcèlement psychologique ».
29. En somme, sans nier le caractère « exceptionnel » de la tierce intervention, il me semble qu’une demande en ce sens doit recevoir une attention toute particulière lorsqu’elle est formulée dans le contexte d’un grief mettant en cause une allégation de harcèlement psychologique.
C) Les critères d’intervention
30. Dans l’arrêt Syndicat du transport de Montréal c. Métromédia CMR Plus Inc. , 14 la Cour d’appel du Québec résume ainsi les critères à respecter avant que l’arbitre de grief ne puisse permettre la participation d’un tiers à l’arbitrage :
[…] le tiers qui désire intervenir doit premièrement démontrer un intérêt juridique, direct et personnel, né et actuel. L’arbitre doit ensuite constater l’existence de circonstances exceptionnelles justifiant l’intervention. Finalement, le tiers doit faire une démonstration suffisante de la nécessité de ladite intervention. Les trois critères cumulatifs - l’intérêt juridique, le caractère exceptionnel et la nécessité de l’intervention - doivent faire l’objet d’une démonstration claire avant qu’une intervention soit autorisée.
_______________________________
14
(notre soulignement)
[31] De son côté, le présent Tribunal écrivait ce qui suit dans la décision [9] où il a autorisé l’intervention de M me Carufel :
[17] Il s’agit donc de déterminer si les paramètres retenus dans cette affaire, lesquels étaient similaires à ceux généralement reconnus par la jurisprudence dans le secteur de l’éducation, sont adéquats dans les circonstances ou s’il y a lieu, comme le demande la requérante, avec l’appui de l’Employeur, de les élargir compte tenu du contexte juridique et factuel du présent dossier.
Les personnes concernées par un grief de harcèlement psychologique
[18] C’est en 2002 que, par un amendement à la Loi sur les normes du travail (LNT) , ont été formellement reconnus le droit du salarié à un milieu de travail exempt de harcèlement psychologique et l’obligation de l’employeur de prendre des moyens raisonnables pour prévenir le harcèlement psychologique (art. 81.19). Par la même occasion, il a été déterminé que les dispositions relatives au harcèlement psychologique étaient réputées faire partie intégrante de toute convention collective et qu’un salarié couvert par une convention collective devait exercer les recours qui y sont prévus (art. 81.20).
[19] C’est ainsi qu’un
recours, au départ individuel, qui concerne un salarié et son employeur,
implique aussi le syndicat détenteur de l’accréditation, les parties à
l’arbitrage d’un grief étant, selon l’article
[20] Il semble aussi en
être de même à l’issue du processus puisque, en cette matière, les pouvoirs de
l’arbitre sont les mêmes que ceux que la
LNT
a confiés à la Commission
des relations du travail (CRT), tel qu’il ressort de la lecture de l’article
« Si la Commission des relations du travail juge que le salarié a été victime de harcèlement psychologique et que l’employeur a fait défaut de respecter ses obligations prévues à l’article 81.19, elle peut rendre toute décision qui lui apparaît juste et raisonnable, compte tenu de toutes les circonstances de l’affaire, notamment :
1° ordonner à l’employeur de réintégrer le salarié;
2° ordonner à l’employeur de payer au salarié une indemnité jusqu’au maximum équivalent au salaire perdu;
3° ordonner à l’employeur de prendre les moyens raisonnables pour faire cesser le harcèlement;
4° ordonner à l’employeur de verser au salarié des dommages et intérêts punitifs et moraux;
5° ordonner à l’employeur de verser au salarié une indemnité pour perte d’emploi;
6° ordonner à l’employeur de financer le soutien psychologique requis par le salarié, pour une période raisonnable qu’elle détermine;
7° ordonner la modification du dossier disciplinaire du salarié victime de harcèlement psychologique. »
[21] Dans Lamontagne c. Festival d’été International de Québec inc ., la juge administrative Hélène Bédard, de la CRT, rappelle que :
« Dans tous les cas, ce recours
est dirigé contre l’employeur qui aurait manqué à son obligation de prévenir le
harcèlement au travail. Ce recours n’a pas été conçu par le législateur pour
inclure le présumé harceleur comme partie au litige. D’ailleurs, les mesures de
réparation prévues à l’article
[22] Il découle donc de ces dispositions que l’arbitre de grief ne pourrait, même s’il conclut à la présence de harcèlement psychologique et au fait que le prétendu harceleur y a contribué, adopter une conclusion exécutoire ou ordonnance à l’égard de ce dernier.
[23] Cependant, comme le rapporte notre collègue Maureen Flynn dans l’affaire de Université de Concordia , la Cour d’appel a cependant considéré dans l’affaire McDonald c. Arshinoff & Cie ltée , qui concernait une intervention devant la Commission des lésions professionnelles (CLP), que « l’absence de conclusion à l’égard du tiers n’était pas un obstacle à l’octroi d’un statut d’intervenant ».
[24] Rappelant que
l’arbitre est maître de la preuve et de la procédure
(art.
[25] Par ailleurs, elle
rappelle qu’en plus des pouvoirs mentionnés à l’article
« Exceptionnellement l’arbitre peut être appelé à ordonner des mesures qui limitent la communication ou le contact entre la partie plaignante et la personne mise en cause. D’ailleurs, dans les grandes entreprises, le transfert de la plaignante ou de la mise en cause à un autre poste est souvent choisi comme mesure d’intervention ».
[26] Également, elle mentionne qu’à la suite d’une décision où il est constaté que la personne mise en cause a effectivement harcelé psychologiquement la prétendue victime, l’Employeur peut sévir en imposant une mesure disciplinaire pouvant aller jusqu’au congédiement.
[27] C’est ce qui l’amène à conclure que l’intérêt juridique du prétendu harceleur est personnel, réel et actuel vu la possibilité d’une atteinte potentielle à son honneur, sa réputation, sa dignité et à sa relation d’emploi. Ses intérêts peuvent donc être distincts de ceux de l’employeur considérant que ce dernier doit en premier lieu s’assurer que le milieu de travail soit exempt de harcèlement psychologique. Il en résulte, à son avis, que « l’employeur ne prendra donc pas intégralement faits et causes pour la mise en cause ».
[28] Cependant, Me Flynn reconnaît que, de façon générale, la mise en cause « partage en grande partie sur le fond les mêmes intérêts que l’employeur qui est partie au litige ». C’est ainsi qu’elle considère que l’octroi d’un droit d’intervention étendu, au même titre qu’une partie à part entière, irait à l’encontre des intérêts de la justice et ne ferait qu’alourdir le débat, puisque l’Employeur défendra en grande partie ses intérêts. De plus, elle ajoute qu’une telle intervention pourrait même entraîner un certain déséquilibre entre les parties au cours de l’administration de la preuve. C’est ce qui l’amène à moduler le droit d’intervention de la mise en cause en ne lui accordant pas le droit au départ de contre-interroger les témoins de la partie plaignante, à moins de circonstances exceptionnelles et sur autorisation préalable de l’arbitre.
[29] Cette approche a été suivie par plusieurs arbitres, dont le soussigné.
[30] À la suite de l’étude de la jurisprudence soumise par le procureur de Mme Carufel, le Tribunal ne considère pas qu’il y a lieu d’accorder, du moins pour le moment, un droit à une intervention pleine et entière. En effet, le contexte du présent litige diffère grandement de celui qui prévalait dans l’affaire Mercier et Ville de Sherbrooke devant la CRT. Comme le mentionne le juge administratif Pierre Flageole, la Commission faisait face à une « situation particulière » puisque l’employeur avait annoncé qu’il « ne tenterait aucunement de prouver ou de plaider qu’il n’y a pas eu harcèlement psychologique ». C’est ce qui l’a amené à adopter la position suivante :
« [28] Le fait que la Ville prenne cette position oblige la Commission à faire une plus grande ouverture à l’Association et aux policiers qui, seuls, au cours de ce procès, semblent vouloir contester l’existence même de harcèlement psychologique, ce qui serait de nature à sauvegarder leur réputation.
[29] Ainsi, en plus de leur permettre
d’assister aux audiences, d’être représentés par avocat, de témoigner eux-mêmes
ou de faire entendre des témoins sur les gestes qu’ils ont posés et de plaider
sur ce qui les concerne personnellement et directement, la Commission est
d’avis qu’il faut les autoriser à contre-interroger la plaignante et les
témoins qu’elle choisira de faire entendre sur tous les éléments constitutifs
de harcèlement psychologique de l’article
[…] ».
[32] Par ailleurs, le présent Tribunal a déjà eu l’occasion de discuter de la demande d’intervention de M me Savignac dans une sentence intérimaire rendue le 3 juin 2015, dans laquelle il a considéré qu’il y avait lieu de suspendre sa décision pour entendre les représentations de toutes les parties.
[33] Les paragraphes suivants de cette décision apparaissent toujours pertinents :
[18] Malgré l’absence de contestation du Syndicat et de l’Employeur, le Tribunal considère qu’il n’est pas nécessairement lié par le consentement des parties et que, en tant que maître de la preuve et de la procédure [10] , il a le devoir de s’assurer que l’audition du grief, pour laquelle plusieurs journées ont été retenues, procédera efficacement, dans l’intérêt de la justice et dans le respect des règles de justice naturelle.
[19] Dans ce contexte, il y a lieu de prendre en compte le fait que l’ajout d’intervenants est susceptible de retarder et de compliquer le déroulement des audiences, de sorte que ce n’est que lorsque les droits d’une personne doivent être préservés qu’il y a lieu d’autoriser son intervention, tel que mentionné dans la décision du 28 novembre 2014.
[20] Dans la présente instance, le fait que la Requérante soit représentée par le procureur d’une personne à qui le Tribunal a déjà permis l’intervention est susceptible de simplifier les choses bien qu’il ne soit pas certain que ce sera nécessairement le cas durant tout le déroulement des audiences s’il advenait, par exemple, que les intérêts de Mme Savignac soient distincts de ceux de Mme Carufel.
[21] Par ailleurs, le fait qu’une personne soit nommée dans la description détaillée des reproches, produite à la suite d’une ordonnance de divulgation des faits, n’entraîne pas nécessairement que ses droits sont susceptibles d’être affectés au cours de l’audience.
[22] Ainsi, il peut arriver, comme c’est le cas dans la description modifiée produite le 26 novembre 2014 qui comporte 159 paragraphes, qu’il s’agisse, par exemple, simplement d’une personne qui a été présente à une rencontre sans que ses paroles ou ses actes ne puissent constituer un reproche de la Plaignante à son égard.
[23] À la revue sommaire de la description des reproches en cause, le Tribunal constate qu’outre le nom de Mme Carufel, on y retrouve le nom de 50 personnes dont 10 élèves. Cependant, dans une grande partie sinon la majorité des cas, les faits qui sont mentionnés en rapport avec ces noms ne semblent pas pouvoir être assimilés à des reproches à l’égard de ces personnes.
[24] Tel que mentionné plus haut, l’examen des paragraphes où le nom de Mme Savignac apparaît ne permet pas, à première vue, de conclure à des reproches précis à son égard. De plus, dans sa demande d’intervention, son procureur n’a pas indiqué en quoi elle était directement visée par la plainte, se limitant à référer aux paragraphes où elle était nommée.
[25] Dans ce contexte, et en vue d’assurer la bonne marche de l’audience et, surtout, d’éviter de créer un précédent pouvant faire en sorte que toute personne dont le nom apparaît dans la description des reproches puisse obtenir, pour ce seul motif, le droit d’intervenir, le Tribunal considère qu’il n’est pas opportun ni prudent pour le moment d’accueillir la demande d’intervention de Mme Savignac.
[34] Enfin, il y a lieu de rappeler les propos de l’Honorable Pierre J. Dalphond de la Cour d’appel dans l’affaire du Syndicat des professionnelles et professionnels du Gouvernement du Québec c. Paquet [11] :
« [41] Faute d’une disposition dans le Code du travail ou la convention collective encadrant la participation de tiers, il revient à l’arbitre de permettre exceptionnellement la participation de tiers s’ils lui font une démonstration suffisante de sa nécessité ou, à tout le moins, de son utilité véritable. J’ajoute qu’en se livrant à cet exercice, l’arbitre doit demeurer extrêmement prudent car l’arbitrage est l’affaire, d’abord et avant tout, du syndicat et de l’employeur qui l’ont choisi et paient les frais afférents à ce mécanisme de règlement des différends encadrés par le Code du travail et la convention collective qu’ils ont négociée. L’ajout d’autres participants ne peut qu’alourdir le processus, augmenter les frais des parties à la convention collective et soulever de nouvelles problématiques.
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12 Par exemples : Les parties à la convention peuvent-elles régler le grief par une transaction en cours d’audition, sans impliquer d’intervenant? L’intervenant peut-il attaquer la sentence arbitrale? L’intervenant peut-il contre-interroger les témoins? Faire entendre des témoins? Peut-il être condamné à verser des dépens ou à autrement indemniser les parties si sa participation est mal fondée? »
[35] C’est en ayant à l’esprit l’ensemble de ces considérations que le Tribunal doit maintenant examiner chacune des interventions en se demandant si les requérants ont fait une démonstration claire de leurs intérêts juridiques, directs et personnels, nés et actuels, qu’il s’agit de circonstances exceptionnelles justifiant leur intervention et si celle-ci est nécessaire dans les circonstances, tel que la Cour d’appel l’a rappelé dans l’affaire du Syndicat du transport de Montréal c. Métromédia [12] .
Madame Julie Savignac
[36] Le nom de M me Savignac est mentionné aux paragraphes 32, 49 à 51, 77, 117 et 119 de l’énoncé des reproches produit par le Syndicat. Après avoir révisé chacun de ces paragraphes et entendu les représentations des parties à ce sujet, le Tribunal ne peut conclure que la requérante lui a démontré que ses droits sont susceptibles d’être affectés notamment en ce qu’elle subisse une atteinte à sa réputation ou que le comportement décrit puisse entraîner une mesure disciplinaire à son égard.
[37] Au contraire, tel qu’il ressort des extraits cités au paragraphe 33 de la présente décision, tout porte à croire qu’elle pourra agir comme simple témoin.C’est ce qui fait en sorte qu’on ne retrouve pas les critères cumulatifs établis dans la jurisprudence.
Madame Joanne Hénault
[38] Le nom de cette autre enseignante se retrouve aux paragraphes 16, 29, 62, 74, 87, 94, 100-101, 103-105, 110-111, 114-115, 121, 126, 131, 135, 137 et 149. Cependant, la lecture attentive de chacun de ces paragraphes ne fait pas ressortir qu’elle soit nécessairement identifiée comme une présumée harceleuse.
[39] Ainsi, il est fréquemment question du groupe ou du cours de M me Hénault sans qu’elle soit impliquée personnellement. Dans d’autres situations, elle est soit présente ou absente lors d’un événement ou les gestes qui sont rapportés ne semblent avoir aucune connotation ou ne sont pas identifiés à un reproche pouvant être assimilé à du harcèlement, bien qu’à certaines occasions la Plaignante rapporte certains sentiments à l’égard de M me Hénault. De plus, on lit que certaines personnes auraient rapporté à la Plaignante des propos de M me Hénault et de d’autres enseignantes.
[40] Comme pour ce qui est de M me Savignac, le Tribunal considère qu’il n’a pas été démontré que l’intervention de M me Hénault est nécessaire pour le moment dans les circonstances.
[41] S’il advenait qu’au cours de l’administration de la preuve ces deux enseignantes soient identifiées à titre de présumées harceleuses, le Tribunal verra alors à prendre les mesures nécessaires afin de leur permettre de préserver leurs droits fondamentaux.
Mesdames Isabelle Parenteau et Sophie Vallée
[42] Il s’agit de deux techniciennes en éducation spécialisée à qui des reproches sont directement adressés par la Plaignante, soit individuellement soit collectivement. De plus, leurs noms sont associés fréquemment à des comportements de M me Carufel laquelle est directement visée par le grief.
[43] Ainsi, sans reprendre les nombreux paragraphes concernés, le Tribunal note que M me Parenteau aurait porté une plainte vraisemblablement contre la Plaignante, qu’il est question d’expression de frustration, qu’elle aurait été vexée et qu’elle se serait montrée froide envers la Plaignante.
[44] De la même façon, la Plaignante reproche à M me Vallée d’être distante à son égard, de ne pas lui adresser la parole, de l’avoir laissée seule à quelques occasions etc.
[45] Sans pouvoir qualifier pour le moment ces comportements allégués, le Tribunal se doit tout de même de reconnaître, comme les parties semblent d’ailleurs le faire implicitement en faisant état du fait que Mesdames Parenteau et Vallée font partie du « clan de M me Carufel, ». C’est ce qui fait en sorte que les reproches formulés à leur égard sont susceptibles d’affecter leurs droits, notamment leur réputation.
[46] Dans les circonstances, leur ajout comme intervenantes doit être autorisé malgré le caractère exceptionnel de cette mesure. Leur intervention est donc autorisée selon les modalités déjà déterminées dans la décision visant M me Carufel :
- droit d’être convoquée aux audiences;
- droit d’être assistée par son avocat;
- droit d’être représentée par son avocat lors de son interrogatoire ou contre-interrogatoire;
- droit être interrogée par son avocat sur les faits et actes qui lui sont personnellement reprochés et qui peuvent porter atteinte à ses droits distincts et fondamentaux;
- droit de plaider sur la preuve relative aux faits et actes qui lui sont personnellement reprochés et qui peuvent porter atteinte à ses droits distincts et fondamentaux;
- avec l’autorisation préalable de l’arbitre, autrement intervenir à l’audience, dans le respect du cadre du débat contradictoire bipartite impliquant le Syndicat et l’Employeur, s’il est jugé qu’une telle intervention est justifiée par son droit de protéger l’un de ses droits distincts et fondamentaux;
- absence du droit de contre-interroger les témoins et la plaignante à moins de circonstances exceptionnelles sur autorisation préalable de l’arbitre, étant entendu qu’elle ne deviendrait pas, par ce fait même, partie entière au débat.
PAR CES MOTIFS , le Tribunal :
REJETTE les demandes d’intervention de Mesdames Julie Savignac et Joanne Hénault;
ACCUEILLE les demandes d’intervention de Mesdames Isabelle Parenteau et Sophie Vallée selon les modalités énoncées au paragraphe 46 de la présente décision;
CONVOQUE les intervenantes aux audiences devant être tenues les 21 et 22 octobre, 12 et 13 novembre ainsi que le 3 décembre 2015.
Signée à Québec, ce 28 septembre 2015.
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________________________________ __ M e MARTIN RACINE, arbitre |
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DATE D’AUDIENCE : |
17 septembre 2015 |
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Pour le Syndicat : |
M e GAÉTAN LÉVESQUE |
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Pour l’Employeur : |
M e BERNARD JACOB |
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Pour Mesdames Chantal
Carufel, Julie Savignac et
Joanne Hénault M e VALÉRIE LAFORTURE
Pour Mesdames Isabelle
Parenteau et Sophie Vallée M e RONALD CLOUTIER
ANNEXE
Autorité du Syndicat :
1. Commission scolaire des Affluents et Syndicat de l’enseignement de la région des Moulins , SAE 8961, 26 août 2015, Me Claude Fabien
Autorités de l’Employeur :
1. Syndicat des professionnelles et professionnels du Gouvernement du Québec c. Bernard Paquet , 2005, QCCA 109
2. Syndicat du transport de Montréal c. Métromedia CMR Plus Inc. , 2010, QCCA 98
Autorités de la procureure de Mesdames Savignac et Hénaut
1. McDonald c. Arshinoff & Cie Lt ., 2007, QCCA 575
2. Morin et Commission municipale de Ville de Mercier , 2010, QCCRT 0334
3. Lamontagne c. Festival d’été de Québec Inc. , 2010, QCCRT 0428
4.
Le
Syndicat des employé (e s de soutien de l’Université Concordia - secteur
technique (CSN)
et
L’Université Concordia
,
[1] Décision rendue le 10 juin 2014, SAE 08793
[2] SAE 08844
[3] Ce paragraphe fait suite au précédent qui fait état d’une fête organisée à l’occasion de l’anniversaire d’un élève de Mme Carufel qui avait discuté de l’organisation de la fête avec la plaignante puisqu’il avait initialement été question de la tenir dans le gymnase.
[4] Énumérée en annexe
[5] Citée à titre d’autorité du Syndicat à l’annexe
[6] Voir en annexe la jurisprudence qui y est citée
[7] Syndicat de l’enseignement de l’Estrie et Commission scolaire de la région de Sherbrooke , 2 février 2015, 2015 CanLII 6526 (QC SAT).
[8] Maintenant Juge à la Cour du Québec.
[9] 28 novembre 2014
[10]
Article
[11]
[12]